Arras.
Deux cavaliers approchaient à présent de la maison qui avait été construite de longues années auparavant à l'entrée de la ville. Les deux hommes s'étaient arrêtés dans la taverne de Beaurains avant de reprendre la route vers la demeure des Jarjayes. Sans doute l'impatience guidaient les chevaux sur une allure rapide, ou bien était-ce simplement cette tendre rivalité qui poussait régulièrement les deux compagnons à se mesurer l'un à l'autre. Comme cela se produisait souvent, l'aîné était en tête de quelques mètres mais talonné de près par le second cavalier. La course prit fin quand le jeune homme aux mèches brunes et aux yeux de gemmes verts franchit les limites de la propriété en lançant un « c'est encore moi qui ait gagné » fièrement. Il fut rejoint quelques secondes plus tard par son cadet, de carrure plus discrète, mais possédant le même regard déterminé, couleur du gris azuré du ciel hivernal. « Tu as triché... » se défendit-il.
« Allons ne soit pas ainsi... Tu finiras par gagner toi aussi... un jour qui sait » se moqua son aîné.
Frustré par la remarque, le jeune homme aux cheveux clairs descendit de cheval et attacha ses rennes à un arbre.
« Où vas-tu? »
« Je vais voir s'il y a quelqu'un » décréta-t-il déterminé
« Tu ne veux pas les attendre? »
Le cadet regarda la route qu'ils avaient empruntée à vive allure et sachant que personne ne les rejoindrait avant quelques minutes, il ne put se résoudre à attendre. « Non. »
« C'est pas vrai ! On va encore avoir des problèmes à cause de toi. »
« Je ne vois pas de quoi tu veux parler »
« Mais bien sûr... je te parle de cette fille, cette... »
« Ah elle... »
« Oui Elle ! ... son père a failli nous embrocher... »
« Il l'avait mérité, il n'avait pas à la traiter ainsi... et puis de toute façon, je ne craignais rien, il utilisait son épée comme un manche à balai »
Le jeune homme brun l'observa pour la énième fois. Depuis ces dernières années, son frère était devenu une des plus fines lames du pays ; sa souplesse et sa vitesse compensaient sans difficulté la force que lui pouvait avoir. Ils étaient à la fois si différents et si complémentaires.
« Alors tu fais quoi ? Tu viens ? »
Avait-il le choix ? Il mit à son tour pied à terre et le suivit.
Les deux jeunes hommes longèrent la large allée qui menait à la maison, d'un côté, en retrait, ils virent deux chapeaux de paille émerger de ce qui ressemblait à un potager; de l'autre côté, un peu plus loin, ils entendirent des rires de femme. Ils s'approchèrent et remarquèrent une dame qui cueillait des fleurs dans une roseraie.
« Tu crois que c'est elle ? » demanda timidement le plus jeune. Son frère fut surpris par la soudaine réaction de son cadet. Depuis quand avait-il besoin de réfléchir ? Avait-il enfin suffisamment mûri pour laisser sommeiller son impétuosité ?
« Je ne sais pas... le mieux est d'aller voir »
« Pardonnez-moi... puis-je vous renseigner ? » Une jeune dame aux cheveux de soleil, les mains tâchées de terre s'était approchée des deux visiteurs. Quand ils se retournèrent pour se présenter, elle ne put retenir sa surprise. L'un d'eux était le portrait vivant du jeune homme qu'elle avait rencontré de longues années auparavant, mais elle savait que ce ne pouvait être lui. Si le temps avait eu prise sur elle, l'homme, lui, semblait avoir gardé les traits de sa jeunesse.
« Bonjour, je m'appelle Fabien Grandier, voici mon frère, Lucius... nous voudrions voir Madame de... » commença l'aîné.
Un rire accompagné de larmes obligea la dame à se taire.
« Pardonnez-moi, quelque chose ne va pas Madame ? »
« Non, ce n'est rien... je m'appelle Rosalie... veuillez me suivre Messieurs »
« Tu as dit quelque chose de mal ? » s'inquiéta Lucius discrètement.
« Non, je crois que c'est le choc de notre présence... tu te souviens Mère nous a parlé d'une demoiselle qui vivait à Arras dans sa jeunesse... »
« Tu crois que c'est elle ? »
« J'en suis certain. »
Les deux visiteurs suivirent Rosalie jusqu'à la dame qui ramassait quelques roses dans le jardin. Ils découvrirent une personne d'un certain âge, les cheveux clairs avaient perdu leur jeunesse pour se recouvrir d'une parure grise. Quand elle aperçut Lucius, son cœur manqua de s'arrêter dans sa poitrine. Le jeune homme d'une vingtaine d'années portait des cheveux châtains noués sur la nuque et ses yeux ... la dernière fois qu'elle avait croisé un tel regard, c'était le jour où les paupières du Général s'étaient fermées à jamais.
« Madame de Jarjayes, ces jeunes personnes voudraient vous voir » commença Rosalie.
« Bonjour Madame, je suis Fabien Grandier » se présenta l'aîné en saluant son aïeule. Lucius, lui, dut supporter le coup de coude de son frère dans les côtes pour se détacher du regard tendre de sa grand-mère.
