Le Prince Solitaire 13

Chapitre Treize : Où aller ?


Le passage était long et obscur. Dès les premiers pas, Ignatius avait tout naturellement invoqué une petite flamme devant lui, ce qui avait causé un sursaut de frayeur chez la démone.

« Lumineux ? » fit-elle avec une pointe d'anxiété.

Il venait de se faire excommunier alors il n'avait plus grand-chose de lumineux. Il secoua la tête. La femme se détendit un peu mais il put sentir son regard intrigué dans son dos tout le temps du trajet. Malgré cela, elle n'osa pas lui parler. Elle semblait sentir qu'il n'était pas d'humeur à lui répondre. Ses larmes avaient coulé longtemps en silence puis avaient fini par sécher sur ses joues. Il se sentait vidé, insensible à tout, comme si on lui avait arraché son âme...


Ils débouchèrent enfin dans une grotte où ils virent de la lumière naturelle. Ignatius éteignit sa flamme d'une pensée puis s'avança avec précaution. Il vit des arbres et en déduisit qu'ils se trouvaient dans la forêt qui encerclait la plaine de Pandémonium. L'aube n'allait pas tarder à poindre aussi devaient-ils s'éloigner le plus possible des Templiers. Mais où aller ? Il se tourna vers la démone d'un air interrogateur, toutefois elle lui renvoya un regard perdu. Le garçon gémit doucement et elle le berça dans ses bras. Il devait être lourd pour une si petite femme, pourtant elle l'avait porté tout du long sans se plaindre une seul fois. Ça, c'était vraiment une mère. Ignatius se rappela fugitivement de Dame Faye qui n'aurait pas pu soutenir la comparaison.


Il secoua la tête et revint à leur situation présente : puisque aucun des deux ne savait où aller, il avait autant choisir une direction opposée à Pandémonium afin de s'en éloigner. Alors qu'il allait se diriger à droite, il sentit un tiraillement vers la gauche.

« Par là, » lui soufflèrent les Diables.

Il se raidit. Ils ne l'avaient pas tourmenté pendant des années et là, ils ne cessaient d'intervenir à tout bout de champ ?!

« Aider, répondirent-ils gentiment. Tu es des nôtres alors nous t'aidons.

– Non, répliqua-t'il dans un marmonnement, je ne suis pas des vôtres ! »

La femme lui lança un regard bizarre et il se mordit la lèvre inférieure. Il devait avoir l'air d'un fou à parler tout seul dans le vide. En tout cas, pouvait-il vraiment se fier aux Diables ? C'était un peu normal qu'ils veuillent aider deux des leurs. En plus ils l'avaient vraiment aidé à retrouver le comte de Fanel la dernière fois. Entendu, il allait encore une fois se fier à eux quitte à mettre son âme en péril.

« Par là, » fit-il à la femme.

Elle le suivit sans discuter bien qu'il pouvait littéralement sentir les questions en elle.


Les Diables ne l'avaient pas trompé : ils ne rencontrèrent aucun Templier et s'enfoncèrent davantage dans la forêt. En milieu d'après-midi, Ignatius leur fit faire une halte près d'un ruisseau. La démone posa doucement son fils à terre avec un soulagement évident.

« Tu as à manger ou à boire ? » demanda-t'elle à Ignatius.

Il la fixa un instant sans comprendre puis les Diables lui soufflèrent le sens de sa requête. Il secoua alors la tête. Les provisions des Templiers étaient rassemblées dans un convoi bien protégé et Ignatius n'avait eu aucune raison de prendre des vivres pour attaquer Pandémonium. La démone eut un air pincé puis soupira et se rendit au ruisseau pour puiser de l'eau dans ses mains en coupe et faire ainsi boire son enfant, quatre ou cinq fois. Ce fut seulement après qu'elle se désaltéra.


Pendant ce temps, Ignatius ne fit pas mine de boire mais resta debout, le regard dans le vide. La réalité de tout ce qui venait de se passer lui tomba dessus d'un coup. Frénétique, il se mit à retirer son armure. Il n'était plus ni Archange ni Templier ni plus rien, alors il n'avait pas le droit de porter le symbole de l'Église. Il jeta les pièces avec une fureur grandissante, défit rageusement les lanières et alla même jusqu'à brûler une attache récalcitrante dans son dos. La démone avait serré son enfant contre elle dès le début de sa crise et elle le fixait avec angoisse. L'enfant, lui, ouvrait ses grands yeux bleus devant un tel accès de colère et il semblait plus curieux qu'apeuré. C'était peut-être parce qu'Ignatius en poussa aucun cri, aucune imprécation. Pourtant son silence était encore plus effrayant. Le jeune homme resta ensuite un long moment debout, les poings serrés et fixant les restes de son armure comme s'il songeait à les brûler.


