Chapitre 113 : Chi Rong
Chi Yan se rappela soudain qu’à l’âge de seize ans, Chi Yuanshan l’avait mis à la porte et lui avait dit à travers la porte :
« Dorénavant, tu n’es plus mon fils. Ta mère et toi allez partir d’ici et ne jamais revenir. »
Il s’était alors rendu au Bieyuan des Ye pour apprendre la nouvelle à Yingzhi Gege, lui dire qu’il devait quitter la demeure des Chi avec sa mère et lui demander conseil. Cependant, quand il arriva au Bieyuan, il avait vu de nombreux infirmiers et médecins en blanc entrer et sortir de la petite maison. Oncle Fu lui avait appris que le jeune troisième maître Ye avait fait un malaise et perdu connaissance, et qu’il était en train de se faire réanimer. Du coup, Chi Yan n’eut pas d’autre choix que de rester dehors et regarder le jeune homme par-delà le personnel médical qui s’affairait. Ye Yingzhi portait alors une simple chemise blanche et était allongé sur le lit, sans parler.
Ce fut le moment de sa vie où il s’était senti le plus impuissant. Il n’avait même pas eu le temps d’attendre que Ye Yingzhi reprenne connaissance pour lui dire au revoir, il dut quitter la demeure des Chi avec sa mère.
Il se rappela de ce que Chi Rong lui avait dit quand ils s’étaient vus chez les Xu ce matin :
« Je te conseille de t’en aller rapidement. »
Maintenant qu’il y repensait, cela coïncidait avec les dernières paroles de Chi Yuanshan.
Chi Yan songea alors à l’autre jeune homme dans la pièce. Il se releva et se tourna vers lui. Chi Rong était toujours debout, l’air indifférent, de l’autre côté de la pièce. Quand il découvrit que leur père venait de mourir, il ne manifesta pas beaucoup d’émotions, comme s’il s’y était attendu. Il regarda simplement Chi Yan dans les yeux et demanda confirmation :
« Il est mort ? »
Vu l’état de Chi Yuanshan, il aurait été peu probable qu’il passe la nuit.
Chi Yan hocha la tête. Chi Rong ouvrit alors la porte et sortit pour avertir le majordome qui attendait dans le couloir. Il referma ensuite la porte et se tourna vers son demi-frère :
« Ils vont venir dans quelques minutes. »
Puis il fronça légèrement les sourcils.
« Pourquoi tu n’es pas encore parti ? »
Chi Yan posa les yeux sur son père alité, puis les ramena sur Chi Rong.
« Pourquoi ? Pourquoi vous voulez tous que je m’en aille ? »
Il se rendait compte à présent que les choses n’étaient pas aussi simples qu’il l’avait pensé. La raison pour laquelle Chi Rong voulait qu’il parte n’était peut-être pas celle qu’il aurait crue.
Chi Rong ne répondit pas à sa question mais le regarda en souriant.
« Chi Yan, appela-t’il, tu sais pourquoi je faisais exprès de me montrer infect avec toi quand on était petit ? Je te faisais punir à ma place et je cassais tes jouets. Est-ce que tu m’en veux ? Est-ce que ce tu… me hais ? »
Chi Yan ne dit rien et regarda en silence l’autre jeune homme en face de lui. Chi Rong se comportait très étrangement en cet instant.
« Je me rappelle qu’au début, quand je te martyrisais, tu pleurais toujours en te sentant victime d’une injustice. Mais par la suite, malheureusement, tu ne pleurais plus si facilement. J’avais beau te tourmenter, tu ne pleurais plus devant moi, tu allais juste voir ce type. »
Chi Rong rit de nouveau et lança un regard intense à son demi-frère.
« C’est bien ça, non ? Chi Yan, dis-moi un peu si Ye Yingzhi arrive facilement à te faire pleurer.
« Depuis cette nuit où tu es revenu et où tu es parti dans la voiture des Ye, je n’ai pas arrêté de me demander… à quoi tu ressembles quand tu pleures dans le lit de Ye Yingzhi. Chi Yan, est-ce que ce type malade arrive à te satisfaire ? Ou peut-être qu’il ne peut pas bander mais qu’il a d’autres manières de te tourmenter, de te faire pleurer et de te faire le supplier ? Qu’est-ce que tu dis pour le supplier, tu l’appelles Yingzhi Gege ? Ou bien mon époux ? »
Il fit un pas en avant et regarda Chi Yan avec des yeux sombres. Le sourire au coin de ses lèvres semblait exprimer de la joie, de la haine et du ressentiment, voire même une sorte de plaisir pervers pendant un bref moment.
Chi Yan fronça les sourcils et recula d’un pas. Il ne put s’empêcher de l’interrompre quand il entendit la moitié de ses paroles :
« La ferme. »
Toutefois, Chi Rong insista pour dire ce qu’il avait à dire.
