Child of the Night 88

Partie Quatre-vingt-huit : Évacuation



L'an de grâce 1892
La chapelle du village


Lukas se tint immobile en écoutant d'un air alerte le bruit du carrosse qui s'éloignait. Le père Josef se penchait sur Jonathan un nouveau inconscient pour l'examiner avec anxiété.

« Lukas, tu n'aurais pas dû être si rude avec lui ! Il était déjà blessé à la tête. J'espère juste qu'il recouvrira tous ses sens quand il se réveillera — s'il se réveille. »

La réponse de l'intendant fut brève :

« Mieux vaut qu'il meurt plutôt qu'on le cède à cette chose, mon père. Je crois qu'ils sont partis. »

Il s'assit en se frottant le menton alors qu'il semblait songeur.

« Mais ils vont revenir. Vous feriez mieux de prévenir tout le monde au village pour qu'ils prennent des précautions supplémentaires. Faites-leur faire tout ce à quoi ils peuvent penser — suspendre de l'ail et des crucifix, vous faire bénir les portes et les fenêtre avec de l'eau bénite ou de l'huile. »


Le père Josef lui lança un regard soupçonneux.

« Pourquoi me donnes-tu des instructions, Lukas ?

- Je ne serai plus là pour vous aider, mon père. L'un de nous doit emmener cet homme loin d'ici et franchement, je ne pense pas que vous êtes prêt pour ça.

- Lukas, as-tu perdu la tête ? Nous ne devons pas bouger cet homme plus loin que vers le lit le plus proche. Même voyager dans la meilleure voiture serait sûrement trop dur et être ballotté dans les charrettes que nous avons sera sûrement fatal.

- Vous ne comprenez toujours pas, mon père ? La mort serait préférable à ce qui l'attend s'il reste ici. Vous avez le devoir de sauver les âmes alors cessez de discuter et laissez-moi vous aider dans votre mission.

- Mais tu ne peux pas simplement... t'enfuir avec lui. Tu ne sais même pas qui il est.

- Cela ne va pas être dur à trouver. »


Il plongea sa main dans les poches de Jonathan. Quand le prêtre commença à protester, on le fit taire avec irritation.

« Je ne suis pas en train de le voler — je cherche juste une preuve de son identité. Ces Anglais aiment tellement leurs papiers — cela devrait être... ici. »

Il sortit le porte-cartes de Jonathan, l'ouvrit et en sortit une carte. Le porte-carte était d'excellent facture — les cardes n'étaient qu'un peu humides et encore lisibles.

« Jonathan Nicholas Harker, de Hawkins et Thompkins, avocats. »

Il plissa des yeux sur la carte et sourit.

« Il y a même une adresse. Ce sera facile de les contacter. »

En regardant dans les yeux déterminés de son intendant, le père Josef se rendit soudain compte que c'était Lukas qui faisait tourner les choses dans sa paroisse. Oh, le père Josef s'occupait de toutes les questions spirituelles mais sans Lukas, il ne ferait rien de pratique. Et Josef était conscient qu'il se référait trop souvent au jugement de Lukas alors qu'il aurait peut-être dû se montrer plus ferme dans ses propres opinions. Mais le prêtre était si fatigué et confus qu'il n'allait pas se rebeller maintenant contre cette habitude.


« Qu'as-tu l'intention de faire ?

- Je vais emprunter la charrette de l'aubergiste. Ça ne le gênera pas de la prêter — et sinon, il nous la prêtera quand même. »

Le ton de Lukas indiquait que l'aubergiste serait en effet bien stupide de ne pas s'empresser de les aider.

« Je dois partir sur-le-champ si je veux l'emmener assez loin tant que le soleil brille dans le ciel. Vous feriez mieux de rassembler toutes les couvertures et les oreillers que vous pouvez, mon père, pour rendre son voyage plus confortable. »

Lukas se dirigea vers la porte.

« Mais où vas-tu l'emmener ? Je dois le savoir. »


Lukas s'arrêta, sa main sur la barre.

