Le Prince Solitaire 9

Chapitre Neuf : Le Pape


N’ayant aucun souvenir de son passé, Lyrel était incapable de dire qu’il avait déjà vu une ville aussi somptueuse que Rome, qui abritait le Vatican en son centre. Il se disait cependant que c’était peu probable. Le jeune homme ouvrait de grands yeux émerveillés en regardant par la fenêtre du carrosse de Gaïus. Ce dernier souriait devant la stupeur candide du jeune homme.

« C’est magnifique, fit Lyrel.

– C’est la Cité de Dieu, répondit Gaïus. C’est également ici que vit son représentant sur Terre.

- Le Pape, votre père. »

Lyrel n’abordait toujours ce sujet qu’avec beaucoup de précautions, de crainte de commettre un impair.


« Adoptif, rectifia Gaïus. Un prêtre fait le vœu de chasteté après tout.

– Dire que les trois enfants qu’il a adoptés sont devenus Archanges. Quelle coïncidence… »

Le sourire de Gaïus se ternit un peu. Il n’avait aucun doute sur l’intelligence de Lyrel car ils ne voulaient pas d’un Archange stupide après tout. Cependant cette intelligence risquait de le mener à des conclusions embarrassantes. D’un commun accord, les trois frères avaient décidé que c’était à Lucius de choisir les secrets qui seraient révélés à leur nouveau frère. Pour le moment Lyrel n’était pas au courant de leur passé et des intentions du Pape. Cela ne voulait pas dire qu’il n’allait pas se douter de quelque chose.

« … C’est sûrement la volonté de Dieu, conclut Lyrel.

– Oui c’est ça, la volonté divine. »

Gaïus n’insista pas sur le sujet et Lyrel se replongea dans la contemplation des merveilles de Rome.


Entouré d’une escorte, le carrosse parcourut les allées pavées entre les riches maisons et les échoppes animées. Sur leur passage certains reconnurent l’écusson des Templiers et se signèrent. La crainte se mêlait à l’admiration. Le carrosse arriva finalement dans l’enceinte du Vatican. Les deux passagers furent reçus par une délégation de pontifes et de cardinaux qui s’inclinèrent bien bas devant Gaïus et un peu moins devant Lyrel : ce dernier n’était pas encore Archange après tout. Ils furent conduits à l’intérieur du Vatican qui se composait d’un immense palais, d’une grande chapelle et de bâtiments annexes pour l’administration. Face au luxe du palais, Lyrel se rembrunit. Il était très peu matérialiste et estimait qu’une telle opulence ne seyait guère au représentant de Dieu qui aurait dû prôner les vertus du Christ comme l’humilité. Cependant il savait qu’il ne connaissait pas grand-chose du monde et se dit qu’il n’avait pas à porter de tels jugements.


Marius et Lucius les attendaient dans un petit salon. Lucius se leva dès qu’il aperçut le futur Archange, son visage s’illuminant de joie. Marius eut un reniflement de dérision en voyant cela.

« Bonjour Lucius, Marius, les salua Lyrel. Vous avez fait bon voyage ?

– Ç’a été, répondit Marius. Et toi gamin, prêt pour le grand jour ? Pas trop nerveux ?

– Nerveux ? Pourquoi ? » fit Lyrel avec perplexité.

Lucius donna un coup de coude à son jeune frère.

« Ne commence pas à lui mettre des idées en tête, le gronda-t’il.

– Bah, arrête de le couver ! » répliqua ce dernier en souriant.

Lucius secoua la tête en soupirant puis s’avança vers Lyrel. Il fronça vite les sourcils.

« Dis, tu as grandi, non ? Gaïus, qu’est-ce que tu lui as fait ? »


L’Archange de la Terre leva les mains pour assurer de son innocence.

« Moi ? Je n’ai rien fait, il a grandi tout seul ! »

Lyrel dépassait à présent Gaïus même si ce n’était que de quelques centimètres. Cela faisait désormais de lui le plus grand des quatre. Marius lui arrivait au torse et Lucius à l’épaule, ce qui avait l’air de lui déplaire fortement. Marius lui tapota l’épaule.

