Le Prince Solitaire 7


Avertissements pour ce chapitre : Mention de pédophilie et de cannibalisme.

Je cumule dans ce chapitre 😅

Chapitre Sept : L'Ombre du Passé


Lyrel reprit ses habitudes au Chapitre de l'Ouest, ou presque. Conscient à présent de son nouveau statut et ayant pris l'habitude du respect dans l'autre Chapitre, Lyrel se comporta avec plus d'autorité. Il se mit à seconder Lucius dans le commandement du Chapitre et sa gestion. Cependant il insista pour rester à la chorale car il prenait plaisir à chanter et à jouer de l'orgue. Lucius venait souvent l'écouter d'ailleurs, ainsi que d'autres Templiers. Sa voix claire et pure semblait avoir le pouvoir de percer les cieux pour atteindre directement Dieu et Lui porter les prières de l'humanité. Quant à sa musique, elle était tout aussi expressive et captivait les auditeurs au plus profond de leur âme. Lyrel connaissait par cœur tous les morceaux religieux et s'était mis à la composition pour le plus grand plaisir des Templiers.

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Planning des mises à jour :
Samedi : Cent façons de tuer un prince charmant
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Le Prince Solitaire


Il n'était plus convenable pour le jeune homme d'occuper une simple cellule de novice. Cependant son statut à part rendait difficile le choix de son logement. Il ne pouvait être ni avec les Templiers, ni avec les prêtres, ni avec les moines... Il y avait bien les appartements pour les visiteurs de marque mais Lyrel refusa et déclara préférer encore sa petite cellule à une pièce luxueuse. Un tel désintérêt pour les biens matériels ne pouvait qu'être encouragé.

« Il n'y a jamais eu d'apprenti Archange ? s'enquit Lyrel auprès de Lucius alors que ce dernier réfléchissait à ce problème.

– Non, répondit le jeune homme blond. Mes frères et moi avons été élevés ensemble à la fonction d'Archange. Il ne restait que le poste d'Archange du Feu à remplir et tu es le premier à en avoir les aptitudes depuis longtemps.

– Depuis si longtemps ? » releva Lyrel.

Il avait encore en mémoire la réaction de Marius quand il avait supposé qu'ils avaient le même âge. Et Lucius était l'aîné de leur fratrie... Quel âge pouvait-il donc bien avoir ?

Malheureusement pour lui, Lucius était bien trop occupé à chercher un logement adéquat pour relever sa tentative d'obtenir des informations. Finalement il trancha et ordonna que l'on vide une pièce de ses appartements pour y installer une chambre. Elle serait spartiate, au goût de Lyrel. S'il y eut des spéculations au sujet de la localisation de la chambre, elles ne parvinrent pas aux oreilles du novice. Lyrel ne voyait que les avantages : les deux jeunes gens pouvaient ainsi discuter devant la cheminée tard le soir après l'office de Vigiles.


Pour Lucius les avantages étaient nombreux. Entre autres il pouvait embrasser l'autre jeune homme tous les soirs avant qu'ils ne se séparent pour dormir. Du coup il devenait de plus en plus difficile pour lui de retenir ses pulsions. L'innocence de Lyrel rendait cela à la fois plus facile et plus dur. l'Archange blond voulait qu'il conserve cette pureté et cette naïveté qui le rendait si charmant tout en le désirant justement à cause d'elles. Il n'avait plus pris d'amant depuis le retour de Lyrel. Pourtant ses favoris étaient là, n'attendant qu'un signe de sa part pour le servir, sauf qu'il n'éprouvait plus l'envie de coucher avec eux. Alors qu'approchait le moment où Lyrel allait de nouveau quitter le Chapitre pour suivre l'instruction de Gaïus cette fois, Lucius se débattait avec ses démons intérieurs afin de ne pas céder à la tentation, sous crainte de commettre l'irréparable.

~*~

Le rapport arriva en fin de journée après l'office de None. Les nouvelles étaient si inquiétantes que Lucius convoqua le sénéchal Karis, le frère Dunin et le frère Drapier Iolonne. Il leur exposa la situation :

« L'hérétique que nous recherchons depuis un an a été signalé près de Barmat. Cependant la troupe envoyée pour le capturer a été anéantie : aucun survivant.

–Ce n'étaient pas des Templiers mais des soldats du seigneur de Barmat, argua Karis en fronçant les sourcils. Ils n'étaient pas de taille contre lui.

– Ce n'est pas sûr, répliqua Lucius. D'après le rapport que Barmat nous a envoyé, les soldats ont été massacrés, pas juste tués. Les corps ont également été mutilés : notre hérétique leur a pris les yeux et la langue. »

Les Templiers se signèrent, même si ces horreurs ne les rebutaient guère à force.


