Child of the Night 44

Partie Quarante-Quatre : Horizons

L'an de grâce 1502
Château Draculea, Valachie


Les yeux de Draculea s'ouvrirent lentement. J'ai pris l'habitude de me réveiller dans le noir. Quand est-ce arrivé ?

Après son changement, il avait découvert que sa vision nocturne s'était affinée mais ces ténèbres étaient totales et il ne pouvait rien voir, même à quelques pouces de son nez. Il leva les mains en posant les paumes sur les planches couvertes de satin au-dessus de lui.

Simion lui avait fourni un cercueil simple mais élégant. Il était fait de chêne finement poli avec des poignées en cuivre et il était garni de satin blanc. Il avait passé sa première journée dedans sans parvenir à vraiment dormir. Il s'était réveillé en se sentant à peine reposé.


La seconde fois, juste avant l'aube, il avait tourné autour, incapable de s'y mettre. Puis il s'était retourné et avait commencé à mettre un peu de terre de la tombe de Nicolae dans le cercueil. Quand il avait eu une couche d'à peu près un pouce, il s'était allongé dans le cercueil. Il avait refermé le couvercle puis enfoncé les doigts dans la terre et s'était endormi.


Draculea poussa sur les planches à présent. Une couronne de lumière apparut. Simion veillait toujours à ce qu'il y ait une torche dans le couloir près de l'endroit où il avait choisi de se reposer. Vlad ne pouvait plus dormir dans la chambre qu'il avait partagée avec Nicolae. Il avait seulement accepté le cercueil après que Simion ait délicatement suggéré que cela donnerait plus de dignité au repos de Nicolae.

Vlad s'assit en brossant de la saleté de ses épaules et il se tourna en posant les coudes sur le bord du cercueil. Son regard se porta tout de suite sur la statue.


Dans la pénombre de la chambre souterraine, elle brillait presque, d'un blanc laiteux. La plupart du château croulait sous la poussière et les toiles d'araignées mais cette statue était aussi claire et immaculée que lors de sa mise en place il y avait quarante ans — Draculea y veillait. Tous les jours, Simion ou lui la lavait soigneusement, essuyant chaque pli et creux qui avait été sculpté dans le grand bloc de marbre blanc.

Vlad se leva, sortit du cercueil et se dirigea vers la statue. Il y avait une robe qui l'enveloppait mais le sculpteur était tout de même parvenu à suggérer un corps fort et droit. Les bras de l'ange étaient ouverts, les paumes à plat en un geste qui était à la fois gentil et tolérant.


Draculea tendit la main pour toucher une main froide et dure.

« Bonsoir, mon ange. As-tu bien dormi ? Je sais que tu erres, Nicolae, mais tu dois te reposer de temps en temps. »

Il entrelaça ses doigts avec ceux de la statue.

« Tu essaies toujours tellement et je doute que tu aies changé. »

Il se souleva pour poser sa joue contre la main de marbre.

« C'est ce que tu fais, Nicu ? Tu veilles dans tes voyages sur ceux qui sont perdus ou sans défense ? Tu leur murmures des mots d'encouragement et de réconfort ? »


Simion arriva à l'entrée et hésita lorsqu'il vit son maître. Il avait déjà assisté à cela mais ce n'en était pas moins douloureux. Il ne pouvait pas entendre les mots exacts mais il savait ce que Draculea disait.

« Oui, ça te ressemblerait bien, mon amour. »

Vlad se dressa en se pressant contre la statue. Il se pencha en regardant le visage de l'ange...

... ou là où le visage aurait dû être. Il y avait des creux superficiels et fantomatiques là où auraient dû être les yeux, une arête là où aurait dû être le commencement du nez, une simple ligne là où la bouche aurait dû être. Le sculpteur avait été presque offensé quand le prince lui avait demandé de ne pas terminer le visage. Il n'avait protesté qu'une fois cependant. L'expression du prince avait été aussi glaciale et dure que le marbre qu'il avait sculpté. L'artiste avait pris son généreux paiement et était parti.


Draculea pressa un moment sa joue contre le visage de pierre puis tourna la tête pour que sa bouche effleure la ligne à jamais scellée des lèvres de la statue. Sa voix n'était qu'un murmure.