« Les enfants grandissent si vite, ironisa-t’il. Tu tournes le dos cinq minutes et pff, ils ont poussé de trente centimètres ! »

Ce n’était pas seulement que Lyrel avait grandi, il avait aussi perdu son visage d’adolescent pour commencer à prendre ses traits d’homme. Ses cheveux châtain coupés courts avaient foncé et ses yeux avaient pâli vers le vert clair. Sa carrure s’était également renforcée, il n’avait plus l’air efflanqué comme à son arrivée. Un splendide futur Archange, en vérité.


Un moine arriva sur ce et annonça que le Saint Père allait s’entretenir avec Lyrel en privé. Les trois Archanges lui adressèrent des sourires d’encouragement et Lyrel fut conduit dans les longs couloirs du palais. Il ne ressentait aucune nervosité, seulement de la curiosité à l’idée de rencontrer enfin le père de Lucius, Marius et Gaïus. Aucun des trois n’avait évoqué leur enfance sauf en de brèves occasions. Lyrel savait juste que leur adoption par le Pape devait rester secrète — et un secret n’était pas comme un mensonge, donc ce n’était pas un péché. À part cela, il n’en savait pas plus sur l’homme à la tête de l’Église, le plus proche de Dieu sur Terre, le Saint Père. Il éprouvait par conséquent de l’impatience à l’idée de le rencontrer.


Le moine le laissa à l’entrée de la chapelle privée du Pape. Lyrel s’avança dans l’allée, les yeux attirés par les magnifiques fresques murales qui se poursuivaient même jusqu’au plafond. Il pouvait voir des anges louer le Seigneur entre deux nuages, les hommes qui se prosternaient devant la chaleur bienveillante de Dieu, toutes les créatures en paix et en félicité… puis du coin de l’œil, il repéra une ombre dans un recoin du mur, un visage de démon qui exprimait la malveillance à l’état pur. Lyrel s’arrêta en le voyant et fronça les sourcils. Une voix grave s’éleva derrière lui :

« Un rappel que parmi la magnifique Création de notre Seigneur se trouvent des créatures maléfiques. Nous ne devons jamais relâcher notre vigilance. Il est aisé de se perdre dans la contemplation des merveilles et de manquer l’obscurité tapie. Un serviteur de Dieu doit pouvoir repérer le mal où qu’il soit. »


Lyrel se retourna et vit un homme vêtu d’une riche robe pourpre. Il était âgé d’environ soixante-dix ans, les cheveux blancs, cependant il ne donnait aucune impression de fragilité ou de vieillesse. Ses traits acérés rehaussaient son air impérieux avec toutefois une certaine bienveillance. Lyrel devinait que cet homme pouvait se montrer féroce et implacable lorsque les circonstances l’exigeaient. Il arrivait à l’épaule du jeune homme et dégageait une aura impressionnante, renforcée par ses yeux bleu acier. Se souvenant du protocole, Lyrel mit un genou à terre et baissa la tête.

« Très Saint Père, » fit-il respectueusement.

Le pape lui tendit sa main ornée de l’anneau papal et Lyrel posa brièvement ses lèvres dessus.

« Tu peux te relever, mon garçon, » fit ensuite le Saint Père avec un sourire amical.


Lyrel se releva et subit l’examen minutieux sans rien dire. Le Pape finit par hocher la tête.

« Il est bon de pouvoir enfin mettre un visage sur ton nom, commenta-t’il. Mon fils Lucius se montre si élogieux à ton propos que j’étais impatient de constater ta valeur de mes propres yeux. Et je dois dire qu’il ne s’est pas trompé.

– Merci, Saint Père, » fit Lyrel d’un ton poli, ne sachant que répondre.

Le vieil homme eut un léger rire.

« Marchons un peu, » suggéra-t’il.

Lyrel lui emboîta le pas, un peu en retrait. Lucius l’avait bien formé sur le protocole.

« Dis-moi, mon fils, reprit le Saint Père, quelles sont tes motivations pour devenir Archange ?

– Je souhaite accomplir la volonté de Dieu, répondit franchement Lyrel.

– Mais il existe de nombreuses façons de servir notre Seigneur, argua le Pape. Pourquoi cette voie en particulier ? »


En voyant Lyrel troublé, il se méprit sur ses raisons.