« Il a pris de nouveau la fuite ? s'enquit le frère Dunin.

– Les routes sont sous haute surveillance, il semble être resté dans la forêt de Barmat. Nous devons donc agir vite. Cet hérétique a défié l'autorité de notre Sainte Mère l'Église depuis trop longtemps. Il doit être capturé et jugé pour ses crimes odieux, déclara Lucius.

–Alors envoyons nos troupes, suggéra le sénéchal. Frappons un grand coup pour la gloire de notre Seigneur !

– Vous avez raison. Frère Drapier, demanda Lucius, quand pouvons-nous partir ? »

Le responsable n'eut pas à réfléchir longtemps.

« Demain à l'aube, maître Lucius. Nous avons tout l'équipement nécessaire pour nos hommes.

– De combien d'homme disposons-nous au juste ? s'enquit Dunin.

– Quatre cent soixante-cinq Templiers. Si besoin nous pourrons enrôler des moines sur le chemin.

– Cela suffira, estima Lucius. Il faut impérativement que nous l'empêchions de s'enfuir de nouveau. »


Le frère Dunin suggéra alors :

« Et si nous emmenions aussi les novices plus âgés ? Cela serait une bonne occasion d'acquérir de l'expérience sur le terrain. »

Toutefois Lucius secoua la tête.

« Il ne s'agit pas d'un hérétique ordinaire. J'ai toutes les raisons de penser qu'il est extrêmement dangereux.

– Et le novice Lyrel ? demanda le sénéchal. En tant que futur Archange, il serait très utile.

– Surtout pas, il ne doit à aucun prix croiser le chemin de cet hérétique. »

Lucius semblait assez déterminé sur la question et ses subalternes n'insistèrent pas. Ils réglèrent plutôt tous les détails d'organisation.


Après la fin de la réunion, Lucius convoqua Lyrel pour l'informer.

« Je pars demain avec la totalité des Templiers. En mon absence c'est toi qui aura toute autorité sur le Chapitre. Je compte sur toi. »

Lyrel acquiesça avant de demander :

« Où tu vas ?

– Chasser un hérétique.

– Et je ne peux pas t'aider ? »

L'offre était sincère et Lucius s'en voulut un peu de garder des secrets. Cependant il agissait pour protéger le jeune homme.

« Le moment n'est pas encore venu, fit-il. Nous aurons assez l'occasion de pourchasser les hérétiques ensemble. Pour le moment je veux voir comment tu gères un Chapitre seul. »

Le jeune homme fronça les sourcils.

« Le Chapitre se gère seul, argua-t'il.

– C'est l'impression que cela donne mais en cas de problème, il faut quelqu'un pour le régler. Lyrel, n'insiste pas, je te prie. »

Face à cela, le novice ne put qu'obtempérer.


Lucius sourit et lui caressa la joue. Lyrel recouvrit sa main de la sienne.

« Il est dangereux, cet hérétique ? demanda-t'il. Sûrement puisque tu prends tous les Templiers avec toi.

– Tu t'inquiètes pour moi ? » le taquina l'Archange blond.

Lyrel hocha la tête avec sincérité et Lucius ne put s'empêcher de l'embrasser. Le jeune homme châtain avait grandi depuis son arrivée et Lucius devait quasiment se mettre sur la pointe des pieds et lui pencher la tête en avant pour atteindre ses lèvres mais cela ne le dérangeait pas. Il avait toujours aimé les hommes plus grands.

« Reste avec moi cette nuit, » murmura-t'il sans réfléchir, emporté par ses sentiments.

À sa grande surprise Lyrel acquiesça. Cependant avant qu'il n'ait pu réagir, le jeune homme précisa :

« Nous prierons ensemble pour la réussite de ta mission.

- Hum... oui, c'est ça, » accepta lâchement Lucius.

Il était partagé entre le soulagement et la déception.

~*~

Les troupes se rassemblèrent et partirent à l'aube, avant les matines. Vêtu de son armure noire ornée d'une croix blanche, Lucius monta à cheval devant Lyrel et le frère Drapier Iolonne. Les novices et les instructeurs qui ne partaient pas étaient rassemblés plus loin, observant les Templiers avec fierté et envie pour les plus jeunes.

« Je te confie le Chapitre, Lyrel, déclara Lucius en tirant sur les rênes de son cheval gris. Je t'enverrai régulièrement des messagers pour te tenir au courant de l'affaire. »

Lyrel acquiesça.

« Puisse Dieu armer ton bras pour Sa plus grand gloire, fit-il.

