Child of the Night 113

Remarques : Souvenez-vous — Jonathan s'est rappelé de sa précédente vie en tant que Nicolae mais son séjour au château Draculea est encore obscur. Il sait qu'il était en danger et qu'il a été blessé mais pas par qui. Et il pense toujours que le prince est un parent âgé de Dracula. L'expérience de Lukas avec Dracula s'est limitée à une demi-douzaine de phrases échangées après le repas et une poignée de mains. Il n'a même pas parlé à Rill ou à Sinn et il ne les a jamais rencontrés et n'a pas eu de descriptions précises d'eux pendant qu'il était en Transylvanie. Sa seule description physique de Draculea est celle d'un homme âgé.


Chapitre Cent treize : Expulsion


L'an de grâce 1892
À l'extérieur de l'asile Seward


Il ne pleuvait plus aussi Jonathan s'assit à côté de Quincy.

« J'ai été tellement enfermé ces derniers temps qu'il me faut absolument des espaces ouverts. »

Quincy fit claquer les rênes pour faire trotter le cheval jusqu'au manoir Westenra.

« Ça m'arrive aussi quand je passe trop de temps en ville. La campagne — c'est le meilleur truc au monde. J'adore le Texas mais parfois je regrette qu'on n'ait pas de vraies montagnes. J'ai passé quelques temps au Colorado et c'est l'une des plus jolies régions que j'ai jamais vue. On s'enfonce dans la forêt, loin de la dignité et des foules, et c'est impossible de ne pas se sentir vivant.

- Oui, c'est merveilleux, la montagne. »

Quincy lui lança un regard curieux.

« Corrigez-moi si je me trompe, mais je ne crois pas que l'Angleterre a beaucoup de chaînes de montagnes.

- Non, en effet, acquiesça Jonathan. Je parle de la Transylvanie. Vous avez entendu les autres parler de mon voyage là-bas ? J'étais dans une région isolée et très sauvage. Je ne crois pas qu'elle ait beaucoup changé depuis les trois ou quatre derniers siècles.

- Ça paraît merveilleux. »


Ils chevauchèrent en silence un moment puis Quincy fit :

« Ce Renfield me semble être un type bien.

- C'est vrai. C'est mon meilleur ami et je ne l'ai jamais vu se montrer méchant. »

Quincy grogna.

« Je ne crois pas que ce sera un avantage pour lui dans un tel endroit. Je crois qu'il serait foutrement... Excusez-moi. Je crois qu'il serait beaucoup mieux là-bas s'il était du genre à arracher la tête de quelqu'un qui l'aurait regardé de travers.

- Vous parlez de Bamford ? » demanda Jonathan.

Quincy hocha la tête.

« J'ai bien peur que vous n'ayez raison. Un gardien insensible peut la vie inconfortable. »

Quincy lui lança un regard incrédule puis fit :

« Jonathan, je crois qu'être inconfortable est le dernier des soucis de Robert. Bamford me fait penser à un serpent à sonnette qui aurait perdu son bourdonnement. Je pense que votre ami ferait mieux de rester en vue autant qu'il le peut quand ce type est dans le coin.

- Il n'irait sûrement pas jusqu'à battre Renfield, pas vrai ? Jack Seward ne le permettrait pas. »


Quincy soupira en secouant la tête. C'est le problème quand on veut toujours croire que les gens ont un bon fond. On se fait sans cesse avoir.

« Que Seward le permette ou non, s'il n'est pas là, ça n'a pas d'importance, n'est-ce pas ? Je pense qu'à moins de le punir en le mettant en prison ou en lui passant la corde autour du cou, ce n'est pas une menace de punition officielle qui va arrêter Bamford très longtemps. »

Quincy se demanda s'il devait exprimer son autre crainte à Jonathan et décida finalement que, étant donné son intérêt profond pour le bien-être de Renfield, il devait lui en parler.

« Et je ne crois pas que Renfield n'ait qu'à craindre de se faire battre là-bas.

- Quel autre danger pourrait-il y avoir ? Je peux faire en sorte qu'on le libère et... »

Oh, ciel. Il va falloir que je sois direct.

« Ce Bamford ressemble à un chien en chaleur. »

Jonathan cligna lentement des yeux puis rougit.