Chi Rong avança à nouveau de deux pas vers lui et le dévisagea.
« De l’enfance à l’âge adulte, toi seul as toujours montré tes vraies émotions en ma présence, alors même si tu me hais… peu importe que tu me haïsses. »
Chi Yan eut un rire moqueur et détourna les yeux de lui. Il avait déjà passé l’âge de croire ce genre de mensonge sans la moindre logique, et c’était quoi cette histoire de “toi seul a toujours montré tes vraies émotions en ma présence” ? Chi Yan pouvait personnellement témoigner du comportement biaisé de Chi Yuanshan. Et bien entendu, la mère de Chi Rong aimait énormément son unique enfant. À son retour, Chi Yan avait appris que la mère de Chi Rong était également décédée cinq ans plus tôt, mais de l’enfance à l’âge adulte, Chi Rong avait joui de son amour sincère.
Alors il lança un regard froid à son demi-frère :
« Et Chi Yuanshan et ta mère dans tout ça ? Ils ne comptent pas ?
– Un pantin et une timbrée, qu’est-ce que tu croyais qu’ils étaient ? »
Chi Rong continua de se rapprocher jusqu’à ce que Chi Yan finisse contre le mur, incapable de reculer davantage. Chi Rong s’arrêta quand il n’y eut plus qu’une distance d’une personne entre eux deux, et le coin de ses lèvres était toujours étiré vers le haut.
« On dit que la folie est héréditaire. Tu crois que je suis fou, moi aussi ? »
Chi Yan changea d’expression en entendant sa première phrase. Il leva les yeux pour le regarder en face.
« Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Comme c’est pitoyable, répondit Chi Rong en lui rendant son regard. Tu ne sais toujours rien ? À l’époque où ma mère était enceinte de moi, elle a infecté Chi Yuanshan avec un gu Un ver très fin qui s’infiltre dans le corps et permet de maudire, contrôler, etc., la personne infectée. (1) de cœur.
– Un gu ? » ne put que murmurer Chi Yan.
Il n’avait entendu parler de ça que dans les romans ou à les films, mais ne l’avait jamais vu en réalité. Même en ayant grandi dans la famille Chi, il ne savait pas vraiment si ce genre de chose existait bel et bien. Et là, Chi Rong lui apprenait que son père, Chi Yuanshan, avait été infecté par ce truc.
« Oui, un gu. Cette folle voulait quelque chose qu’elle ne pourrait jamais avoir. Alors pour cet homme qui ne l’aimait pas, elle s’est appliquée à apprendre la sorcellerie et est entrée dans la famille Chi. Elle s’est servie d’un gu pour manipuler à vie un pantin qu’elle ne pourrait jamais vraiment obtenir pour de vrai. Elle s’est menti durant toute son existence et a même fini par mourir prématurément, le cœur rongé par une nuée de vers à cause de l’usage excessif des sorts au-delà de son niveau de maîtrise. Tu n’appellerais pas ça une timbrée, toi ? »
Chi Yan le regarda d’un air hébété. Il comprit que Chi Rong parlait de sa propre mère et la silhouette floue de cette femme apparut dans son esprit. Pendant son adolescence, il avait compris certaines choses. Après avoir appris la relation chaotique entre sa famille et la mère de Chi Rong et son fils, il haïssait certainement Chi Rong et sa mère. Cependant, la mère de Chi Rong n’avait jamais cherché à les piéger, sa mère et lui, comme Chi Rong le faisait délibérément accuser et le tourmentait.
Dans ses souvenirs, cette femme ne sortait pas souvent de chez elle. Elle avait le visage pâle et un air toujours indifférent et glacial quand elle les croisait. Elle n’avait jamais prêté la moindre attention à Chi Yan. Après tout ce temps, son image était devenue une ombre pâle et sans vie. Même en y songeant actuellement, il réalisa qu’il ne pouvait même plus se rappeler de l’apparence de cette femme. Il ne pouvait que trouver quelques vagues ressemblances avec elle sur le visage de Chi Rong.
Chi Rong poursuivit et il était difficile de dire s’il parlait à Chi Yan ou à lui-même :
« Je m’étais juré de ne jamais devenir aussi misérable et pathétique qu’elle, mais je me suis rendu compte que j’étais encore pire qu’elle. Je n’ai même pas pu obtenir un faux et me bercer d’illusions, » murmura-t’il, la voix de plus en plus faible.
Chi Yan n’avait aucun désir de sonder les pensées de son demi-frère. Une seule chose l’intéressait actuellement : les paroles de Chi Rong révélaient que Chi Yuanshan avait certainement été manipulé par un gu depuis des années, et que la personne qui l’avait manipulé avait été la mère de Chi Rong.
Son intuition lui soufflait que Chi Rong ne mentait pas.
