Chapitre 28 : Le Roi et sa concubine
Xu Xingzhi ne dit pas un mot. Il saisit la main de Tao Xian, tourna les talons et courut.
Il n’avait fait que deux pas qu’il fut obligé de s’arrêter et de reculer de quelques pas
L’homme qui avait été assis paresseusement sur le trône l’instant d’avant se trouvait désormais juste devant lui, ses longs cheveux cascadant tout autour de lui, et un verre de vin de fruit à la main. Un peu d’alcool coulait le long de sa bouche et il le ressuya, ce qui laissa une marque rouge sur le dos de sa main toute blanche.
Il sourit et demanda :
« Où est-ce que tu veux aller ? »
Xu Xingzhi regarda automatiquement derrière lui mais vit l’homme sur le trône qui lui souriait toujours, la joue posée sur une main.
Il regarda de nouveau devant lui mais une main se referma autour de son cou.
Ses pieds furent soulevés du sol et Xu Xingzhi eut soudain énormément de mal à respirer. Au moment où il voulut se servir de la dague dans sa main, il se rendit soudain compte que sa main était vide.
« C’est une bonne dague, fit l’homme en soupesant la dague qu’il venait de lui prendre. La lame est aiguisée, elle doit pouvoir couper de l’acier comme si c’était de la boue. C’est une excellente arme pour éliminer les fantômes et les démons. »
Xu Xingzhi se débattit et tenta de se libérer de la prise de l’homme, mais le bras était solide comme de l’acier et refusait de bouger.
Tao Xian se jeta sur l’homme dans l’intention de le combattre, mais cet homme ne daigna même pas se battre avec lui : d’un revers de la manche, il envoya Tao Xian voler dans les airs dans un souffle de vent. Le jeune homme heurta une statue et quand il tomba à terre, il était déjà inconscient.
L’homme projeta la dague d’un revers de la main et la lame fendit l’air en sifflant avant de s’enfoncer dans l’épaule d’une autre statue.
Un cri rauque et étrange jaillit de l’intérieur de la statue à forme humaine et il résonna d’un ton lugubre dans la grande salle vide.
« Ce sont tous des gens qui ne m’ont pas satisfait autrefois. »
L’homme ne voulait visiblement pas tuer Xu Xingzhi tout de suite. Il déposa le faible Xu Xingzhi par terre et s’approcha de ses oreilles qui bourdonnaient pour dire :
« Désormais, leurs âmes sont emprisonnées à tout jamais dans l’argile. Qu’ils le veuillent ou non, ils doivent rester avec moi tous les jours. Si tu ne veux pas que ton ami finisse comme une de mes statues, tu ferais mieux de m’obéir. »
Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !
Xu Xingzhi cracha un peu de sang. Il était désormais convaincu que cet homme était le seigneur du Ruisseau du Tigre Bondissant et le Roi Fantôme qui dirigeait des milliers de soldats fantômes et d’innombrables esprits.
« … Si je t’obéis, tu pourras le laisser partir du Ruisseau du Tigre Bondissant ? »
Le Roi Fantôme réfléchit soigneusement :
« Je le tuerai directement, comme ça il souffrira moins.
– Comme c’est aimable de ta part, » répliqua Xu Xingzhi.
Le Roi Fantôme put entendre l’ironie dans ses paroles et il rit, sans vouloir répliquer.
Xu Xingzhi toussa encore quelques fois et ses membres retrouvèrent peu à peu de la force.
Il se redressa et fit :
« … Accepte au moins d’attendre que je sois mort pour le tuer. »
Cela parut intriguer grandement le Roi Fantôme :
« Ah bon ? Pourquoi ?
– Je lui ai fait une promesse : il ne mourra pas avant moi, expliqua Ye Yingzhi. Tu n’as pas dit que tu aimes mon “cœur bienveillant et juste” ? Alors accepte ce petit souhait de ma part, d’accord ?
– Lui et toi… ? »
Le Roi Fantôme prit un air étrange.
« Quelle est ta relation avec lui ? »
Xu Xingzhi toucha sa gorge qui portait à présent la marque violacée de la main qui l’avait étranglé et calcula mentalement avant de donner une réponse relativement correcte :
« Cela fait dix jours que je l’ai rencontré, alors c’est une connaissance. »
Le Roi Fantôme ne le crut pas et renifla de doute.
Xu Xingzhi le fixa sans cligner des yeux.
En voyant sa réaction, le sourire du Roi Fantôme disparut progressivement.
« Tu veux le sauver ? »
Xu Xingzhi se tenait sur son unique main.
« Comment le pourrais-je ? Je ne peux même pas me sauver.