« Allons, Jonathan. Quel âge avez-vous ? Vous devez sûrement savoir que tous les hommes ne courtisent pas les femmes.

- Mais Robert n'est pas... n'est pas... »


Sa voix mourut alors que Quincy le regardait d'un air cynique.

« Il se peut que vous ayez tort. Et même s'il n'était pas 'comme ça', qu'est-ce qui vous fait penser que cela changerait quelque chose pour Bamford ? Enfer, cela rendrait sans doute Renfield plus attirant.

- C'est horrible.

- Ouais. Je n'ai jamais compris que quelqu'un puisse vouloir un partenaire non consentant mais je sais que ça arrive assez souvent. Vous et moi n'avons pas assez d'influence pour retirer Renfield et je ne suis pas sûr qu'on puisse convaincre Westenra. Je ne crois pas qu'il aurait beaucoup de patience pour quelqu'un qui ne tourne pas tout à fait rond.

- Je pense que le Comte voudra bien nous aider. Il a dit qu'il connaissait Renfield. Il a dû le rencontrer lorsque Robert se trouvait en Transylvanie. »

Il fronça les sourcils.

« C'est amusant que Robert n'ait jamais mentionné le Comte dans ses lettres. D'après mes souvenirs, il était très bavard. Je regrette de ne pas avoir ses lettres avec moi. »

La joue de Jonathan se raidit de détermination.

« J'en parlerai au Comte la prochaine fois que je le verrai. »


Ils retournèrent au manoir Westenra et Quincy tendit les rênes à un palefrenier pour suivre Jonathan à l'intérieur. Ils se dirigeaient vers le salon quand Lukas descendit des escaliers.

« Mister Harker, vous ne vous êtes pas trop fatigué ? »

Jonathan rougit d'agacement mais il garda un ton civil.

« Non. Je ne dirais pas qu'une courte visite puisse être épuisante.

- Si vous le dites. Mais peut-être qu'une sieste avant votre souper...

- Lukas... »

Jonathan hésita.

« Je pense qu'il est temps que vous retourniez en Transylvanie. Je vais parfaitement bien et je suis sûr qu'on a besoin de vous dans votre église.

- Parfois, monsieur, un homme peut mieux servir le Seigneur en faisant des choses officieuses. »

Jonathan perdit patience. Il n'éleva pas la voix mais son ton fut ferme.

« Vos devoirs ont été remplis lorsque vous m'avez ramené ici. Je veux que vous partiez. »

Lukas le regarda en silence.

« Je suis sérieux. Ce n'est pas un simple caprice.

- Je comprends mais c'est la demeure de mister Westenra. Je ne partirai pas tant qu'il ne me le dira pas. »


Jonathan le regarda, étonné, et Quincy se renfrogna. Il fit :

« Ce n'est pas vraiment logique de rester là où on n'a pas besoin de vous — ou qu'on ne veut pas de vous. Je crois que mister Harker s’est montré on ne peut plus clair. Vous n'avez plus aucune raison de rester ici. »

Il fit un pas en direction de Lukas et sa voix et son regard restèrent fermes.

« Vous devriez vous en aller. »

Il y eut un moment de silence et Jonathan put sentir la tension dans l'air. Bien qu'aucun mot ne fut échangé entre les deux hommes, il y avait une sorte de confrontation en cours. Alors qu'il était en surface un homme décontracté, Quincy appréciait de temps en temps des disputes. Il n'avait jamais reculé devant rien sauf un taureau enragé ou un chien fou. Jonathan jeta un autre regard au visage impassible de Lukas et songea au vide particulier qu'il avait parfois vu dans les yeux de cet homme — et il se sentit craintif. Il avait le sentiment que Quincy faisait face à quelque chose de plus dangereux qu'il ne l'imaginait.


Les regards durèrent encore et Quincy se rendit compte que c'était un vrai concours de volonté. Il rejugea rapidement Lukas et décida que la prudence était de mise. Sa main se dirigea vers le couteau qui pendait toujours à sa ceinture et Jonathan fut presque horrifié de voir un léger éclair alors que Lukas découvrait les dents.