Une voix brisa alors le silence :

« Maman, j'ai faim. »

Cela tira Ignatius de sa transe. Il se tourna vers les deux démons et prit sa décision : il allait les emmener en lieu sûr et ensuite il retournerait rejoindre ses frères à la baie où ils avaient débarqué. Même si Lucius le faisait aussitôt exécuter en tant que traître, peu lui importait. Il n'avait nulle part où aller et n'imaginait pas de vivre sans ses frères. Un peu rasséréné par sa décision, le jeune homme se concentra sur le problème actuel des vivres. Normalement ils n'auraient pas dû manquer de nourriture en forêt sauf qu'Ignatius n'avait jamais eu à chasser. Et même s'il tuait un animal, ce dont il ne doutait pas d'être capable, il ignorait totalement comment le préparer pour le cuire. Durant son noviciat, il avait bien fait des corvées en cuisine mais cela consistait principalement à aller faire les courses, tirer de l'eau au puits, laver la vaisselle et au pire éplucher et couper les légumes. Les cuisiniers ne s'étaient pas embêtés à leur apprendre quoi que ce soit de leur art. Il jeta un coup d'œil à la démone dont la tenue riche lui fit deviner qu'elle n'avait elle non plus jamais eu à cuisiner quoi que ce soit. Il se jura alors d'apprendre toutes ces choses dès que possible car on ne pouvait jamais savoir ce qui arriverait.


Ignatius se pencha pour reprendre son épée parmi les pièces éparses de son armure. Il attacha le ceinturon à sa taille puis s'éloigna du ruisseau.

« On repart, » fit-il à la femme.

Elle ne comprit pas la langue mais comprit son intention. Il la vit grimacer en reprenant son fils dans ses bras. Mû par une impulsion subite, il fit demi-tour et s'approcha.

« Donne-le moi, » demanda-t'il en tendant les bras vers le petit, un geste explicite.

Sa réaction fut de serrer son enfant contre elle, son visage reprenant son air méfiant et féroce. Ignatius secoua la tête et chercha ses mots dans la langue des démons :

« Moi porter bébé. Pas tuer. »

Elle le toisa, clairement réticente et soupçonneuse. Il soupira ; il ne pouvait guère la blâmer car il était un monstre à ses yeux. Il baissa alors les bras et reprit son chemin sans insister. Elle lui emboîta aussitôt le pas. Il ne put s'empêcher d'admirer sa détermination : elle porterait son enfant jusqu'à ce que les bras lui en tombent plutôt que de le confier à un ennemi potentiel. C'était donc cela l'amour d'une mère... Ses pensées se portèrent sur Dame Faye à qui il n'avait plus pensé depuis des années et il se demanda si jamais elle aurait été capable d'une telle bravoure pour Lyrel, son Lyrel. Toutefois c'étaient de vaines pensées et il les repoussa aussitôt.


~*~


Ils marchèrent jusqu'à la nuit tombée, toujours guidés par les Diables. Ils ne s'étaient arrêtés qu'une autre fois pour boire à un ruisseau et la femme avait cueilli des baies rouges à un arbuste. Elle les avait reniflées et goûtées prudemment avant de les tendre à son fils. Ensuite, comme elle voyait qu'Ignatius ne faisait pas mine de bouger, elle lui tendit une poignée de fruits. Il n'avait pas faim, il ne ressentait vraiment plus rien mais il les prit tout de même et les mangea sans se soucier si c'était du poison ou non pour lui. Pendant les préparatifs de la Croisade, la question de la nourriture s'était posée : est-ce que la nourriture des démons ne risquait-elle pas d'être toxique pour eux ? Alors ils avaient prévu de grandes quantités de vivres et en mer, ils avaient arrêté de pêcher dès qu'ils s'étaient trop éloignés des terres humaines. En tout cas ces quelques baies ne le tuèrent pas. Cela n'avait pas suffi à apaiser la faim du garçon qui gémissait doucement mais constamment. La femme avait beau lui trouver d'autres baies sur le chemin, cela ne suffisait pas.