– Dieu sera avec nous car nous œuvrons pour Son Église, » répondit l'Archange.

Un cor donna le signal du départ et l'armée se mit en route avec la plus grande discipline, leurs capes noires flottant au vent. Dans le martellement assourdissant des sabot et des bottes de fer, les Templiers prirent la direction de l'Est.


Lorsque le silence revint, Lyrel se rendit compte que les regards étaient à présent braqués sur lui, attendant ses ordres. Il connut un moment de confusion avant de se reprendre : c'était à cela que Lucius le formait depuis des mois, après tout. Lyrel allait lui prouver qu'il était digne de ses attentes. Il déclara d'une voix forte et claire :

« Que tout le monde se prépare pour l'office des matines. Frère Kard, fit-il au prêtre qui allait officier, vous inclurez une prière pour nos frères partis combattre le mal au nom de notre Seigneur. Frères novices, si vous regrettez de ne pas faire partie de cette expédition, que cela vous motive dans vos apprentissage et qui sait, la prochaine fois vous les accompagnerez ! »

Les novices approuvèrent d'un cri vaillant, mais se turent bien vite sous le regard désapprobateur des instructeurs. Ils se dispersèrent, chacun vaquant à ses occupations. Comme l'avait dit Lyrel, le Chapitre se gérait seul au quotidien.

~*~

Le premier message arriva trois jours plus tard : les Templiers avaient gagné Barmat et débuté la traque de l'hérétique. Il n'y eut ensuite aucune nouvelle pendant quatre jours, ce qui n'inquiéta pas Lyrel outre-mesure. Avec autant d'hommes, Lucius ne risquait rien ! Et puis le jeune novice était suffisamment occupé avec la paperasse. Apparemment rien ne pouvait se passer au Chapitre sans l'approbation du Maître que ce soit le menu des repas, le contenu des sermons, les entraînements des novices... Lyrel commençait à comprendre pourquoi Lucius était toujours occupé ! Du coup il passait beaucoup de temps enfermé dans le bureau de l'Archange et l'air pur commençait à lui manquer.


Un après-midi après la Sexte, un moine vint le voir au bureau.

« Maître Lyrel, un homme s'est présenté au portail et demande l'hospitalité. »

Lyrel avait renoncé à corriger son titre car les moines semblaient avoir besoin d'appeler quelqu'un Maître. Il posa sa plume.

« Envoie-le au monastère de Tarlieu, suggéra-t'il. Ils accueillent les voyageurs.

– C'est que l'homme est blessé à la jambe, expliqua le jeune moine. Il ne peut pas marcher plus.

– Oh, dans ce cas amène-le au frère soigneur. Je viendrai prendre de ses nouvelles. »

La charité chrétienne les incitait à venir en aide à un blessé.


Lyrel remplit encore quelques documents avant de quitter le bureau pour aller voir le voyageur. La marche lui fit du bien même si l'hôpital n'était pas loin. Un frère soigneur s'inclina à son arrivée.

« Je viens voir le voyageur, fit Lyrel.

– Bien sûr, Maître Lyrel. Suivez-moi, je vous prie. »

Il le conduisit dans une cellule attenante. L'homme était allongé sur la paillasse, la jambe bandée. Il se redressa en entendant la porte s'ouvrir. Il avait les cheveux roux mi-longs, les yeux verts et semblait avoir la quarantaine. Son visage trahissait une lourde fatigue. Ses affaires étaient posés au pied du lit : un baluchon et des vêtements ordinaires.

« Bienvenu au Chapitre de l'Ouest, fit Lyrel en esquissant un sourire. Je me nomme Lyrel et je dirige actuellement cet endroit.

– Vous êtes Archange ? » demanda l'homme avec une pointe d'incrédulité.


Lyrel fronça les sourcils. La voix lui parut étrangement familière quoique si lointaine et vague. Il se reprit et précisa, soucieux de la vérité :

« Je ne suis que temporairement en charge.

– Pourtant vous allez devenir Archange, insista le voyageur. Sinon, on ne vous aurait pas donné cette responsabilité malgré votre jeunesse. »

C'était une conversation bien étrange et Lyrel changea de sujet :

« Puis-je connaître votre nom ? »

L'homme eut un sourire charmant.

« Bien sûr, je m'appelle Banien. Je vous remercie de m'avoir accueilli ici.

– C'est notre devoir de venir en aide aux gens dans le besoin. Vous êtes blessé à ce que je vois. Comment est-ce arrivé ?

– Oh j'ai glissé dans la forêt et je me suis ouvert la jambe. Une vilaine plaie qui me lance depuis des jours, mais votre soigneur a fait des merveilles !