Mister Westenra arriva dans le couloir et s'arrêta brutalement devant la scène qui s'offrait à lui.

« Que se passe-t-il ? »

La plupart de la tension se dispersa immédiatement. Le regard que Lukas posa sur son hôte fut aussi poli et humble que d'habitude mais bien qu'il se soit un peu détendu, Quincy le regardait toujours de près et sa main reposait sur sa ceinture près de son couteau. Jonathan prit la parole.

« J'étais juste en train de renvoyer Lukas. Il ne semble pas avoir l'intention de partir. »

Mister Westenra se renfrogna.

« Lukas, je vous ai dit que je préféreriez que vous restiez au premier durant votre séjour, et...

- Non, monsieur, l'interrompit Jonathan. Je voulais dire qu'il était temps pour lui de rentrer chez lui en Transylvanie. Je vais bien, il n'a plus besoin de s'occuper de moi. »


Jonathan avait été éduqué pour se montrer prudent — peut-être trop prudent — quand il fallait user de tact mais il parla franchement. Sa voix s'affermit.

« Je ne veux plus de lui ici. Je vous suis reconnaissant pour vos soins et votre hospitalité, mister Westenra. Personne n'aurait pu se montrer aussi bienveillant et hospitalier. Mais si vous ne demandez pas à Lukas de partir — je trouverai un logement ailleurs ou bien j'irai à Londres.

- Mon cher garçon, bien sûr que vous n'allez pas nous quitter, » fit Westenra.

Il regarda Lukas.

« Je vais dire à mon secrétaire de préparer votre voyage de retour. On vous donnera une modeste somme pour votre nourriture et votre logement jusqu'à votre destination, et...

- Monsieur, » le coupa Lukas qui reçut un regard surpris et irrité.

Westenra n'avait pas l'habitude qu'on l'interrompe, surtout si c'était un inférieur social.

« Je ne suis pas d'accord avec mister Harker. Le jugement du jeune gentilhomme est compromis. Après son accident en Transylvanie, nous devons le considérer comme un enfant qui a besoin d'être protégé et guidé. Quant à son bien-être... »


Lukas regarda Jonathan et Jonathan sentit un frisson parcourir son corps lorsque l'homme fronça les sourcils puis se dirigea vers lui.

« Certaines choses ne sont pas toujours apparentes. »

Il tendit la main vers le col de Jonathan.

Jonathan recula brusquement et Quincy s'interposa instinctivement entre les deux hommes pour repousser Lukas.

« Bas les pattes, monsieur ! »

Lukas ignora Quincy pour regarder Jonathan.

« Où êtes-vous allé ? Vous étiez avec le Comte, celui qui vient de mon pays troublé ? »

Sa voix se durcit et il commença à lever à nouveau la main.

« Ce fils des ténèbres vous a-t-il touché ?

- Vous êtes FOU ! Franklin, Turner, Wilson ! »

La voix de mister Westenra fut forte et acérée, les trois derniers mots étaient un ordre. Trois valets costauds arrivèrent en courant et Westenra leur désigna Lukas.

« Vous le faites sortir et vous le surveillez. Puis l'un de vous demandera à une servante de récupérer ses biens et de les lui apporter. Vous... »

Il s'adressa à Lukas.

« Vous pouvez vous rendre à l'auberge et attendre là-bas. Je vous donnerai des nouvelles pour votre voyage et je vous enverra l'argent. RESTEZ LÀ-BAS ! Si jamais vous revenez dans mon pays ou si vous essayer de harceler ma famille ou mes invités, je demanderai au commissaire de vous emprisonner jusqu'à votre déportation légale. »


Il lança un regard noir aux valets.

« ET ALORS ? »

Ils s'approchèrent prudemment de l'homme aux cheveux noirs. Les domestiques de Westenra n'avaient pas beaucoup parlé à Lukas durant son séjour. Alors qu'ils pouvaient parfaitement se montrer amicaux avec les serviteurs des invités, Lukas ne rentrait visiblement pas dans les couches de leur société. Ce n'était ni un marchand ni un serviteur, ce n'était certainement pas un gentilhomme et c'était en plus un étranger et un catholique. Comme la plupart des Britanniques de l'époque, ils faisaient partie de l'église anglicane et tandis que des Américains comme Quincy ne voyaient que peu de différence entre les deux religions, il y avait des différences très claires pour eux. Tous ceux qui juraient allégeance au Pape étaient automatiquement un peu suspects. Les serviteurs n'étaient pas du tout mécontents d'avoir reçu l'ordre d'expulser Lukas.