« Non, mon père, vous ne devez PAS savoir. Bien que vous ne voudriez pas révéler son sanctuaire, on ne peut pas savoir les moyens que ce démon va utiliser pour le trouver. Il vaut mieux que vous n'ayez aucune information à donner. Je dirai juste que ce ne sera pas plus loin qu'à une journée de cheval et qu'il sera en sécurité là-bas jusqu'à ce qu'il ait repris des forces pour qu'on le renvoie dans son pays natal. Je ne reviendrai pas tant qu'il n'aura pas quitté notre pays. »

Il sourit d'un air un peu mordant.

« Je suis sûr que vous pourrez faire tourner les choses sans moi pendant un moment. »

Il partit et le père Josef le regarda d'un air étonné et stupide.

Ils vinrent en début d'après-midi. Une demi-douzaine de Roms aux visages graves chevauchèrent dans le village, Simion à leur tête. Le village était désert — vraiment désert. Il y avait de la nourriture froide et à peine entamée et des braises éteintes à la hâte qui rougeoyaient encore dans certaines cheminées. Une poupée tant aimée se trouvait dans la rue, perdue, et quelque part un enfant désespéré pleurait mais ses parents nerveux le faisaient taire.

Le groupe s'arrêta sur la petite place qui contenait la plupart des magasins. Les chevaux errèrent alors que les hommes regardaient autour d'eux en attendant des instructions. Simion descendit de cheval et se rendit à l'auberge. Il tenta d'ouvrir la porte et fut un peu surpris lorsqu'elle s'ouvrit facilement. L'intérieur sombre était étrangement calme, mis à part un son de liquide qui gouttait. Simion suivit ce son jusqu'au bar et se pencha. La première chose qu'il vit, ce fut une mare de liquide rouge et pendant un moment, il songea que Draculea était venu les précéder ici.


Puis il sentit l'odeur fruitée et fine et il se pencha plus en avant. Il vit le tonnelet situé sous le comptoir avec son fausset ouvert et un fin filet de vin éclaboussant le sol. Un peu soulagé, il tendit la main et referma le fausset. Une boîte vide se trouvait dans la mare de vin gâché avec une unique pièce de cuivre à l'intérieur. L'histoire était simple à deviner. Il y avait eu une évacuation rapide et frénétique, avec les visiteurs alarmés ne prenant que les enfants et les objets de valeur avant de s'enfuir.

Simion se redressa en posant une main sur le bar et en tapotant des doigts. Les rats ont quitté le navire. Ils montrent plus de sagesse que ce que j'attendais. Bien. J'ai perdu mon goût pour la torture durant ces années. Mais que vais-je dire à Draculea ?


« Simion ! »

Le cri venant de dehors le fit sursauter puis il se rua à l'extérieur. Toujours à cheval, les Roms désignaient tous la route. Simion regarda dans cette direction et ses sourcils se haussèrent de surprise.

L'homme venant le long de la route ne pouvait être qu'un prêtre. Il portait la traditionnelle soutane noire avec un haut-col blanc et solide. Il tenait ses mains devant lui à hauteur de poitrine en serrant convulsivement un crucifix. Son expression était appréhensive mais ses pas étaient déterminés.

Alors qu'il regardait l'homme s'approcher, Simion songea : C'est sûrement le père Josef. Il ne croit pas — pas aux Nosferatu, en tout cas. Mais il se rend compte que cet endroit est dangereux et pourtant il est resté en arrière. C'est un homme courageux. Courageux mais désespérément ignorant. Simion alla à sa rencontre.


La résolution du père Josef vacilla lorsqu'il vit le chef du groupe venir vers lui. Il pouvait voir que chacun homme venant du château était armé. Tous avaient d'énormes couteaux pendus à leurs ceintures. L'un des chevaux était nerveux en faisant des ronds. Alors que son cavalier le maîtrisait, sa veste s'entrouvrit un peu et Josef vit le revolver sanglé à son corps. Il fut tenté de faire demi-tour et de s'enfuir dans la sécurité de l'église en s'enfermant à l'intérieur mais il combattit cette envie. Il avait eu assez de courage pour rester en arrière lorsque les villageois avaient fui — il priait à présent pour avoir le courage de continuer.