Ils firent halte auprès d'un grand arbre. La femme lâcha son enfant avec un soulagement évident. Elle l'avait porté quasiment toute la journée sauf pour le faire marcher quand la douleur dans ses bras était trop forte ou quand il ou elle avait uriné dans un buisson. Là, elle apprécia le répit et se massa les bras endoloris. Ignatius rassembla quelques branches et alluma le feu d'une pensée. La femme sursauta tandis que le garçon éclata d'un rire ravi. Sa bonne humeur fut communicative car Ignatius étira légèrement ses lèvres. Il contrôla une petite boule de feu et la modela en oiseau qu'il fit tourner autour du garçon. Tout heureux, l'enfant battit des mains et chercha à attraper l'oiseau de feu... avant de se faire rabrouer d'un ton sec par sa mère. La démone attira son enfant contre lui, une ombre de frayeur et de méfiance sur le visage. Ignatius en fut de nouveau surpris : pourquoi les démons réagissaient-ils devant la magie ? N'étaient-ce pourtant pas eux qui en étaient à l'origine ? Quelque part il regretta de ne pas pouvoir communiquer davantage avec la femme afin d'en apprendre plus sur les démons. Trop de choses ne collaient pas avec ce qu'il s'était imaginé. Sa vision du monde n'était absolument plus la même et il en était confus.


La femme semblait avoir les mêmes pensées car elle tenta à nouveau de parler avec lui :

« Je suis Kaname et voici mon fils, Chiharu. Qui es-tu ? »

Il lui lança un regard perplexe. Les mots avaient coulé trop vite pour lui alors elle reprit plus simplement en se désignant de la main puis son fils :

« Kaname, Chiharu. Toi ? »

Elle termina en tendant la main vers lui. Là il avait compris qu'elle consentait enfin à partager son nom avec lui. Cela voulait dire qu'elle commençait à lui faire confiance, ne serait-ce qu'un peu.

« Ignatius, » répondit-il.

Elle plissa le front et tenta de répéter le nom en vain :

« I-gu-na... Iguna-chi... Iguna...

Iguna, » la coupa-t'il.

Lucius lui avait dit une fois que les noms des Archanges avaient été choisis pour que les démons ne puissent pas les prononcer. Il n'avait pas menti sur ce point-là. De toute façon, Ignatius ne pouvait plus porter ce nom puisqu'il avait été excommunié et chassé... Il inspira profondément pour refouler sa peine. S'il l'ignorait, elle finirait bien par disparaître, non ?


« Iguna, reprit Kaname, qui es-tu ? »

Il lui renvoya un regard perplexe.

« Iguna, » répéta-t'il en pensant qu'elle n'avait pas compris.

Cependant elle secoua la tête et s'expliqua :

« Tu es des nôtres et pourtant...

Pas des vôtres, la coupa-t'il.

Mais... »

Il lui lança un regard si sévère qu'elle ravala ses objections. Elle déglutit et reprit sur un autre sujet :

« Pourquoi nous aider ? »

Ah, c'était bien normal qu'elle ne comprenne pas. Il chercha les mots justes dans son vocabulaire un peu limité.

« Vous aider, bien. »


L'explication concise ne sembla guère la convaincre et il ne pouvait pas l'en blâmer.

« Ton ami, reprit-elle, ton cher ami...

Mon frère, » précisa-t'il.

Kaname ne cacha pas sa surprise, cependant elle n'objecta pas.

« Tu as trahi ton frère pour nous... »

Il secoua la tête. Elle voulait vraiment rouvrir sa blessure qui saignait encore ! Ce n'était pas le moment et il n'avait sûrement pas envie d'en parler avec elle !

« Dormir, » ordonna-t'il d'un ton sec.

Elle referma la bouche, un peu outrée. Sans doute qu'on ne lui avait jamais parlé sur ce ton. Ignorant sa réaction, il s'allongea sur le côté en lui tournant le dos, ferma les yeux et ne bougea plus. Il entendit le garçon, Chiharu, pleurer doucement car il avait faim. Kaname lui fredonna une douce berceuse dans la langue des démons et même s'il n'en comprit presque rien, Ignatius fut comme bercé par la voix douce et il finit par s'endormir vraiment avec un pincement au cœur en songeant qu'il ne connaîtrait jamais l'amour d'une mère.


