ugène attendit d’être seul avec Oscar, Georges se tenait comme toujours en retrait pour aider son maître le cas échéant. Il voulut s’expliquer mais elle le devança.
OSCAR : j’ignore qui vous êtes, Monsieur, mais même si vous arrivez à berner Monsieur de Girodelle, il n’en est pas de même pour moi ! Je connais Monsieur de Châtelet et bien que vous lui ressembliez beaucoup, nous n’êtes pas lui !
Ses mots étaient directs, presque blessants. Elle ouvrit la porte pour quitter cet « imposteur » mais Eugène voulut la retenir… oubliant son handicap, il se lança en avant et chuta lourdement sur le tapis, ses jambes infirmes lestant le reste de son corps.
GEORGES en secourant son maître : Monsieur Bernard !
« Monsieur Bernard » ? Ces paroles avaient échappé au domestique. En entendant ses mots, elle se retourna et le vit relever le jeune homme dans ses bras pour l’installer sur le sofa. Elle l’observa replacer les jambes inertes et y poser une couverture de laine.
EUGENE : merci Georges, tu peux disposer. Mademoiselle de Jarjayes et moi avons à parler.
GEORGES en s’inclinant : bien Monsieur Eugène.
Le serviteur passa devant la jeune femme, la salua le regard triste et sortit en fermant la porte.
EUGENE en l’invitant une nouvelle fois à s’asseoir : s’il vous plaît…
Elle prit place dans le siège qui faisait face au jeune homme. Elle le regardait avec attention, comme pour s’assurer qu’il n’était pas celui qu’il prétendait être.
EUGENE : par quoi commencer ? Je…
Un bruit de porte ébranla la maison. Des pas vifs et une voix forte dérangeaient le calme apparent du salon. De l’autre côté du mur, Eugène et Oscar ne pouvaient ignorer ce qu’il se passait.
« Georges, que faisait Victor ici ? Où est Eugène ? » criait André
« Monsieur Bernard… Monsieur Eugène est à côté mais… » essaya d’expliquer le serviteur à voix basse.
Mais très inquiet de la présence du Capitaine en ce lieu, il ne laissa pas le temps à Georges de le mettre en garde sur la visiteuse. Il ouvrit brusquement la porte pour s’entretenir avec son « frère ».
ANDRE : Eugène… Que voulait Victor ? Que sait-il ?
Le jeune homme paralysé se tourna vers son jumeau. C’était sans doute le pire moment où André devait réapparaître devant lui et surtout devant ELLE. Il n’avait pas remarqué la présence de la jeune femme, mais Oscar, elle, avait vu la scène se dérouler sous ses yeux : l’irruption de celui qu’elle croyait être Bernard de Châtelet alors qu’elle était censée s’entretenir déjà avec lui.
EUGENE : Lui ne soupçonne rien, elle par contre…
Il déplaça son regard vers la jeune héritière. André se calma aussitôt. C’était pire que tout ce qu’il avait pu envisager ! Comme si le fait de l’avoir sauvagement agressée ne suffisait pas, elle avait maintenant sous les yeux la preuve évidente de la supercherie orchestrée par Monsieur de Châtelet.
Les yeux bleus passèrent d’un homme à l’autre. Elle fut saisie par leur ressemblance, seuls quelques détails les différenciaient, du moins quand on les voyait côte à côte, car pris séparément, il était aisé de les confondre. Le tumulte prit le pas sur tout sentiment. D’une main ferme, elle sortit son épée du fourreau et mit en joue André. Elle en avait suffisamment vu pour comprendre que l’homme assis ne pourrait pas s’enfuir. Alerté, Georges voulut porter secours à son maître mais André l’en empêcha d’une main. Puis il s’approcha de la jeune femme et se plongea dans ses yeux au bleu profond.
ANDRE en posant sa main sur la garde d’Oscar : vous n’aviez pas besoin de faire ça. Vous l’auriez certainement découvert un jour ou l’autre. Il y a bien tromperie. Comme pour vous… Je vous présente Bernard de Châtelet.
Il avait écarté la lame de sa gorge et avait tendu sa main dans sa direction. Oscar regarda avec effroi la vérité. Elle avait cru que cet homme au regard azuré se faisait passer pour son ami or c’était bien plus compliqué : Bernard, le Bernard qu’elle connaissait était l’usurpateur. Elle réalisa alors l’ampleur de l’affaire : un homme avait réussi à se faire accepter à l’école des officiers en se faisant passé pour un noble !
Mise devant le fait accompli, elle ne sut que faire ou que dire. Elle avait appris à connaître ce compagnon, elle commençait à en apprécier la ténacité que peu d’hommes osaient lui montrer mais cet homme qui avait ébranlé le soldat qu’elle était, n’était qu’une invention, un mensonge. Quelque chose venait de se briser… Incapable du moindre mot, elle tourna les talons et s’enfuit. Les larmes qui coulèrent de ses yeux reflétèrent ce que son cœur gardait en silence.