Le prêtre et Simion se rencontrèrent à mi-chemin. Ils s'étudièrent en silence un long moment puis Simion s'inclina légèrement en gardant ses yeux sur le visage de l'autre homme.

« Nous avons parlé ce matin, mon père. Ou plutôt, votre intendant a parlé pour vous. »

Le prêtre inclina la tête.

« Vous savez pourquoi je suis ici. »


Josef se força à conserver une voix calme.

« Il n'est pas ici. »

L'expression de Simion se durcit.

« Je le craignais mais j'avais espéré que vous ne vous montreriez pas aussi stupides. Était-il en état de voyager ?

- Je ne pense pas. Il était encore inconscient lorsque Lukas l'a mis dans la charrette et l'a emmené. »

Simion grinça des dents.

« Idiots ! S'il venait à mourir... »

Il inspira profondément.

« Prêtre, à une certaine époque, je ne serais pas venu pour tenter de résoudre ceci. Draculea en personne aurait chevauché jusqu'à votre pathétique village et l'aurait très certainement rayé de la carte. Il est fort possible que votre peuple serait entré dans l'histoire comme un autre triste exemple de la folie de refuser à Vlad Tepes Draculea quelque chose qu'il désire.

- En tant que Chrétiens, c'est notre devoir d'aider les faibles... »


Simion rit brièvement.

« Ce jeune est celui sur terre qui a le moins besoin de votre protection. Draculea détruirait quiconque lui ferait du mal et préférerait mourir que faire du mal à ce garçon.

- Après ce que vous avez dit de lui, ce que Lukas et les autres villageois ont raconté, comment pourrais-je y croire ? »

Simion renifla.

« En voilà un autre qui pense que seules les créatures de la lumière peuvent aimer. »

Simion désigna le crucifix que tenait l'homme.

« Vous croyez au pouvoir de cette chose que vous tenez ?

- Je crois au pouvoir que la foi lui concède.

- Vous risquez de ne pas le croire, mais dans ma vie j'ai servi l'Église. Il y a fort longtemps, j'étais aussi fidèle dans mes observances que n'importe lequel de vos paroissiens. Bien que j'ai sombré loin des enseignements, je reconnais toujours le pouvoir et l'esprit derrière eux. »

Il tendit la main.


Josef hésita.

« On dit que le contact des objets saints est comme de l'acide pour les damnés. »

Simion plia les doigts.

« Croyez-le ou non, prêtre, mais il existe différents degrés de damnation. »

Josef tendit le crucifix. Ce n'était pas un homme superstitieux mais il regarda pourtant si l'objet saint allait brûler ou non la chair qu'il allait toucher. Cela n'arriva pas. Simion leva le crucifix, l'embrassa et déclara formellement :

« Je jure sur la croix du Christ que l'Anglais Jonathan Harker n'a pas à craindre de mourir ou d'être blessé par moi ou quiconque au service de Draculea. Je jure de plus que le seul désir de Draculea est de prendre soin et de chérir ce garçon. »


Il rendit la croix à Josef et poursuivit :

« Malheureusement, je dois aussi dire que si on ne me dit pas où ce jeune homme a été emmené, je ne peux pas promettre à ce village et ses habitants qu'ils réchapperont au courroux de mon maître. »

Josef acquiesça.

« Je ne peux pas vous dire où il est actuellement — Lukas n'a voulu le dire à personne. Mais je peux vous dire où il SERA. Lukas va s'arranger pour le renvoyer à sa famille en Angleterre dès qu'il sera en état de voyager. »

Simion le regarda et il fit :

« Que Dieu m'en soit témoin...