– J'en suis ravi. D'où venez-vous comme ça ?

– De Barmat. Mais avant ça j'étais au duché de Prost. »


Lyrel écarquilla les yeux devant le nom familier qu'il ne s'était pas attendu à entendre. Sa réaction n'échappa pas à l'autre homme.

« Vous connaissez ? demanda-t'il.

– Je... je viens de là aussi, » admit Lyrel, quoique avec réticence.

Il n'aimait guère penser à cet endroit et à ce qui s'y était passé.

« C'est amusant, nota Banien, notre futur duc s'appelait aussi Lyrel. Vous êtes au courant du scandale, je suppose.

– J'en ai entendu parler comme tout le monde. Sinon je suis ravi de voir que vous allez bien. Vous êtes le bienvenu pour rester jusqu'à ce que votre jambe guérisse à condition que vous respectiez les règles de ce lieu. Si vous souhaitez assister aux offices, n'hésitez pas. »

L'homme étouffa un léger rire.

« Merci, je ne sais pas ce que j'aurais fait sans vous. »

Lyrel quitta la cellule avec une étrange impression de malaise.


Tandis qu'il longeait l'hôpital, il perçut un mouvement dans les ombres. Les voix murmurèrent à son oreille :

« Souviens-toi... »

Il ferma les yeux en se figeant. C'étaient les voix des diables, il ne devait pas y prêter attention. Cependant elles semblaient plus déterminées que jamais à se faire entendre.

« Souviens-toi ! »

Et des bribes de conversation lui revinrent d'un coup :

« Et Banien, le comte de Fanel, tu te souviens de lui ?

- Le comte de Fanel est toujours introuvable ?

- Il était présent lors du rituel satanique. C'est le seul survivant, à part toi. »

Les jambes de Lyrel se dérobèrent sous lui et il dut s'appuyer contre le mur, son cœur battant à tout rompre.

« C'est lui, comprit-il. C'est le comte de Fanel ! »

Mais pourquoi était-il venu ?

« Pour moi, songea Lyrel, pour voir si j'étais encore l'ancien Lyrel. »

Dans ce cas il avait eu sa réponse. Comment allait-il réagir ?

« Les autres sont en danger ! » se dit-il.


Il se ressaisit et se dirigea vers le champ d'entraînement où les novices s'exerçaient à cette heure. Les instructeurs le saluèrent à son arrivée mais il n'avait pas le temps pour cela.

« Frères, déclara-t'il, j'ai toutes les raisons de croire qu'un dangereux hérétique se trouve dans notre enceinte. »

Les moines pâlirent et voulurent poser des questions. Lyrel y coupa court d'un geste.

« Il s'est présenté comme un voyageur blessé et se trouve actuellement à l'hôpital. Nous devons le capturer sans lui laisser le temps d'agir.

– Mais Maître Lyrel, les soldats expérimentés sont tous partis avec Maître Lucius. Il ne reste que nous et les novices, objecta un des instructeurs.

– Nous devons faire avec, et notre Seigneur nous prêtera la force nécessaire. Armez les novices et postez-les autour de l'hôpital. Je vais donner l'ordre d'évacuer le bâtiment aussi discrètement que possible. Nous ne devons pas éveiller les soupçons de l'hérétique.

– À vos ordres ! »


Pendant que les instructeurs s'occupaient des novices, Lyrel se rendit au bâtiment principal et envoya des frères passer l'ordre de se rassembler dans la cour dans le plus grand silence. Il se posta ensuite en vue de l'hôpital, ayant revêtu son armure et avec son épée en main et son bouclier de l'autre. Pendant que l'évacuation avait lieu, il ne put s'empêcher de s'inquiéter grandement. Lucius lui avait confié le Chapitre et tous ses résidents, il devait les protéger ! Le frère Turdion, le doyen des instructeurs, se plaça derrière lui, également prêt au combat.

« N'est-il pas curieux qu'un hérétique nous attaque alors que nos Templiers sont partis en chasser un autre ? commenta-t'il à voix basse.

– Il s'agit du même hérétique, expliqua Lyrel. Il m'a dit qu'il venait de Barmat. Voilà pourquoi il sait que nous sommes vulnérables. »

Le frère tressaillit mais ne mit pas en doute la parole du jeune homme. Au lieu de ça il exprima une idée perturbante :

« S'il est ici, alors qu'est-il arrivé à Maître Lucius et nos frère ? »

Lyrel ferma les yeux un instant, n'osant s'imaginer le pire.

« Lucius, pria-t'il avec force, Dieu fasse que tu sois encore en vie ! »


Un autre instructeur, le frère Pald, vint les informer que tous étaient en position.