Lukas regarda les valets en mesurant sa propre force à la leur et en évaluant la détermination dans leurs yeux. Il jeta un coup d'œil à Quincy et le découvrit tendu et le visage dur. Il réfléchit et avant que le premier valet ne l'ait atteint, il s'inclina.

« Je ne peux que m'incliner devant vos désirs, monsieur, bien que j'exprime à nouveau mes appréhensions. Je vous confie mister Harker et je vous en supplie, monsieur — soyez vigilant. »

Il regarda Jonathan et le jeune homme faillit flancher. Ce n'était pas un lâche mais la lueur dérangée du bigot brûlait dans les yeux de Lukas.

« Écoutez-moi bien, Jonathan Harker — ce n'est pas seulement votre vie qui est en danger. Je crois qu'un diable vous a suivi depuis la Transylvanie. Si c'est ce que je crains, il ne vous laissera pas en paix tant qu'il ne vous aura pas pris votre âme. Que Dieu vous accorde Sa protection, puisque vous n'aurez plus la mienne. »

Il s'inclina à nouveau et franchit la porte que l'un des valets avait ouverte.


« Surveillez-le ! siffla mister Westenra. Je ne veux pas qu'il reste seul. Franklin, cherchez une servante puis envoyez-moi mon secrétaire. Vous deux, escortez cette... »

Le ton de mister Westenra se durcit.

« ... personne hors de ma propriété et si vous le voyez à nouveau ici, occupez-vous de lui rapidement. Ne restez pas plantés là — allez ! »

Les hommes se dépêchèrent d'obéir. Mister Westenra se tourna vers Jonathan.

« Vous allez bien ?

- Oui, monsieur, fit Jonathan, mais je suis bien content que les valets soient là.

- Quelle mouche l'a piqué ? Je reconnais que je ne l'ai pas beaucoup vu, mais il m'a toujours semblé parfaitement normal, si ce n'est un peu solennel.

- Comme vous dites, vous n'avez pas passé beaucoup de temps avec lui. Moi, au contraire, fit Jonathan d'un air grave, j'ai enduré de nombreux jours avec lui et je peux clairement vous dire que je savais depuis un moment qu'il était fou. J'aurais dû vous prévenir plus tôt mais... mais la nature de sa folie est si horrible qu'elle ne convient pas à une discussion publique. Je devrais peut-être vous le dire, cependant, afin que vous compreniez mon aversion et le be »soin urgent de l'éloigner de tout ce qui vous est cher.


Jonathan regarda autour de lui pour s'assurer que personne n'était dans les environs, exceptés Quincy et mister Westenra, puis il décrivit le moment où Lukas lui avait révélé son auto-mutilation. Quincy grimaça et mister Westenra pâlit en s'asseyant lourdement sur le banc qui était fourni à ceux qui entraient et qui voulaient retirer leurs bottes souillées.

Westenra murmura :

« Oui, vous auriez dû me le dire mais je peux comprendre votre réticence. Dieu merci, Lucy et Mina n'ont pas été blessées.

- Ou une autre femme dans cette maison, fit sèchement Quincy alors qu'une petite servante les dépassait en courant et en portant le petit sac de Lukas.

- Quoi ? »

Westenra semblait distrait.

« Oh, oui — bien sûr. Si j’avais su, j'aurais dit aux hommes de l'enfermer dans la cave jusqu'à ce que Seward puisse envoyer des gardiens de l'asile pour le récupérer. Il devrait de toute évidence se faire interner.

- Je suis d'accord, fit Jonathan, mais je doute qu'il le soit. Rappelez-vous, il ne s'est pas montré violent envers les autres. Son comportement public n'est pas si différent que celui de nombreux excentriques paisibles. »

Westenra grommela.