- Pas besoin, prêtre. Je peux voir la vérité dans vos yeux. Vous cacheriez des informations pour vous protéger mais vous ne risqueriez pas la sécurité de vos ouailles. »


Simion réfléchit un peu plus puis fit lentement :

« Je crois que mon maître va être trop occupé pour récupérer son amour et qu'il ne pourra pas consacrer de temps et d'énergie à punir ceux qui le lui ont enlevé. Je le CROIS — pour l'instant, du moins, vous êtes sauvés. Mais je vous dis sincèrement que je conseillerais à tout ceux qui veulent revenir ici d'y réfléchir à deux fois. Il peut venir un moment où il aura plus de temps libre et où il se souviendra des vieilles dettes. »

Sans un autre mot, Simion se détourna du prêtre et remonta en selle. Le père Josef observa le groupe chevaucher vers le château puis se dirigea vers le presbytère pour commencer à faire ses valises. Il avait le sentiment que cet homme lui avait prodigué un sage conseil. Il enverrait un mot aux villageois et quant à lui... Il songea que le moment pour une longue retraite dévote serait bien venu.

On n'aurait jamais songé à donner à une novice la tâche de garder la porte du couvent des Petites Sœurs des Cinq Blessures Sacrées à cause du manque de discrétion. On avait confié cette responsabilité à la sœur Maria de la Pitié. C'était l'une des nonnes les plus jeunes et les plus vigoureuses. Quand elle entendit la clocher sonner, elle se rua vers la petite ouverture sur la porte d'entrée. En ouvrant la persienne, elle regarda prudemment dehors.

Elle avait vue sur la zone devant la porte. La portière était en hauteur de façon à ce que le seul guet soit hors de portée de ceux qui voulaient entrer. Puisque leur ordre était au service des voyageurs de la région, les invités ÉTAIENT admis mais comme il s'agissait d'une communauté de femmes, elles ne faisaient pas entrer n'importe qui.


Il y avait une charrette grossière devant le pont, tirée par un unique cheval fatigué. Le conducteur se tenait près de la cloche en levant les yeux vers la fenêtre. La sœur Maria l'étudia soigneusement. Il paraissait rude et sale mais cela pouvait être attribué à un long voyage. Ses vêtements étaient respectables bien que poussiéreux.

Quand il vit qu'il avait attiré son attention, il s'inclina respectueusement.

« Sœur, je suis Lukas — l'intendant du père Josef de Tepeslau. Votre ordre est bien connu pour sa bonté envers les voyageurs et ceux dans le besoin. La nuit approche rapidement et je demande l'asile.

- Voyageur, ce serait peut-être mieux si vous logiez à la ferme qui est juste plus loin sur la route.

- Non, ma sœur, je vous en prie ! Ce doit être ici.

- Bien que nous ne voudrions pas sembler trop rudes, notre hospitalité est dédiée à ceux qui sont vraiment dans le besoin. Vous êtes un homme jeune et en bonne santé, le fermier sera heureux de vous accueillir.

- Je ne demande pas autant pour moi-même mais pour celui à ma charge. J'ai avec moi un homme gravement blessé, ma sœur. Il a besoin de la protection et du soin de votre saint ordre. »


Lukas retourna à la charrette en montant à l'arrière. Il se pencha sur ce que la sœur Maria avait cru être une pile de sac et il souleva une couverture.

Maria poussa presque un cri. Un jeune homme reposait sur une pile de couvertures, immobile. Son beau visage était assombri par des bleus et la sœur vit ce qui semblait être du sang séché dans ses cheveux.

« Attendez ! Je dois demander la permission mais je serai rapide. »

Elle referma la portière et courut dans la cour en levant ses jupes jusqu'à un niveau indécent, au-dessus de ses genoux, pour éviter de trébucher. Elle croisa des sœurs surprises et choquées alors qu'elle courait jusqu'au bureau de l'abbesse. Une fois là, elle prit un moment devant la porte pour se ressaisir puis elle toqua. Une voix calme lui dit d'entrer.