« Pourquoi pas moi, bien-aimé ? Pourquoi ne me parles-tu pas ? »

Simion observa Draculea prendre un mouchoir de sa poche puis ressuyer les joues de la statue pour nettoyer la tache rouge de ses larmes. Puis il ressuya ses propres joues, rangea le linge taché et se tourna vers Simion. Il se dirigea vers l'entrée.

Draculea s'arrêta devant son ami. Il tendit silencieusement la main pour saisir son épaule, puis passa dans le couloir. Simion suivit son maître.


Draculea s'arrêta à un embranchement sombre en baissant les yeux vers le couloir auxiliaire. Il se rua soudain sur le côté et Simion entendit une galopade rapide et un cri strident. Puis il y eut le bruit doux de quelqu'un qui buvait. Simion attendit, une légère expression de dégoût sur son visage.

Il n'aimait pas que Draculea se limite au sang animal. Oh, ce n'était pas un dégoût personnel. Il savait que son maître avait besoin de sang pour survivre et les rats convenaient bien — en cas d'urgence. Mais Draculea avait une large palette de... donneurs humains disponibles. Les tziganes considéraient cela comme un honneur. Il pouvait effacer ce souvenir de la mémoire des villageois en ne leur laissant que des impressions vagues et troublantes.


Non, il n'aimait pas ça pour Draculea. Vlad était un prince. Même s'il n'était pas né dans la lignée des Draculea, il aurait été un prince. Il méritait plus que ce qu'il se permettait ces derniers temps.

Cela faisait des années que Draculea n'avait pas pris de sang humain et on commençait à en voir les effets. Bien qu'il ne semblait qu'un peu moins fort, Simion avait remarqué des changements. Il y avait de légères rides autour des yeux à présent et du gris dans ses cheveux. Simion était inquiet. Le sang humain avait toujours semblé rajeunir le prince mais était-il possible pour lui d'aller trop loin, au-delà du pouvoir guérisseur du sang ? Simion ne songea jamais que sa propre existence pouvait être menacée par le fait que Draculea refusait de prendre sa nourriture singulière.


Draculea émergea des ombres du couloir auxiliaire en ressuyant sa bouche du revers de sa manche. Il bougeait un peu plus brusquement mais Simion pouvait voir les lumières des torches se refléter sur les mèches grises dans ses cheveux. Il se laissait mourir peu à peu, se languissant de Nicolae. À ce rythme-là, il ne survivrait jamais jusqu'à la renaissance du garçon. Simion pensait sans aucun doute que cela arriverait — il en était aussi sûr que son maître.

Ils entrèrent dans la grande salle puis se dirigèrent vers la bibliothèque. Le portrait de Nicolae, peint par le Signor Vitelli presque quarante ans avant, était pendu au milieu d'un grand mur. Quand Simion entra, Draculea tirait déjà une chaise devant le portrait et s'assit — à sa place habituelle.


Il a besoin de quelque chose pour l'occuper pendant qu'il attend. De son vivant, Draculea avait été un homme actif, bien impliqué dans les affaires de son pays. Il a besoin de...

« Voyager. »

Draculea tourna la tête pour regarder son ami.

« Qu'y a-t-il, Simion ?

– Voyager, Domn. Vous devriez voyager. »

Draculea grommela en ramenant son attention sur le portrait. Simion s'approcha de lui.

« Vous avez vu une bonne partie du monde mais il y a tant de choses que vous n'avez pas encore vues, Domn. Avant, vous étiez limité — vous ne pouviez pas aller trop loin à cause des chaînes du devoir. Maintenant qu'elles ont été tranchées, vous êtes libre. »

Draculea eut un rire bref.

« Oh, oui, Simion, libre comme l'air. Oui, je peux voyager. Bien sûr je ne pourrais qu'aller vers l'Ouest et il faudra que j'aille vite pour distancer le lever du soleil en restant pour toujours dans les ténèbres.

– Non, mon prince. Le soleil ne vous est pas fatal — nous le savons. »

La leçon avait été terrifiante. Ce fut lors de l'une des chevauchées nocturnes de Draculea. En fait, il avait rendu visite à Lucian. Il avait un petit faible pour le jeune homme qu'il avait débauché avant son mariage. Cela l'amusait que Lucian protestait toujours mais venait à chaque fois qu'il l'appelait et expérimentait autant de plaisir que les autres partenaires que Vlad avait eus.