« Ce ne serait pas la première fois qu'une nuisance publique aurait été enfermée et que les procédures sanitaires auraient été, euh, retardées. »

Jonathan le regarda. Bien que Lukas l'ait effrayé, cet homme n'avait pas menacé qui que ce soit. Jonathan ne pouvait tout simplement pas enfermer quelqu'un qui n'avait encore fait de mal à personne dans l'enceinte morose de l'asile Seward, surtout pas après l'avoir visité. Mais il y avait toujours ce mot gênant — 'pas encore'.

« Les valets étaient prêts à plaquer physiquement Lukas si nécessaire. Mais l'homme attendit presque placidement en restant debout sans bouger, les bras croisés, ne semblant pas perturbé par la scène récente. Ils étaient alertes mais ils avaient du mal à voir Lukas comme une menace sérieuse. Cet homme ne s'était jamais montré autrement que doux et ils étaient sûrs de pouvoir le contrôler rapidement si jamais il montrait le moindre signe de récalcitrance. Ils n'auraient pas été aussi sûrs d'eux s'ils avaient su quelle agitation se tenait sous l'apparence extérieure calme de cet homme.

Pourquoi l'ai-je perdu de vue ? Je sentais... je SAVAIS qu'il y avait du danger. Ce doit être celui qui se nomme Dracula. Dracula. Peuh. Le sang de Draculea coule bien en lui. Le prince en personne doit avoir envoyé un de ses mignons pour retrouver Harker. À moins que... Non, bien sûr que non. Le peu de gens à avoir vu le prince l'ont décrit comme arborant toutes les longues années de sa corruption. Ce Dracula est trop jeune. Pourtant, la voix qui m'a parlé en Transylvanie était jeune et forte. La créature qui s'est agitée à l'extérieur de l'église avait bien la force du diable. Et qui peut dire ? Si les Nosferatu peuvent échapper à la vraie mort décrétée par notre Seigneur, ne pourraient-ils pas aussi inverser le déclin physique ? Les légendes disent que là où va Draculea, ses trois compagnons le suivent. Dracula est accompagné par deux personnes mais si ces deux personnes font partie des trois compagnons, alors Dracula pourrait-il être... ?


Il fit un pas vers l'un des valets et l'homme se tendit. Lukas laissa ses mains pendre mollement à ses côtés pour montrer qu'il ne voulait pas faire de mal.

« Avant de partir, répondez à une question ou deux, je vous en prie. Je n'ai pas pu voir les invités qui sont venus récemment et j'avoue que je suis curieux... »

Il lança un petit sourire et utilisa la tactique qui ferait le plus appel au snobisme que beaucoup de domestiques anglais partageaient avec leurs maîtres.

« ... à propos de ces gentilshommes. J'ai déjà entendu parler du comte — sa famille et la mienne ont été voisines pendant très, très longtemps. Mais ses compagnons — le garçon et le dandy aux cheveux noirs... »

C'était souvent un préjugé honteux de croire que les serviteurs adoraient bavarder mais il se trouvait que c'était vrai pour une fois. Turner eut un sourire malicieux.

« C'est un Français. Il a abominablement flirté avec la fille d'arrière-cuisine. »

Wilson acquiesça.

« Il ne connaît pas sa place. »

Il ne remarqua pas que Lukas haussa un sourcil suite à sa déclaration. Autant les gens de la classe supérieure se moqueraient d’un travailleur du commun qui voudrait se mêler à eux, les serviteurs réagiraient de même envers un gentilhomme ou une dame qui voudrait inverser la situation.


« L'est allé aux cuisines et il a parlé à la cuisinière. Je m'y serais attendu de la part du Yankee — ils sont pas là depuis assez longtemps pour être civilisés — mais je croyais que les Français avaient plus de manières. »

Un Français. L'un des ivrognes du village a prétendu qu'il était tombé par hasard sur un diable qui buvait de la gorge coupée d'une biche et qu'il l'avait maudit avec une voix humaine — en français. Il a dit que ses yeux étaient rouges mais qu'ils avaient viré au vert avant qu'il ne se jette à terre devant lui. Et son rire était comme une clochette agitée par un vent qui viendrait directement de l'Enfer.

« Il se pourrait qu'il ne soit pas vraiment un membre de leur classe mais seulement un... »

Il hésita et choisit un mot délicat.

