Partie 9
Kurojū, deuxième mois de l’année 2458
Lorsque le seigneur Hatochi entra dans le bureau de l'Empereur, il eut la stupeur de voir le Second Prince installé à un bureau annexe et en train d'étudier des documents.
« V… Votre Altesse, que faites-vous ici ?
– Du tri dans les affaires en cours, seigneur Hatochi. »
Le noble sentit l'indignation lui monter au nez.
« Et avec quelle autorité ? »
Haruni croisa calmement son regard.
« Je m'assure seulement que les décisions prises il y a quelques jours soient bien transmises et appliquées, rien d'autre.
– Ah… »
Le seigneur se sentit bien bête. Haruni l'examina un moment en silence avant de demander à son tour :
« Et vous même, seigneur Hatochi ? Quelle est la raison de votre présence ici ?
– … La même que vous.
– Et sans plus d'autorité que moi. »
Hatochi tiqua. Parfois, il n'avait vraiment pas l'impression d'avoir un adolescent en face de lui. La maturité du Second Prince était effrayante.
« Puisque nous sommes tous les deux là sans autorité, autant nous répartir les tâches. Qu'en pensez-vous ?
– Ou… Oui, votre Altesse. »
Le noble ne savait cependant pas où s'asseoir. Seul le bureau de l'Empereur était libre, mais il était hors de question qu'il s'y installe ! Sans lever les yeux de son document, Haruni précisa :
« Demandez aux officiels qu'on vous apporte une table.
– Ah, oui, votre Altesse. »
Le temps qu'on aille chercher le meuble, Hatochi regarda tour à tour le Second Prince et le bureau vide.
« Ce ne serait pas plus simple si vous vous installiez au grand bureau, votre Altesse ? »
Haruni regarda à son tour la place vacante, puis il plissa les yeux.
« C'est sa place, pas la mienne, répondit-il doucement.
– Oh… »
Bien que le ton de Hatochi semblait indiquer de la compassion, Haruni ne put s'empêcher de se demander si ça n'avait pas été une sorte de test afin de voir s'il allait prendre sans vergogne la place de son père, dans tous les sens du terme.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Hatochi et lui passèrent des heures à trier les documents, faire suivre les décisions et voir ce qu'il restait à traiter. Hatochi fut agréablement surpris de voir que le Second Prince se tournait aisément vers lui pour lui demander son opinion et qu'il posait des questions intelligentes, le tout sur un ton respectueux. Cela effaça totalement l'image de l'adolescent agressif et impoli que les conseillers avaient de lui depuis des années.
« Il est tout à fait raisonnable dans le fond, songea le seigneur en se tapotant le menton de son éventail. Je pense que ce sera possible de nous entendre. »
Il restait cependant une ombre au tableau. Ça faisait trois jours que Hatochi retournait cette histoire dans tous les sens et il était parvenu à la conclusion que la seule chose à faire, c'était d'en parler au principal intéressé. Et le moment était idéal puisqu'ils étaient seuls.
« Votre Altesse, commença-t'il, il y a quelque chose dont je souhaiterais vous parler, mais c'est… délicat.
– Parlez, seigneur Hatochi, » fit-il simplement Haruni sans sourciller.
Ce n'était pourtant pas facile à dire ! Hatochi se racla la gorge une paire de fois, nerveux à cause du regard doré qui ne cillait pas.
Il finit par se lancer :
« Il y a trois jours quand nous étions à l'entrée du tunnel, je n'ai pu m'empêcher de remarquer que vous avez utilisé, me semble-t'il, de ce qui paraissait être de… de la magie. Mais je me trompe sûrement, n'est-ce pas ? »
Haruni retint un rire amusé devant tant de tact.
« Non, » répondit-il laconiquement.
Hatochi attendit la suite, mais rien ne vint. Sa tête était presque comique à voir alors qu'il cherchait à comprendre la réponse monosyllabique qu'il avait reçue.
« Non… Non, vous n'avez pas utilisé de la magie ? Ou non, je ne me trompe pas ? fit-il d'un ton hésitant.