– Quelqu’un a fait irruption dans mon labyrinthe des vingt-sept illusions pour vous sauver. Tu veux gagner du temps jusqu’à ce qu’il arrive ? »
Xu Xingzhi ressuya le sang qui coulait au coin de ses lèvres puis ressuya ses mains sans vergogne sur le col des vêtements splendides du Roi Fantôme.
« J’avais peur qu’il n’arrive pas à temps, mais il se pourrait bien que si. »
Depuis qu’il était arrivé dans les Terres Sauvages, Xu Xingzhi avait l’impression que sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Maintenant que l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête s’était abattue, s’il n’en profitait pas pour dire franchement ce qu’il avait à dire, il n’en aurait plus l’occasion une fois mort. Ce serait vraiment trop dommage.
« Il y a un labyrinthe à vingt-sept illusions dans le Ruisseau du Tigre Bondissant et jusqu’à présent, personne dans les Terres Sauvages n’a pu le franchir. Une seule personne a pu arriver loin et il est devenu fou, coincé à la treizième illusion. »
Le Roi Fantôme regarda Xu Xingzhi comme s’il venait de se trouver un nouveau jouet.
« … Ton compagnon est foutu.
– Ouah, je suis impressionné, oh ! répondit Xu Xingzhi d’un ton insouciant.
– ... »
Après un long silence, le Roi Fantôme lui balança sans prévenir un coup de poing au visage qui assomma Xu Xingzhi au sol.
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Ce n’était pas de la rigolade : Xu Xingzhi fut incapable de voir ou d’entendre quoi que ce soit pendant un bon bout de temps.
Quand il put de nouveau voir clair, il avait été amené dans une chambre et attaché à un lit. Il ignorait si on l’avait drogué ou pas, en tout cas il était paralysé et faible, incapable de bouger.
… Depuis son arrivée dans les Terres Sauvages, Xu Xingzhi avait pratiquement été incapable de se détendre un jour. Il se faisait soit attacher ou menotter. Même durant le trajet de plus de dix jours pour atteindre le Ruisseau du Tigre Bondissant, Meng Chongguang devait l’attacher à lui avec une chaîne argentée avant de consentir à s’endormir.
Alors en cet instant, même s’il était ficelé comme un cochon, Xu Xingzhi fut en mesure de conserver son calme.
Le Roi Fantôme le fixa de la tête aux pieds.
Sans aucune expression particulière sur le visage, il fit :
« … Personne ne me parle comme ça, sauf lui. »
Il avait suffi de quelques échanges pour que Xu Xingzhi perce à jour sa nature changeante, cependant il fit comme à son habitude. Il pressa sa langue contre la plaie dans sa bouche, là où une dent avait ouvert sa joue, et fit en articulant mal :
« Alors tu es vraiment à plaindre.
– Et toi, tu es très intéressant, répliqua le Roi Fantôme en arborant à nouveau son sourire de serpent. Et si tu m’en disais plus ? J’ai bien peur qu’après avoir lavé ton âme, tu n’auras plus l’occasion de parler de manière aussi excentrique. »
… Laver son âme.
Xu Xingzhi avait toujours eu des lectures diverses et variées. Cela faisait belle lurette qu’il avait oublié dans quel livre bizarre il avait lu cette technique secrète, mais il se rappelait encore clairement que ce lavage d’âme était un sort communément utilisés par les Revenants et les démons.
Cette technique consistait à implanter un restant d’âme incomplète dans un corps contenant une âme complète. On utilisait ensuite le sort pour inciter les souvenirs de l’âme incomplète à infiltrer progressivement ceux de l’âme complète. Rapidement, le restant d’âme allait faire croître des branches et des lianes pour s’enrouler complètement autour des souvenirs de l’âme complète afin de se compléter et de vider les souvenirs de l’âme complète d’origine.
Telle une colombe occupant le nid d’une pie Apparemment, les colombes ne savent pas faire de nid et s’emparent donc de celui des pies. (1), le pratiquant de la technique n’avait plus qu’à chasser l’âme du corps puis placer le cœur encore tiède dans le corps d’origine de l’âme incomplète, et il pourrait réussir à ramener cette personne à la vie.
En résumé, le Roi Fantôme avait tendu ces pièges et soigneusement sélectionné les gens, tout ça pour utiliser un cœur et le lavage d’âme afin de ressusciter quelqu’un.
Sans attendre que Xu Xingzhi ne proteste, le Roi Fantôme sortit aussitôt de son col, côté cœur, un mouchoir en lin dont les bords étaient usés et l’ouvrit à plat.
Un pétale de fleur séchée qui reposait au centre du mouchoir tomba et atterrit lentement sur le torse de Xu Xingzhi.
Dans le mouchoir se trouvait un petit pot à capturer les âmes, ainsi que plusieurs pétales de fleurs de Luohan séchées.
