Child of the Night 65

Remarques : J'ai eu très peu de chance pour trouver comment se passaient les voyages, particulièrement en train, durant l'ère victorienne, alors j'ai juste estimé au mieux le temps. Si quelqu'un a des informations plus précises, je suis preneuse.

Partie Soixante-six : À l'étranger



L'an de grâce 1892
De Londres à la Transylvanie




Renfield sortit de sa maison et la porte se referma brusquement derrière lui, presque assez vite pour coincer le bout de son manteau. Bon, il ne pouvait pas reprocher à sa propriétaire son irritation. Cette femme n'était pas fainéante — elle se levait avec le soleil tous les jours pour s'occuper de sa maison et de ses locataires. Lui demander de se lever encore plus tôt pour qu'elle puisse le laisser sortir et verrouiller la porte derrière, c'était s'imposer un peu. Bien qu'on pourrait penser que son irritation aurait dû être modérée par le fait que je la paierai pour le temps où je n'occuperai pas ma chambre, songea-t-il mornement.

Renfield s'arrêta en regardant autour de lui. Il soupira lourdement.

« Seigneur — de la purée de pois. »


Bien qu'il y ait un réverbère non loin, il ne pouvait pas voir à plus de quelques pieds. Il savait qu'il y aurait du brouillard — il avait commencé à se rassembler avant le crépuscule, emplissant les rues et rendant le jour plus sombre. Il ne s'était pas rendu compte à quel point le brouillard était devenu épais puisque sa chambre n'avait pas de fenêtre et même s'il avait voulu s'asseoir sous le regard amer de sa propriétaire, les rideaux du salon principal auraient été décemment tirés.

Renfield posa une de ses valises et rehaussa le col de son manteau puis prit à nouveau la valise et se dirigea vers la gare Victoria. Il avait presque une heure avant que son train ne parte pour Douvres et il en avait bien besoin avec ce brouillard. S'il tournait dans la mauvaise direction, il serait désespérément perdu, manquerait le train et gâcherait tout le voyage qui avait été si méticuleusement préparé. Cela pourrait ne pas être irréparable mais ce serait un mauvais départ pour ce qui assurerait sa carrière, espérait-il.


Les rues n'étaient pas complètement désertes — elles l'étaient rarement dans une ville de la taille de Londres. Dans certains voisinages, il y aurait eu des travailleurs se dépêchant d'aller à Covent Garden ou au port, mais dans ce quartier un tel trafic était limité à un laitier occasionnel ou la voiture d'un boulanger, livrant à des filles d'arrière-cuisine ou des cuisiniers.

Il n'avait marché que deux pâtés de maison lorsqu'il entendit des pas. Renfield s'arrêta en regardant suspicieusement autour de lui. Qui d'autre pouvait bien marcher à cette heure dans ce brouillard ? Sûrement quelqu'un avec de mauvaises intentions. Les pas étaient derrière lui. Son premier instinct fut de se dépêcher mais dans un tel brouillard, la hâte servirait juste à le perdre. S'il tournait au mauvais endroit et se retrouvait dans un cul-de-sac ou une mauvaise zone, alors celui qui le poursuivait *SI on le poursuivait* aurait l'avantage. Il valait mieux ne montrer aucune faiblesse dans une telle situation alors il agrippa sa valise et attendit en regrettant de ne pas avoir une de ces cannes de marches lourdes que les nobles aimaient depuis quelques années. Elle aurait fait une bonne arme.


Les pas se rapprochèrent et il put à peine discerner la silhouette qui approchait. C'était un homme — grand mais pas gros. Pourtant, Renfield savait qu'il ferait mieux d'espérer qu'il ne lui voulait pas de mal. Il courait à une telle vitesse que Renfield savait qu'il n'aurait que peu de chances de le perdre. Puis il l'entendit appeler :

« Robert ! Attendez ! »

Et il se détendit, un sourire inconscient se dessinant sur ses lèvres.

Jonathan sortit du brouillard, légèrement essoufflé et rouge.