– Non, vous ne vous trompez pas. »
Le seigneur ne s'attendait visiblement pas à ce que Haruni avoue aussi aisément. En réalité, ça ne dérangeait pas du tout le Second Prince que l'on soit au courant qu'il utilisait la magie. De toute manière…
« Vous vous en doutiez certainement, ainsi que les autres conseillers, reprit Haruni. Après tout, je suis à moitié Hikari.
– C'est vrai, mais…
– Et avant que vous ne posiez la question, l'Empereur et l'Impératrice étaient tous les deux au courant depuis longtemps, depuis mon arrivée au palais. C'est l'Empereur qui n'a jamais voulu que ça soit rendu publique. »
Hatochi avait visiblement du mal à y croire, alors que c'était la stricte vérité. Haruni le fixa droit dans les yeux et demanda directement :
« Maintenant que vous le savez à votre tour, vous allez exiger de nouveau que je sois exilé du palais ?
– Ah, non, votre Altesse ! Ce n'est pas du tout envisageable ! » protesta Hatochi.
Haruni eut un sourire amer.
« C'est bien parce que je suis le dernier de ma lignée, songea-t'il. Mais malgré ce qu'il en dit, je suis sûr qu'il va essayer de tourner ça contre moi. »
Hatochi lui avait toujours semblé un peu faux, trop obséquieux pour être honnête. Il paraissait de la même trempe que Shumē, sauf qu'il n'avait pas eu l'occasion de s'emparer du pouvoir. Peut-être sentait-il que le moment était enfin venu ?
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Alors que la conversation était bloquée, Haruni termina de répertorier les affaires à traiter. Comme si de rien n'était, il demanda :
« Je pense qu'il faut réunir le Conseil demain pour s'occuper de ces affaires pressantes. Seigneur Hatochi, vous estimez que cela relève du Conseil ou bien du Conseil restreint ? »
Le seigneur sursauta, mais il répondit d'un ton normal à cette question dans son domaine :
« Les affaires générales relèves du Conseil. Le Conseil restreint ne gère que les affaires plus délicates.
– Je vois. Envoyons donc les invitations. »
Et sans réfléchir, Hatochi signa conjointement avec le Second Prince pour réunir le Conseil. Il se retira ensuite alors que Haruni resta à travailler dans le bureau de l'Empereur le reste de l'après-midi. Ce fut tout naturellement qu'il fut sollicité par les affaires courantes du palais : les menus, les achats de vivres et de fournitures, l'affection des anciens servants de la famille impériale — un moment délicat que Haruni parvint à gérer efficacement. Fort de son expérience au Chapitre de l'Est puis dans une des casernes de Hanajū, le Second Prince sut répondre à toutes les demandes. Les officiels venus le consulter en furent ravis, ayant enfin des directives. Pour certaines choses, Haruni fut contraint de demander aux Dieux. D'un côté, ça avait des avantages que l'Empire de l'Aube n'ait guère évolué depuis des milliers d'années.
Seiryū revint en fin de journée pour son rapport. Comme par hasard, il se présenta à l'heure du dîner. Haruni nota qu'il avait pris le temps de se laver et de se changer, donc l'horaire était volontaire. Il soupira intérieurement.
« Il est bien décidé à avoir un repas avec moi, dirait-on. »
La joie évidente sur le visage du Firal lorsque Haruni demanda aux servants d'apporter à manger pour deux fut révélatrice. Haruni décida toutefois de ne pas lui en faire la remarque. Durant le repas, Seiryū raconta les événements de la journée : il n'y avait toujours aucune preuve de l'origine des corps malgré les nombreuses enquêtes dans les villages alentours. Quant au seigneur Kawano, dont le domaine était le plus proche du lieu de l'accident, il était âgé de cent trente-deux ans. Son fils aîné gérait le domaine, mais il était alité depuis deux semaines à cause d'un terrible rhume.
« Il est difficile de l'interroger dans ces conditions, conclut Seiryū.
– Rien ne dit que ce rhume est bien réel, nuança Haruni, méfiant comme d'habitude. Il faudrait insister pour le voir, peu importent ses excuses.
– Je vais en parler au commandant Tokeru demain. »
Seiryū semblait content d'avoir une mission et il s'y consacrait avec zèle.