« N’aie pas peur, mon enfant, Lucius m’a informé de toute ton histoire. Tu ne dois pas craindre de dire la vérité en ma présence.

– Ce n’est pas cela, Saint Père, le détrompa Lyrel, mais je dois avouer que c’est Lucius qui m’a lancé sur cette voie. Je n’ai pas questionné son jugement et je me suis appliqué dans mon apprentissage afin de ne pas décevoir la confiance qu’il a placée en moi.

– Ah, alors tu fais tout cela pour plaire à mon fils.

– Au début oui, reconnut Lyrel, mais ensuite j’ai eu le sentiment que c’était ma raison d’être. Tout ce qui m’est arrivé, les pouvoirs que j’ai obtenus suite à cette horrible cérémonie, si je pouvais les mettre au service de Dieu alors ce serait la meilleur façon d’expier mes péchés. »

Son ton était interrogateur sur la fin comme s’il quémandait l’approbation du Pape. Ce dernier ne se prononça pas dans l’immédiat.


« Le rituel que tu mentionnes est un acte démoniaque, déclara-t’il après une pause. Tu as du sang d’innocents sur les mains, ton corps a été souillé et ton âme est quasiment perdue. Pourtant tu cherches la rédemption ? Ne serait-il pas plus facile pour toi de succomber aux ténèbres qui t’habitent et de répandre le mal ? »

Lyrel frissonna en songeant aux Diables qui voulaient sans cesse l’attirer vers le mal.

« Ce n’est pas ma voie, » répondit-il d’un ton résolu.

Le Pape s’arrêta pour l’observer un moment. Ils avaient longé un vaste couloir et se retrouvaient près de grandes fenêtres qui donnaient sur une cour intérieure. Le soleil resplendissait dehors.

« Tu as confirmé ta voie en exterminant l’hérétique qui t’a formé aux arts diaboliques, déclara finalement le Saint Père. À mon avis, c’est justement parce que tu as côtoyé les ténèbres et que tu connais leur pouvoir destructeur mieux que quiconque que tu en seras d’autant plus acharné à détruire les démons. Tu vas faire un excellent Archange aux côtés de mes fils. »


Lyrel s’inclina devant la reconnaissance. Toutefois, son visage franc exprimait un doute que perçut aussitôt l’autre homme.

« Oui, qu’y a-t’il ?

– Saint Père, vous parlez des démons mais jusqu’à maintenant je n’ai rencontré que des hommes mauvais. Je ne saurai dire si les démons existent vraiment ou bien s’il s’agit seulement d’une projection de notre pire nature. »

Lucius lui avait dit que selon lui, le Diable représentait le mal qui était en chacun. En était-il de même pour les démons ?

« Tu ne crois donc pas aux démons ? demanda le Pape en étirant ses lèvres en un fin sourire, comme s’il savourait une bonne plaisanterie.

– Je crois aux Diables, répondit-il sincèrement. Je crois au mal tapi dans nos cœurs. J’ai vu bien des monstres à la Géhenne mais je garde des doutes sur les démons.

– Pourtant tu parles leur langue.

– Ce que nous appelons la langue des démons est-elle vraiment le langage de ces créatures? »


Le Pape éclata de rire.

« Ah, Lucius n’avait pas tort : sous tes airs innocents et naïfs, tu caches un esprit vif. J’aime ça ! Suis-moi donc, jeune sceptique. Je vais mettre fin à tes doutes.

Le Pape reprit une autre direction d’un pas rapide et Lyrel le suivit avec perplexité. Ils descendirent plusieurs niveaux, croisant des cardinaux et serviteurs qui s’inclinèrent sur leur passage, chuchotant derrière eux. Ils arrivèrent dans une vaste bibliothèque où les livres se comptaient par milliers. Ce n’était cependant pas la destination du Saint Père qui poursuivit jusqu’à une grille en fer. Un prêtre au visage recouvert d’une capuche apparut et s’inclina en silence devant le Pape.

« Ouvre-nous, frère Portier, » ordonna le Pape.

Le moine prit une lourde clef qui pendait à sa ceinture et ouvrit la grille dans un grincement qui retentit dans la bibliothèque silencieuse et déserte.


Le Pape indiqua à Lyrel de prendre une torche accrochée à l’entrée puis de le suivre.