« Oh, dieu merci, je vous ai rattrapé ! Je suis sûr que je n'aurais jamais pu vous retrouver à la gare. Cela m'a fait peur lorsque votre propriétaire m'a dit que vous étiez déjà parti. »

Il fit une grimace.

« Elle n'est pas toujours aussi aigrie, n'est-ce pas ? Si c'est le cas, on ne peut pas dire que ce soit très agréable là-bas. »


Il eut envie de rire.

« Non, elle est généralement gentille mais elle est irritée lorsqu'on perturbe son sommeil. Elle n'était pas très heureuse de devoir se lever pour refermer derrière moi.

– Vraiment ? Ma propriétaire est toujours très obligeante. Quand je lui ai dit ce que j'avais prévu, elle a insisté pour se lever tôt afin de préparer mon petit-déjeuner et ça pour vous. »

Il leva un paquet de belle taille.

Renfield examina le paquet bien emballé avec son papier vernis et sa ficelle soigneusement nouée.

« Qu'est-ce que c'est ?

– Eh bien, elle a dit que d'après son expérience, les jeunes gens ne se lèvent jamais assez tôt pour prendre un bon repas lorsqu'ils voyagent, que la nourriture dans les trains est abominable et qu'elle n'était même pas sûre qu'ils aient des rafraîchissements sur le ferry. Nous avons eu une adorable tourte au jambon et au veau hier soir et elle en a donné un bon tiers, ainsi que du fromage, du pain, des biscuits, quelques pommes, et je crois qu'elle a ajouté une bouteille de boisson gazeuse au gingembre. »


Renfield secoua la tête mais c'était affectueusement.

« Bon, allons-y ou bien je vais manquer le train. »

Ils marchèrent à travers le brouillard, l'un près de l'autre.

« J'apprécie ceci, Jon, mais vraiment, vous êtes trop téméraire de sortir ainsi. »

Jonathan se renfrogna.

« Mais vous ne vous attendiez pas à me voir ? »

Renfield ne dit rien et l'expression de Harker était un peu peinée.

« Apparemment non. Mais Robert, c'est ce que font les amis.

– Je suis désolé, Jon. Cela ne vient pas de vous, je vous assure. C'est juste que, bon, je n'ai pas beaucoup d'expérience avec ce que font les amis et ce qu'ils ne font pas, et parfois vous me surprenez.

– Vraiment ? »

Il semblait aimer cette idée.

« Des surprises agréables ?

– Très agréables. »


Ils marchèrent pendant un moment de plus et Renfield ne put s'empêcher de taquiner le garçon.

« Dites-moi la vérité, Jon — la nourriture, c'était uniquement votre idée, n'est-ce pas ? »

Il rougit et le cœur de Renfield battit plus vite en voyant ça.

« Non, vraiment ! Elle voulait le faire. Elle... »

Renfield lui lançait un regard sceptique. Jonathan soupira.

« Oui, je sais, je suis un très mauvais menteur. Très bien — je l'ai suggéré mais elle a accepté de tout cœur. Et les biscuits étaient mon idée à moi. Elle allait juste donner des pommes et j'aime beaucoup les fruits, mais ce ne sont pas des sucreries pour moi. »

Renfield rit cette fois.

« Vous et votre amour du sucré. »

Jonathan insista pour porter l'une des valises.

« Je suis plus fort que j'en ai l'air, »assura-t-il à Renfield.


Le trafic de la rue augmenta alors qu'ils se rapprochaient de la gare. Il y avait toujours de l'activité à la gare Victoria. Même si aucun passager n'arrivait, il y avait des wagons à décharger. Ils trouvèrent facilement le train de Renfield avec plusieurs minutes d'avance.

Jonathan monta dans le train avec Renfield. Quand ils trouvèrent son siège, il aida son ami à ranger ses bagages et à s'installer confortablement pour le voyage.

« Il y a un avantage à prendre le train aussi tôt — vous pouvez vous étirer comme vous voulez. »

Puis il parut inquiet.