« Le Conseil doit se réunir demain, l'informa Haruni. Tu as bien reçu l'invitation ?
– Ah, je n'ai pas regardé mes messages. Il faut dire que je n'ai pas l'habitude, » s'excusa le Firal.
Haruni se retint de rouler des yeux. Il envoya un de ses servants dans les quartiers de Seiryū pour rapporter l'invitation. Il voulait s'assurer qu'elle avait été bien envoyée et qu'il n'y avait pas eu de changement d'horaire. Une fois le message en main, Seiryū ouvrit de grands yeux en voyant les signatures.
« Le seigneur Hatochi et toi ?!
– Nous avons travaillé ensemble sur les affaires de l'Empire cet après-midi, fit Haruni d'un ton nonchalant.
– Tu es incroyable, » fit Seiryū avec admiration.
Haruni ne comprit pas sa réaction : il n'avait rien fait de particulier !
« C'est donc demain que tu t'empares de l'Empire de l'Aube ? suggéra le Firal avec malice.
– Seulement si les conseillers abordent le sujet. Pour ma part, je préfère temporiser jusqu'à l'arrivée du Très Saint Amonji. »
Vu qu'ils manquaient d'alliés à la Cour, c'était la solution la plus raisonnable.
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Le repas était fini, pourtant Seiryū ne faisait pas mine de vouloir partir. Alors même que le silence s'était installé, ça ne semblait pas le déranger outre-mesure. Il gardait les yeux fixés sur sa tasse de thé vide, un léger sourire aux lèvres. Le Second Prince soupira et finit par faire :
« Seiryū, tu as bien compris ce que je t'ai dit au sujet de notre relation l'autre jour ?
– Oui, répondit ce dernier, son sourire ne vacillant qu'un moment.
– Alors retourne auprès de ta famille. »
Le Firal protesta aussitôt :
« Laisse-moi te tenir compagnie ! Après tout, ça rentre dans les fonctions d'un vassal que de distraire son seigneur. Nous pouvons jouer aux Pierres, ou bien je peux te réciter de la poésie, ou encore…
– Seiryū, le coupa Haruni, si je veux des distractions, je te le ferai savoir. Pour ce soir, je veux être seul. Est-ce bien compris ? »
Complètement rabroué, Seiryū hocha la tête.
« Et dorénavant, ajouta Haruni, n'insiste plus quand je te demande de partir. »
Il eut droit à un nouveau hochement de tête réticent. Haruni retint un autre soupir. Il pressentait que ce ne serait pas la dernière fois qu'ils auraient cette conversation.
« Je… je peux m'entraîner de nouveau avec toi demain matin ? » demanda Seiryū timidement.
Haruni ne voulait pas lui adresser un autre refus aussi tôt, alors il accepta. Cela suffit à rendre le sourire au Firal qui se retira ensuite sans discuter. Le Second Prince se massa les tempes.
« J'ai l'impression qu'il rechute dans sa folam, se di-il. Il va vraiment falloir que je me renseigne plus là-dessus. »
Mais pour le moment, il préférait profiter de sa soirée en toute quiétude.
Au moment où il entra dans la salle du Conseil, Haruni sut que les conseillers avaient manigancé quelque chose. Ça se voyait dans leurs sourires hypocrites — plus que d'ordinaire — ou crispés.
« Prépare-toi, » murmura-t'il à Seiryū à ses côtés pendant qu'ils se dirigeaient vers leurs places.
Le Firal ne manifesta aucune surprise et hocha imperceptiblement la tête. Il commençait enfin à apprendre. Une fois encore, Haruni ne s'assit pas sur le coussin de l'Empereur mais sur un autre à côté. Seiryū, lui, occupa la place de son père après une légère hésitation, juste à gauche de son prince.
« Merci à tous de votre présence, fit Haruni après qu'ils se soient prosternés pour le saluer. Nous pouvons débuter cette séance du Conseil. Seigneur Hatochi, je vous laisse la parole.
– Merci, votre Altesse. »
Tout mielleux, le noble présenta les diverses affaires qu'ils avaient repérées ensemble la veille pour les soumettre au Conseil. Tout se déroula normalement, cependant le Second Prince ne relâcha pas sa vigilance. Il était certain de son pressentiment.