« ... un compagnon. Les riches s'entourent souvent avec des gens moins bien nés pour s'amuser. »


Les valets hochaient sagement la tête.

« Je me demande si c'est la même chose avec le garçon. Je l'ai seulement entr'aperçu mais il semblait être un garçon avenant et gentil. »

Les hommes sourirent à nouveau et Wilson fit :

« Presque aussi joli qu'une fille et un peu... »

Il agita les doigts près de sa temps, gloussant alors qu'il laissait sa bouche légèrement ouverte. Il avait de la chance que Simion ne soit pas là pour assister à son imitation.

« Comme c'est triste. Déséquilibré, vous croyez ?

- Euh, non. Je dirais juste un peu faible d'esprit. Vous savez, suffisamment dans la tête pour qu'il puisse se nourrir seul et refermer son pantalon. »

Il renifla et c'était riche d'insensibilité.

Et un second, qui semble jeune et simple d'esprit. J'ai entendu les marchands dire qu'ils ont vu quelqu'un comme ça avec l'homme de main du prince démon les rares fois où il était descendu des montagnes pour envoyer des messages ou pour récupérer une chose spéciale qu'ils avaient commandée. Il fait très attention au garçon d'après ce qu'on m'a dit.


La servante revint en portant le sac de Lukas. Elle regarda nerveusement l'homme en disant :

« Je m'approche pas de lui. Il a le mauvais œil.

- T'es bête, Molly. L'est un peu bizarre, mais pas dangereux, « lui assura Turner.

Elle lui fourra le sac entre les bras.

« Alors TU lui donnes ça. Et ça. »

Elle tendit une enveloppe.

« Et t'as pas intérêt à l'ouvrir ! Le maître a dit que tout ce qui est dedans lui revient et s'il voit quelqu'un d'autre l'ouvrir, il l'enverra en prison, aussi sûr qu'le soleil se lève. »

Son avertissement lancé, elle jeta un autre regard à Lukas puis retourna effrayer ses collègues servantes avec l'apparence effrayante de cet homme.

Turner tendit le sac puis tint l'enveloppe en réfléchissant alors qu'il faisait courir ses doigts dessus.

« Écoutez-la craquer. »

Il la leva en plissant des yeux.

« Fichues enveloppes épaisses. Peux pas voir dedans mais ça doit être des billets. Une bonne liasse, en plus. »

Il lança à Lukas un regard scrutateur. Cet homme n'avait plus de le droit de s'approcher de la maison à l'avenir — il ne risquait pas d'aller se plaindre à mister Westenra s'il n'avait pas d'argent. Lukas devait savoir ce à quoi il pensait mais son expression patiente ne varia pas et cela énerva le valet. Il jeta l'enveloppe dans les mains de Lukas.

« C'est par là — avancez. »


Ils parcoururent le long chemin qui menait à la route qui se dirigeait d'un côté vers le village et de l'autre vers l'asile. Au croisement, Wilson fit :

« Vous allez à la taverne et le maître vous fera parvenir des nouvelles pour votre voyage. »

Lukas se tint sur la route en regardant d'un côté, puis de l'autre.

« S'il vous plaît, pourriez-vous me dire dans quelle direction se trouve votre église ? »

Les valets échangèrent des regards.

« J'ai besoin d'un environnement spirituel. Si ce n'est pas l'église alors la demeure de votre révérend ? »

Wilson désigna le village.

« C'est par là, après la taverne. Vous ne pouvez pas la manquer bien que le clocher ne soit pas aussi joli que d'autres. Le presbytère est juste à côté. Le révérend fait souvent la messe le soir et vous aurez le temps d'y assister avant que votre train ne parte.

- Je vous remercie. »

Lukas se dirigea vers la direction qu'ils avaient indiquée. Les hommes l'observèrent jusqu'à ce qu'il soit loin sur la route puis ils retournèrent au manoir, satisfaits d'avoir fait leur devoir. Ils n'auraient sans doute pas été aussi contents d'eux-mêmes s'ils avaient su que la raison pour laquelle Lukas se moquait bien que le valet s'approprie une partie de l'argent était qu'il n'avait pas l'intention de prendre le train.







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