« Nous sommes prêts à attaquer à votre signal, Maître Lyrel. »

Le jeune homme hocha la tête. Il ne parvenait plus à réfléchir calmement à cause de sa soudaine inquiétude pour Lucius. Ce n'était pourtant pas le moment de perdre ses moyens ! Il inspira profondément et chercha à atteindre ce noyau de sérénité en lui. Il ne fit que l'effleurer, néanmoins cela suffit.

« Laissons-le sortir de lui-même, décida-t'il. Nous ne serons pas avantagés à l'intérieur. »

Les instructeurs acquiescèrent en échangeant des regards satisfaits : le jeune novice à qui ils enseignaient depuis plus d'un an était devenu un meneur d'hommes. Ils pouvaient être fiers d'eux.


Ils n'eurent pas à attendre bien longtemps. Sans doute alerté par le silence inhabituel, Banien finit par sortir de l'hôpital. Lyrel constata qu'il marchait sans difficulté et en déduisit que sa blessure n'avait été qu'un faux prétexte pour ne pas se faire éconduire à l'entrée. Quand l'homme roux vit le monde dans la cour, il eut un large sourire.

« Aaah, tous ces gens pour m'accueillir. Il ne fallait pas, Lyrel, voyons. »

Il se tourna directement vers le jeune homme sans avoir eu besoin de le chercher comme s'il connaissait exactement sa position. Lyrel avança de quelques pas. Ils étaient séparés par la centaine de mètres de la cour mais c'était comme s'ils se trouvaient l'un en face de l'autre.

« Tu t'es souvenu de moi en fin de compte, constata Banien d'un ton affectueux. Tu es devenu très bon menteur, j'ai vraiment cru que tu m'avais oublié, mon cher.

– Banien, comte de Fanel, fit Lyrel avec autorité, je te somme de te rendre. Tu répondras de tes actes hérétiques devant l'Église et que Dieu ait pitié de ton âme perdue ! »


Le comte eut une expression de stupeur presque comique puis il éclata de rire en penchant la tête en arrière.

« Ah non, tu as vraiment perdu la mémoire alors ! constata-t'il. Il m'avait prévenu que cela t'arriverait. »

Lyrel fronça les sourcils, la tête emplie de questions. Cet homme avait été présent lors du rituel satanique, c'était le seul encore en vie à savoir ce qui s'était passé. Lyrel mourait d'envie de lui poser des questions mais pourrait-il vraiment se fier à ses réponses ? En tout cas il fallait d'abord le capturer. Vu que l'hérétique n'était pas armé, cela de devrait pas poser de problème même avec des novices inexpérimentés.

« Méfiance, » chuchotèrent les diables dans l'ombre, mais il les ignora.


Sur son signal, le frère Pald s'approcha de l'hérétique avec une vingtaine de novices qui tenaient leur lance avec un peu de maladresse. L'instructeur, lui, ne tremblait pas.

« Hérétique, cracha-t'il, rends-toi sans résister et soumets-toi à la volonté divine ! »

Le comte eut un large sourire.

« Ton dieu n'a plus d'emprise sur moi, déclara-t'il d'un ton exalté.

Le mot cacophonique retentit dans l'air et Lyrel se couvrit les oreilles. Quelle horreur ! C'était la langue des démons mais prononcée de manière si déformée que cela en devenait guttural. Cela n'avait plus rien à voir avec les sons harmonieux et éclatants qu'il avait entendus ou prononcés. C'était...

« Abomination, » soufflèrent les diables.

Il acquiesça malgré lui.


L'effet de ce mot sur les moines les plus proches de Banien fut dévastateur : ils s'effondrèrent à terre en crachant du sang et avec de terribles râles d'agonie. Le comte éclata d'un rire cruel et ravi, comme un enfant qui se délectait d'un nouveau jouet.

« Lyrel, reprit-il dans leur langue, vois le pouvoir que j'ai obtenu grâce à la Cérémonie... grâce à toi ! Maintenant, à ton tour de me montrer ce que tu en as retiré ! »

Mais Lyrel était consterné par la mort des novices et du frère Pald. Tout était de sa faute ! Comment Lucius pourrait-il lui pardonner ? Il devait capturer cet hérétique pour faire pénitence.


« Reculez ! ordonna-t'il aux moines autour. Que plus personne ne l'approche !

– Maître Lyrel... commença à protester le frère Turdion.