Le Roi Fantôme descella précieusement le couvercle du pot autour duquel se trouvait une chaîne de jade et le protégea de sa paume. Puis il versa l’âme étiolée sur le front de Xu Xingzhi.
Au moment où le restant d’âme pénétra dans son corps, Xu Xingzhi eut l’impression qu’une hache géante venait de trancher son front. Il se redressa et poussa un hurlement à vous glacer le sang.
De l’ombre et de la lumière défilèrent à toute vitesse devant ses yeux, et certains détails flous devinrent plus clairs au fil du temps. Après que Xu Xingzhi ait exploré le début compliqué et confus, il en sortit finalement une histoire multicolore et éclatante.
Après ça, Xu Xingzhi fit un très long rêve.
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Dès le début, ce rêve lui dit qu’il s’appelait Ye Buyi et que l’autre personne dans ce rêve s’appelait Nan Li.
Ye Buyi avait rencontré Nan Li pendant qu’il portait un cadavre sur son dos, treize ans auparavant.
Nan Li était en train d’accorder son sheng Un orgue à bouche. (2) au sommet d’une colline couverte de fleurs de Luohan. De temps en temps, il baissait les yeux pour voir le petit cultivateur Ye Buyi qui avançait laborieusement avec le corps sur son dos.
Les yeux de Ye Buyi étaient rouges à force de pleurer, comme une petite pêche charnue, fraîche et tendre. Sans crainte de se faire mal aux yeux, il ne cessait de les ressuyer de sa manche.
Nan Li l’observa pendant très longtemps.
Toutefois, Ye Buyi ne le remarqua pas. Quand il fut trop épuisé pour marcher, il allongea le cadavre par terre. Après avoir reprit son souffle, il ramassa de nouveau le corps, prêt à reprendre sa route.
La voix de Nan Li résonna soudain pour lui faire remarquer :
« Le Ruisseau du Tigre Bondissant se trouve juste devant, tu veux vraiment continuer ? »
Ye Buyi sursauta en entendant subitement une voix humaine, puis il leva les yeux vers lui. Avec ses grands yeux en fleur de pêcher, il avait l’air d’un tout petit animal.
Il fixa un moment Nan Li de ses grands yeux écarquillés, puis il se rendit compte qu’il avait affaire à un habitant des Terres Sauvages.
Tout en tremblant, il tira son épée de son fourreau.
« Ne-n’approche pas. »
Nan Li bondit de la falaise. Ye Buyi ferma les yeux, terrifié, mais quand il les rouvrit, l’autre homme avait disparu.
Pendant qu’il en restait sidéré, il entendit du bruit derrière lui et eut si peur qu’il faillit en lâcher son épée.
Nan Li était en train d’examiner le cadavre dans son dos avec sa main.
« Quel est ton lien avec cette personne ? »
Ye Buyi recula précipitamment de quelques pas, jusqu’à se retrouver dos à la falaise. Tenant la poignée de son épée nerveusement, il répondit :
« … En fait, je ne le connais pas.
– Si tu ne le connais pas, pourquoi tu le transportes sur ton dos ? demanda Nan Li, intrigué.
– Nous sommes de la même secte, fit doucement le cultivateur. Tendre une main charitable, c’est que ce doit faire un homme de bien… C’est ce que grand frère martial Xu nous a appris. »
Nan Li eut un léger rire.
« Dis-moi, ton grand frère martial Xu ne t’a-t’il dont pas appris que regarder dans les yeux quand quelqu’un te parle, c’est ce que doit faire un homme de bien ? »
Ye Buyi se dit qu’il n’avait pas tort, alors il tenta de regarder Nan Li droit dans les yeux. Cependant, il dut détourner de nouveau le regard à cause de son visage d’une beauté incomparable.
« … Tu-tu viens des Terres Sauvages ? »
Nan Li regarda attentivement les yeux qui esquivaient et ne répondit pas.
Voyant que l’autre homme le fixait ainsi, le visage de Ye Buyi devint un peu chaud.
« Je dois y aller. »
Nan Li lui saisit soudain le poignet.
« Où est-ce que tu comptes aller tout seul ? »
Ye Buyi devint très nerveux et répondit :
« Lâche-moi. J’ai entendu dire que dans ce monde, il y a un Roi Fantôme qui vit dans le Ruisseau du Tigre Bondissant. Il a plusieurs centaines de milliers d’années. Comment pourrais-je le combattre ?
– Alors où est-ce que tu veux aller comme ça, avec ce cadavre sur le dos ? s’enquit Nan Li.
– Je veux trouver un endroit avec de l’eau et de la végétation en abondance, répondit Ye Buyi d’un ton ingénu. Je veux y enterrer ce condisciple cultivateur.