La sœur Maria entra, les mains pressées et les yeux proprement fixés sur le sol. L'abbesse du couvent, la mère Ruth, leva les yeux du texte qu'elle était en train d'étudier.

« Ma sœur... »

Elle se renfrogna.

« Vos joues sont rouges et votre souffle est coupé. »

Sa voix se fit sévère.

« Si je ne vous connaissez pas mieux, je penserais que vous vous êtes adonnée à des efforts inconvenants. »

La nonne fit la révérence.

« Je vous en prie, ma mère, j'ai des nouvelles urgentes. Un voyageur demande l'hospitalité.

- Envoyez-le à la ferme la plus proche, Maria. Nous devons nous montrer prudentes quand nous admettons des hommes.

- Mais ma mère, il n'est pas seul. Il y a un autre homme avec lui qui est blessé. »


La mère sembla alors plus intéressée.

« Vous en êtes sûre, ma sœur ?

- Je l'ai vu. Ma mère, il semble inconscient mais il a l'air d'avoir été battu. Je crois vraiment qu'il a besoin d'aide.

- Très bien. »

L'abbesse se leva en marchant à grand pas vers le couloir. Elle attira l'attention d'un groupe de novices qui passait.

« Allez dire à la sœur de l'infirmerie que nous avons deux invités, l'un d'eux gravement blessé. Je lui fais confiance pour faire tout son possible pour aider cette malheureuse créature. Vite. »

Elle se tourna vers la portière.

« Aura-t-il besoin d'aide pour porter le patient jusqu'à l'infirmerie ?

- Je ne crois pas, ma mère. »

La sœur Maria plissa involontairement le nez.

« Le cocher semble être un homme... robuste.

- Allez les laisser entrer. »


La mère Ruth se rendit à l'infirmerie pour veiller à ce l'une des cellules voisines soit prête à recevoir un invité. L'homme voudrait sûrement rester près de son ami blessé. Elle sortit de la petite chambre spartiate juste à temps pour voir l'arrivée des hommes.

Comme l'avait dit la sœur Maria, celui qui était en bonne santé était un homme grand et vigoureux. Il portait facilement son ami. Bien que la nonne en était venue à regarder avec prudence tout homme de l'extérieur, elle songea que celui-ci ne serait pas une menace. Il avait cette aura solide et maîtrisée qu'elle attendait de ceux qui respectaient vraiment l'Église et ses serviteurs. Satisfaite, elle tourna son attention sur l'autre homme. Elle poussa un cri.

« Dieu miséricordieux ! Cette pauvre créature. »

Le gardien du garçon la regarda rapidement et elle désigna l'infirmerie.

«  Dépêchez-vous. Nous avons une place pour lui. »

En quelques instants, le patient fut déshabillé et installé dans l'un des lits de la chambre de guérison. La vieille nonne chargée de s'occuper de la santé de la population du couvent l'avait examiné sans rougir ou trembler en se familiarisant avec ses blessures.

« Qu'est-il arrivé à ce garçon ? demanda-t-elle à Lukas.

- Nous l'avons sorti d'une rivière. Avant ça, je ne peux pas dire, » fit Lukas.


La vieille lui lança un regard acéré.

« Peux pas ou ne veux pas ? Il y a quelque chose de très étrange dans tout ça. Le pire de ses blessures se trouve ici. »

Elle toucha doucement sa tête. Les cheveux étaient humides là où elle avait nettoyé le sang et la poussière.

« Heureusement il ne s'est pas fracassé le crâne. C'est une bonne chose qu'il y ait une bosse et non une dépression. Depuis combien de temps l'avez-vous sorti de la rivière ?

- La nuit dernière.

- Alors ça ne va pas, fit-elle franchement. Il est bien trop pâle et trop froid. C'est comme s'il avait beaucoup saigné mais je ne trouve aucune blessure pour ça. »

Elle lança un regard à Lukas.

« S'est-il une seule fois réveillé depuis que vous l'avez trouvé ?

- Oui, ma sœur. Il a discuté de façon cohérente après que nous l'ayons sauvé.