– Il a été profondément marqué par le démon, fit le jeune homme. Vous n'avez aucune chance de le vaincre. »

Turdion se mordit les lèvres. Il ne pouvait guère arguer. Dans sa jeunesse il avait déjà pourchassé des hérétiques mais aucun n'avait montré un pouvoir aussi dévastateur que le comte de Fanel.

« Que Dieu vous vienne en aide, » fit-il au jeune homme.

Lyrel lui répondit par un faible sourire avant de s'avancer vers l'hérétique.


Ce dernier le laissa tranquillement approcher. Il se pencha seulement sur le cadavre le plus proche pour lui arracher la langue et sous les regards effarés, la mit dans sa bouche et la mâcha avec enthousiasme. Il l'avala au moment où Lyrel ne fut plus qu'à quelques pas de lui. Là il l'examina en détail et lui sourit avec une parodie d'affection.

« Tu as grandi, mon cher, constata-t'il. Je vois que l'Église s'occupe bien de son toutou !

–Qu'est-ce que tu veux ? demanda Lyrel en ignorant ses tentatives de provocation.

– Aah, ce que je veux... Je veux ce qui m'a été promis, répondit Banien avec un regard acéré. Il m'avait dit que tu serais mon chien, pas celui du Pape !

– Qui ça, il ? »

Le comte lâcha un rire bref. Ses mèches rousses se balancèrent au gré du vent.

« Tu as vraiment tout oublié, hein ? Je parle du démon que nous avons invoqué, bien sûr. C'est pour ça que nous avons organisé la Cérémonie après tout ! »

Lyrel s'assombrit. Ce nous confirmait ses pires craintes.


En le voyant perturbé, Banien eut un sourire rusé puis se rua vers les novices avec une vitesse surhumaine. Ses intentions ne laissaient aucun doute. Lyrel ne réfléchit pas et s'élança à son tour... pour se retrouver juste devant Banien. Un moment surpris par sa rapidité, l'hérétique roux lança de sa voix discordante :

Les ombres s'élevèrent soudain devant Lyrel pour le protéger de l'effet mortel du mot. Il profita de la stupeur de Banien pour l'entourer de flammes qui formèrent un dôme afin de le capturer. C'était Marius qui lui avait appris à modeler son élément comme il le faisait lui-même avec l'eau. Bien que cela demandait un effort supplémentaire de concentration, cela s'avérait très pratique. Le comte de Fanel éclata d'un rire dément à l'intérieur de sa prison.

« Fantastique, mon cher ! fit-il. Tu as vraiment été gâté par le démon... et même pourri, devrais-je dire ! J'adorerais poursuivre notre combat mais je dois remettre ça à une autre fois. Nous nous reverrons, cher Lyrel, sois-en sûr ! »


La voix s'éteignit d'un coup. Perplexe, Lyrel se risque à ouvrir le dôme et constata qu'il était vide.

« Comment a-t'il pu s'enfuir ? » songea-t'il.

C'était sûrement grâce à un des pouvoirs dont il avait hérité suite au rituel satanique. Lyrel éteignit complètement les flammes et expira longuement.

« Maître Lyrel ! l'appela Turdion qui courut à sa rencontre. Où est l'hérétique ?

–Il s'est échappé, avoua Lyrel. Je ne sais pas comment... »

Le jeune homme balaya la cour du regard.

« Il ne doit pas être loin, poursuivit-il. Ce n'est pas possible !

– Maître Lyrel, que faisons-nous ? »

La question le ramena à ses responsabilités. Il soupira en contemplant les corps des novices et de l'instructeur Pald.

« Nous allons les enterrer et célébrer une messe en leur honneur. Envoyez aussi deux messagers à Barmat pour contacter Lucius et l'informer de notre situation. Que des novices se postent aux entrées afin de les garder : plus personne n'entre ou ne sort tant que nos frères Templiers ne seront pas de retour.

– À vos ordres ! » fit Turdion.


Pendant que le moine allait transmettre les ordres, Lyrel se rendit sur les remparts et examina la plaine qui entourait le Chapitre avec la forêt au loin. Il ne trouva aucune trace de Banien. Il n'avait pas pu aller bien loin pourtant, Lyrel en était persuadé. Les ombres clapotèrent à ses pieds.

« Nous pouvons t'aider à le retrouver, » firent-elles, enjôleuses.

Lyrel les fixa avec méfiance. Contre tout bon sens, il répondit :

« Pourquoi ?

C'est une Abomination. Il doit être détruit. »

Cela le laissa perplexe. Ainsi, même les diables avaient des abominations ? Il se reconcentra plutôt sur leur offre. Oserait-il l'accepter au risque que ce soit un piège ? Les ombres se turent sagement, le laissant tergiverser.

« Oui, » accepta-t'il.