– Alors tu vas juste courir droit à ta mort. »
Nan Li renifla et ajouta :
« Ces derniers jours sont vraiment très étranges. Plusieurs cultivateurs ont été jetés dans les Terres Sauvages l’un après l’autre. Six ou sept d’entre eux sont récemment morts dans le coin.
– Vraiment ? réagit Ye Buyi en écarquillant les yeux. … Qui va les enterrer ?
– On n’enterre pas dans les Terres Sauvages.
– … Pourquoi ? »
Nan Li ignorait pourquoi il faisait ça, mais il expliqua patiemment à ce petit cultivateur :
« Il y a toujours des fantômes ou des monstres possédant un faible niveau de cultivation qui ne sont pas en mesure de se battre pour de la nourriture. Ces cadavres sont donc un festin pour eux. Si on enterre les gens, cela leur demandera beaucoup d’efforts pour les déterrer. Ne serait-ce leur rendre la tâche encore plus difficile ? »
Ye Buyi fit nerveusement :
« Alors que puis-je faire avec mon condisciple… ? Je ne peux pas le laisser comme ça. »
Nan Li réfléchit un moment puis fit :
« Je sais où il y a un lac d’eau douce dans le Ruisseau du Tigre Bondissant. Il est entouré par les montagnes et les forêts. C’est un endroit très agréable. Suis-moi, si tu me fais confiance.
– Mais il y a le Roi Fantôme dans le Ruisseau du Tigre Bondissant…
– Je connais bien ce Roi Fantôme, affirma Nan Li. Si je lui touche deux mots en ta faveur, il acceptera forcément ta requête.
– Tu mens, fit Ye Buyi, une lueur apparaissant dans ses yeux noirs. … Tu mens. C’est toi, le Roi Fantôme. »
Ce fut au tour de Nan Li d’en rester stupéfait.
« Comment tu sais… ? »
Dès qu’il ouvrit la bouche, Ye Buyi pâlit et fut frappé de panique : il s’enfuit en courant, avec le cadavre sur le dos.
Nan Li comprit son intention et son corps disparut en un éclair. Ye Buyi, qui était en train de détaler comme un lapin, entra en collision avec lui et faillit tomber à la renverse.
Les lèvres de Nan Li s’étirèrent en un léger sourire.
« … Petit prêtre taoïste, tu as osé me tromper. »
La main du cultivateur qui tenait l’épée tremblait comme une bougie dans le vent. Ses yeux se remplirent de larmes.
« Ne t’approche pas, ne... »
Nan Li se moqua de lui.
« Personne ne t’a jamais appris à bien tenir une épée ?
– Je ne suis qu’un disciple externe, répondit Ye Buyi en tremblant. Je n’ai guère de talent…
– Alors tu faisais quoi dans votre montagne des immortels ? demanda Nan Li en se retenant de rire.
– Je balayais. »
Le rire de Nan Li éclata.
Il cessa de dissimuler son identité et énonça ouvertement ses conditions :
« Je vais t’offrir un endroit où vivre et permettre à ce cultivateur inconnu d’être enterré proprement. Mais tu dois me suivre.
– Non, refusa instinctivement Ye Buyi.
– Où pourrais-tu aller sinon ? répliqua l’autre homme. Aller à la recherche de tes amis taoïstes qui sont morts un peu partout ? Ou bien te faire enlever par un fantôme ou un démon dans les Terres Sauvages qui abusera de toi jusqu’à ce que tu en meurs ? Ce n’est pas simple de se trouver un endroit sûr dans les Terres Sauvages. Si je t’offre un asile, c’est parce que tu me plais bien, alors ne va pas refuser la faveur qu’on t’accorde. »
Ye Buyi réfléchit et se dit qu’il n’avait pas tort.
« .. Mais tu dois d’abord me promettre que tu ne m’obligeras jamais à tuer d’autres taoïstes... »
Avant qu’il ne termine ici, il avait entendu dire que les gens des Terres Sauvages étaient très cruels et pervertis. Ces prisonniers exilés avaient atterri ici parce qu’ils avaient été châtiés par des sectes, alors cela faisait longtemps qu’ils haïssaient les sectes. Quand un cultivateur avait le malheur de commettre un énorme crime et se retrouvait là, les gens des Terres Sauvages allaient forcément s’amuser avec lui avant de le tuer quand ils en auraient assez.
Il avait donc très peur que Nan Li ait des intentions cachées en voulant le recueillir.
« … Ne t’en fais pas pour ça, assura Nan Li. Vu que tu manies l’épée comme un chat à trois pattes, tu risques plutôt de te faire tuer par eux. »
Ye Buyi y réfléchit de nouveau et sentit que ce n’était pas faux du tout.