Cela se confirma lorsqu'à la fin de l'ordre du jour, le seigneur Hatochi se tourna vers lui avec un sourire de façade et que la tension dans la salle augmenta de plusieurs crans d'un coup.
« Votre Altesse, le Conseil souhaite vous faire savoir que nous avons décidé de la nomination d'un régent pour diriger l'Empire de l'Aube jusqu'à votre majorité.
– Un régent ? s'enquit Haruni en haussant un sourcil, ne semblant pas plus affecté que ça. Puis-je savoir de qui il s'agit ? »
Il se doutait fortement de la réponse, surtout lorsque le seigneur se rengorgea tout en feignant la modestie.
« J'ai eu cet honneur, votre Altesse. »
Comme Haruni ne réagissait pas, Hatochi fit signe à un officiel.
« Voici les documents qui justifient de ma nomination. »
Haruni prit le parchemin et l'observa. Il était écrit que le Conseil restreint s'était réuni le matin même pour nommer le régent, à savoir le seigneur Hatochi. Le document était signé par les membres du Conseil restreint.
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Haruni reposa le document devant lui et observa son régent.
« Érudit Taikōshi, fit-il en s'adressant au doyen, est-ce la procédure légale ? »
Le vieil homme tritura sa barbe blanche, visiblement nerveux.
« Hum, il n'y a pas de procédure légale dans cette situation inédite, votre Altesse, reconnut-il. Cela me semble cependant juste que le Conseil restreint prenne cette décision. En tout ça, nous l'approuvons tous. »
Les autres conseillers hochèrent la tête sous le regard doré. Hatochi se permit un sourire victorieux. Aussi intelligent qu'il soit, le Second Prince restait un enfant sans le moindre allié à la Cour. Il n'avait donc aucune chance.
« Rappelez-moi qui est membre du Conseil restreint, voulez-vous ? » insista Haruni.
Hatochi, Netsuma et Kimora furent cités. Ils faisaient déjà partie du Conseil restreint de Tegami. À ces trois-là s'ajoutait dorénavant le général Modori en remplacement de Kenryū. Haruni le savait déjà grâce aux signatures, mais il attendait le bon moment pour agir. Et ce moment était venu.
« Je ne comprends pas, fit-il en ouvrant de grands yeux. Ce n'est pas le général Modori qui a été choisi comme remplaçant du général Kenryū. »
Hatochi plissa le front, perplexe.
« Votre Altesse, les trois membres restants l'ont désigné. C'est tout à fait légal, argumenta-t'il.
– Sauf que vous aviez déjà choisi une autre personne. »
Les membres du Conseil se regardèrent entre eux comme si le jeune homme avait perdu l'esprit et divaguait en leur présence. Haruni fit signe à un autre officiel de lui apporter un certain document qu'il exposa aux conseillers.
« Il y a quelques jours, vous avez tous accepté que le Firal Seiryū reprenne les fonctions de son père. C'est donc lui qui fait partie dorénavant du Conseil restreint.
– Mais non ! s'écria Netsuma, s'oubliant un peu. Il était seulement question qu'il prenne la place de son père au sein du Conseil, c'est tout ! »
Haruni regarda de nouveau le document, bien qu'il le connaissait par cœur.
« Mais il est écrit : “l'intégralité des fonctions de son père”. »
Bouche bée, Netsuma eut du mal à y croire. Haruni lui fit parvenir le document que l'érudit lut, ses mains tremblant au fur et à mesure.
« L'intégralité de ses fonctions, murmura-t'il. C'est bien ce qui est écrit… »
Il fut tenté un moment d'accuser le Second Prince de falsification mais en toute honnêteté, il avait signé le document sans le relire lors de la précédente réunion, comme ses pairs semblait-il. En plus, ça lui rappelait vaguement quelque chose. Il posa un regard nouveau sur le Second Prince.