« Je... pardon, je ... » hésita-t-il. Madame de Jarjayes ne put que trahir son indulgence envers le jeune homme par un sourire affectueux.
« Voici mon frère, Lucius ; pardonnez son silence, Madame » enchaîna Fabien.
« Je suis ravie de faire votre connaissance... je ... est-ce que votre... » essaya maladroitement de demander la maîtresse de maison.
Devinant la question qui pouvait inquiéter la vieille femme, Fabien prit l'initiative. « Mère et père vont nous rejoindre d'ici quelques minutes en calèche, Lucius et moi sommes partis devant à cheval »
« Merveilleux... Rosalie, veuillez préparer une collation pour ces grands garçons »
« Oui Madame, je m'en occupe tout de suite. Si vous voulez bien me suivre, Messieurs... » les invita-t-elle.
« Volontiers » répondirent à l'unisson les deux frères.
« Elle est belle » murmura alors Lucius.
« Oui Mère ne nous avait pas menti, malgré les années Grand-mère a gardé sa... »
« Non, je ne te parle pas de Grand-mère mais de Mademoiselle Rosalie... »
« Lucius !!! »
Un rire cristallin ponctua la remarque du cadet. Rosalie se retourna sur le plus jeune, indulgente.
A quelques mètres de là, Louise de Jarjayes posa son panier de roses et s'avança lentement sur l'allée qui menait aux grilles. « Oscar... » murmura-t-elle, les larmes à peine étouffées. Les dernières nouvelles de sa fille dataient d'une vingtaine d'années. Une lettre cachée dans un courrier adressé à sa nourrice dans laquelle elle l'informait de sa fuite aux Amériques aux côtés d'André. « Oscar, votre fille qui vous aimera éternellement » avait-elle simplement signé.
[Myminette octobre 2006 – février 2007]
La France était un souvenir d'outre Atlantique. Après leur fuite de Paris, André et Oscar avaient fini par s'installer dans un ranch aux Amériques. « Bientôt un an » pensa Oscar en rassemblant comme chaque fin d'après-midi le troupeau de vaches tandis que son ami faisait de même de l'autre côté de la colline. Un an qu'ils avaient franchi l'océan, un an qu'elle vivait en compagnie de celui qui avait rapidement quitté son rôle de serviteur pour devenir son ami.
Même si la jeune femme maîtrisait davantage son aversion envers la gent masculine, André restait le seul homme en compagnie duquel elle baissait sa garde. Jamais il n'avait eu de geste menaçant à son égard depuis leur fuite. Petit à petit s'installa en eux une sorte de fraternité, du moins tel que le concevait Oscar. Car si pour la jeune femme, sa relation avec lui ne pouvait être que platonique, André, lui, voyait de plus en plus sa compagne sous un jour bien différent. La découvrir au fil des mois et des épreuves avait fini par tisser les premiers liens affectifs.
Mais depuis quelques semaines, la routine changea. Oscar avait remarqué que son compagnon s'absentait de temps en temps après le travail. Quand elle l'interrogeait sur les raisons, il éludait la question et mentionnait seulement qu'il se rendait en ville. Il lui cachait quelque chose, elle en était certaine; en fin de journée ils étaient souvent recouverts de poussière de la tête au pied et que ce soit pour jouer ou boire, André ne prenait même plus le temps de rentrer à la maison pour se nettoyer et partait directement en ville. Elle était lasse d'être ainsi mise à l'écart, André devait pourtant savoir qu'elle appréciait elle aussi de passer quelques minutes en sa compagnie à discuter autour d'un verre.
Un jour d'été, en fin d'après-midi, elle se décida enfin à aborder le sujet avec lui. Elle refermait le dernier enclos, quand une nouvelle fois, André lui fila entre les mains en criant un “à ce soir Oscar” qu'elle finit par maudire. C'était la fois de trop! S'il ne voulait pas l'attendre, soit, elle irait le rejoindre et lui dirait directement son ressenti... cette solitude qu'elle éprouvait quand elle rentrait seule vers la maison. Pour la première fois, Oscar mit un nom sur ce malaise... la peur de rester seule, la peur d'être abandonnée. Avant il y avait Pauline et Rosalie qui prenaient soin d'elle, depuis un an, il y avait André qui à sa façon les avait remplacées. S'il partait que lui restait-il? Rien! A cette idée, ses doigts se crispèrent sur les lanières de son cheval, elle voulait être avec lui, elle voulait... était-ce comme l'air qu'on est obligé de respirer pour vivre? André lui était-il devenu indispensable?
Oscar éperonna son cheval en direction de la ville, sans prendre le temps de se changer et de se rendre présentable, poussiéreuse et crasseuse par le dur travail du bétail, elle galopa le long du sentier jusqu'à la rivière qui longeait la propriété. Elle tira sur une bride pour prendre un raccourci quand elle aperçut la monture de son ami, broutant de l'herbe grasse à quelques pas de la rive. Elle tira d'un coup sur le cuir pour stopper. “Que fais-tu là” demanda-t-elle au cheval. “J'espère qu'il n'est pas tombé” pensa-t-elle immédiatement inquiète.