~*~


Le lendemain, dans la matinée, ils atteignirent enfin un village. Ignatius poussa un soupir de soulagement intérieur. Les Diables ne l'avaient pas trompé ! En même temps, il s'agissait de sauver deux des leurs alors le contraire aurait été très surprenant. Néanmoins Ignatius en avait fini avec ça. Kaname et son fils allaient retrouver leur peuple et lui s'en irait rejoindre ses frères et accepterait le sort qu'ils lui réserveraient. Étonnamment, Kaname ne parut pas soulagée en voyant le village. Elle ne cessait de regarder dans toutes les directions à la recherche de quelque chose. Ignatius attendit un moment et finit par lui dire en désignant le village du doigt :

« Kaname, aller là. Les tiens. »

Elle lui renvoya un regard circonspect.

« C'est dangereux, » fit-elle.

Elle avait fini par comprendre qu'elle devait faire des phrases courtes avec des mots simples pour qu'il la comprenne, un peu comme si elle parlait à un enfant.


Ignatius plissa le front.

« Moi dangereux, fit-il en se désignant. Là dangereux, » ajouta-t'il en désignant la forêt qu'ils venaient de quitter.

Il pointa ensuite de nouveau le village du doigt et fit d'un ton ferme :

« Là pas dangereux. »

Cependant Kaname secoua la tête frénétiquement.

« C'est dangereux ! Je ne sais pas d'où vous avez surgi ni qui vous a envoyés ici mais je ne mettrai pas des villageois innocents en péril ! Il faut rejoindre Ayaku où se trouve l'Armée Impériale... »

Ignatius n'avait pas compris grand-chose mis à part que Kaname cédait finalement à l'hystérie. Bon, elle avait remarquablement tenu le coup jusque là alors Ignatius ne lui en tiendrait pas rigueur.


Il sursauta en sentant la main fine de la petite femme se poser un peu timidement sur son torse. Elle le regardait d'un air anxieux et semblait s'être calmée.

« Iguna pas dangereux, reprit-elle doucement. Tu nous as aidés. Merci. »

Il la fixa, incapable de dire quoi que ce soit. Elle était un démon et pourtant elle se comportait avec bien plus d'humanité qu'il en avait vue chez bien des personnes. Il aurait bien aimé pouvoir discuter davantage avec elle et en savoir plus sur ces démons qui ne ressemblaient en rien à ce qu'on lui avait dit. Malheureusement les mots lui manquaient. Il n'aurait jamais cru qu'un jour il aurait aimé être capable de mieux parler la langue des démons ! Les Diables bondirent sur l'occasion pour lui souffler :

« Dis-lui ceci : ... »

S'ensuivirent des mots qu'il ne comprit pas. Cela le rendit perplexe. D'ordinaire, bien que les Diables utilisaient leur langue, il pouvait comprendre en gros ce qu'ils disaient comme si la communication dépassait le cadre de la langue. Cette fois il ne comprenait rien et sa méfiance s'accrut aussitôt.

« Je ne lui dirai pas ça, s'indigna-t'il mentalement, tant que vous ne m'aurez pas expliqué ce que ça veut dire.

Fais-nous confiance, insistèrent les Diables. C'est important.

– Hors de question, » s'entêta le jeune homme.

Les ombres s'agitèrent mais renoncèrent... pour le moment.


Pendant ce temps, Kaname avait longuement réfléchi à ce qu'elle devait faire. Elle se tourna de nouveau vers Ignatius et fit :

« Continuons plus loin, vers Ayaku. Je suis sûre que l'Armée Impériale ne va pas tarder. Ah, les Lumineux viendront sans doute aussi... »

Son beau visage s'assombrit à cette pensée. Ignatius, lui, n'avait pas compris grand-chose à part qu'elle voulait aller plus loin.

« Loin où ? Quand ? demanda-t'il.

Quelques jours. Je t'en conjure, aide-nous encore ! »

Ignatius en resta dubitatif. Il n'oubliait pas qu'il devait retrouver ses frères à la baie et il ne voulait pas arriver trop tard. S'il voulait les rejoindre à temps, il devait partir dans la matinée et espérer pouvoir retrouver son chemin. Sinon, sinon... il aurait perdu Lucius pour toujours. D'un autre côté, pouvait-il abandonner Kaname et son fils sur les routes alors qu'elle semblait craindre un danger ? Elle et son fils ne tiendraient pas longtemps sans nourriture et si Kaname persistait à ne pas vouloir se rendre dans un village... Peut-être qu'elle s'imaginait des choses, peut-être qu'elle mentait pour le faire capturer et lui faire alors payer pour les Templiers, mais si elle disait vrai ?


Ignatius ferma les yeux, obligé à nouveau de choisir très vite. La décision de son cœur et de son âme fut sans appel.