Cette nuit-là, Draculea l'avait utilisé longtemps et bien en le prenant sur le sol de sa pièce principale tandis que sa femme et ses enfants dormaient à quelques yards de là et en le forçant à étouffer ses cris de passion et de jouissance, de crainte qu'ils ne l'entendent.


Vlad s'était vidé deux fois dans le derrière de l'homme et c'était tout ce qu'il avait eu l'intention de faire. Il s'était ensuite tranquillement nourri du sang rempli de désir de l'homme en le laissant miauler de douleur et de plaisir mélangés. Mais alors qu'il se levait pour partir, Lucian avait basculé sur ses genoux en enroulant ses bras autour des cuisses de Draculea et en enfouissant son visage contre le sexe épuisé du vampire.

Il n'avait jamais fait ça avant avec cet humain et les léchements et les sucements étaient trop délicieux pour s'en passer. Il l'avait apprécié pendant un long moment. Cependant quand il jouit, il repoussa violemment l'homme de son sexe en répandant son sperme de sang sur son torse. Sa semence et son sang semblaient être les mêmes à présent et il n'allait pas laisser ce mortel boire l'un ou l'autre. C'était réservé. Il était vrai qu'il autorisait Simion à le boire mais Simion était spécial et il ne buvait plus le sang de son ami.


En tout cas, il était beaucoup plus tard que prévu lorsqu'il quitta le village. Il pouvait voir ce qui semblait être un bord de feu à l'horizon oriental.

Pendant un moment, il l'avait regardé et s'était demandé si c'était un moyen de tout finir. S'il ne rentrait tout simplement pas au château...

Mais, et Nicolae ? Quand il reviendra, si je ne suis pas là... Non ! Je ne peux pas l'abandonner !

Il enfonça ses éperons dans les flancs de Tempête et ils avaient volé vers le château. Le ciel était devenu gris alors qu'ils s'approchaient. Il pouvait voir Simion faire les cent pas devant les portes en regardant la route avec anxiété.

Le soleil avait percé l'horizon avant qu'il n'atteigne les portes. Les premiers rayons l'avaient frappé et il avait entendu Simion l'appeler frénétiquement. Mais...


²Ce ne fut pas fatal. Oh, ce n'était pas du tout plaisant mais ce n'était pas non plus douloureux. Il y eut une soudain sensation de bourdonnement sur sa peau et son énergie sembla être drainée. Tempête piaffa pour s'arrêter aux porte et Draculea descendit de cheval en tombant presque.

L'un des tziganes prit les rênes du cheval alors que Simion courait vers son maître qui chancelait.

« Domn ! Dépêchez-vous ! »

Il avait une cape dont il recouvrit Draculea pour le protéger. Avec le soleil bloqué, Draculea sentit revenir un peu de sa force. Il tint le bras de Simion en laissant son ami le conduire dans l'intérieur froid et sombre du château. Simion n'enleva la cape que lorsqu'il eut conduit Draculea dans sa chambre souterraine. Draculea avait immédiatement rampé dans son cercueil et s'était endormi. La nuit suivante, il ne semblait pas en souffrir. Ainsi, même si la lumière du soleil ne lui était pas fatale, elle ne lui était pas non plus bénéfique.

« Simion...

– Nous avons des chariots et une bonne voiture — une voiture de noble. Ce sera facile de porter votre cercueil. Si vous pensez que ce serait trop suspicieux, nous pourrons prendre une grande malle. On s'attend à ce qu'un homme fortuné voyage avec beaucoup de bagages. »

Draculea étudia l'autre homme puis fit lentement :

« Cela fait un moment que tu y pensais, pas vrai ? »

Simion inclina la tête.

« Domn, c'est raisonnable à beaucoup de niveaux. J'ai fait des affaires dans d'autres pays — la France, l'Italie et l'Allemagne. Tout va bien jusqu'ici mais c'est toujours prudent d'avoir un œil sur les affaires. Cela assure un partenaire honnête. Vos investissement ont commencé à rapporter mais ils doivent rapporter encore plus pour avoir des fonds suffisants pendant votre attente.