Il sentit leur triomphe et regretta aussitôt sa décision. Cependant il était trop tard pour reculer. Banien était bien trop dangereux et Lyrel devait l'arrêter à tout prix, même au péril de son âme.

~*~

Les novices en poste à l'entrée protestèrent en le voyant sortir à cheval. Après tout les ordres étaient de ne laisser personne sortir. Il leur imposa le silence.

« Le frère Turdion est en charge du Chapitre jusqu'à mon retour ou celui de Lucius, » leur déclara-t'il.

Puis il lança sa monture au galop. Il avait revêtu la cape noire des Templiers par-dessus sa tunique grise de novice mais n'avait pris aucune arme. Contre Banien cela n'aurait servi à rien.

« Par ici, » firent les Diables à son oreille.

Il serra les dents tout en suivant les instructions. Il se retrouva dans la forêt et s'y enfonça.

« Tout près, » l'avertirent les ombres.

Il descendit de cheval et attacha les rênes à une branche. Il s'avança sans un bruit et entendit le murmure d'un ruisseau. Lorsqu'il fut assez proche, il put constater que le comte de Fanel était bien là.


Lyrel l'aperçut assis sur un rocher au bord de l'eau. Il avait ouvert son balluchon qui contenait de la viande... non, des langues encore fraîches ainsi que des yeux. L'homme roux les sélectionnait avec soin avant de les manger goulûment.

« J'ai dépensé trop d'énergie, » marmonnait-il.

Lyrel essaya de s'approcher discrètement mais une pierre roula sous ses pieds et dévala la pente douce pour tomber dans l'eau. Cela attira aussitôt l'attention de Banien, néanmoins il eut un large sourire en voyant le jeune homme.

« Lyrel, je te manquais déjà ?

– Je suis venu pour t'arrêter, Banien !

– Ah, tu es du genre obstiné, toi. Tu n'étais pas comme ça avant. Au fait, est-ce vraiment tout ce que tu veux ? »


Comme le jeune homme plissait les yeux, le comte poursuivit :

« Tu ne veux pas savoir ce qui s'est passé à la Cérémonie ? Ce que tu es devenu et comment tu l'es devenu ?

– Pourquoi je croirais tes paroles ? » objecta Lyrel.

Le comte écarta les bras.

« À toi de juger si ce que je dirai est vrai ou pas. En tout cas cela ne coûte rien d'essayer, pas vrai ? »

Vu que Lyrel restait immobile et ne faisait pas mine de l'attaquer, le comte prit cela pour un oui. Il mit d'autres langues et yeux dans sa bouche, puis se lança :

« Il faut pour cela commencer par la première fois où nous nous sommes rencontrés. Tu avais dix ans et...

– Pas moi, l'interrompit le jeune homme. Je ne suis pas ce Lyrel ! »

L'homme roux lui jeta un regard évaluateur avant d'acquiescer.


Il reprit :

« Lyrel avait dix ans et il venait de perdre son père. Il cherchait un remplaçant auprès de moi mais je lui ai montré la seule chose que j'attendais d'un enfant. Il a quitté ma chambre en pleurant, le pauvre petit, pourtant il est revenu une semaine après. À force il a fini par aimer ça — en tout cas il avait cessé de pleurer au bout de quelques sessions. Sa mère était une vraie salope frigide et il la soupçonnait d'avoir empoisonné son père afin de s'emparer du pouvoir. Il avait peur qu'elle fasse de même avec lui une fois qu'il aurait l'âge de diriger le duché. Alors il voulait être puissant, très puissant. Je l'ai initié aux arts occultes et avec son aide, nous avons pratiqué de nombreuses cérémonies et sacrifié beaucoup de gens, sans résultat. Cependant lors de notre dernière cérémonie, un vrai démon est apparu devant nous ! Il nous a promis le pouvoir... et nous l'avons eu ! »

Lyrel eut du mal à accepter cela. L'ancien Lyrel était donc corrompu par le mal et ce bien avant lui ? Ce n'était pas possible.


« Que s'est-il passé exactement pendant la Cérémonie ? » demanda-t'il.

Banien fit la grimace.

« Le démon avait un bébé avec lui. Il a dit qu'il allait nous donner les pouvoirs de ce petit. Je t'ai fait essayer en premier, je n'avais pas confiance, et le démon a lancé une incantation que je n'ai pas comprise. Et là... les ombres nous ont attaqués. Je ne sais pas comment cela s'est fait mais elles ont décapité le démon. Moi, j'ai saisi sa tête et je me suis enfui.

– La tête du démon ? s'étonna Lyrel. Pourquoi tu l'as prise ?