« Peu importe, se dit-il. Même si je ne rejoins pas la baie à temps et que mes frères sont déjà repartis, je trouverai un moyen de quitter la terre des démons et de revenir chez moi. Je me souviens encore de la carte, je n'aurai qu'à prendre un bateau ou... passer par les Pialles. Cela me prendra du temps mais cela n'a aucune importance. Avec un peu de chance, Lucius m'aura pardonné d'ici là... »

Son cœur se serra devant cette mince possibilité. Ignatius rouvrit les yeux et croisa le regard anxieux de Kaname. Il acquiesça lentement.

« Moi aider encore, » fit-il d'un ton grave.

Le fin visage de la femme s'illumina de joie et de soulagement, ce qui lui conféra une beauté charmante. Elle le remercia chaleureusement pendant qu'il avait l'impression de trahir encore les siens.


~*~


Même si le village n'était pas sûr aux dires de Kaname, il leur fallait tout de même se procurer de la nourriture ! Puisque aucun d'eux ne savait chasser ou cuisiner, il ne leur restait plus qu'à acheter des vivres. Ignatius le fit comprendre à Kaname qui fronça les sourcils. Elle l'examina des pieds à la tête puis fit la moue, n'approuvant pas sa tenue. Elle retira la tenture fleurie qu'elle avait conservée et la posa sur ses épaules en la nouant pour qu'elle tienne, un peu comme une cape. Ce n'était pas parfait mais elle ne pouvait pas mieux faire. Elle arrangea aussi la tenture autour de son fils en prenant bien soin de lui cacher les cheveux. Ignatius nota ce geste sans poser de question. Kaname retira ensuite sa tenue qui était bien abîmée après un jour en forêt. Ignatius vit ainsi qu'elle avait encore d'autres couches de vêtements en-dessous. Cela n'avait pas l'air confortable, cependant Kaname ne s'était pas plainte de tout le voyage. Elle était vraiment endurante !


Kaname baissa les yeux sur elle et grimaça comme si elle se retrouvait nue. Malgré cela, elle laissa tomber la tenue à ses pieds. Elle défit ensuite sa coiffure dont seule une partie avait survécu au trajet et ses longs cheveux roses pâles tombèrent le long de ses épaules comme une cascade de soie. Sans réfléchir, Ignatius tendit la main pour saisir une mèche de cheveux. Il sentit aussitôt une douleur à son avant-bras. Baissant les yeux, il vit que le garçon venait de le mordre et pas très gentiment.

« Touche pas à ma mère ! » grogna Chiharu sans desserrer les dents.

Il était hors de question de laisser un autre homme que son père poser la main sur sa mère, même s'il s'agissait juste de cheveux !


Kaname se rendit compte de la situation et une expression horrifiée apparut sur son visage.

« Chiharu, vilain garçon ! » le réprimanda-t'elle.

Le garçon ne relâcha sa prise qu'avec réticence puis il lança un regard rempli de griefs à sa mère.

« Maman, » pleurnicha-t'il.

Elle ne se laissa pas attendrir.

« Désolée, désolée, Iguna, » répéta-t'elle plusieurs fois.

Ce dernier secoua la tête, plus amusé que blessé. Ce Chiharu tenait bien de sa mère : sous ses apparences de petit garçonnet rondouillard, il pouvait se montrer féroce quand les siens étaient en danger.


L'incident clos, Kaname termina sa coiffure qui était nettement plus simple que celle qu'elle avait jusqu'à présent : deux chignons au sommet de la tête avec deux nattes qui en sortaient. La coiffure était un peu mal faite comme si Kaname n'avait pas l'habitude de se coiffer seule. Si la noblesse des démons était comme celle des humains, Kaname devait avoir des domestiques pour s'occuper d'elle, ce qui expliquait sa maladresse. La démone rassembla toutes les épingles et perles qu'elle avait retirées de sa coiffure et déchira un pan de la tunique qu'elle avait enlevée afin de les déposer dedans. Elle noua le tout et le mit dans le col de ses vêtements. Elle déchira un autre carré de tissu pour l'enrouler autour de sa tête. Elle parut satisfaite de sa nouvelle tenue. Elle prit son fils par la main, lui signala de ne pas s'éloigner et de garder le visage caché puis elle s'avança vers le village. Ignatius les suivit.