« Peu de gens sont autorisés à descendre ici, expliqua le Saint Père. Mais je sais que tu te montreras digne de cet honneur. »

Un tunnel étroit et court les mena dans une salle très sombre. La torche que tenait Lyrel n’éclairait pas plus loin qu’un mètre autour d’eux. Le Pape se tourna vers lui avec un sourire calculateur.

« C’est le moment pour toi de me montrer tes pouvoirs. Allume les torches de la pièce. »

Lyrel se concentra brièvement et les flammes de sa torche s’éparpillèrent telles des gouttes d’eau. Les autres torches accrochées tout autour de la salle s’enflammèrent d’un coup. Le Pape eut un sourire satisfait.

« Tu sais réellement manipuler le feu, » commenta-t’il à voix basse.


Lyrel ne lui prêta qu’une oreille distraite car l’endroit révéla ses secrets à la lumière des torches. Il vit des rangées d’étagères qui contenaient des bocaux de diverses tailles ainsi que des parchemins. Le Saint Père fit signe à Lyrel qu’il pouvait s’approcher et le jeune homme put distinguer des parties de corps humains et autres organes : des mains, des pieds, des cœurs, des reins, des yeux… Il fronça les sourcils devant ces derniers. Malgré le liquide ambré dans lequel ils flottaient, les couleurs vives ressortaient… et ce n’était pas des couleurs naturelles : violet, rose, rouge, orange, vert vif, bleu profond, gris argenté… Lyrel retint son souffle en comprenant qu’il ne s’agissait pas d’yeux humains. Mais alors…

« Tout ceci a été récupéré sur des démons au cours de ces quarante dernières années, expliqua le Pape.

– Pourquoi les conserver ? » s’enquit Lyrel.

Ce genre de pratique frôlait le satanisme. Cependant il s’abstint de juger hâtivement. Après tout le Pape était le représentant de Dieu sur Terre, il ne pouvait pas être maléfique !


Le Pape eut un léger rire.

« Pour mieux combattre l’ennemi, il faut le comprendre et l’étudier. J’ai voué ma vie à l’éradication des démons et je ne reculerai devant rien pour éliminer cette engeance ! »

Le regard de Lyrel fut attiré par un reflet. Il s’éloigna des étagères et s’arrêta devant une large peinture accrochée au mur : un ange ailé se tenait devant lui, ses longs cheveux blonds voletant autour de lui, ses yeux dorés mi-clos le contemplant avec une froide indifférence. Lyrel se figea. Derrière lui le Saint Père expliqua :

« C’est un ange, le messager de notre Seigneur.

– C’est vous qui l’avez peint ? »

Le Saint Père hocha la tête.

« C’est un de mes modestes talents.

– Pourquoi avoir représenté un ange de cette manière ?

– Je le vois parfois dans mes rêves, répondit l’autre homme en lui lançant un regard inquisiteur. C’est par son intermédiaire que Dieu s’adresse à moi.

– Vous l’avez vu ? Et comment savez-vous que c’est bien un ange ? »


Cela provoqua un autre rire de la part du souverain pontife.

« Tu doutes des démons et maintenant tu doutes des anges ? Prends garde jeune sceptique, un jour ou l’autre tu vas finir par douter de l’existence de Dieu.

– Jamais ! s’écria Lyrel de tout son cœur. Je n’oserai jamais un tel blasphème !

– Je te crois, mon garçon. Il est bon de douter mais certaines choses ne peuvent être remises en cause. Je viens de te prouver que les démons existent bel et bien, alors crois-moi quand je te dis que les anges aussi. »

Lyrel inclina la tête et n’argua plus. Cependant le doute avait pris racine en lui.

« Je souhaite t’entendre parler la langue des démons, » demanda soudain le Pape.

Le jeune homme le fixa d’un air interdit.

« En ces lieux saints ? se récria-t’il.

– Crois-tu que Dieu soit si faible ? le réprimanda le Saint Père. Cet endroit est justement le plus sacré en ce monde et ne risque aucune souillure, alors parle sans crainte. »


Un peu mal à l’aise malgré tout, Lyrel se risqua :

« Je vous crois. »

Sa voix résonna dans la pièce alors qu’il avait à peine murmuré. D’un œil alerte, il guetta les ombres dans tous les sens mais ne perçut pas la présence des Diables à son grand soulagement. L’endroit devait être réellement sacré pour qu’ils n’osent pas se manifester.

