Chapitre 63 : Vendre des coupes au marché
Les deux rues n'étaient pas non plus complètement séparées pour autant. De temps en temps, des mortels riches s'aventuraient dans la rue de l'Immortel Descendu pour acheter des élixirs. Bien qu'ils ne puissent pas cultiver, cela leur permettait de rester en forme et de vivre plus longtemps.
La rue de l'Immortel Descendu était la rue la plus prospère de la cité de Qing. Il y avait toujours une foule de cultivateurs qui s'y rendaient. Certains portaient une épée sur le dos, d'autres avaient une tenue d'alchimistes et certains avaient même une gourde de vin dans le dos.
« Grand-frère, nous allons louer d'abord un étal, ah ? »
Yan Tianhen avait souvent accompagné Lin Zhan pour faire des achats ici alors il comprenait plus ou moins les règles du marché.
Lin Xuanzhi réfléchit un moment avant de faire :
« D'accord. »
Ils trouvèrent un homme qui patrouillait dans les environs et après lui avoir expliqué leurs intentions, ils durent donner à l'autre dix pièces d'argent pour obtenir un étal dans un endroit très isolé et glacial.
Yan Tianhen fit la grimace et s'écria d'un ton déprimé :
« Il nous a demandé un dixième de pièce d'or pour ça ? C'est le lion qui ouvre largement la gueule C'est un prix exorbitant. (1) ! »
Il fallait savoir qu'une pièce d'or équivalait à cent pièces d'argent. Cela leur aurait permis d'acheter une grosse quantité d'herbes spirituelles ! Yan Tianhen devait travailler vingt jours pour avoir une pièce d'or !
Lin Xuanzhi sut que sa mentalité de petite ménagère avait refait surface alors il l'apaisa :
« C'est bon, il faudra juste que l'on vende un peu plus cher les coupes d'alcool. »
Yan Tianhen hocha la tête.
« Alors dépêchons-nous de présenter les coupes, hein ? »
Lin Xuanzhi avait fabriqué sept coupes en tout mais s'en était réservé deux pour l'usage personnel de Yan Tianhen et lui. Les cinq restantes furent donc placées côte à côte par Yan Tianhen sur le brocard noir de la table de leur étal.
Comme l'emplacement de leur étal était vraiment une arnaque, avant même de songer à vendre les coupes, ils ne virent que quelques rares passants pendant un bon moment. De temps en temps une ou deux personnes passaient par là et jetaient un coup d'œil dans leur direction avant de repartir sans grand intérêt.
Lin Xuanzhi n'avait jamais fait le moindre commerce. Dans sa vie précédente, il avait toujours adhéré au principe qu'un cultivateur ne devait pas se souiller avec l'odeur du cuivre alors depuis toujours, il n'avait jamais été contaminé par ces choses.
Du coup il se tenait derrière l'étal comme un immortel qui n'avait jamais été souillé par ce monde terrestre, sans parler, comme s'il n'était qu'une décoration.
Après la moitié d'un shichen, Yan Tianhen n'y tint plus.
« Grand-frère, et si je criais quelques mots, hein ?
– Crier quelques mots ? J'ai bien peur que cela ne soit guère efficace. »
Lin Xuanzhi réfléchit un moment puis tendit une pièce d'or à son frère.
« Ah Hen, va dans la rue voisine du Bonheur Infini pour acheter une bonne jarre de liqueur. »
Le garçon en fut stupéfait et demanda :
« Tu veux que j'achète de l'alcool de mortel ? »
Lin Xuanzhi hocha la tête et ajouta d'un ton énigmatique :
« Plus l'alcool sera ordinaire, plus l'effet sera amplifié en le buvant. »
Yan Tianhen acquiesça puis courut vers la rue voisine du Bonheur Infini.
Sous peu, il revint avec une jarre noire.
Il la posa sur la table et fit avec un grand sourire :
« Les objets des mortels ne sont vraiment pas chers du tout. Je suis allé les voir et acheter leur meilleure liqueur, ce qui ne m'a coûté qu'une pièce d'or par jin Environ 500 g. (2). »
Cependant pour les mortels, c'était déjà un prix exhorbitant.