« En ! »
Nan Li le regarda agir de manière bête et stupide, et son humeur s’améliora aussitôt.
« … Stupide petit prête taoïste. »
Ye Buyi s’enquit :
« … Mais alors, qu’est-ce que tu veux que je fasse pour toi en échange ? »
Nan Li lui tapota la tête :
« Balayer. »
Nan Li conduisit donc un Ye Buyi sidéré au Ruisseau du Tigre Bondissant, puis l’accompagna pour enterrer l’étranger taoïste près d’un lac splendide.
Cette nuit, Ye Buyi balaya la chambre de Nan Li toute la nuit. Il pleura toute la nuit de ses deux petits yeux en fleur de pêcher.
… L’allée fleurie n’a jamais été nettoyée pour accueillir un invité. C’est juste pour votre seigneurie que le portail s’ouvre pour la première fois Extrait d’un poème de Du Fu (712-770). Dans le poème, il s’agit vraiment d’accueillir un invité, tandis qu’ici… Vous devinez le sens ! (3).
Ye Buyi était si abattu qu’il refusa d’adresser le moindre mot à Nan Li. Il se recroquevilla sous la couverture et trembla.
Nan Li caressa ses cheveux trempés de sueur.
« Sois gentil.
– Espèce de menteur ! s’écria Ye Buyi en sanglot. En fait, tu m’as amené ici parce que tu voulais, tu voulais... »
Incapable de trouver les mots adéquats pour décrire sa situation présente, ses joues perdirent leur couleur sous l’effet de la colère.
« … Toi, tu seras puni un jour pour ce que tu as fait ! »
Nan Li éclata d’un rire incontrôlable et tapa le matelas.
Ye Buyi enfouit son visage rouge sous la couverture et marmonna :
« Menteur. »
Nan Li se rallongea sur le dos. Il saisit le menton du jeune cultivateur et l’obligea à le regarder droit dans les yeux.
« Je ne te mentirai plus à l’avenir. Je vais bien te traiter, d’accord ? »
Ye Buyi ne le crut naturellement pas.
« Alors tu dois me le jurer avec ton petit doigt.
– … C’est quoi, ça ? »
Ye Buyi lui apprit comment faire et rapidement, ils croisèrent leurs petits doigts. Après ça, leurs pouces se superposèrent et leurs doigts s’entrelacèrent.
Ye Buyi commença par rougir de cette action ambiguë et il voulut retirer sa main, mais Nan Li la retint.
Il demanda :
« Encore une fois ? »
Ye Buyi sauta du lit pour s’enfuir mais Nan Li, impitoyable, le ramena de force.
… Ye Buyi s’installa pour de bon au Ruisseau du Tigre Bondissant.
Son unique tâche était de balayer la chambre de Nan Li, le Roi Fantôme. Après ce balayage, il ne pouvait pas se lever pendant des jours.
Nan Li le traita très bien et apprit même beaucoup de choses sur lui.
Ye Buyi était l’enfant de la concubine d’un grand marchant et il était frêle de naissance. Son père fut convaincu par un prêtre taoïste de passage que la cultivation pourrait sauver la vie du garçon. Alors le père fit un long voyage et apporta plein d’argent pour que le petit Ye Buyi intègre l’une des quatre grandes sectes honorables : l’Île du Fleuve Céleste.
Bien que Ye Buyi soit resté dans la secte de l’âge de cinq ans à l’âge de dix-sept ans, il ne maîtrisa aucune technique digne de ce nom. Cependant, son corps devint plus fort grâce au balayage quotidien.
Les soldats fantômes du Ruisseau du Tigre Bondissant savaient tous quel était le rôle de ce petit prêtre taoïste dans sa tenue bleu foncé avec des nuages dorés brodés dessus que le Roi Fantôme avait ramené avec lui. Les plus sérieux se montraient respectueux envers lui, tandis que les plus débridés l’appelaient en privé la concubine.
le visage de Ye Buyi rougissait et brûlait à chaque fois qu’il entendait quelqu’un le désigner ainsi, et il s’éloignait rapidement.
De temps en temps, il allait visiter la tombe de ce condisciple qu’il n’avait jamais connu. Quand il revenait de là-bas, il ramenait toujours à Nan Li une poignée de fleurs fraîchement cueillies près du lac.
« C’est pour toi.
– Pourquoi ? demanda Nan Li en prenant les fleurs.
– Parce que… fit le petit prêtre en rougissant. Parce que je trouve que ça irait très bien dans notre demeure. »
Nan Li sourit et ne commenta pas. Il le prit dans ses bras et déposa un baiser sur son front.