Lyrel sursauta en entendant ces mots sortir de la bouche même du Pape. Ce n’était pas une affreuse cacophonie comme avec Banien mais ce n’était pas non plus le son riche et coloré des Archanges. Les mots étaient… ternes et creux. Pourtant le Pape affichait un sourire satisfait.

« Grâce à mes fils, expliqua-t’il, je connais quelques mots. Je ne perds jamais une occasion de m’exercer. »


Lyrel en oublia tout respect et l’admonesta :

« C’est dangereux de parler cette langue ! Banien s’en servait pour faire le mal et tuer des gens.

– Une arme est toujours à double tranchant, jeune Lyrel, répondit calmement le Saint Père. Crois-tu que je cherche à faire le mal ?

– Non mais… quand on s’approche trop près du mal, on met son âme en péril.

– Je suis prêt à prendre ce risque afin d’accomplir la volonté de Dieu, affirma le Pape avec une lueur dans ses yeux bleus acier. Pour éliminer les démons, il faut savoir se mettre en danger et faire ce qui doit être fait quel qu’en soit le prix ! Si tu n’es pas prêt à sacrifier tout ce que tu as et tout ce que tu es, alors tu n’es pas digne d’être un Archange ! »

La voix tonna dans la pièce. Lyrel baissa la tête.

« Saint Père, mon âme est déjà perdue et je ne possède rien. Alors je préfère me sacrifier plutôt qu’une âme pure ait à le faire. »

L’autre homme l’étudia un moment puis sourit de nouveau.

« Voilà une réponse digne d’un Archange, mon fils. »


Satisfait, le Pape les fit quitter la pièce secrète et remonter à l’étage principal jusqu’au petit salon où attendaient les Archanges. Les trois frères s’inclinèrent devant le Saint Père et baisèrent tour à tour son anneau. Puis le Pape les prit chacun dans ses bras avec un sourire de fierté. Il s’adressa particulièrement à Lucius :

« Mon fils, je suis très content de toi. Ce jeune homme que tu as trouvé est une vraie merveille. J’approuve votre choix à tous les trois. Lyrel va devenir le quatrième Archange. »

Lucius eut un sourire en demi-teinte tandis que ses frères manifestaient leur joie plus ouvertement.

« La Nomination aura lieu dans deux jours. Louons le Seigneur pour nous avoir envoyé ce jeune homme ! » conclut le Saint Père.

~*~

Le jour de la Cérémonie, après une nuit consacrée à la prière et au jeûne, Lyrel revêtit une magnifique armure noire ornée d’une croix orange : le symbole de l’Archange du Feu. Il fut conduit dans la grande Chapelle qui était encore plus magnifique que la chapelle privée du Pape. Une foule de pontifes, archevêques, cardinaux, prêtres étaient venus assister à la nomination du dernier Archange. En remontant l’allée sous les chants des chœurs sacrés et d’un orgue au son pur et cristallin, Lyrel pouvait sentir tous les regards braqués sur lui. Les autres Archanges l’attendaient près de l’autel, eux aussi vêtus d’une armure d’apparat. Lucius lui indiqua de s’agenouiller sur le petit coussin rouge prévu à cet effet. Le Pape sortit de la sacristie précédé d’enfants de chœur qui agitaient des encensoirs odorants. Le chant redoubla d’intensité puis se tut brusquement, les sons se propageant encore un peu dans l’air avant de mourir complètement. Le silence se fit, hormis des toussotements et des piétinements nerveux.


La voix puissante du Saint Père s’éleva :

« Cet homme qui se tient devant nous a été choisi par notre Seigneur pour devenir son Archange sur Terre, rejoignant ses trois frères qu’Il nous a déjà envoyés. Je reconnais la marque de Dieu sur lui et me soumets à Sa volonté. À compter de ce jour cet homme sera connu comme Ignatius, Archange du Feu et fervent serviteur de notre Père à tous. Gloire à Dieu ! »

L’assemblée reprit ces deniers mots. Le Pape prit alors l’épée tendue par l’un des enfants de chœur et fit le signe de la croix en la posant d’abord sur la tête de Lyrel, son ventre puis ses épaules.