Lin Xuanzhi retira le sceau de la jarre et fit
« Sens-le, tu en dis quoi ? »
Yan Tianhen se recouvrit le nez, fronça les sourcils et fit un bond en arrière.
« C'est vraiment trop âcre. Rien qu'à l'odeur, on sait que c'est l'alcool que boivent les mortels.
– Effectivement, fit Lin Xuanzhi en hochant la tête. Ah Hen, fais circuler ton Qi interne et laisse se diffuser l'odeur de cette liqueur. »
Yan Tianhen cligna des yeux et fit, en proie à un dilemme :
« La rue de l'Immortel Descendu a ses propres règles : on n'a pas le droit de vendre des marchandises de mortel ici, sinon on se fait chasser.
– Nous n'allons pas vendre cet alcool, c'est juste pour attirer les gens. Ah Hen, ne t'en fais pas pour ça. »
Avec l'assurance de son grand-frère, Yan Tianhen se mit à utiliser bravement son Qi interne pour dissiper l'odeur de la jarre dans toutes les directions.
Comme disait le proverbe, l'arôme de l'alcool ne craint pas les allées sombres La bonne qualité n'a pas besoin de publicité. (3). Par contre si l'alcool était mauvais, même enterré profondément, quelqu'un finira toujours par le sentir.
Aussi quand l'odeur d'alcool atteignit un magasin qui vendait des liqueurs spirituelles, le propriétaire devint aussitôt furieux.
« Qui sont ces bâtards ignares qui osent vendre de l'alcool de mortel dans la rue de l'Immortel Descendu ? Ce n'est pas croyable, je dois aller voir ça. »
Le patron Feng prit aussitôt avec lui quelques hommes de main de sa boutique et marcha d'un pas arrogant dans la direction d'où venait l'odeur d'alcool.
Pendant ce temps à l'autre bout de la rue dans un magasin de cosmétique, Mme Duan qui examinait les derniers fards rouges sentit aussi l'odeur de la liqueur.
Elle ne put s'empêcher de froncer le nez et fit à Duan Yuhao, le jeune second maître Duan qui se trouvait à côté d'elle :
« Comment se fait-il qu'il y ait cette horrible odeur d'alcool de mortel ici ? »
Duan Yuhao prit un air mécontent.
« Il est fort possible que cela soit dû à un misérable mortel qui serait arrivé dans la rue de l'Immortel Descendu par erreur. Mère, vous n'avez pas à vous en faire, je vais envoyer des gens pour chasser ce mortel d'ici par la peau du cou et le tuer ensuite. »
L'expression de Madame Duan s'adoucit un peu mais elle jeta un regard en coin au jeune homme :
« Toi, dès que tu ouvres la bouche, c'est pour parler de te battre et tuer. Si ton père t'entendait, il te ferait encore la morale. »
Duan Yuhao répliqua d'un ton nonchalant :
« Père manque trop de résolution. Un vrai cultivateur devrait être comme moi. Ces mortels ne sont que des fourmis.
– La dernière fois, tu as impulsivement tué les trois fils d'une famille de mortels en laissant des traces derrière toi. Heureusement que quand ils sont venus chez nous pour se plaindre, ton père n'était pas là. C'est moi qui ai réglé tes affaires et les ai incités à garder la bouche fermée. Sinon, si ton père l'avait appris, il ne t'aurait pas laissé t'en tirer aussi facilement. »
Duan Yuhao était le second maître de la famille Duan et était un rang en dessous de Duan Yuyang. Ils étaient demi-frères du côté de leur père. Bien que son niveau de cultivation était élevé et qu'il avait plutôt du talent, Duan Yuhao était trop arrogant et avait une propension au meurtre.
Cela rendait le patriarche des Duan extrêmement mécontent.
Même si un cultivateur était supérieur aux mortels dès la naissance, la majorité des gens de ce monde était tout de même des mortels alors il fallait plus ou moins respecter certaines règles de non-ingérence.
« Ché, père préfère ce taré de Duan Yuyang, fit Duan Yuhao d'un ton sarcastique. Duan Yuyang ne tue pas les gens mais il est malheureusement destiné à n'être qu'un bon à rien qui ne dépassera pas le Raffinage du Qi. »
Le visage de Madame Duan se figea et elle tira abruptement sur le poignet de son fils en disant à voix basse :
« Ah Hao, surveille ce que tu dis. Il y a plein de gens ici alors ne parle pas à tort et à travers.