« Mais vous n'aurez personne pour vous tenir compagnie et les voyages en train peuvent être si ennuyeux si on n'a pas de compagnon. »

Il soupira.

« Je commençais seulement à apprécier les premiers voyages dans la campagne lorsque j'ai commencé à y passer les étés. Il n'y a que peu de paysages qu'un enfant apprécie, bien que j'aimerais voir de nouvelles contrées aujourd'hui. »


Il sourit mélancoliquement à Renfield.

« Je regrette de ne pas pouvoir venir avec vous. »

Avec moi. Il a dit avec moi, et pas à ma place. Que Dieu te bénisse, mon garçon, mais tu vas me briser le cœur. Pour une fois, Renfield osa exprimer une partie de ce qu'il ressentait vraiment.

« Je le regrette aussi, Jon. J'aimerais que vous voyagiez avec moi. »

Le sourire que l'autre homme lui lança était comme une récompense et il ne put s'empêcher de poursuivre :

« Je pense que vous êtes ce qui me manquera le plus en Angleterre. »


Alors qu'il disait cela, il y eut l'appel du chef de gare.

« Tout le monde à bord ! Tous ceux qui ne sont pas passagers, veuillez quitter le train. Départ dans deux minutes. Veuillez descendre si vous n'êtes pas un voyageur. »

Les yeux de Jonathan brillaient de bonheur suite à la confession de Renfield. Plus que tout au monde le garçon voulait un véritable ami et il sentait à présent qu'il en avait trouvé un. Il leva les mains. Pendant un instant fou, terrifié et rempli d'espoir, Renfield crut que le garçon allait le prendre dans ses bras. S'il le faisait, il était perdu. Il savait qu'il sombrerait dans ces bras, fondrait contre ce corps jeune et fort et lèverait la tête pour un baiser qui ne viendrait sûrement jamais.


Au lieu de ça, Jonathan saisit fermement son bras de sa main gauche et prit la main droite de Renfield dans la sienne. Il la serra fermement mais ne la relâcha pas, tenant la main plus petite alors qu'il disait :

« Vous allez aussi me manquer, Robert. Je n'aurai personne pour me faire rire quand Corliss sera désagréable. Prenez soin de vous et revenez vite, et... et... »

Il hésita en se mordant la lèvre.

« Qu'y a-t-il, Jon ? »

Renfield était satisfait d'entendre que sa voix restait calme.

« Je sais que ce serait trop demander mais... mais pourriez-vous m'écrire pendant votre absence ? Je sais que les services postaux doivent être horribles là-bas mais je pourrai aussi vous écrire. »

Il sourit nerveusement.

« Je vous garderai informé des rumeurs de la firmes. Je pourrai vous donner tous les détails excitants de mes tournées folles de réunions mondaines.

– J'aimerais ça, Jon. J'aimerais vraiment ça. »

Et que Dieu me vienne en aide, je vais probablement garder ces lettres avec un ruban autour, et on les trouvera, toutes jaunies et poussiéreuses lorsque je mourrais, et on pensera que j'étais vraiment pathétique et bizarre. NdT : Queer en anglais veut dire bizarre mais c'est aussi l'ancien terme pour les gays. (1) Mais je m'en moque. J'aurai au moins quelque chose de toi.

La nourriture fut la bienvenue durant le voyage. Comme l'avait supposé la propriétaire de Jonathan, Renfield n'avait pas pris la peine de prendre au petit-déjeuner autre chose qu'un morceau de pain avec du beurre et une tasse de thé léger, préparés par sa propriétaire avec un air de martyre. Alors qu'il mâchait la tourte de viande en remarquant la croûte friable, la viande tendre et le nappage savoureux, il se demanda si Mrs Hallifax aurait de la place pour un autre locataire, mais ce n'était rien de plus — juste un fantasme.

Il n'y songeait pas sérieusement pour une seule raison — cela voudrait dire vivre sous le même toit que Jonathan et il ne serait pas capable d'être aussi proche sans faire éventuellement d'impair — le toucher trop intimement ou faire une remarque imprudente qui entraînerait un soupçon dans ces gentils yeux bruns. Ça le tuerait.


Le train arriva à l'heure, le bateau partit à l'heure et Renfield parvint au bout de la traversée sans déranger sa digestion ou ses nerfs. Il était surpris de découvrir qu'il semblait être un bon voyageur — du moins jusque là. Il y avait encore un long voyage devant lui et il s'était préparé à de l'inconfort et de l'ennui. Il agissait selon la théorie qu'il valait mieux se préparer au pire. Si cela ne venait pas, alors on ne pouvait être que plaisamment surpris.

Renfield dut attendre plusieurs heures à Calais avant de pouvoir prendre sa correspondance pour Paris et il faisait nuit lorsqu'il arriva. Le cocher qui le conduisit à son petit hôtel tenta plusieurs fois de lui recommencer un club ou un café.

(« Très gai, M'sieur. Beaucoup de dames et certaines, avait-il fait avec un clin d'œil, pas meilleures qu'elles devraient l'être. » )

Renfield avait froidement refusé et cet homme avait alors suggéré d'un air rusé qu'il y avait d'habitude quelques garçons qui étaient sans doute plus vilains que ceux qu'il trouvait en Angleterre. Il avait reçu un regard si glacé de l'Anglais rigide qu'il s'était rapidement tu et s'était concentré pour parvenir à destination.


À l'hôtel, Renfield avait écrit une courte lettre à Jonathan pour lui faire savoir qu'il était bien arrivé. Il regrettait presque de ne pas ÊTRE sorti se distraire un peu pour avoir quelque chose d'amusant et d'intéressant à relater. Mais son humble chambre se trouvait près d'un hôtel plus élégant et de sa fenêtre, il pouvait voir les riches voitures qui cherchaient et déposaient les hommes et femmes à la mode. Au pire, il aura un peu de conversation pour intéresser la fille qui l'a pris au piège, songea aigrement Renfield. Mais il confia la lettre au clerc avec le prix exorbitant du timbre. Jonathan voulait qu'il écrive, alors il le ferait.

Il continua à écrire à chaque fois qu'il s'arrêtait pour la nuit. Quand il restait dans le train pour une longue période, il se ruait hors de la gare pour poster une lettre avant de se ruer à nouveau pour prendre sa place. Plus d'une fois, il faillit rater sa correspondance en courant pour rattraper le train alors qu'il se mettait en marche, mais il ne s'arrêta pas. Il ne cessait de s'imaginer la façon dont le visage de Jonathan s'illuminait lorsqu'une lettre lui parvenait. Cela en valait la peine. Il y avait finalement quelqu'un qui pensait à Renfield, qui voulait le contacter, et il n'allait pas le lui refuser.


Chaque nuit, Renfield sortait la photographie de Jonathan de ses bagages en retirant tendrement le tissu qui l'entourait et il passait de longs moments à l'étudier. Plus d'une fois, il se caressa en imaginant que les doigts fins et élégants de Jonathan le caressaient, perçaient le petit repli de son anus avec une tendre passion, puis Jonathan le possédait en une union longue et douce.

Les jours passèrent, les miles défilèrent. Berne en Suisse, Budapest en Hongrie, et puis... et puis un pays qui ne semblait pas avoir changé durant des siècles. Il lui avait fallu dix jours pour atteindre la frontière. Sans doute qu'un passager en première classe serait arrivé plus vite mais Renfield ne se plaignit pas. Mêmes les séjours forcés et les retards de correspondance avaient été bienvenus. Lorsqu'il atteignit Budapest, il était épuisé — un rythme plus rapide, aucune occasion de se reposer, cela l'avait amené au point de rupture.


En Transylvanie, les rails s'arrêtèrent et il passa aux voitures, de plus en plus profondément dans un pays qui devenait plus rude. Les villes s'amenuisèrent en villages occasionnels et les villages devinrent de plus en plus petits. Les routes étaient plus défoncées, moins entretenues, et les logements étaient d'une simplicité extrême. À la fin de son voyage, Renfield fut forcé de partager une chambre avec un homme gros qui ronflait — un horloger qui avait insisté pour montrer son horloge à coucou, manquant de pousser Renfield à la violence. Il était sûr que la seule chose qui préservait sa santé mentale, c'était le fait que c'était la dernière fois avant longtemps qu'il aurait à utiliser ces logements publics. Il devinait que le prince Draculea vivait dans un vrai château, sa maison ancestrale datant du treizième siècle.


Il faudra que je me souvienne de prendre des notes. Cela intéressera certainement Jonathan. Il lit toujours des histoires sur ces contrées sauvages, songea Renfield alors que la voiture s'arrêtait pour un dîner dans une petite taverne.

Ils avaient roulé à travers la campagne de plus en plus vallonnée et à présent les montagnes en question surgissaient juste en bas de la route. Il y avait plusieurs personnes à la taverne qui attendaient de prendre la diligence pour arriver au prochain village, et ils s'assirent tous pour dîner ensemble.

Le dîner était communal, quelque chose que Renfield n'appréciait pas particulièrement. Il était assis à côté d'une assez jolie fille, pas plus de dix-huit ou dix-neuf ans, qui était accompagnée d'une femme sinistre dans la soixantaine. À en juger par le regard protecteur que la vieille lançait à tout homme qui regardait la fille, Renfield devina qu'il s'agissait de sa grand-mère ou d'une autre parente, qui faisait office de chaperonne.


Quand le repas fut servi, les autres à table baissèrent la tête en murmurant ce qui sembla être pour Renfield une très longue prière dans leur langue natale. Curieux, Renfield se retint de se servir et baissa même un peu la tête en signe de respect. La fille le remarqua. Quand la prière de grâce fut finie et que les gens commencèrent à se servir de la nourriture, elle se tourna vers Renfield et fit timidement :

« Vous ne priez pas ? »

Renfield la regarda, presque choqué. C'était terriblement impoli de parler de religion à un parfait étranger. Mais il n'y avait aucune condamnation ou hostilité dans les manières de la fille, aussi répondit-il :

« Pas souvent, non. »


La femme âgée attrapa le bras de la fille en murmurant férocement en roumain et en regardant Renfield. La fille libéra son bras en faisant d'un ton sec :

« Nagyanya, azért ne harapd le a fejemet ! Grand-mère, ne me prends pas la tête. (2) >

Quand la vieille dame parut offensée, la fille soupira. D'une voix plus douce, elle désigna Renfield et fit :

« Nézd csak. Biztos vagyok benne alapjában véve jó ember Regarde. Je suis sûre qu'il n'est pas mauvais dans le fond. (3). »

La femme grogna en lançant à Renfield un dernier regard soupçonneux puis se tourna pour prendre des pommes de terre.


La fille lança un sourire charmant à Renfield.

« Je suis désolée, monsieur. Ma grand-mère est vieux jeu. Si je l'écoutais, je ne devrais parler à aucun homme, sauf mes parents, jusqu'à mon mariage — et alors je ne devrais parler qu'à mon mari ou à un prêtre. »

Elle roula des yeux.

« J'essaie de lui dire qu'on est presque dans un nouveau siècle mais les vieilles gens... »

Elle haussa les épaules.

« Oui, en effet, fit-il sèchement.

– Je sais bien parler anglais mais j'aimerais m'améliorer. Vous allez me parler, s'il vous plaît ? Pour m'aider à pratiquer. »


Il n'était pas possible de refuser cette demande sans être incroyablement impoli, aussi Renfield se retrouva-t-il engagé dans une petite conversation polie avec la fille alors qu'il dînait. Quand ils eurent fini, il restait encore quelques moments avant que la voiture n'arrive et la compagnie s'assit sur les bancs grossiers devant l'auberge pour apprécier la soirée fraîche. Renfield était heureux de ne pas avoir emballé son manteau — il ferait frisquet d'ici quelques heures.