Puis le petit taoïste rougit de nouveau et courut dans la cour pour inspirer un grand coup.
Parfois, Nan Li emmenait le petit prêtre pour nager dans un lac aux eaux limpides.
Nan Li aimait bien jeter quelques trésors et objets dans le lac puis il demandait à Ye Buyi de sauter dans l’eau pour les retrouver.
Ye Buyi ne savait pas nager mais puisque le lac n’était pas trop profond, il mettait la tête sous l’eau sans rechigner et retenait son souffle tout en sondant les profondeurs du lac.
Il n’y avait pas de raison particulière à ce jeu stupide. S’il fallait en donner une, c’était parce que Nan Li adorait voir l’air sérieux de Ye Buyi pendant que ce dernier se donnait un mal de chien pour retrouver les objets.
Et dès que le jeune homme retrouvait un objet que Nan Li avait lancé, il revenait sur la berge, la queue fièrement dressée, et se vantait, complètement trempé :
« Nan Li, Nan Li, regarde ! »
Alors Nan Li pressait au sol Ye Buyi qui était trempé comme une soupe et, avec le ciel comme toit, il lui faisait l’amour sauvagement et passionnément, parvenant à faire baisser de nouveau sa petite queue.
Le printemps succéda à l’hiver, le froid céda la place à la chaleur. Sans s’en rendre compte, Ye Buyi avait passé trois ans dans le Ruisseau du Tigre Bondissant.
Un jour, pendant qu’il portait les vêtements de Nan Li qu’il venait de laver lui-même et qu’il comptait profiter d’un rare jour de beau temps pour les mettre à sécher dehors, il entendit une conversation entre deux fantômes.
Ils parlaient de la concubine.
Ye Buyi crut d’abord qu’ils parlaient de lui, alors il fut sur le point de s’enfuir timidement. Ce fut alors qu’il entendit un des esclaves fantômes soupirer :
« Si seulement la concubine et le petit dans son ventre étaient encore en vie…
– C’est vrai, renchérit l’autre. S’ils étaient encore là, sa Majesté ne serait pas tombé aussi bas, à coucher avec un homme en permanence. »
Ye Buyi serra les vêtements mouillés contre lui et partit.
Il se couvrit la bouche, de peur d’exhaler un peu d’air et d’alerter les deux esclaves fantômes.
Nan Li avait donc eu une femme et un enfant avant ? Pourquoi n’en avait-il jamais entendu parler ?
Après que Ye Buyi ait pendu les vêtements ailleurs, il était très bouleversé et ne voulut pas retourner dans sa chambre. Il se mit à errer sans but, tâchant de se rassurer.
Quand il passa près d’un magnifique palais en pierre, il s’arrêta.
Une fois, pendant qu’ils étaient au lit, Nan Li lui avait dit en riant qu’il pouvait se rendre n’importe où dans le Ruisseau du Tigre Bondissant, sauf dans ce palais de pierre à l’est.
Ye Buyi avait demandé par curiosité :
« Que se passera-t’il si j’entre dedans ? »
Nan Li avait souri et répondu :
« Alors je t’arracherai les yeux. »
Dans cette atmosphère tendre, Ye Buyi avait pris ça à la plaisanterie. Mais à présent qu’il contemplait le palais devant lui, un grand froid envahit son cœur.
Il poussa prudemment les portes du palais poussiéreux.
Une heure plus tard, il sortit de là, le visage blême.
Ce palais était complètement rempli d’objets qui avaient appartenu à l’épouse de Nan Li de son vivant.
C’était une femme, une femme qui pouvait porter un enfant dans son ventre.
… Tandis que lui était un homme.
C’était l’amour d’enfance de Nan Li, et elle était une Revenante comme lui.
… Tandis que lui était un humain.
Elle était du genre à rire tout le temps. En voyant la fresque qui recouvrait un mur entier et qui représentait son visage souriant, il avait eu soudain l’impression de pouvoir entendre son rire cristallin.
... Tandis que lui était du genre à pleurer tout le temps.
D’après sa biographie, c’était une femme possédant un pouvoir spirituel à l’égal de Nan Li.
… Tandis que lui n’était qu’un bon à rien, qui n’avait pas fait le moindre progrès en cultivation après douze années de pratique.
La seule chose que Ye Buyi avait en commun avec cette femme, c’étaient ses yeux.
La forme de leurs yeux était si semblable que lorsque Ye Buyi était tombé sur le grand portrait au mur, il avait cru qu’il se regardait dans un miroir et tout son corps avait frissonné.
Quand il retourna dans sa chambre, il resta hébété un long moment.
Bizarrement, il repensa au jeu de Nan Li qui jetait des objets dans le lac et qu’il devait récupérer.