– Je comprends, Mère, » répondit le jeune homme d'un ton insouciant.
Il sentit soudain à nouveau l'odeur de cet alcool médiocre et se fâcha. Il fit craquer ses doigts et s'écria :
« Bordel, je vais régler son compte à celui-là. Il commence vraiment à m'énerver ! »
Quand le patron Feng arriva avec ses hommes, une petite foule s'était déjà attroupée devant l'étal de Lin Xuanzhi.
« Ça veut dire quoi, ça ? »
Un cultivateur de passage avait eu le nez agressé par l'odeur de l'alcool alors il s'était précipité en colère pour engueuler le vendeur.
La plupart des cultivateurs prenaient comme une provocation et une humiliation le fait d'être exposé à des objets de mortels. Yan Tianhen s'empressa d'expliquer :
« Nous ne vendons pas l'alcool, nous vendons ces coupes d'alcool !
– Quoi, ces choses minables là ? fit quelqu'un en parcourant du regard ces coupes qui n'avaient rien de spécial. Dis-moi vite ton prix, je te les achète toutes. Comme ça, vous arrêterez votre tapage et de souiller le nez de ce Vénérable ! »
Tout en parlant, ce cultivateur vêtu comme un riche jeune maître leur jeta négligemment un billet d'une valeur de dix pièces d'or.
Lin Xuanzhi ne regarda même pas le billet et fit d'un ton léger :
« Cinq coupes d'alcool, cela fera mille pièces d'or en tout.
– Quoi ?! »
Le riche jeune maître en fut aussitôt abasourdi. Il se cura l'oreille et fit :
« Mille pièces d'or ? Tu es devenu fou à force de penser à l'argent ou quoi ?!
– Ha ha ha, ce ne sont que des coupes minables. Ça ne vaut pas plus de quelques clous mais ces deux-là veulent les vendre pour de l'or. Ils ont un problème au cerveau, ah !
– Cet homme a l'apparence d'un cultivateur mais en fait, c'est un abruti, » ajouta quelqu'un d'autre.
Quand le riche jeune maître entendit ces paroles, il plissa les yeux et examina le corps de Lin Xuanzhi. Bien qu'il ne pouvait pas voir son visage à cause du chapeau, il pouvait bien voir le corps de cet homme : des épaules larges et une taille fine, de longs cheveux d'un noir d'encre, il se tenait bien droit comme un pin et un cyprès, très gracieux, c'était sans conteste une beauté rare.
Quant à l'autre à côté de lui... tout rabougri, petit, des cheveux ébouriffés et encore un gamin, ce devait être un jeune serviteur.
Le riche jeune maître haussa un sourcil et déclara :
« Dis donc, enlève donc voir ton chapeau et laisse ce jeune maître te regarder. Si tu corresponds aux goûts de ce jeune maître, il n'est pas impossible que je te donne ces mille pièces d'or. »
Les gens autour éclatèrent de rire. Ce riche jeune maître voulait clairement s'amuser avec Lin Xuanzhi.
Yan Tianhen devint furieux.
« Achetez si vous voulez, n'achetez pas si vous ne voulez pas mais mon grand-frère n'est pas là pour vendre ses charmes. Si vous ne pouvez pas vous payer ces coupes, allez-vous-en, ne restez pas dans le chemin. »
Le riche jeune maître plissa les yeux et fit :
« Je suis en train de parler à ton maître, de quel droit tu te permets de parler ? Un serviteur comme toi est vraiment mal éduqué. »
Lin Xuanzhi prit alors la parole :
« À présent, même si tu m'en offres dix mille pièces d'or, je refuserai de te vendre ces coupes. Puisque personne d'entre vous n'est capable de reconnaître leur juste valeur, cela ne me gêne pas de ne pas les vendre aujourd'hui. »
Ceux qui osaient mal parler et regarder de haut Yan Tianhen, Lin Xuanzhi n'allait certainement pas les tolérer.
Sur ce, Lin Xuanzhi fit mine de ranger les cinq coupes d'alcool.