Alors que la voiture arrivait, attelée avec des chevaux frais, ils se levèrent pour monter à bord. La fille lui disait qu'elle revenait d'une école pour jeunes filles, prête à occuper le poste d'institutrice dans l'école de son village.

« Et vous, monsieur ? Vous êtes en vacances, oui ? Vous avez décidé de voir plus de l'Europe que ce qu'ils vous montrent pendant le Grand Voyage Le Grand Voyage était une visite étendue du Continent qui faisait formellement partie de l'éducation d'un jeune gentilhomme anglais. (4) ? »


Le sourire de Renfield était un peu sardonique.

« J'ai bien peur que non. Je suis ici pour affaires. Je dois arranger les ventes de certaines propriétés très chères pour un noble roumain. »

La fille s'illumina considérablement et même la vieille dame parut intéressée, ce qui fit penser à Renfield qu'elle n'était pas aussi ignorante en anglais qu'elle le prétendait.

« Comme c'est excitant ! s'exclama la fille. De qui s'agit-il ?

– Je crois qu'il vient d'une branche mineure de la famille royale. »

Renfield découvrit qu'il apprécia le respect implicite qu'entraîna son annonce.

« C'est le prince Draculea. »


La réaction le fit sursauter. Devant lui et les femmes, il y avait deux autres hommes dans la diligence. Tous ses compagnons de voyage se figèrent puis tous sauf la fille se signèrent rapidement. Elle se contenta de regarder Renfield avec des yeux ronds.

« Qu'y a-t-il ?

– J'ai... J'ai déjà entendu ce nom, fit-elle faiblement. Quand j'étais une petite fille, ma mère me disait de ne pas aller dehors après le coucher du soleil, sinon Draculea... »

Sa grand-mère saisit son bras et cette fois, sa poigne était dure. Elle siffla à la fille quelque chose dans un roumain rapide. Quand la fille commença à protester, la vieille la secoua et murmura :

« Nosferatu ! »


La fille pâlit davantage et Renfield demanda :

« Qu'y a-t-il, Miss ? »

S'il y avait une rumeur locale sur son client, cela pourrait être utile de connaître les détails.

La fille secoua la tête.

« Ce n'est rien, monsieur. Seulement des superstitions et des contes de bonnes femmes. »

Elle sourit mais c'était faible.

« Nous sommes modernes, n'est-ce pas ? Nous n'avons pas besoin de telles histoires. »

Mais elle garda le silence après ça — de même que les autres. Renfield, qui était généralement ignoré, expérimenta l'inconfort d'être au centre de toutes les attentions.

Le soleil était bas, presque derrière les montagnes lorsque la voiture s'arrêta. Renfield regarda dehors et se renfrogna. C'était un croisement. Une fourche menait à l'est, l'autre au nord. Il savait que le prochain arrêt sur la route était vers l'ouest. Pourquoi s'arrêtaient-ils ici, au milieu de nulle part ?

Il sursauta lorsque le conducteur appela :

« Vous, l'Anglais. »

Il ouvrit la porte en se penchant en avant pour lever les yeux vers lui, et l'homme défaisait les sangles de ses bagages.

« Monsieur ! Vous ne devez pas faire ça tant que nous n'avons pas atteint ma destination.

– Ici vous restez. »

L'homme avait libéré une valise et il s'attaquait à l'autre.


²Renfield regarda autour de lui. Il n'y avait rien ici, aucun signe de vie. Rien qu'un pauvre panneau en mauvais état qui pointait vers le chemin à l'est et qui disait BORGO.

« Vous devez me déposer au col de Borgo. C'était arrangé. »

L'homme secoua la tête.

« Non. Je ne vous emmène pas plus loin.

– Mais... Zut, ce n'est que quelques miles plus loin. À quoi ça sert de... ? »

Le conducteur pointa le nord avec son fouet.

« Nous n'allons pas au col de Borgo. Nous allons là-bas pour le prochain arrêt.