« Vous avez raison, votre Altesse, reconnut-il. C'est bien le Firal Seiryū qui est membre du Conseil restreint. »
Le général Modori manqua d'exploser, mais il fut contenu par son voisin Narubi. Netsuma se tourna vers le Firal et demanda, tout en sachant la réponse à l'avance :
« Firal Seiryū, acceptez-vous la nomination du seigneur Hatochi au poste de régent ? »
Et sans surprise, le jeune homme répondit :
« Non, Érudit Netsuma, je ne l'accepte pas. »
Le document de nomination du régent fut alors détruit sous les yeux abasourdis des conseillers. Hatochi en particulier eut bien du mal à digérer cet échec.
« Il nous faut donc désigner une nouvelle personne, fit-il d'un ton qui cachait mal son hostilité. Votre Altesse, auriez-vous des suggestions ? »
Il savait que Seiryū suivrait les recommandations de son prince, alors il préférait s'adresser directement à Haruni. Il était prêt à parier que ce dernier allait proposer le Firal, étant donné que c'était la seule option possible.
« Ce ne sera pas nécessaire de nommer un régent, le surprit le jeune homme.
– Il faut bien quelqu'un à la tête de l'Empire, sauf si vous suggérez que le Conseil prenne toutes les décisions… »
Même s'il dit cela, Hatochi avait le net sentiment que ce n'était pas dans les intentions du Second Prince.
« Je vais assurer la fonction d'Empereur, seulement un peu plus tôt que prévu. »
Un silence éberlué suivit sa déclaration. Personne ne s'y était attendu — sauf Seiryū qui eut un léger sourire de fierté devant l'habilité de son prince à désarçonner ses adversaires.
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Un bref rire incrédule s'échappa du général Modori.
« Vous ? Mais vous n'êtes encore qu'un enfant !
– Je vais avoir quarante-quatre ans dans deux mois.
– Vous n'avez même pas l'âge d'être courtisé !
– Ce qui veut dire que je ne serai pas distrait par les premiers émois et que personne ne pourra s'attirer mes faveurs ainsi. »
Modori en resta bouche bée : ce gamin avait l'audace de répondre à ses objections pourtant parfaitement fondées ! Il chercha de l'aide auprès de ses pairs.
« N'y a-t'il pas une loi stipulant que l'héritier doit être majeur pour pouvoir accéder au trône ? » hasarda le ministre Mekkoshi.
Tous les regards se tournèrent vers les érudits, en particulier Taikōshi. Cependant, le vieil homme était aussi perdu qu'eux.
« Je ne saurais dire, avoua-t'il. C'est une condition qui va de soi, mais est-elle vraiment consignée ? Je dois rechercher dans les Archives.
– Faites donc, le pressa Hatochi.
– Ce ne sera pas nécessaire, intervint Haruni, car il y a déjà eu un précédent. »
Cela lui valut l'attention des conseillers incrédules.
« Un précédent ? répéta Netsuma. Mais jamais dans l'histoire de l'Empire…
– Au cinquième siècle, l'Empereur Madōshi et son frère sont morts d'une épidémie de fièvre rouge. Le Premier Prince dut succéder à son père à l'âge de quarante-six ans. »
Les érudits firent une drôle de tête.
« Vous… Où avez-vous lu une telle histoire, votre Altesse ?
– Je ne l'ai pas lue, je l'ai entendue. Libre à vous de vérifier dans les Archives, bien entendu. »
Les ombres s'agitèrent à ses pieds, moqueuses. En matière d'histoire, qui était mieux placé que les Dieux ?
« Mais quarante-six ans, ce n'est pas pareil que quarante-trois ans ! reprit Modori.
– Qu'est-ce que trois ans de différence, général Modori ? »
Même les autres conseillers durent reconnaître que ça ne changeait pas grand-chose. Hatochi serra les poings, son visage fermé.
« Je propose de laisser d'abord les érudits vérifier cette information. Nous aviserons ensuite. »
Personne ne souleva d'objection, pas même Haruni. Il savait que ça prendrait du temps aux érudits pour déterrer les documents relevant du début de l'Empire de l'Aube et justement, ce temps lui serait précieux.
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Les conseillers quittèrent la salle de fort méchante humeur. Une fois seuls, Seiryū n'y tint plus et explosa de joie.
« Tu es fantastique ! s'écria-t'il. Tu les as une fois encore battus à leur propre jeu !