« Une minute, » fit le patron Feng.
Il s'avança et examina les coupes. Il demanda avec hésitation :
« Ces coupes, elles sont faites à partir de Calcédoine Spirituelle de Sang ? »
Lin Xuanzhi haussa légèrement les sourcils et étira les lèvres en un fin sourire sous son voile. Il se dit en lui-même : Finalement, il y a quand même un connaisseur dans le lot.
« C'est en effet de la Calcédoine Spirituelle de Sang, et le matériau de base est de haute qualité, » acquiesça-t'il.
L'intérêt du patron Feng fut titillé. Il prit une petite coupe et l'examina.
« Bien que la Calcédoine Spirituelle de Sang est commune, on en trouve en général de qualité inférieure ou moyenne. Avec une petite quantité de ce matériau de qualité haute, cette coupe peut effectivement se vendre pour une centaine de pièces d'or mais deux cents pièces d'or, c'est trop demandé. En plus, vos coupes sont de style assez basique sans même un ornement. Vous avez voulu utiliser l'alcool des mortels pour attirer les gens mais je crains fort que ça ne vous soit retombé dessus. »
Lin Xuanzhi répondit d'un ton léger :
« Votre Excellence, pourquoi ne pas verser un peu d'alcool et le goûter ? »
Le patron Feng fut quelque peu surpris.
« Pourquoi, est-il possible qu'il y ait un autre mystère dedans ? »
Yan Tianhen intervint :
« Vous pouvez en être sûr. Mon grand-frère n'irait pas utiliser de la liqueur de mortels juste pour attirer le public. Vous comprendrez une fois que vous aurez bu. Si vous ne les achetez pas, vous le regretterez. Si vous ne les achetez pas, vous vous ferez avoir. Si vous les achetez, vous voudrez encore les acheter ensuite ! »
Yan Tianhen savait si bien parler que le patron Feng faillit éclater de rire. Ce garçon, il a beau avoir la voix rauque et grossière, il ferait en fait un bon vendeur.
Quant à ce grand-frère à côté de lui qui n'est pas du tout dans son élément ici... S'il peut vraiment vendre sa marchandise, alors il aura déjà bien de la chance.
Le patron Feng en fut d'autant plus intrigué. Il souleva la jarre d'alcool et en versa dans la coupe à ras bord. Il était très doué pour verser de l'alcool. La coupe n'était pas plus grande qu'un abricot tandis que l'ouverture de la jarre était aussi grosse qu'un bol, et pourtant pas une goutte d'alcool ne fut renversée pendant les gestes du patron Feng.
L'homme prit la coupe et la plaça sous son nez pour humer.
Il trempa d'abord ses lèvres dedans puis soudain, il contempla l'alcool dans la coupe et la vida cul-sec.
Le patron Feng en resta sidéré. Ses yeux s'ouvrirent de plus en plus grand. Quand il eut fini toute la coupe, son corps tout entier était déjà figé.
« Alors, patron Feng ?
– Ça a quel goût ?
– Après avoir bu de l'alcool de mortel, se peut-il qu'il y a une réaction physique, hein ? »
Les badauds étaient très intéressés par cette situation et ils se hâtèrent de demander au patron Feng ses impressions.
Ce dernier lança un regard à Lin Xuanzhi. Il prit ensuite la jarre de liqueur et la porta directement à sa bouche.
Dès qu'il prit une grosse gorgée, le patron Feng la recracha aussitôt avec un pfff.
Lin Xuanzhi eut un léger sourire.
« Patron Feng, que pensez-vous du goût ? »
L'autre homme tenait la coupe et semblait réticent à s'en séparer.
Il ne put s'empêcher de demander :
« Il y a autre chose dans votre coupe d'alcool ?
– Bien entendu, il y a d'autres matériaux spéciaux mais c'est ma composition secrète, je ne peux pas vous la dévoiler. »
En fait ce n'étaient pas les matériaux qui étaient particuliers. Le plus important était sa technique d'Artisan.
Les objets fabriqués avec une technique et une composition différente étaient aussi différents que le ciel et la terre.
Notes du chapitre :
(1) C'est un prix exorbitant.
(2) Environ 500 g.
(3) La bonne qualité n'a pas besoin de publicité.
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