Nan Li avait perdu une personne très importante cette fois, et Ye Buyi voulait la lui ramener.
Personne n’avait appris à ce stupide petit taoïste comment aimer quelqu’un, alors il se mit à apprendre tout ce qu’il pouvait sur la défunte.
Il apprit à porter comme elle des tenues teintées en indigo avec le suc d’une fleur.
Il se piqua plusieurs fois les doigts afin d’apprendre la broderie.
Il apprit à sourire sans montrer les dents, afin de paraître généreux et indulgent.
Les changements furent si évidents que Nan Li ne pouvait pas les rater.
Toutefois, après s’être rendu compte des changements, il se montra plus froid et distant envers Ye Buyi. Il ne l’invitait plus aussi souvent dans sa chambre et vint rarement le taquiner comme il le faisait avant.
Cela rendit Ye Buyi de plus en plus nerveux. Il ne comprenait pas ce qu’il pouvait bien faire de mal, alors il s’appliqua avec encore plus de diligence à pratiquer la broderie et à trouver diverses plantes qui pouvaient servir à fabriquer des tissus doux.
Un jour, Nan Li vint le voir. Après à peine quelques mots, il fronça les sourcils.
« Qu’est-ce que tu caches dans ton dos ?
– Rien, rien du tout, » s’empressa de répondre le prêtre.
Nan Li n’avait plus aucune patience avec lui : il lui prit les main pour les examiner et son visage s’assombrit soudain.
Les paumes et le dos des mains du jeune homme étaient enflés et couvertes de piqûres et d’enflures causées par des plantes toxiques. De nouvelles plaies se superposaient sur les anciennes, ce qui donnait à l’ensemble un air terrifiant au premier regard.
Ye Buyi fut bien trop paniqué pour regarder Nan Li dans les yeux.
« Je… Je… »
Après un moment, il entendit le verdict sans appel de Nan Li :
« C’est vraiment dégoûtant. »
Ye Buyi crut qu’il avait mal entendu alors il tourna la tête pour regarder bêtement l’autre homme.
Nan Li se leva, de mauvaise humeur.
« Je m’en vais. »
Après son départ, Ye Buyi en eut l’esprit troublé. Il se rendit dans la cour pour se laver frénétiquement les mains avec du savon. Il voulait retirer la rougeur et les enflures de ses mains.
Dans les Terres Sauvages, le savon était fabriqué à partir de graisse animale et végétale. Il était extrêmement rugueux. À cause de la friction intense qui dura plus d’une heure, les mains du cultivateur devinrent engourdis et douloureuses.
En même temps qu’il se lavait les mains, il versait des larmes de douleur.
… Toutefois, il ne fit qu’empirer les choses : après le lavage, ses mains devinrent seulement encore plus rouges et enflées.
Frustré, Ye Buyi retourna dans sa chambre. Il fit les cent pas un bon moment avant de prendre une décision. Il prit le mouchoir en lin qu’il avait voulu offrir à Nan Li aujourd’hui et courut rapidement au palais de l’autre homme.
… Il voulait faire la paix. Il ne voulait pas que Nan Li le déteste.
Mais quand il s’approcha, il put clairement entendre qu’on cassait des choses à l’intérieur, ainsi que la voix réconfortante du serviteur de Nan Li, Zhu Dongfeng.
Il perdit alors le courage d’entrer et fit deux fois le tour du palais avant de faire mine de partir.
Au moment où il faisait demi-tour, il entendit distinctement la voix de Nan Li dans le palais :
« … Tu sais quoi ? Il veut en fait devenir Yunhua. »
… Yunhua était le nom de l’épouse de Nan Li.
Par une curieuse coïncidence, Ye Buyi se retrouva à coller l’oreille contre la porte pour écouter attentivement.
Zhu Dongfeng fit :
« Il fait le perroquet : il a beau imiter une très belle femme en fronçant les sourcils comme elle, il n’en devient que plus laid. Il n’est vraiment pas digne de vous. »
Nan Li était très énervé.
« Pourquoi voudrait-il imiter quelqu’un d’autre ? Et pourquoi Yunhua surtout ? Il croyait que ça me plairait ? Il se prend pour une femme ou quoi ? J’ai horreur des hommes qui se comportent comme des femmes ! »
Ye Buyi ouvrit la bouche mais se rendit compte qu’il avait perdu toutes ses forces et était incapable d’émettre le moindre son.
… Il avait fait tant d’efforts pour devenir la personne que Nan Li aimait, il voulait le rendre un peu heureux. Cependant, Nan Li venait de faire un tel commentaire sur lui.
Vraiment dégoûtant, dégoûtant.