– Rien n'est encore gagné, tempéra Haruni. Ils peuvent encore tenter quelque chose. »
Pour le coup, Seiryū retrouva son sérieux.
« Tu penses qu'ils pourraient essayer de te faire assassiner ? »
Haruni ne nia pas.
« Ils ont d'abord cru que je serais facile à manipuler sauf que maintenant, je suis un obstacle. Ils n'iront pas jusqu'à me tuer, ils croient trop en la lignée impériale, mais ils vont trouver un moyen de m'écarter pour de bon.
– À quoi tu penses ?
– À une prise de pouvoir. »
L'affrontement semblait réellement inévitable. Haruni s'y était déjà résolu.
« Il faut nous y préparer, » insista-t'il.
Seiryū acquiesça, bien déterminé à protéger son prince coûte que coûte.
« Avant d'en arriver là, ne serait-il pas mieux de faire appel aux Dieux ? » suggéra-t'il.
Haruni prit un air songeur.
« Tout dépendra de la façon dont les choses se présenteront. »
Seiryū ne comprenait pas ses hésitations, mais il les respecta.
Pour sa part, le général Kafūze ne voyait aucune objection à une guerre interne et il assura Haruni qu'il allait renforcer la surveillance des conseillers, y compris lors de leurs déplacements hors du palais, et qu'il allait également rappeler ses hommes à Kurojū.
« Combien êtes-vous au juste ? » s'enquit le Second Prince.
Le général eut un mince sourire.
« Mille cinq cents, répondit-il.
– Auriez-vous des suggestions pour rallier plus d'hommes ? »
Sans avoir trop besoin de réfléchir, Kafūze expliqua :
« Contrairement à ce que vous pensez, une bonne partie des soldats du palais se battront pour vous.
– Ah bon ? »
Haruni était effectivement surpris.
« Ils vénèrent la famille impériale et avec les prêtres à vos côtés, ils n'oseront pas aller à l'encontre des Dieux. Qui plus est, ils ont globalement apprécié que vous ayez insisté pour que leurs camarades défunts soient incinérés avec la famille impériale, contre l'avis du Conseil.
– Comment sont-ils au courant ?
– Il se peut que mes Ombres aient fait circuler cette information, » répondit le général avec un sourire satisfait.
Haruni lâcha un léger rire.
« Général Kafūze, vous êtes plein de ressources !
– Tel est mon rôle, votre Altesse. »
Grâce à ça, la situation tournait bien plus en leur faveur.
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« Qu'en est-il du Firal Seiryū ? » demanda soudain Kafūze.
Le visage de Haruni se trahit un peu devant cette question incongrue.
« Que voulez-vous dire ?
– Dois-je également le faire surveiller ?
– Ce ne sera pas nécessaire. »
Comme Kafūze semblait en douter, il précisa :
« Il m'a juré allégeance. Vous connaissez la réputation du clan Inugami. »
Il se sentait hypocrite de dire ça, lui qui avait de nombreuses fois mis la loyauté du Firal en doute.
« N'est-ce pas lui pourtant qui est l'origine de vos blessures récentes ? Sans parler du reste ? »
Kafūze n'avait pas oublié ces détails. Haruni soupira.
« Cette histoire est terminée, affirma-t'il. Vous n'avez pas à vous en soucier. »
Le général s'inclina, mais Haruni sentit que l'autre homme allait quand même garder un œil sur Seiryū. Cela dit, il ne pouvait guère lui reprocher ses soupçons.
Les jours qui suivirent furent assez tendus. Haruni continua de s'occuper des affaires courantes en compagnie du seigneur Hatochi et leurs conversations étaient polies, quoique distantes. Le noble scrutait le jeune homme bien plus que les documents, cherchant à se faire une opinion plus juste de lui. Haruni, lui, se demandait si Hatochi n'allait pas profiter de ces moments pour tenter de le faire prisonnier. Il prit le soin de demander à son servant de déposer secrètement un sabre sous sa table basse dans le bureau de l'Empereur, juste au cas où. Quant à Seiryū, il suivait de près l'évolution de l'enquête avec le général Tokeru, bien qu'il aurait aimé assurer la protection de son prince. Le Conseil se réunit une fois encore, mais personne ne mentionna la régence car les Érudits cherchaient encore la référence indiquée par le Second Prince. Cette manière de gagner du temps fonctionnait encore mieux que prévu. En attendant, Haruni se préparait à une guerre dans l'enceinte du palais.