« In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, béni soit Ignatius. Il combattra Tes ennemis et accomplira Ta volonté sur cette Terre, Seigneur ! »


Selon le rituel, Lyrel fit à son tour :

« Seigneur, j’espère me montrer digne de Toi. En devenant Ignatius, je renonce à celui que j’étais avant pour me consacrer à Ton œuvre. Entends mes vœux sacrés : à compter de ce jour je fais vœu de chasteté, d’honnêteté et je protégerai les faibles et les innocents. Accorde-moi la force de faire face à Tes ennemis. Seigneur, entends ma prière ! »

La foule renchérit et le chant reprit de plus belle. Le Pape fit relever Lyrel et l’embrassa sur le front. Ce dernier s’inclina et baisa l’anneau papal. Puis les Archanges accueillirent leur nouveau frère en l’embrassant sur le front à leur tour, Lucius en dernier. Le regard qu’il lança à Lyrel était rempli de fierté mais aussi de tristesse. Le jeune homme lui adressa un sourire réconfortant et posa sa main sur celle qui lui tenait l’épaule. Les quatre Archanges remontèrent ensuite l’allée sous les vivats de l’assemblée. C’était un jour glorieux que Lyrel n’oublierait jamais. Il avait enfin trouvé sa place en ce monde, entouré de gens qui l’aimaient et le comprenaient.

~*~

Une fois les réjouissances terminées, Lyrel fut conduit en grandes pompes au Chapitre de l’Est, son fief désormais.

« Les Chapitres ont été fondés bien avant nous, expliqua Lucius avant son départ. Mes frères et moi avons été nommés Archange ensemble alors nous avons pris la tête de notre Chapitre respectif. Cependant comme il nous manquait encore un Archange, le Chapitre de l'Est est actuellement dirigé par le sénéchal Kylan. J’ai bien peur qu’il n’ait pris l’habitude de commander alors il faudra bien t’affirmer dès le début, Ly… Ignatius. »

Lucius rectifia le nom du jeune homme qui eut un sourire.

« C’est étrange de porter un nouveau nom, fit-il, mais en même temps, j’ai l’impression de renaître. »

Le nom de Lyrel était trop lourd, rempli de regrets et de honte. Ignatius n’avait plus à endosser ses péchés passés et pouvait se projeter vers l’avenir.


Lucius sourit à son tour.

« Ce nom te va bien. Tu fais réellement partie des nôtres désormais. Sais-tu que nos noms ont été choisis exprès pour que des démons ne puissent pas les prononcer correctement ?

– Pourquoi voudraient-ils les prononcer ? demanda Ignatius avec perplexité.

– Pour nous maudire, nous tenter, nous ensorceler, va savoir. En tout cas ces noms sont une marque spéciale de notre Seigneur. »

Ignatius acquiesça.

« Quant aux vœux que tu as choisis... cela m'a un peu surpris, » avoua Lucius.

Lyrel avait choisi seul ses vœux sacrés durant sa nuit de prières. Il avait déjà lu des exemples de vœux et ceux-là avaient le plus résonné avec son âme et ses aspirations.


« Qu'est-ce qui te surprend ? » demanda le nouvel Archange, un peu anxieux d'avoir fait une erreur.

Lucius secoua la tête en souriant.

« Ce sont des vœux que tu respecteras facilement, non ? expliqua-t'il. De mon point de vue un vœu sacré doit demander des efforts ou exiger que l'on renonce à quelque chose d'important.

– Quels sont les vœux que tu as prononcés, toi ? » s'enquit Ignatius avec un peu de panique.

Lucius toussota.

« Hum, loyauté, pauvreté et... chasteté. »

Il se sentit un peu hypocrite en songeant à ce dernier vœu. D'un autre côté il était chaste avec les femmes ! Et si on cherchait plus loin, son vœu de pauvreté n'était pas non plus tellement respecté : il n'avait pas de richesses à lui mais il vivait dans un certain luxe. La seule chose qu'il respectait réellement, c'était sa loyauté envers l'Église et en particulier le Pape.


Inconscient de la vraie nature de son frère, Ignatius cligna des yeux.