– Ça n'a aucun sens. Ça vous fait faire un détour de plusieurs miles. »

L'homme lui tendit les valises et Renfield fit d'un ton obstiné :

« J'ai payé pour tout le voyage. »


L'homme laissa tomber les valises par terre. Renfield descendit rapidement avec un cri de protestation, se dépêchant pour les examiner, heureux lorsqu'il vit qu'elles étaient intactes. Quand il leva les yeux pour protester à nouveau, l'homme lança quelques pièces à ses pieds.

« Là. Payé. »

La fatigue et les nerfs de Renfield ajoutèrent la colère à l'indignation et il se rapprocha de la voiture.

« Je ne supporterai pas ça ! Ce n'est pas seulement mal, c'est insultant ! »

Le conducteur lui fit signe de reculer.

« Arrière. »

Renfield se renfrogna.


« Arrière, Anglais ! Je ne veux pas vous faire de mal. Le coucher du soleil approche et je ne resterai pas ici quand la lumière sera partie ! Je vous passerai dessus s'il le faut !

– Je ne comprends pas ! Il ne vous faudrait que quelques minutes pour me déposer à ma bonne destination. Ce sera difficile de marcher avec mes valises. Il n'est pas prévu qu'ils viennent me chercher trop tard, de toute façon, et ils pourraient très bien ne pas me trouver si je ne suis pas là. »

La voix de l'homme était plate.

« Il vous trouvera, Anglais.

– Monsieur ? »

La fille se penchait par la porte, son visage inquiet. Sa grand-mère la tirait par sa robe, lui parlant frénétiquement, mais la fille la repoussa. Renfield se rapprocha. La fille fit :

« Monsieur, venez avec nous au prochain village. Demain, vous pourrez louer une voiture et aller au Château Draculea, s'il le faut. Mais n'y allez pas ce soir. »


Cela semblait être une inquiétude sincère et Renfield en fut perplexe mais satisfait.

« Je suis désolé, mais je ne peux pas. Toute ma carrière repose là-dessus, vous voyez. »

La grand-mère murmura quelque chose.

« Qu'a-t-il dit ?

– Elle a cité la Bible, monsieur. 'Et que sert-il à un homme de gagner tout le monde s'il perd son âme Marc 8:36 (5) ?' Devez-vous y aller ? »

Renfield hocha la tête. La fille soupira puis retira une petite chaîne en argent de son cou et la tendit à Renfield. Un petit crucifix en argent pendait au bout.

« Alors tenez — prenez ceci.

– Oh vraiment — je vous en suis très reconnaissant mais je ne devrais pas. Ce ne serait pas... »


La vieille femme se pencha par-dessus l'épaule de sa petite-fille. Ses petites yeux sombres n'étaient plus hostiles mais semblaient concernés et presque... remplis de compassion ? Dans un anglais avec un très fort accent, elle fit :

« Je vous en prie. Portez-le pour votre mère. »

Ébahi, Renfield accepta la chaîne. Les deux femmes le regardèrent intensément alors qu'il la glissait autour de son cou en la mettant sous sa chemise. La vieille femme hocha la tête puis tira gentiment la fille vers son siège tandis que l'un des hommes refermait la porte. Renfield recula alors que le conducteur claquait les rênes sur le dos des chevaux. Par-dessus le bruit des sabots et le grondement des roues de la voiture, il entendit pourtant la vieille dame dire :

« Dumnezeu sa-l aiba-n paza lui. Que Dieu le protège. (6) »



Notes du chapitre :
(1) NdT : Queer en anglais veut dire bizarre mais c'est aussi l'ancien terme pour les gays.
(2) Grand-mère, ne me prends pas la tête.
(3) Regarde. Je suis sûre qu'il n'est pas mauvais dans le fond.
(4) Le Grand Voyage était une visite étendue du Continent qui faisait formellement partie de l'éducation d'un jeune gentilhomme anglais.
(5) Marc 8:36
(6) Que Dieu le protège.






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