Ce fut dans ce climat tendu qu'arrivèrent le Grand Prêtre et sa délégation. Haruni accueillit avec joie le vieil homme qu'il n'avait plus revu depuis sa “retraite spirituelle” deux années plus tôt.
« Très Saint Amonji, c'est un honneur de vous accueillir à Kurojū.
– Tout l'honneur est pour moi, votre Altesse, fit le Grand Prêtre dont le rang le dispensait de se prosterner. Permettez-moi de vous adresser de vive voix toutes mes condoléances pour votre famille.
– Merci, Très Saint. Vous allez être conduit à vos quartiers où vous pourrez récupérer du voyage. J'aimerais que nous prenions le thé ensemble, si cela vous convient.
– Avec plaisir, votre Altesse. »
L'arrivée des prêtres ne fit guère plaisir aux membres du Conseil, encore moins lorsque tous purent être témoins de la cordialité entre le Grand Prêtre et le Second Prince. À cause des Hikari, les prêtres avaient été exclus de la Cour et perdu leur influence. Tegami n'avait jamais fait mine de vouloir les réintégrer, alors les nobles de la Cour les avaient relégués au rang d'inutiles. Mais le peuple et les soldats restaient attachés à leurs prêtres et respectaient les Dieux bien plus que la noblesse. Si Haruni avait le soutien des prêtres, cela aurait un fort impact positif sur l'opinion de la population.
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« Ce gamin a bien manœuvré, » gronda le général Modori lors de la réunion privée qui s'ensuivit.
Ce n'était pas le Conseil restreint — à un membre près — mais c'était tout comme.
« C'est malin de sa part d'avoir fait venir les prêtres, reconnut Netsuma, mais ce n'est pas fini pour autant !
– Où en êtes-vous dans la recherche de cette histoire sur l'héritier de l'Empereur Madōshi ? » lui demanda Hatochi d'un ton irrité.
L'érudit se massa les tempes.
« Vous n'imaginez pas le désordre dans les Archives aussi anciennes. Rien n'est classé comme maintenant, certains parchemins sont si fragiles qu'ils risquent de tomber en poussière dès qu'on les effleure… C'est compliqué ! »
Modori eut un rire moqueur.
« Cette histoire est inventée, j'en suis sûr ! Le Second Prince cherche seulement à gagner du temps.
– Ce n'est pas impossible, approuva Hatochi. Mais nous ne pouvons pas agir tant que cette affaire ne sera pas réglée.
– Mettons le feu aux Archives alors. Comme ça, la recherche devra s'interrompre.
– Général Modori ! » s'écria Netsuma, scandalisé.
Le général expira bruyamment, clairement indifférent à la valeur historique de ces documents.
Hatochi intervint :
« Inutile d'en arriver là. Ça ne nous empêche pas de poursuivre nos préparatifs.
– Mais l'arrivée des prêtres va compliquer les choses, non ? intervint Mekkoshi, silencieux jusque là.
– Nous devrons les retenir également, » fit simplement Hatochi.
Leur plan était simple : faire prisonnier le Second Prince et l'obliger à reconnaître Hatochi comme régent. Le prince resterait ensuite sous étroite surveillance. À sa majorité, il n'aurait d'empereur que le titre puisque le Conseil, mené par Hatochi, continuerait de prendre les décisions en son nom. Il serait vite marié et ses héritiers seraient élevés correctement, avec le moins de contact possible avec lui. Grâce à ça, le prochain empereur pourrait récupérer les pleins pouvoirs, sauf si la tare Hikari serait trop présente en lui. C'était la solution la plus adaptée à cette situation compliquée et tous les conseillers étaient d'accord. Mais il fallait agir de manière nette et précise afin d'éviter un scandale. Hors de question que le peuple apprenne que l'héritier de l'Empire était retenu prisonnier à Kurojū, ce serait l'insurrection à coup sûr !
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