Elle mit pied à terre et s'approcha de l'animal. “Tout doux mon beau... où est André?” Le cheval ne lui répondit pas, mais un plouf dans l'eau suffit à cela. Elle approcha de la rive et le vit. “Il se baigne...” constata-t-elle pour elle-même. C'était la seconde fois qu'elle le voyait ainsi. Si son esprit lui disait de partir, son corps lui s'obstinait à rester, ses yeux refusaient de se détourner, ses jambes refusaient de reculer, son coeur... “Pars” se disait-elle. “tu n'as pas le droit... s'il te voit...” mais elle voulait prendre ce risque, elle ne savait pas pourquoi mais elle était presque captivée, comme lorsqu'on reste devant une cheminée hypnotisé la danse incessante des flammes.
Si à Arras, elle avait observé André par pure curiosité, cette fois il en était autrement. Ses yeux s'attardaient plus que de raison sur ces bras, sur ces jambes, sur ce visage qu'il plongea à plusieurs reprises sous l'eau pour débarrasser ses longs cheveux sombres de cette poudre claire qui les salissait. Elle vit ses mains remonter sur son front pour libérer son regard de quelques mèches qui avaient été ramenées sur son visage. Oscar regarda ce torse se gonfler, les muscles de sa poitrine se dessiner davantage alors qu'il levait les bras au-dessus de sa tête.
Après quelques secondes de ce spectacle, elle se surprit à respirer de nouveau. Comment pouvait-on rester en pamoison devant un homme, surtout elle, elle qui jusqu'à il y a un an ne pouvait pas en approcher un sans que sa folie ne l'envahisse. Aujourd'hui quelque chose d'étrange, d'inconnu emplissait son corps, comme un malaise, comme une soif qu'il fallait étancher. “Que m'arrive-t-il?”
Elle revint à la réalité en entendant André nager jusqu'au bord. Elle devait se cacher avant qu'il ne la découvre, avant qu'il sache qu'elle l'observait à son insu.
Elle se cacha derrière un buisson tandis que le jeune homme remontait sur la terre ferme. Le rouge aux joues, la respiration difficile, Oscar se plaqua dos à un arbre après ce qu'elle venait de voir. “Quelle idiote!” se traita-t-elle. Elle s'éloigna, serrant nerveusement les lanières de cuir dans sa main. Elle devait se calmer. Pourquoi André nu lui faisait-il un tel effet, ce n'était qu'un homme... un homme... et cette fois elle prit plus que conscience que le corps de son ami était bien différent du sien.
Se passant la langue sur ses lèvres sèches, Oscar trouva un coin à l'abri, libéra son cheval qui plongea immédiatement le museau dans l'eau fraîche. Il ne fallut pas longtemps à la jeune femme pour boire à son tour. Se désaltérer ne pourrait que lui faire du bien. Elle tenta également de laver la vision gravée dans ses yeux d'une grande gerbe d'eau, encore et encore. Quand enfin ses sens se calmèrent, elle entendit le cheval d'André partir au galop. “Qu'est-ce que je fais?” demanda-t-elle à son cheval qui n'avait d'intérêt que dans l'herbe qu'il ruminait. Dégageant son visage de quelques fils dorés, elle se hissa sur lui et se mit à suivre son ami.
Oscar poussa à son tour la porte de l'établissement dans lequel André était entré quelques minutes plus tôt. Elle regarda autour d'elle pour essayer de l'apercevoir mais ce fut en direction des escaliers qu'elle vit sa silhouette disparaître. Il ne portait plus ses vêtements de travail mais à présent un pantalon sombre et une chemise au blanc immaculé. “Où vas-tu André?” lui demanda-t-elle dans un murmure, seul le brouhaha de la taverne lui fit écho.
“Si ça te tente, monte mon gaillard” l'interpella le propriétaire.
Pourquoi monta-t-elle? Elle ne le sut pas pourtant son subconscient savait ce qui se passait dans ces étages où des filles aux tenues débraillées menaient des hommes pour leur procurer du plaisir. Pourquoi n'en n'eut-elle pas conscience ce jour-là? Seul lui importait son ami. Elle voulait lui parler, elle voulait savoir s'il l'abandonnerait. Obsédée par cette crainte qui lui envahissait le ventre, elle finit par poser le pied sur la dernière marche, devant le couloir qui donnait accès aux chambres.
“Bonjour, tu cherches quelqu'un en particulier?” demanda une jeune femme aux longues mèches blondes et aux yeux bleus.
“Je... un homme... heu brun...”
“Oh je vois...” sourit-elle en observant le jeune homme dont elle interpréta le rouge aux joues comme la trahison de sa nature “hors norme”. “Je crois que j'ai ce qu'il te faut.” Elle attrapa Oscar par la main et la tira jusqu'à la troisième porte à gauche. “Amuse-toi bien mon ami!” lui lança-t-elle en refermant la porte derrière la travestie. Satisfaite de sa petite vengeance personnelle, la prostituée descendit les escaliers à la recherche d'une nouvelle compagnie pour la soirée. “Ca t'apprendra à me comparer à un homme, mon ange” jubila-t-elle en regardant la porte de sa chambre close.