– Pour voir ce que cela donnerait quand je la mangerais. Et ça m'a apporté ces pouvoirs. »

Lyrel se rembrunit en songeant aux novices morts après juste un mot de la part de l'hérétique. C'était réellement un pouvoir terrifiant.


Banien poursuivit son récit :

« L'Église me cherchait partout alors je suis resté caché un moment tout en gardant un œil sur toi. Quand j'ai entendu que la vieille peau t'avait fait envoyer à la Géhenne, je me suis dit que tu avais également obtenu les pouvoirs promis par le démon. Mais le temps que j'y aille, tu étais déjà partis avec ces culs-bénits. Pff, ils doivent être désespérés pour accepter quelqu'un comme toi dans leurs rangs. »

Lyrel ignora le rire moqueur de l'hérétique et poursuivit ses questions :

« À quoi ressemblait le démon ?

– Il était très beau, évidemment ! Je me le serais bien fait même une fois qu'il était mort. Dommage que je n'ai pu prendre que sa tête...

– Décris-le moi.

– Il avait les cheveux blonds comme l'or et longs comme une femme. Ses yeux étaient également dorés. Quant à son visage, il ressemblait vraiment à un ange déchu.

– Comment tu as compris ce qu'il disait ? Il ne parlait pas dans la langue des démons ?

– Il parlait notre langue, quelques mots en tout cas. Mais ça avait vraiment l'air de lui arracher la gueule ! »

Banien éclata de rire à ce souvenir, avant de reprendre une ration de langues et d'yeux.


Lyrel le fixa avec curiosité, loin de ressentir du dégoût.

« Pourquoi tu manges ça ?

– J'ai découvert que cela renforçait mes pouvoirs. Et puis, c'est très bon ! Tu veux goûter ? »

Lyrel secoua la tête, ce qui fit rire de nouveau le comte de Fanel. Il finit son repas et referma son balluchon.

« Ça y est, mon cher, j'ai satisfait ta curiosité ?

– Je ne suis toujours pas sûr de te croire, tempéra le jeune homme.

– Allons, je n'ai aucune raison de te mentir. Nous allons reprendre notre association, qui plus est. »

Il s'était exprimé avec tant d'assurance que Lyrel plissa le front.

« Pourquoi je te suivrais ?

– Parce que sinon je reviendrai tuer le reste de tes petits protégés. Je leur arracherai la langue et les yeux alors qu'ils seront encore vivants, et ils pourront maudire ton nom dans leur dernier souffle. »


Le regard de Banien s'illumina d'une lueur mauvaise.

« Et aussi parce que même si tu l'as oublié, tu es à moi depuis sept ans et il est hors de question que je te laisse partir, surtout maintenant que tu as ces si jolis pouvoirs. À nous deux nous allons conquérir le monde ! Si tu veux, nous commencerons par ta pétasse de mère. Et ensuite je pourrai enfin goûter à ta petite-sœur qui est si mignonne, vu que tu avais toujours refusé de me la ramener.

– Tu penses que je vais te laisser faire ? »

Le comte éclata d’un rire mauvais.

« Un archange et son armée de Templiers n’ont pas su m’arrêter alors que comptes-tu faire seul ? »

Les ombres s’agitèrent soudain et Lyrel sentit son pouvoir s’aviver.

« Je ne suis pas seul, » fit-il

L’expression de Banien se figea en une grimace perplexe mais devint un masque d’horreur en remarquant le mouvement des ombres.

« Nom de Dieu, jura-t’il, ça recommence ! »


Lyrel sentit les ombres surgir à travers lui pour se ruer sur Banien. L’homme poussa un cri de terreur.

Mais les mots n’eurent aucun effet sur les Diables qui s’emparèrent de lui, l’enfermant dans une sphère de ténèbres mouvantes.

« Non, gémit le comte en cherchant à s’en extirper. NON ! »

Il fut complètement englouti et le son de sa voix mourut. Lyrel chancela, vidé de ses forces, et les ombres se retirèrent brusquement. Le corps du comte retomba à terre avec un bruit sec. Ses membres étaient compressés et tordus dans des angles anormaux, du sang maculait ses vêtements mais le pire était l’expression de terreur sur son visage : il n’était pas mort paisiblement. Lyrel tomba à genoux et reprit difficilement son souffle. Il se sentait sale et faible et terriblement loin de la lumière.

« Lucius, » gémit-il en se recroquevillant sur lui-même.

Il sombra ainsi dans l’inconscience.


Notes de Karura : L'histoire de l'ancien Lyrel est dévoilée. Ce n'est pas pour rien qu'il s'est tourné vers les arts occultes.






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