– Des problèmes pratiques, Simion ? Cela n'a sûrement rien à voir avec ce que tu considères certainement comme ma mélancolie ? »


Simion étudia subtilement Draculea et utilisa la meilleure tactique pour réussir. En gardant une voix neutre, il fit :

« Alors ça ne vous dérange pas que Nicolae retrouve un vieil homme — tellement maussade et plongé dans ses souvenirs que sa chair a commencé à tomber, de même que son esprit ? »

Draculea se redressa brutalement en lançant un regard mauvais à son serviteur. Simion continua calmement :

« Une pièce devient confinée si on ne l'aère pas, l'eau croupit si on ne la rafraîchit pas et le sol perd sa fertilité si on ne le laboure pas et qu'on ne l'enrichit pas. Vous avez vous-même parlé d'hommes qui laissent le jus de la vie être sucé d'eux en se coupant du monde. Bien que vous preniez votre plaisir par ci, par là, mon seigneur, ce château est devenu aussi stérile et sans vie qu'un monastère. »


Draculea regarda à nouveau le portrait puis ses yeux dérivèrent vers la porte et Simion savait qu'il songeait à la tombe dans la cave. Il n'y avait pas de sarcasme dans sa voix lorsqu'il parla.

« Mais et Nicolae, Simion ? »

Simion s'agenouilla près de la chaise en posant la main sur le bras du prince et en regardant sérieusement le visage du prince. Il allait dire quelque chose qui pouvait le faire tuer mais il devait le faire. Il n'y avait pas d'autre moyen.

« Ce n'est que sa poussière qui est là, mon seigneur. Vos tziganes veilleront sur ses os aussi longtemps que nécessaire et personne ne dérangera son repos, mais il ne va pas se lever de sa tombe comme vous l'avez fait. Il va renaître, et qui peut dire où ? »


Draculea leva rapidement la tête.

« Mon Dieu, » murmura-t-il.

Il se frappa le front en grognant.

« Simion, je me suis montré aveugle ! Tu as raison, bien sûr. Les âmes entrent partout dans ce monde et qui peut dire où Nicolae s'est glissé ? Ce serait bien lui de trouver une pauvre créature dans une culture arriérée, juste pour aider les gens qui l'entourent. »

Il hocha la tête.

« Tu as raison. Je me suis ramolli en restant juste ici à attendre. J'ai toujours été un chasseur et un guerrier, hein, Simion ? »

Simion sourit.

« Oui, mon seigneur. »


Draculea se leva et commença à faire les cent pas.

« Je vais devoir compter sur toi pour les arrangements. J'ai bien peur d'être... un peu perdu avec le monde au-delà de mon petit domaine.

– Où voudriez-vous aller en premier, mon seigneur ? »

Il fit un geste négligeant de la main.

« Cela n'a que peu d'importance, n'est-ce pas ? J'ai le sentiment que je verrai beaucoup le monde avant de finir. Tu choisiras. »

Simion se levant en penchant la tête d'un air songeur.

« Si nous partons bientôt, nous pourrons arriver en Italie avant la fin du printemps.

– L'Italie ? Rome, Venise... L'un des berceaux de l'Antiquité. Oui, Simion. Cela semble intéressant. Je le verrai sous la lumière de la lune. J'ai pourtant l'impression que les mortels ne sont pas très différents partout dans le monde. »


Il tapota le dos de Simion et sa voix était un peu plus légère.

« J'ai entendu dire que les Italiens aimaient beaucoup l'ail. Tu penses que cela va beaucoup jouer sur le goût de leur sang ? »

Il plissa le nez.

« J'ai toujours trouvé l'ail dégoûtant et dernièrement positivement offensant. De la mauvaise herbe. »

Simion haussa les épaules, son esprit occupé à dresser des plans.

« Les paysans y attachent une importance mystique, mon seigneur, je ne sais pas trop laquelle.

– Maintenant que j'y pense, j'ai vu des gousses pendues aux portes et aux fenêtres ces dernières années. »

Il secoua la tête.

« Je ne pouvais même pas éviter l'odeur en retenant mon souffle parce que... »

Il sourit.

« Parce que vous ne respirez pas. Comme c'est inopportun. »

Ils rirent tous deux et Simion s'assit à une table pour commencer à rédiger une lettre pour leurs contacts commerciaux à Rome.






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