- C'est bien. S'il se réveille bientôt, il devrait bien se porter. S'il ne se réveille pas de lui-même dans les minutes à venir, je vais alors l'y aider. Je ferais mieux de vérifier mes sels. »

Elle s'affaira.


Quand elle fut partie, Lukas regarda la mère Ruth.

« Vous avez hésité à nous laisser entrer. »

Lorsque l'abbesse ne répondit pas, il poursuivit :

« Je comprends. Mais c'est votre devoir de Chrétiennes d'aider et de protéger ceux qui sont en danger. Ma mère, le danger que court ce jeune homme est plus que physique. Êtes-vous de cette région ?

- Oui. Ma famille a vécu ici depuis plus d'un siècle.

- Connaissez-vous les contes sur Tepeslau et le château non loin ? »

La vieille nonne devint silencieuse puis fit doucement :

« J'en ai entendu parler. La famille de ma mère vivait non loin de là.

- Alors vous avez entendu parler de... Nosferatu. »

Lukas tendit la main et retira le drap en penchant gentiment la tête de Jonathan sur le côté. Il indiqua un bleu livide sur la gorge du jeune homme. En y regardant de plus près, on pouvait voir deux piqûres sombres et à moitié guéries, presque noyées dans le rouge-pourpre du bleu. Sa voix était pressante.

« Je vous en prie, ma mère, vous devez me croire. »


La mère Ruth ferma les yeux en vacillant légèrement. Les yeux toujours fermés, elle se signa puis prit le rosaire qui pendait à sa ceinture. Elle fit doucement :

« Ma grand-mère a vécu très longtemps. C'était l'une des âmes les plus sages, homme ou femme, sainte ou laïque, que j'ai jamais connue. Elle m'a raconté une fois que lorsqu'elle était très, très petite, elle avait vu le diable à cheval. Qu'il l'avait regardée avec des yeux bleus comme une chandelle en présence des morts qui ne reposent pas en paix. »

Elle rouvrit les yeux.

« Ma grand-mère vivait à Tepeslau. Votre ami et vous êtes les bienvenus pour rester ici aussi longtemps que nécessaire. Notre ordre tout entier va prier pour vous deux.

- Que Dieu vous bénisse, ma mère. Demain, je vais le laisser sous votre tendre soin. Si tout va bien, je reviendrai dans quelques jours avec des nouvelles pour le ramener à sa terre natale en sécurité.

- Sa terre natale ? Ce n'est pas notre compatriote ?

- Non, ma mère. C'est un Anglais nommé Jonathan Harker. »


Fatigué, Lukas alla dans sa chambre. La sœur infirmière revint avec une petite bouteille. Elle l'ouvrit et regarda la mère Ruth.

« Priez pour notre réussite, ma mère. »

Elle tint la bouteille sous le nez de Jonathan.

Pendant un moment, il n'y eut pas de réaction. Puis l'expression du jeune homme se plissa de détresse et ses yeux s'ouvrirent en papillonnant. La mère Ruth se pencha tout de suite sur lui.

« Mister Harker ?

- Non. »

Sa voix était faible. À la grande surprise de la mère, il parlait roumain.

« Je suis Nicolae, sainte sœur. »

Les nonnes échangèrent des regards inquiets. Il était clair que son esprit était affecté.

« Ma tête me fait mal. Où est Vlad ? Je voudrais... »


La mère Ruth prit les sels et les pressa juste sous son nez pour le forcer à inhaler plus de fumée âcre. En même temps, elle fit d'un ton acéré :

« Jonathan ! »

Il grimaça et battit des paupières. Quand il rouvrit les yeux, il la regarda d'un air déconcerté.

« Oui, je suis Jonathan Harker. Que... que s'est-il passé ? »

La mère Ruth rendit les sels à l'autre nonne puis caressa doucement les cheveux noirs qui retombaient sur le front pâle de Jonathan.

« Vous revenez de très loin, mon garçon. De très loin et nous allons nous assurer que vous restiez sain et sauf. »







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