« Je n'ai pas l'impression que tu dois avoir du mal à respecter ces vœux, argua-t'il.

– Ah oui, tu as raison. Oublie ça, tes vœux sont très bien ! »

Lucius préféra renoncer à discuter de crainte que cela ne révèle des choses gênantes à son sujet.


La séparation avec les Archanges fut un peu triste, cependant Ignatius savait qu’il reverrait bientôt ses frères lors de leurs réunions. D’ici là, il comptait bien s’installer dans son chapitre afin que Lucius soit fier de lui. Il voulait faire honneur à ses frères qui lui avaient enseigné tant de choses.

~*~

Son arrivée dans le Chapitre de l’Est se fit sans encombre. Le sénéchal Kylan était un homme grand et fin, plus du genre à diriger des serviteurs que des soldats. Il accueillit Ignatius avec un sourire qui manquait nettement de chaleur.

« Maître Ignatius, c’est un honneur de vous recevoir dans notre chapitre. Vous devez certainement être fatigué de ce long voyage. Nous allons vous conduire à vos appartements.

– Vous êtes bien aimable, sénéchal Kylan, mais je ne suis pas fatigué. Je suis au contraire impatient de visiter les lieux et de rencontrer nos frères Templiers. »

Le sénéchal ne broncha pas quoique son déplaisir était évident.

« Comme vous voulez, maître Ignatius. »

Il désigna deux prêtres derrière lui.

« Voici le frère Drapier Vanis et le responsables des novices, frère Nathane. »

Les deux hommes s’inclinèrent avec plus de respect.


Ignatius entra dans le vif du sujet :

« Frère Nathane, combien de novices comptons-nous actuellement ?

– Cinquante, répondit le frère avec un soupçon de fierté, tous prometteurs. Nous avons également deux cent cinquante Templiers.

– Hum, c’est moins que les autre chapitres, » ne put s’empêcher de remarquer l’Archange.

Kylan prit cela comme un affront personnel.

« Il est difficile de susciter des vocations sans un fer de lance, répliqua-t’il. Maintenant que vous êtes là, je suis sûr que vous allez inspirer la jeunesse alentour. »

Cela pouvait être pris comme un compliment… ou comme un commentaire déplacé sur la jeunesse et la beauté de l’Archange. Ce dernier ne fut pas sensible à la nuance et ils entamèrent la visite.


Le Chapitre de l’Est ne différait pas des autres par son architecture. Ignatius observa un certain temps les novices à l’entraînement et suggéra quelques améliorations qui furent aussitôt transmises aux instructeurs. Sinon le chapitre était globalement bien tenu et Ignatius en félicita son sénéchal — quoique ce dernier ne parut pas apprécier cette marque de reconnaissance. La visite de ses appartements — précédemment occupés par le sénéchal et vidés à l’annonce de son arrivée — lui fit froncer les sourcils néanmoins.

« Retirez tous les ornements inutiles, commanda Lyrel. Ce sont des objets de vanité. »

Le sénéchal tiqua mais ordonna aux moines de s’exécuter. Même les miroirs furent retirés et après cela, l’endroit était aussi austère qu’une cellule de novice quoique plus vaste.


« Maître Ignatius, osa protester le frère Drapier, en tant qu’Archange, vous devez donner une certaine image à vos visiteurs. Ils doivent sentir le pouvoir de l’Église et…

– Depuis quand le pouvoir de l’Église réside-t’il dans des objets ? argua Ignatius. Je n’ai nul besoin de ça pour incarner ma fonction, bien au contraire. »

Les autres échangèrent des regards sans rien dire. Personne n’osa contredire leur nouvel archange mais la rumeur se répandit dans tout le Chapitre en quelques heures : tous se firent l’idée d’un bigot qui allait les contraindre à vivre comme des miséreux. Inutile de dire que le sénéchal encouragea cette idée.

~*~

« Pardonnez-moi, mon frère, parce que j’ai péché. Cela fait deux jours que je ne me suis pas confessé.

– Votre piété vous honore, frère Kylan. Je vous écoute.

– Je remets en question la décision de notre Saint Père d’avoir nommé maître Ignatius comme Archange. »

Il y eut un soupir dans l’autre compartiment du confessionnal.