Avant que Ye Buyi n’ait le temps de récupérer de ce choc, il entendit la voix très furieuse de Nan Li venant de l’intérieur :
« Franchement, la seule chose que Yunhua et lui ont en commun, ce sont les yeux. Le reste n’a rien du tout à voir. S’il n’avait pas eu ces yeux, je me moquerais bien qu’il crève quelque part dans les Terres Sauvages ! »
Nan Li était vraiment furieux et inquiet.
Quand il avait découvert que Ye Buyi avait commencé à imiter le comportement et les tenues de son épouse décédée, il comprit que le prêtre avait dû pénétrer dans le palais dont il lui avait interdit l’entrée.
Nan Li détestait le plus qu’on lui désobéisse, surtout qu’il s’agissait cette fois de Ye Buyi, celui qui se montrait le plus docile avec lui.
Mais il refusait d’admettre qu’il avait eu peur en découvrant ça.
Cela pouvait sembler drôle de se dire que le majestueux Roi Fantôme aurait peur d’un petit cultivateur de rien du tout.
Mais Yunhua était Yunhua et Ye Buyi était Ye Buyi. Il n’aimait pas l’idée que Ye Buyi devienne quelqu’un d’autre, et encore moins Yunhua.
Emporté par ses émotions, il avait même spéculé sombrement que Ye Buyi voulait peut-être le menacer par cette imitation, sous-entendant qu’il connaissait déjà son secret.
Est-ce qu’il attendait que Nan Li lui explique les choses ?
Est-ce qu’il se moquait en secret de le voir si anxieux ?
Est-ce qu’il s’estimait si important pour lui ?
Nan Li détestait ce sentiment de se faire menacer. Toutefois, après s’être énervé contre Ye Buyi, non seulement son humeur ne s’améliora pas mais ce fut encore pire.
… Il avait vraiment été attiré par Ye Buyi à cause de ces yeux.
Mais qui passerait chaque jour de sa vie avec quelqu’un pendant trois ans juste pour une paire d’yeux ?
Après avoir avalé un verre entier de liqueur amère, Nan Li voulut fracasser la coupe en argent par terre.
Le cœur rempli de contrariétés, il n’avait même pas remarqué qu’un petit cultivateur avec si peu de pouvoir spirituel était resté à la porte si longtemps.
Ce fut Zhu Dongfeng qui remarqua la petite silhouette fine par l'entrebâillement de la porte.
Il en fut surpris :
« … Concubine ? »
Nan Li releva soudain la tête.
Le petit cultivateur à la porte recula de deux pas, fit demi-tour et s’enfuit en courant.
Avant de pouvoir se demander ce que Ye Buyi pouvait bien avoir entendu, son expression se modifia aussitôt de manière radicale. Il fit claquer ses manches mais il ne parvint pas à contrôler sa force. Ye Buyi fut projeté par surprise à cause de cette bouffée de vent. Il tomba lourdement par terre et cracha même du sang.
Nan Li se releva. La coupe qu’il tenait tomba de ses mains et heurta le sol avec un bruit sec.
Il murmura d’un ton paniqué :
« … Ye Buyi ? »
Nan Li adorait jouer des tours à Ye Buyi.
Parfois, il lui disait exprès qu’il avait lancé quelque chose dans le lac alors qu’en fait, il avait gardé l’objet dans la main. Cela l’amusait énormément de voir Ye Buyi se pencher dans l’eau, ses petites fesses bien visibles, en train de se démener pour lui.
Ye Buyi s’était également plaint que Nan Li lui jouait des tours, et ce à plusieurs reprises. À chaque fois, il avait l’air d’avoir subi une immense injustice et le fixait de ses yeux larmoyants.
Cette fois cependant, le ton de Ye Buyi ne manifesta pas la moindre trace de tristesse ou d’indignation ;
Peut-être parce que cette fois, il était très sérieux.
« … Nan Li, tu n’es vraiment qu’un menteur. »
Ye Buyi ressuya le coin de sa bouche et se releva lentement en murmurant :
« Tu m’as menti pendant toutes ces années. »
La parole à l’auteuse : C’est l’histoire du Roi Fantôme dominateur qui tombe amoureux d’un adorable petit cultivateur.
Note de Karura : Ça a l’air mignon dit comme ça, mais cette histoire est horriblement tragique ! Et ça va empirer dans le chapitre suivant !
À part ça, c’était un double chapitre, et le prochain aussi. Soupir, le bonheur des lecteurs est le malheur de la traductrice...
Notes du chapitre :
(1) Apparemment, les colombes ne savent pas faire de nid et s’emparent donc de celui des pies.
(2) Un orgue à bouche
(3) Extrait d’un poème de Du Fu (712-770). Dans le poème, il s’agit vraiment d’accueillir un invité, tandis qu’ici… Vous devinez le sens !
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