Le village semblait bâti sur le même modèle que le précédent et cela ne put que rappeler les scènes de massacre à Ignatius. D'un air triste, il regarda les habitants marcher dans les rues, les enfants courir et s'amuser joyeusement, les femmes nettoyant leurs maisons... Ces scènes n'auraient pas dépareillé dans un village humain — sauf pour les couleurs étranges de cheveux et les tenues bizarres. Cela renforça le sentiment du jeune homme que la Croisade avait été une terrible erreur. Ils s'étaient rués pour exterminer un ennemi qu'ils ne comprenaient pas et refusaient de comprendre, trop aveuglés par la haine et la peur. Ignatius se jura de ne plus jamais commettre une telle erreur. Quant aux villageois, ils jetèrent un regard en direction des trois nouveaux venus mais ne firent pas plus que ça attention à eux. Quelques enfants pointèrent Ignatius du doigt en riant et il comprit parmi leurs mots qu'ils le trouvaient géant. Il était vrai qu'il était bien plus grand que les gens autour de lui.


Ils passèrent le village sans s'arrêter et Ignatius lança un regard interrogateur à Kaname. Ils devaient acheter de la nourriture pourtant. Avait-elle oublié ? Toutefois Kaname semblait chercher quelque chose du regard. Elle finit par trouver une maison un peu plus isolée avec un champ dans la cour et quelques lapins et poules qui se baladaient librement. La démone pénétra dans la cour et appela. Une femme sortit de la maison avec deux enfants en bas âge derrière elle.

« S'il vous plaît, nous aimerions acheter un peu de nourriture pour la route, fit Kaname.

Il y a un épicier dans le village, épondit la femme avec surprise. Vous y trouverez de tout.

Ah, c'est que... je n'ai pas d'argent sur moi, juste ça. »

Kaname sortit une petite épingle en or et la femme écarquilla les yeux. Ce simple bijou valait plus cher que sa maison et son terrain... non, plus cher que tout le village !


Kaname poursuivit :

« Je vous donne ça en échange de nourriture.

Ce... Que voulez-vous que j'en fasse ? épondit honnêtement l'autre femme. Si mon mari essaie de la vendre à Ayaku, on nous accusera de l'avoir volée. »

N'ayant pas songé à ce problème, les épaules de Kaname s'affaissèrent. L'autre femme regarda derrière la voyageuse et vit un homme et un garçon.

« C'est votre époux et votre fils ? demanda-t'elle.

Juste mon fils. L'homme est... un ami. »

La femme regarda ses propres enfants et soupira.

« Bon, je peux vous donner quelques pommes, des boulettes de riz et de la viande séchée mais c'est tout. Si je vous donne de trop, mon mari et mes fils n'auront plus rien à manger ce soir.

Merci ! » fit Kaname dont le visage s'illumina.


Ils repartirent avec un sac de provisions. Jusqu'au bout, la femme avait refusé l'épingle en or de Kaname. Ils s'arrêtèrent dès que le village ne fut plus en vue pour manger. Chiharu s'empara de la boulette blanche tendue par sa mère et voulut mordre dedans mais elle lui fit d'un ton sévère :

« Attends que tout le monde soit servi. »

Un peu rabroué, il obéit. Kaname tendit ensuite la boulette triangulaire à Iguna qui l'observa sans la toucher. Il ne connaissait pas cette nourriture : c'était blanc, compact et on aurait dit... des asticots bouillis et collés ensemble. Il secoua la tête.

« Mange, c'est bon, » insista Kaname.

Elle mordit même dedans pour prouver ses dires, pourtant il persista à refuser. Un peu perdue, elle lui tendit une pomme. Là il reconnaissait le fruit. Honnêtement, il ne ressentait pas trop la faim bien que cela faisait des jours qu'il n'avait rien mangé. Néanmoins il sentait que Kaname et son fils ne mangeraient pas tant qu'il n'aurait pas accepté quelque chose alors il prit la pomme sans rien dire. Kaname se servit ensuite la boulette de riz et le repas démarra, pour le plus grand bonheur de Chiharu qui retrouva toute son énergie et sa gaieté une fois l'estomac plein.


Une fois les provisions bien entamées, Kaname en garda une partie en réserve bien que Chiharu aurait aimé manger davantage.

« Non, lui fit-elle, nous devons encore marcher.

Aller où, Kaname ? » intervint Ignatius.

Elle lui lança un regard incertain puis se décida :

« Ayaku, c'est à deux jours de marche d'après ce que m'en a dit la villageoise. J'ai des amis là-bas, ils nous protégeront. »

Ignatius hocha la tête. Encore deux jours et il aurait accompli son devoir envers les démons. Il pourrait ensuite retourner à la baie et voir si ses frères étaient encore là. Sinon il repartirait vers l'Est pour franchir les Pialles.







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