Le jeune homme brun s’était assis sur le grand lit et commençait à écarter les pans de son pantalon quand la porte s’ouvrit sur la demoiselle blonde.
« Déjà là ? Tu as fait vite » dit-il en se levant pour la regarder. Cela faisait plusieurs mois qu’il avait commencé à la fréquenter, même si « fréquenter » n’était pas approprié dans son cas puisque la tendresse de la jeune femme se monnayait comme ses faveurs. Mais chaque fois qu’il venait dans ce lieu, chaque fois qu’il embrassait sa peau claire, qu’il passait ses doigts dans ses cheveux blonds, qu’il se noyait dans le regard bleu ; chaque fois il s’imaginait qu’elle était une autre. Une femme qui peu à peu s’éveillait telle la chrysalide nichée dans une fragile coquille. Il avait fallu du temps et beaucoup de patience pour qu’elle accepte seulement sa présence, comment pourrait-elle accepter son amour, ses caresses, ses baisers. Même si leur amitié était devenue forte, le simple contact embrasait son corps d’homme tandis qu’elle prenait sur elle pour ne pas le fuir… il le sentait.
Il se rappelait, cela était arrivé une fois encore quelques semaines plus tôt. Alors qu’ils rassemblaient les animaux, Oscar avait mis pied à terre pour libérer un veau prisonnier d’une des barrières. Oubliant toute précaution, elle n’avait pas vu un des taureaux approcher nerveusement et la charger. Il avait galopé vers elle et l’avait attrapée au vol pour lui éviter d’être blessée.
« Qu’est-ce qui te prends ? » l’avait-elle agressé, fuyant son contact.
« Tu étais tellement occupée que tu n’as pas vu le mâle ! »
« Ce n’était pas une raison pour … »
« Tu aurais préféré que je te laisse te faire piétiner ? »
Elle n’avait pas répondu. Elle avait boudé le reste de la journée et avait fini par s’excuser le lendemain sachant que tant qu’à vivre à deux, l’idéal était d’être en bons termes.
Depuis cet incident, il s’était fait une raison et avait fini par franchir le cap. Une fin d’après-midi il avait quitté Oscar après le travail des bêtes, il était parti se rafraîchir à la rivière. Arrivé à la taverne, il s’était assis devant un verre et avait observé les filles qui travaillaient là. Depuis qu’il était parti de Paris avec elle, il n’avait plus fréquenté les prostituées… ce soir-là il en avait eu besoin; ce soir-là, il avait rendu le sourire à une jeune femme blonde aux yeux clairs; ce soir-là il était monté dans une chambre pour oublier, pour l’oublier.
‘L’oublier’… Comment faire ? Elle se tenait droite devant la porte close. Elle avait encore cette terre poussiéreuse qui l’enveloppait comme pour la camoufler, seul son visage avait retrouvé sa couleur ambrée d’avoir subi les effets du soleil. Que faisait-elle ici ? Où était la jeune femme, celle qui était à ses yeux son sosie, sa remplaçante ?
« Oscar ? »
Elle eut l’impression de chuter d’une falaise tant ses membres lui semblaient lourds. Si sa gorge s’était asséchée à la rivière, là elle s’apparentait plus à une aridité totale, sa langue ressemblant au plus aiguisé des rochers sur son palais. A quoi s’attendait-elle ? A le voir jouer au poker avec d’autres hommes, à le voir discuter de la terre avec des paysans ? Bien sûr que non !
« Je… »
Ce seul mot utilisa la dernière goutte de salive que sa bouche pouvait encore contenir. Elle recula d’un pas, cherchant à tâtons de la main la poignée de la porte qui lui permettrait de se soustraire à ce calvaire. Mais après quelques secondes infructueuses, elle resta le dos collé à cette maudite planche.
« Que fais-tu ici ? » demanda-t-il en faisant un pas.
« Arrête ! » Ordonna-t-elle en tendant le bras devant elle et essayant de détourner le regard. « Je … je suis désolée… je vais rentrer ». Elle devait partir, son corps commençait à devenir douloureux, sa vue lui jouait des tours et se troublait ; un malaise inconnu s’emparait totalement d’elle.
« Oscar ? » demanda-t-il inquiet. Il voulut lui attraper le bas mais elle le repoussa violemment.
« Ne me touche pas ! » Dans son mouvement elle lui griffa légèrement la poitrine.
« Calme-toi ! Que t’arrive-t-il ? »
« Ce qu’il m’arrive ? » Comme une seconde vie, le corps d’Oscar se tendit, ses mains se crispèrent tandis que des yeux s’emplissaient de cette colère qui se nichait en elle. « Tu me demandes ce qui m’arrive alors que tu es à moitié nu dans cette chambre. Que tu te frottes à une de ces filles ! »
André l’observait, intrigué par ce changement soudain de personnalité. Oscar était ainsi, le calme qui dévoilait sans crier gare une tempête infernale. Elle s’était redressée, fière et forte.
« Depuis quand dois-je te rendre des comptes ? Je ne suis plus à ton service que je sache ! »
« Ce n’est pas une raison pour passer dans le lit de toutes les filles qui traînent ici ! »
« Ce n’est pas moi qui t’ai invitée ici ! Tu aurais préféré que je me serve de toi ? »
Il fallut quelques secondes à Oscar pour saisir la portée de ces mots et quelques secondes supplémentaires à André pour seulement réaliser qu’il les avait prononcés.
Un silence de plomb s’installa dans la pièce laissant la place aux bruits provoqués par les ébats énergiques des partenaires de la chambre voisine. Les regards étaient fuyants alors que peu à peu le mur de séparation résonna de jeux érotiques. Oscar baissa finalement les yeux, remontant le long des jambes d’André pour se brûler les pupilles sur les lacets de coton qui libéraient outrageusement le bassin masculin. Les joues en feu, elle vit un faible mouvement faire tressaillir le tissu tandis que des cris d’extase à peine étouffés envahissaient les lieux.
« Allez mon loup dépêche-toi, j’ai envie... » râlait une femme de l’autre côté de la porte avant de l’ouvrir sur Oscar et André. « Oh oh, je crois qu’on dérange ! » se moqua-t-elle en embrassant son compagnon avant de le pousser dans le couloir.
« Attendez ! Nous avons fini ! » dit simplement André en refermant les liens de son pantalon sur son sexe tendu.
« Prenez votre temps, on va se trouver un autre endroit » répliqua joyeusement la prostituée.
Mais Oscar clôt la situation en poussant violement la porte pour sortir.
« Attends Oscar, il faut qu’on parle ! »
Parler ? De quoi ? Elle serrait les poings, elle était trahie, IL l’avait trahie ! Pire que tous les hommes qu’elle avait rencontrés, pire que toute la violence que son père lui avait infligée. Il l’avait amadouée pour mieux la blesser. Elle bouscula tout ce qui se trouvait en travers de sa route pour quitter ce lieu immonde. Jamais elle ne referait confiance à un homme. Aucun d’entre eux ne pouvait racheter les autres.
« Alors ? Comment ça s’est passé avec lui ? J’espère que ça t’a plu » se moqua la jeune femme blonde en voyant André descendre précipitamment les escaliers torse nu.
« C’est toi ! C’est toi qui l’as conduite à moi ! » se fâcha-t-il en l’attrapant sans ménagement par les poignets.
« J’ai cru comprendre qu’un peu d’amusement avec un homme ne te déplairait pas lorsque tu m'as appelée Oscar ! » le toisa-t-elle.
« Idiote ! » en la relâchant violemment au sol. « Veille à ne plus croiser mon regard, sinon… » La fin de sa menace mourut au fond de sa gorge tandis qu’il courait à son tour vers la sortie. Il devait la rattraper.
Partir ? Etait-ce la seule solution à présent ?
Rentrer à Jarjayes ? Impossible. Son père la tuerait de ses mains.
Rentrer à Arras ? Les quelques bonheurs y étaient restés avec Pauline et Rosalie. Comme elles lui manquaient. Mais elle savait qu’elle ne pourrait plus remettre le pied en France, peut-être sous une autre identité…
Partir, découvrir les Amériques. Quitter la vie dure mais tranquille de l’élevage. Mais pour faire quoi ? A part monter et se battre, elle ne savait rien faire d’autre. Elle était une femme… qui plus est, une femme inutile.
Forte de son abandon, Oscar était montée dans sa chambre où elle avait rassemblée quelques affaires dans un lourd sac de cuir. Sans même prendre le temps de se nettoyer, elle rassembla quelques vêtements, sortit l’argent qu’elle avait pu économiser ces derniers mois, derniers deniers qu’il lui restait après qu’André ait acheté le domaine avec l’argent du Général. Comme un dernier « au secours » elle leva les yeux sur la petite forme posée sur la commode. Le petit regard lui répondant de son silence. La jeune femme s’avança et serra la petite demoiselle sur son cœur. « Tu ne me quitteras jamais toi… » murmura Oscar. Elle allongea la poupée sur son lit, enveloppa avec douceur son visage dans un linge pour la protéger. Oscar essuya une larme en repensant au moment où ils avaient acheté cette maison, où pour la première fois, elle était entrée dans cette chambre, où au milieu de ce grand lit, l’attendait cette créature de porcelaine, intacte. La poupée avait fait le voyage à son insu et André avait demandé à un des artisans de la région de la réparer… Jamais elle n’avait été aussi heureuse.
« Oscar ? Oscar ? » Des coups étaient martelés sur la porte. « Je sais que tu es là ! Ouvre ! »
« Va-t-en ! Nous n’avons plus rien à nous dire ! »
Mais les coups redoublaient. Après plusieurs tentatives, André eut finalement raison de la porte qui s’ouvrit dans un grincement de souffrance. Elle était là et comme il l’avait deviné, elle voulait fuir.
« Alors c’est comme ça que tu veux agir ? Partir ! »
« Ca ne te regarde pas ! » cria-t-elle en posant la poupée dans son sac.
« Et lâche cette maudite poupée ! Ce n’est pas un être vivant ! Elle ne t’aimera jamais ! »
« Tais-toi ! »
Le démon s’était éveillé. Il savait que cela arriverait. Ces derniers mois, tout s’était bien passé mais sans cesse il sentait qu’un jour où l’autre, les peurs d’Oscar referaient surface et qu’elle devrait les affronter. Ce moment était arrivé sans qu’il l’ait intentionnellement provoqué.
« Pourquoi m’avoir suivi ? Pourquoi ? Tu voulais savoir où je partais le soir ! Que crois-tu Oscar ? Je suis un homme, je ne suis pas cette poupée ! Tout le monde a besoin d’amour, moi, toi… tout le monde ! »
Deux tempêtes venaient d’éclater. La tempête de la passion face à celle de la peur et de l’inconnu.
« Parce que tu crois qu’elle t’aime cette fille ? Elle ne veut que ton argent ! »
« J’en suis conscient, et alors, si c’est ce que je recherche, si son corps suffit à calmer mon amour ! En quoi cela te dérangerait-il ? »
« Tu te sers d’elle ! »
« Oui, comme elle se sert de moi ! Que crois-tu Oscar ? Le monde n’est ni tout blanc, ni tout noir ! Il faut prendre le meilleur de ce qui nous est proposé et affronter les pires moments. C’est ainsi pour tout le monde. »
« Soit, mais je partirai avant que tu ne m’abandonnes ! »
« Que je t’abandonne ? Pourquoi voudrais-tu que je te quitte ? »
« A quoi je te sers si tu vas te rouler avec ces filles ? »
Avait-il bien entendu ? A voir le regard toujours froid d’Oscar, il n’en était pas certain. Elle avait prononcé ces mots d’un bloc, comme si son esprit les gardait enfouis secrètement au fin fond de son inconscience.
« Tu es jalouse. » dit-il calmement.
« Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ! » se déchaîna-t-elle.
« Ta colère, ta fuite… tout cela c’est depuis que tu sais que je vais en ville pour me ‘détendre’ »
« Je me fiche de ce que tu fais en ville. Tu peux bien prendre n’importe quelle fille que ça me serait bien égal. »
« Bien ! Je te prends au mot. » Sur ce il sortit de la pièce en la laissant en plan.
« Il y retourne » comprit-elle tristement en entendant une porte se fermer.
‘Jalouse’ ? Ce mot résonna étrangement dans l’esprit d’Oscar tandis qu’elle finissait de préparer ses affaires. « Aimer André? » se demanda-t-elle. Tout cela n’avait plus guère d’importance. Il l’avait définitivement abandonnée…. Elle prit son sac et sortit de la chambre à pas lents quand une main la saisit au poignet, l’obligeant à abandonner son fardeau au sol.
« Qu’est-ce que… »
Tout ce qu’elle vit fut les lattes de bois recouvrant le sol tandis qu’on la soulevait, qu’on la portait sur une épaule et qu’on la posait, ou du moins, qu'on la jetait, fesses les premières, dans un grand bac d’eau froide.
« Tu as cinq minutes pour te laver ! »
« Je quoi ? » s'écria-t-elle trempée.
Mais André avait déjà refermé la porte de la pièce après lui avoir lancé un pain de savon. Oscar regarda autour d’elle; rien qui pouvait être d’un quelconque intérêt. Résignée, elle retira ses vêtements mouillés et se frotta le corps des milles bulles de savon qui laissèrent apparaître sa peau blanche, légèrement hâlée sur les bras et le col. Elle fit de son mieux pour plonger la tête sous l’eau pour laver ses cheveux qui se plaquèrent ensuite le long de son dos.
Des coups furent tapés. « Tes cinq minutes sont presque finies ! » lui signala André.
Oscar paniqua. Elle savait que si elle ne sortait pas rapidement du bain, il viendrait la sortir de force. Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Etait-il devenu fou ? Elle regarda autour d’elle, ses vêtements gisaient au sol sales et mouillés. Elle saisit un linge pour s’essuyer et fit tomber par la même occasion une chemise blanche. Devant le manque de choix évident, elle se sécha aussi vite qu’elle le put et enfila le vêtement. Elle se frotta énergiquement les cheveux pour les empêcher de mouiller le tissu qui avait alors tendance à dévoiler ses courbes par transparence.
« J’arrive » l’avertit André en poussant la porte.
« Attends je… » mais les cinq minutes étaient à présent écoulées et le jeune homme savait qu’il ne devait lui laisser aucune issue.
« Viens » lui dit-il simplement en lui attrapant la main.
« Où m’amènes-tu ? »
« Dans ma chambre. »
« Quoi ? Tu es fou ! »
« Sans doute mais je ne fais que répondre à ta requête quand tu as dit que je pouvais prendre n’importe quelle fille… »
« Mais je ne parlais pas de moi ! Il en est hors de question ! »
« Vraiment ? » Il avait approché son visage de sa joue. « C’est toi qui t’étais amusée à me regarder me baigner à Arras. »
« Non… enfin ce n’est pas ce que tu crois ! » se défendit-elle en essayant d’ouvrir la main qui emprisonnait son poignet.
« Et tu savais très bien ce qui se passait dans les chambres et tu es quand même montée ! »
« C’est cette femme, je te cherchais et … »
« Tu me cherchais… ». Il avait posé sa main sur le creux de sa gorge et posa un baiser au coin de ses lèvres fines. « Même si c’est le dernier cadeau que je te fais, sache que jamais tu ne pourras t’imaginer combien je t’aime. » Il fit glisser sa bouche sur les lèvres tièdes qui s’entrouvrirent malgré elle pour l’accueillir. Qu’avait-il dit ? Ses mots valsaient dans sa tête alors que sa langue suivait les jeux de sa partenaire.
Le baiser commença doucement, timidement, tendrement ; il se poursuivit dans une passion qu’il avait tue pendant de longues nuits, diminuant sa souffrance dans les bras de cette pâle imitation. Il lui lâcha la main et laissa son corps se plaquer contre le sien, sa chemise se collant à sa jumelle, ses cuisses obligeant celles d’Oscar à se reculer jusqu’à toucher le mur qui longeait le couloir. A mi-chemin de la chambre, ils étaient ainsi, Oscar prisonnière de la bouche de son ami, ses épaules cernées par deux mains qui guettaient la moindre fuite.
Si elle avait subi le premier assaut, si elle avait voulu s’en échapper dès la première seconde, les sensations qui envahirent son corps la suppliaient de continuer, de participer, de prendre. Telles des automates, les mains de la jeune femme vinrent se poser sur les reins d'André, remontant doucement le long de ses muscles jusqu'à atteindre l'arrière de ses épaules sur lesquelles elles se fixèrent. Jamais elle n'avait été si proche de lui, si proche d'aucun autre homme. Ce contact ne la répugnait pas, bien au contraire, elle l'acceptait, elle le désirait, elle l'approfondissait.
André, lui, avait du mal à réaliser ce qui se passait dans ses bras. Oscar s'était mise à participer à son étreinte; elle commençait à le caresser dans le dos tandis qu'il poursuivait ses baisers. Il sentit bientôt le désir refoulé, le désir brisé quelques minutes plus tôt envelopper de nouveau son bassin alors que les courbes de sa partenaire se collaient à lui. Instinctivement, Oscar se moulait à lui. Instinctivement, son corps s'animait de petits déhanchements qui accompagnaient la valse de leurs langues.
Il devait réagir; il était impensable qu'il la prenne ici, au milieu du couloir; il devait la choyer, lui montrer combien la relation entre un homme et une femme pouvait être bien différente de tout ce qu'elle avait pu croire. Elle l'avait provoqué, elle l'avait poussé à bout mais il ne comprit que maintenant qu'elle ne faisait que refouler ce que son coeur taisait. Au premier baiser, il s'était attendu à toute la violence dont elle était capable mais rien, la violence avait laissé la place à la douceur, une douceur certes malhabile mais qu'il prit comme un merveilleux encouragement.
Il posa sans brusquerie ses mains sur la taille d'Oscar tandis que ses lèvres quittèrent les siennes pour glisser de long de sa gorge jusqu'à l'entrebaillement de la chemise. Les quelques mèches mouillées avaient malencontreusement collé une part du tissu sur la naissance de sa poitrine pour s'opacifier sur ses seins. Il baisa quelques millimètres de peau, capturant de-ci de-là les gouttes qui avait échappé au rapide séchage de la demoiselle. Encouragé par la poitrine tendue d'Oscar, il se mit à caresser des lèvres les pointes qui le bravaient sous le voile blanc pendant que ses mains descendaient le long de sa taille jusqu'à ses cuisses.
La respiration devint alors plus intense, plus chaude sur les seins qu'il embrassait, son corps sentant ce que son esprit avait encore du mal à réaliser. Oscar portait comme unique vêtement cette chemise qu'il avait laissé près du bac, cette pièce de tissu qui la couvrait jusqu'à mi-cuisses, seulement jusqu'à mi-cuisses. Il avait de plus en plus de mal à se contenir, à effacer l'image qu'il s'était faite d'elle et qu'il avait tenté maintes fois de superposer sur le corps de cette femme qui ne faisait qu'endormir quelques instants son amour. Comment avait-il pu résister tous ces mois, mettant petit à petit les pièces de ce corps nu en place: ce dos dont il calinerait chaque zébrure jusqu'à en effacer le moindre souvenir, ces seins qu'il avait vu exploser devant son regard ébahi, ces jambes qu'il avait sans cesse devinées sous les pantalons et pour la première fois il pouvait en effleurer la douceur.
Sa peau frissonna tout d'un coup. Oscar venait de soulever sa chemise et timidement, touchait du bout des doigts le tracé de ses muscles. Les mains pourtant à peine tièdes laissèrent sur leur passage une peau rendue rugueuse par le contact sur son ventre chaud.
Jamais elle n'avait posé la main sur lui ainsi, jamais elle n'avait osé aller à ce point vers lui et là... Pourtant ses sens ne le trompaient pas, affûtés qu'ils étaient par la découverte de ces nouvelles vibrations. Et ces mains n'étaient pas emportées par leur poids, mais se dirigeaient bel et bien par sa seule volonté...Toujours plus près... « Ah Oscar si tu savais ce que tu éveilles en moi...Si tu savais combien....Ce minuscule espace qui sépare tes mains de mon désir et que tu réduis chaque seconde un peu plus me conduisant ainsi toujours plus près d'un abîme où je ne demande qu'à tomber. Oscar je ne pourrais plus contenir cette souffrance, je ne pourrais plus... non plus jamais... » pensa-t-il.
Elle continua en dépit de toutes ses peurs à suivre son mouvement, elle rencontra alors les premières boucles qui entouraient le symbole éclatant de ce qu'elle avait toujours craint : la virilité, l'homme, tous ces mots qui, pour elle, avaient été les étendards de l'ennemi, et qui aujourd'hui sous l'effet de ses caresses à lui se révélaient sous un jour nouveau au bout de ses doigts de plus en plus fébriles.
Elle sentit soudain ce contact doux et brûlant celui de l'extrémité de son sexe, elle se figea et lui tressaillit, surpris par ce lien intime qui les unissait à présent.
Non, pas ainsi, il avait aimé les prostituées dans des lits confortables, il ne pouvait l'aimer elle dans ce couloir poussiéreux, plaquée ainsi contre ce mur, comme captive, esclave de ses seules ardeurs. « Pourtant la passion n'est elle pas à l'abri de toutes ces considérations, ne doit elle pas s'affranchir de toutes les conventions...Tout ce qui compte c'est son envie à elle, c'est son corps tout entier qui m'invite à me libérer, à nous libérer....Tant pis... » se dit-il.
Il arrêta son baiser et entoura de sa main l'épaule de la jeune femme, son autre main descendit à hauteur du genou et la souleva.
Elle crut qu'elle l'avait blessé, que, par maladresse, ses ongles, qui avaient souvent par le passé été ses armes ultimes, avaient griffé cette fois malgré elle. Sinon pour quelle autre raison aurait-il interrompu ce si intense moment ? A moins qu'elle ne lui ait pas donné tout ce que ces femmes lui avaient procuré jusqu'à présent....A moins que...
D'un geste apaisant, André vint mettre fin à ses interrogations, il amena son visage sur son épaule, et sa tête vint soutenir la sienne, la cajoler... Il commença alors à marcher en direction de sa chambre....A chaque pas, il respirait le parfum de ses cheveux, s'ennivrant jusqu'à la folie, guidant son visage contre le sien jusqu' à ce que leurs bouches se joignent à nouveau...et que leurs corps qui ne s'étaient jamais vraiment éteints s'embrasent à nouveau.
D'un coup de pied énergique, il écarta la porte, dernier obstacle sur leur route vers le firmament. La passion les dévorait à un point que même lui n'aurait imaginé dans ses rêves les plus fous, ceux qui malmenaient son âme, certaines nuits, le poussant à trouver un réconfort précaire auprès de filles qui n'avaient qu'un prénom.
Comme si à travers lui, Oscar renouvelait le pacte secret qui unit depuis l'aube des temps l'homme et la femme en offrant autant d'amour qu'elle avait eu de haine jusqu'alors pour l'autre sexe. Elle voulait retrouver leur étreinte et commença à se tourner pour sentir à nouveau son torse contre sa poitrine, ses hanches se frotter aux siennes. Elle se débattait avec fureur non pour échapper à son emprise, mais pour au contraire en devenir toujours plus captive.
Ils échouèrent dans leur tentative de rejoindre le lit; leurs ardeurs eurent raison de la stabilité que la force d'André avait pu leur garantir jusque là. Leur chute fut arrêtée par une peau tannée qui servait de descente de lit, trophée d'une de leurs rares chasses ensemble qui pour lui avait marqué le début de sa lente agonie...La nature sauvage de leur couche éveilla-t-elle chez les amants leurs instincts primitifs? Toujours est-il que la jeune femme fut prise d'une farouche envie de dénuder ce corps qu'elle convoitait à présent avec avidité. Dans des mouvements désordonnés, elle éventra la chemise de son amant, fit descendre sans ménagement son pantalon pour pouvoir apposer ses mains sur ses fesses et les caresser avec ferveur, l'encourageant à s'ôter une fois pour toutes ce maudit vêtement qui la séparait de lui. Elle ne se rendit pas vraiment compte sur le coup de ce qu'elle venait de faire. Elle venait de lever la seule barrière...Il allait pouvoir l'aimer, ils allaient pouvoir s'aimer, et, malgré les pulsions qui bousculaient son esprit, elle ne put s'empêcher d'avoir une dernière inquiétude, la douleur viendrait...encore une fois un homme la ferait souffrir...mais cette fois serait différente: oui elle voulait connaître l'amour, elle voulait connaître cet échange, cette douceur autre que celle de la porcelaine.
André sut freiner ses mouvements pour ne pas trop la brusquer, il appréhendait autant ce moment qu'il l'avait appelé de ses voeux. Mais il fallait qu'il sache, il fallait qu'il vive cet amour, qu'il brise ce rêve pour en faire une réalité, quelqu'en soit le prix. Rien ne serait plus comme avant, il ne pouvait plus reculer...Il entra en elle, faillit renoncer lorsqu'il perçut la souffrance sur son visage mais les mains de la jeune femme lui signifièrent fermement de continuer. La douleur s'estompa, les grimaces se firent gémissements, et elle l'encouragea à se donner sans retenue aucune.
Ainsi mourut le fils d'Arras...
[Merci à Tof pour sa participation à ces quelques lignes ^_^]