« Vous avez déjà confessé ce péché, frère Kylan, plusieurs fois.

– Je sais mon frère, mais chaque jour renforce mes doutes. Cela fait un an qu’il est arrivé et je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour l’avenir de m… notre chapitre. »

Le confesseur retint un soupir en entendant le laïus habituel.

« Précisez votre pensée, mon frère.

– Il est jeune et inexpérimenté. Il ne saisit pas tous les rouages complexes du chapitre.

– N’est-ce pas là votre rôle de l’épauler ? »


Ce fut comme ouvrir des vannes. Le sénéchal s’échauffa de son côté.

« Il ne suit aucun de mes conseils ! Il n’en fait qu’à sa tête et modifie au gré de ses humeurs des règles établies depuis des années par mes soins !

– Je vous entends, frère Kylan, mais tout est perfectible, n’est-ce pas ? »

Il y eut un silence de mauvaise foi de l’autre côté.

« Sans parler de cela, reprit le sénéchal sous un autre angle, avez-vous vu la façon dont les novices l’admirent ? C’est malséant. Je sais qu’il encourage ce sentiment impur chez nos jeunes frères impressionnables.

– Avoir enfin notre Archange explique totalement ce sentiment, mon frère. D’ailleurs le nombre de novices a bien augmenté depuis l’arrivée de maître Ignatius.

« Ah vraiment ? Et combien sont venus vous confesser un désir impur pour notre jeune et bel archange ? »


Le confesseur eut une inspiration choquée.

« Frère Kylan, vous connaissez le secret de la confession, voyons !

– C’est une question rhétorique bien entendu. Ce que je veux dire, c’est que maître Ignatius a été formé par l’Archange de la Lumière et que bon nombre de rumeurs malsaines circulent à son sujet.

– Les rumeurs ne sont pas des faits.

– Mais lorsqu’elles ne cessent de se multiplier, ne peut-on pas raisonnablement suspecter qu’elles recèlent un grain de vérité ? Sans parler de la simple analogie entre un autre porteur de lumière dans la Bible, et nous savons tous ce qu’il est devenu ! »

Le confesseur ne répondit pas, ce que le sénéchal considéra comme un assentiment. Il poursuivit dans cette voie :

« D’ailleurs, maître Lucius est un visiteur régulier de notre chapitre ; il est venu six fois déjà ! N’a-t’il donc pas son propre chapitre à gérer ?

– Certainement qu’il peut le confier au bon soin de son sénéchal, lui


L’insinuation échappa à Kylan, trop occupé à calomnier ses supérieurs.

« En tout cas même si la confession est sacrée, vous avez obligation d’en briser le secret dès lors qu’un acte ignoble vous est rapporté. Disons par exemple, si notre maître avait un comportement déplacé envers l’un de nos novices.

– Je n’ai nul besoin que vous me rappeliez mes devoirs, frère Kylan. Laissez-moi vous rappeler que vous êtes là pour confesser vos péchés, et pas pour vous soucier de ceux des autres.

– Bien sûr, bien sûr, mon frère. Mais c’est vous qui m’avez demandé de préciser ma pensée. »

Le confesseur soupira de nouveau.

« Je souhaiterais que nous nous concentrions sur vos péchés. Vous doutez de notre maître, c’est entendu. Avez-vous autre chose à confesser ?

– Non, mon père.

– Alors vous réciterez dix Notre Père et cinq Ave Maria. Allez en paix, mon frère.

– Merci, mon frère. »



Note de Karura : Vous avez fait la connaissance du Pape dans ce chapitre, un type un peu louche avec sa collection d'organes en sous-sol et son tableau d'ange... Au fait, cet ange ne vous dit rien ? Relisez donc le chapitre 7 et vous verrez.

Prochain chapitre : Lyrel va devoir faire ses preuves en tant qu'Archange.






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Derniers chapitres parus :
Le Prince Solitaire 7 01
La Renaissance du Suprême Immortel 351 et 352
Comment élever un sacrifice 6.02 et 6.03
Cent façons de tuer un prince charmant 322 et 323

Planning des mises à jour :
Samedi : Cent façons de tuer un prince charmant
Comment élever un sacrifice
Dimanche : La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire