Child of the Night 18

Partie Dix-huit : Le voyage


L'an de grâce 1460
Roumanie, sur la route



Le père Mircea montait lui aussi, ayant refusé une place dans les voitures.

« J'ai une brave mule. Laissez la place à quelqu'un d'autre qui n'en a pas. »

En tout cas, il aimait l'idée de pouvoir parcourir la caravane dans les deux sens pour parler aux divers membres du groupe.

Peu après qu'ils aient quitté le château, il vérifia comment se portaient Dame Elizabeta et ses dames. Les jeunes femmes étaient beaucoup plus calmes que lorsqu'elles étaient montées dans la voiture. Bien que ce soit la voiture la plus solide, avec le meilleur équilibre et des coussins, et bien que la route soit bien maintenue, aucune de ces gentes dames n'avait l'habitude de voyager. Ce n'était pas inhabituel pour quelqu'un de naître, de passer sa vie entière, de mourir et d'être enterré sans aller plus loin que dix miles autour de son lieu de naissance.


Ensuite, il repéra Nicolae dans la seconde charrette. Le jeune homme paraissait merveilleux bien. Mircea avait toujours su qu'il était très beau, et les nouveaux habits étaient des faire-valoir appropriés pour sa beauté pleine de jeunesse. Mais ce n'étaient pas seulement les habits qui faisaient la différence. Les traits de Nicolae était animés, ses yeux brillants alors qu'il parlait au cuisinier du palais qui partageait la voiture avec lui. Voici comment il aurait pu être durant toute son enfance s'il n'avait jamais connu son père, songea Mircea. Sainte Vierge, vous vous occupez des innocents. Faites en sorte que tout aille bien pour lui. C'est une âme si douce et le seigneur Varga va le tuer, physiquement ou spirituellement, s'il reste au Château Varga.


Nicolae aperçut Mircea et l'accueillit joyeusement.

« Père, vous vous portez bien ? Vous n'êtes pas fatigué, n'est-ce pas ? Vous pouvez monter avec nous sinon. Il y a plein de place et j'ai des coussins...

– Non, Nicolae. Je me porte bien sur Patience. »

Il tapota le cou de sa mule. La bête tendit le cou vers Nicolae, les larges narines noires frémissantes, et elle lança un braiment interrogateur. Mircea rit.

« Tu lui as encore donné des gâteries, Nicolae. Maintenant elle en veut encore.

– Oui, Patience. Juste un moment. »

Nicolae chercha derrière lui et revint avec un trognon de pomme. Il se pencha vers la mule, offrant le trognon sur sa paume. La bête le prit délicatement, ses lèvres douces et veloutées effleurant sa paume et le faisant rire.


« Nicolae. »

Simion chevaucha derrière Mircea, fronçant les sourcils.

« Fais attention, mon garçon. Si tu tombes et que tu te tordes le coup, le prince tordra le mien pour ne pas t'avoir bien surveillé.

– Oui, Simion. »

Le garçon se rassit consciencieusement mais pas avant d'avoir à nouveau caressé le museau de la mule.

Le père Mircea inclina la tête vers Simion et lui indiqua avec un subtil mouvement de la tête qu'il souhaitait lui parler un peu plus loin, loin des oreilles du jeune homme. Simion le suivit, accélérant pour se placer à côté de lui. Mircea observa l'homme de près, puis fit :

« Vous êtes l'homme du prince.

– Je le suis.

– Il vous confie beaucoup de choses, si je ne me trompe pas.

– En effet. »

Le prêtre souhaite dire ou savoir quelque chose.


« Y compris s'occuper de ses biens ?

– C'est ça. »

Oui, vieil homme. Continue et dis ce que tu as à l'esprit.

Le père Mircea regarda par-dessus la tête de sa monture, évitant de regarder Simion.

« Et cela inclurait Nicolae ?

– Ça l'inclue tout particulièrement. »

Simion attendit le dégoût et l'outrage.

Cela ne vint pas.

« Bien. Il a besoin qu'on s'occupe de lui. Jusqu'à présent, il n'a pas eu beaucoup d'affection dans sa vie et je crains que les choses ne fassent que s'empirer s'il restait au Château Varga. Je crains que le seigneur Varga ne l'ait senti à présent, et le jeune homme n'aura jamais la paix s'il reste avec lui. Si Varga pouvait garder le jeune homme en son pouvoir... »

Le prêtre devint rouge, mais Simion ne pouvait pas dire si c'était d'embarras ou de colère.


« Je... je craindrais alors pour le corps et l'esprit du garçon.

– Pas son âme ? je pensais que c'était votre principal intérêt. »

Mircea regarda Simion comme s'il était surpris que l'autre homme ne comprenne pas.

« Personne ne peut toucher son âme, Simion. Elle restera aussi gentille, douce et pure que celle d'une colombe. Je ne dirais pas que c'est un saint, fit Mircea en souriant. Il aime trop ce monde pour ça. Non, il n'a pas envie de le rejeter aussi vite pour l'autre monde.

– Vous tenez énormément à lui. »


Le ton de Simion était léger mais Mircea entendit la question sous-entendue.

« Comme un enfant privilégié. »

Il secoua la tête.

« Votre maître n'a rien à craindre de moi. Il y a longtemps que j'ai écrasé les braises des désirs de la chair, et je n'essaierai pas de détourner le garçon de lui en parlant de péché et des feux de l'enfer. Je veux seulement que Nicolae soit heureux et en sécurité. Votre maître peut lui donner cela ?

– Il le peut, prêtre. Il le fera si le jeune homme le lui permet.

– Mais pour combien de temps, Simion ? »

Mircea jeta un regard sur la voiture. Nicolae égrenait à nouveau ses perles, ses longs doigts bougeant lentement, son gentil visage et placide.


« S'il connaît la tendresse puis se fait renvoyer, ça le tuera. Ce serait encore pire pour lui si on le gardait pour le mettre ensuite à l'écart en faveur d'un autre.

– Je ne peux rien vous promettre, mon Père. Mais d'après ce que j'ai vu, je pense que vous n'avez rien à craindre. Draculea est un homme qui connaît le monde. Bien qu'il en ait pris beaucoup dans son lit, il n'a jamais pris personne dans son cœur. Nicolae y a une place, si le jeune homme le désire.

– Je prierai, Simion. Le garçon a tant d'amour à donner et jusqu'à présent personne à qui le prodiguer. Oh, il y a Beta mais... »

Il soupira.

« Je ne veux pas dire du mal d'elle mais cette fille ne s'intéresse qu'à elle, à tel point que c'est une faute. Et elle écoute les mauvaises personnes, des personnes qui, je crains, n'aiment guère son frère.

– Vraiment ? »

Cela intéressait Simion.


Mais Mircea secoua à nouveau la tête.

« Ce sont les affaires du confessionnal, Simion, et on ne doit pas en parler en dehors de ses saintes restrictions.

– Comme vous voudrez, mon Père. »

Ce ne devrait pas être trop difficile de le découvrir. Vous semblez inquiet d'une influence continue et nous n'avons pas ramené grand-monde de chez elle avec nous.

Simion remonta la colonne jusqu'à la voiture qui contenait Elizabeta et ses dames. Il y avait des persiennes pour couvrir les fenêtre en cas de mauvais temps, et elles étaient baissées à cause de la poussière soulevée par le passage de la caravane, en dépit de la chaleur. Il jeta un coup d'œil à l'intérieur. Aucune des quatre femmes ne semblait très heureuse de la situation, bien que celle appelée Abdul paraissait la plus aigrie.

« Mes dames, vous portez-vous bien ? »


Avant qu'Elizabeta ne puisse répondre, Lena aboya :

« Nous sommes secouées dans tous les sens et presque étouffées par la poussière. Dans combien de temps pourrons-nous faire halte ? »

Les sourcils de Simion se haussèrent.

« Ma dame, nous avons à peine commencé. Le prince ne demandera pas une pause avant la mi-journée. Même là, ce sera bref. Cela dit, plus nous mettons de temps à arriver, plus il y aura de préparations finies pour les noces, mais ce n'est pas un homme très patient pour les retards. »

Avant que Lena ne puisse protester davantage, il enfonça ses talons dans les flancs de son cheval pour le faire accélérer. Il va falloir la surveiller, celle-là.

Le jour avança, et la troupe se déplaçait plus lentement que ce que Draculea aurait cru possible ou apprécié. À ce train-là, ils devraient passer deux nuits sur la route et arriveraient au Château Draculea au crépuscule du lendemain. Il était impatient d'amener Nicolae dans sa nouvelle demeure et dans son lit, ainsi que de se débarrasser de l'absurdité et de l'apparat du mariage.

Au milieu du jour, ils déjeunèrent. Les chevaux furent attachés là où ils pouvaient brouter l'herbe luxuriante, et les serviteurs leur apportèrent des seaux d'eux pour étancher leur soif. Draculea était soucieux de chaque être vivant sous sa responsabilité, remarqua le Père Mircea avec approbation.


Draculea avait passé son temps en tête de colonne, remplissant son devoir de chef, mais il pouvait maintenant se détendre un peu. Il marcha parmi ses hommes, lâchant un mot par ci par là, tapant une épaule, les laissant savoir qu'il les appréciait. Draculea pouvait être un maître dur, mais il était juste avec ceux qui le servaient avec diligence et loyauté.

Enfin il se rendit là où une nappe avait été étendue à l'ombre d'un grand arbre, et où Elizabeta et ses dames prenaient leur repas. Le prêtre et Ernestu étaient avec elles. Vlad chercha Nicolae des yeux et le trouva finalement assis avec les serviteurs. Il fronça les sourcils mais c'était peut-être mieux ainsi. Il était beaucoup mieux loin de ce fils de pute de Varga.


Il fit signe aux dames de rester assises alors qu'il approchait, en considération de leur fatigue.

« Je vous en prie, mes dames. Nous sommes informels ici sur la route. Les cérémonies peuvent attendre tant que nous sommes en plein air. »

Draculea n'empêcha cependant pas le seigneur Varga de se mettre difficilement debout, bien qu'il lui fasse rapidement signe de se rasseoir. Il n'avait aucune envie de mettre cet homme à l'aise.

Vlad s'assit gracieusement près de sa fiancée, acceptant le verre de vin qu'elle lui offrit.

« Comment vous portez-vous, Beta ? »

Il remarqua qu'elle lança un regard à l'aînée de ses dames de compagnie avant de lui parler.

« C'est le plus long voyage que je n'ai jamais fait, Prince, et je le trouve fatiguant et inconfortable. »

Draculea haussa les épaules.

« On ne peut rien faire de plus, ma dame. Seuls les potentats orientaux, qui sont portés dans des litières, voyagent mieux que vous. Et en ce qui concerne la longueur du voyage, nous n'en avons fait même pas le tiers. Vous devez vous endurcir. »


Lena fixa sombrement le prince mais radoucit son expression lorsqu'il lui rendit son regard. Ce n'est pas la bonne attitude, songea-t-elle. Vous devrez montrer beaucoup plus de sollicitude, prince Draculea. Mais le dressage peut attendre après la cérémonie. Je ne prendrai pas le risque de nous faire renvoyer car vous pourriez très bien le faire, je pense, malgré ce qu'on attend de vous.

Lena savait parfaitement que Beta, donc elle-même, était chanceuse d'avoir assuré ce mariage. Si Draculea avait pris le temps de considérer toutes les possibilités, il aurait pu choisir parmi beaucoup d'autres jeunes femmes qui étaient justement aussi jeunes et belles qu'Elizabeta, et peut-être plus riches et mieux nées.


Draculea mangea un bout de fromage tandis qu'Abdul se penchait pour murmurer quelque chose à Beta. Sa future épouse hocha la tête puis se tourna vers lui.

« Nous souhaitons prendre un bain ce soir, avant le repas. »

Draculea leva un sourcil. Mmm. Cela ressemble davantage à un ordre qu'à une requête. Son ton était serein.

« Excellente idée, ma dame, si nous pouvons arriver à l'endroit auquel je pense juste avant la tombée de la nuit. Il y a une source d'eau vive avec une plage sablée, parfaite pour se baigner. »

Elizabeta parut surprise.

« Oh non. Se baigner en plein air ? Non, les serviteurs peuvent monter ma baignoire dans la voiture protégée. Mes dames pourront s'en servir après moi.

– Baignoire ? »

Les joues d'Elizabeta rosirent.

« Ma baignoire. Le grand bassin de cuivre.

– Oh, ça. Oui, si je me souviens bien, les serviteurs étaient en train de charger un tel objet. Je leur ai dit de l'enlever du chariot.

« Quoi ? »


L'exclamation provenait de Lena Abdul et elle baissa promptement la voix.

« Je suis désolée, prince Draculea. J'avais veillé à ce que cet objet en particulier soit inclus et je ne... je ne m'attendais pas à un contre-ordre. »

Draculea haussa les épaules.

« Je suis plutôt généreux d'autoriser ma fiancée à emporter ce dont elle a besoin pour une vie confortable mais elle n'avait pas besoin de ça. Il y a assez de baignoire dans mon château et nous n'avons pas besoin d'un fardeau supplémentaire durant notre voyage. Vous n'avez pas à craindre pour votre modestie, ma dame. La source est bien abritée par des buissons et des arbres. Les femmes peuvent se baigner en premier, puis tout homme qui le désire. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser. »

Il se leva, s'essuyant les mains.

« Je veux voir le reste de notre groupe avant de repartir. »


Maintenant, enfin, Draculea se rendit là où son cœur l'avait pressé de se rendre. Il déambula parmi le petit groupe de serviteurs qui s'étaient assis sous un autre arbre, à une bonne distance de la bourgeoisie. Tous bondirent sur leurs pieds en le voyant arriver; il n'était pas question de relâcher l'étiquette ici. En effet, les voyageurs les plus humbles auraient été mal à l'aise si Draculea avait semblé trop familier.

Il leur fit une fois encore signe de s'asseoir et ils obéirent. Nicolae resta debout un peu plus longtemps que les autres avant de s'asseoir. Draculea se tint devant lui, baissant les yeux sur lui. La lumière brillante du soleil faisait ressortir des reflets dans ses cheveux luisants, comme la patine d'une aile de corbeau. Draculea essaya de parler formellement mais il y avait une chaleur particulière dans sa voix lorsqu'il s'adressa au garçon.

« Comment te portes-tu, Nicolae ? »


Il lança un sourire timide à Draculea dont le cœur s'arrêta de battre un moment.

« e vais bien, Domn. C'est une grande aventure. Je n'ai jamais été aussi loin de l'endroit où je suis né, même lorsque je suis parti vivre avec les frères.

– Je suis content que cela te plaise, Nicolae. »

Il jeta un regard au groupe qu'il venait de quitter.

« D'autres personne parmi nous ne semblent pas toutes satisfaites de leur état présent. »

Nicolae suivit son regard et, comme à son habitude, trouva des excuses pour sa demi-sœur.

« Eh bien, Maria Ta, c'est une femme après tout, et une dame. Elles ne sont pas habituées à de telles rigueurs. Pouvons-nous les en blâmer alors que ce sont nous, les hommes, qui les dorlotons et les protégeons contre toutes les rigueurs de la vie autant que nous le pouvons ? »


Mon garçon, si elle te crachait dessus, tu dirais encore qu'elle voulait seulement te donner à boire. Draculea s'accroupit à côté de lui. Il remarqua le rougissement des joues du heune homme et songea : Pourvu que ce soit à cause de moi. Pourvu que ce soit ma proximité qui amène le doux sang à ses joues. À voix haute, il fit :

« Je pense que ce soir nous allons camper près d'une source, Nicolae. Tu aimerais te baigner ?

–Oh oui ! répondit-il prestement. Domn, ça m'a tellement manqué depuis que je suis retourné au Château Varga. Au monastère, on se baignait toutes les semaines, et peut-être plus souvent encore lorsqu'on avait travaillé dur.

– Et tu as arrêté au château Varga ?

– Je me lavais avec ma cuve, seigneur.

– Mais pourquoi tu ne te baignais pas ?

– Ce n'était pas possible dans les environs, sauf dans une mare dans les jardins.

– Nicolae, je sais qu'il y avait au moins une baignoire dans le château. On m'a presque disputé pour l'avoir laissée derrière. »


Il regarda Draculea avec surprise.

« Mais ça appartenait à la famille. »

Vlad sentit une autre bouffée de colère.

« Tu n'avais pas le droit de t'en servir ? »

Nicolae secoua la tête.

« J'ai demandé une fois, juste après mon retour. Mon patron m'a dit de me baigner dans l'abreuvoir des chevaux, comme les poulets. »

Draculea sentit une douleur et se rendit compte qu'il avait enfoncé ses ongles dans ses paumes. Nicolae ne remarqua rien mais continua à parler :

« C'était bien trop publique. Mais... »

Il regarda le sol, rougissant encore plus.

« Je dois avouer que par moment je ne pouvais plus le supporter. Je devais sentir l'eau pure ruisseler sur mon corps. Tard la nuit, lorsque le château dormait, j'allais souvent à la mare pour me baigner. »


L'image surgit dans l'esprit de Draculea : Nicolae, nu sous les rayons de lune, se baignant dans la tranquillité sombre de la mare du jardin. Il savait que cette image le hanterait tant qu'il ne l'aurait pas vu de ses propres yeux, au lieu de juste l'imaginer.

« Tu auras ton bain ce soir, Nicolae. »

Draculea se leva et appela la compagnie à regagner leurs montures ou leurs places respectives. Il était temps de reprendre le voyage. Il était plus déterminé que jamais à attendre la source avant la tombée de la nuit.







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