La voix un peu sèche, Chi Yan s’enquit :
« Il ne s’en est jamais rendu compte ? Personne d’autre dans la famille Chi n’a découvert ça ? Comment se fait-il que personne n’ait empêché ça ?
– Empêché ? fit Chi Rong avec un regard moqueur. Chi Yan, comment peux-tu être aussi naïf ? Tu as grandi dans la famille Chi et pourtant, tu peux encore te montrer naïf après avoir vécu dans un tel environnement ? Rendu compte ? Bien sûr qu’il s’en est rendu compte, voilà pourquoi il a profité d’un rare moment de lucidité pour vous chasser, ta mère et toi, et faire en sorte que vous ne cherchiez plus jamais à le contacter. Tu te demandes pourquoi il n’a pas pu se débarrasser du gu ? Tu crois que c’était parce qu’il redoutait ma mère ? »
Il se rapprocha de Chi Yan et lui murmura à l’oreille :
« Bien sûr que non. C’était quelque chose contre laquelle il ne pouvait pas lutter. Même s’il n’avait pas été manipulé par la sorcellerie du gu, il restait un pantin entre les mains de la famille Chi pour le restant de ses jours. Alors tu crois que quelqu’un s’en souciait et aurait empêché ça ? Ma mère a osé infliger ça au fils aîné des Chi, cela ne veut-il pas dire qu’il y avait quelqu’un pour la soutenir ou même lui donner des ordres dans ce sens ? »
Chi Yan ouvrit de grands yeux et ne put s’empêcher de regarder de nouveau le cadavre alité. C’était bien son père là, dans son sommeil éternel. Chi Yan n’aurait jamais cru entendre ici une telle histoire de la part de Chi Rong. Il ne pouvait pas vérifier s’il disait la vérité pour le moment mais dans son for intérieur, il y croyait déjà complètement.
Tout s’expliquait. L’attitude de Chi Rong était très étrange mais Chi Yan était capable de dire s’il mentait ou bien disait la vérité.
Des larmes se mirent à couler sur ses joues sans qu’il ne puisse l’en empêcher. Ses yeux devinrent rouges et il se tourna vers Chi Rong.
« Alors père… comment il… comment il a... »
Chi Yan leva la tête et ferma les yeux, incapable d’articuler une phrase.
Chi Rong parut comprendre ce qu’il voulait demander. Il le regarda fixement et fit un commentaire hors-propos :
« Tu pleures de nouveau. »
Quand Chi Yan rouvrit les yeux pour le regarder, Chi Rong fit d’un ton plat :
« Le cultivateur de gu est mort, alors le ver de gu ne peut évidemment pas survivre bien longtemps. Et une fois le gu de cœur mort, le pantin qu’il infectait ne peut que mourir rapidement après. Si tu veux qu’il parte en paix, demande voir à ton homme de l’aider. »
Chi Rong baissa les yeux et eut un léger rire.
« Peut-être qu’il pourra encore servir à quelque chose. Et aussi, va-t’en vite. Ne fais pas confiance à Ye Yingzhi et ne reste pas pour lui. »
Après ça, il ouvrit la porte et sortit sans laisser le temps à Chi Yan de répliquer. Au même moment, le majordome entra avec plusieurs personnes pour commencer à préparer les funérailles de Chi Yuanshan.
Chi Yan resta planté là et les regarda s’affairer pendant qu’il digérait les informations révélées dans les paroles de Chi Rong. À la fin, il voulait certainement dire que Chi Yan devait demander à Ye Yingzhi de pratiquer une cérémonie pour aider leur père à transcender. Après tout, la famille Ye pratiquait le Dao des fantômes. Du coup, Ye Yingzhi était plus apte dans ce genre de domaine, surtout qu’il était le chef de la famille Ye. Mais pourquoi avait-il fallu que Chi Rong prononce sa dernière phrase ? Pourquoi Chi Yuanshan, même à l’agonie, et lui n’arrêtaient pas de l’exhorter à partir ? Quel était le problème dans la famille Chi ? S’il y avait réellement un problème et que Chi Yuanshan et Chi Rong l’avaient tous deux découvert, pourquoi Chi Rong ne partait-il toujours pas, même dans cette situation ?
Chi Yan secoua la tête. Quoi qu’il se passe, il devait d’abord rejoindre Yingzhi Gege et lui raconter tout ça.
Chi Rong lui avait conseillé de ne pas faire confiance à cet homme mais de toute évidence, Ye Yingzhi était la personne au monde en qui Chi Yan avait le plus confiance. Jamais il ne voudrait et pourrait le soupçonner juste à cause de ce qu’avait dit Chi Rong.
Note de Karura : Chi Yan a de bons instincts… après trois réincarnations !
Sinon, je pense que Chi Rong éprouve une sorte d’amour tordu pour Chi Yan, ce qui explique son animosité étant petit.
Ah, pauvre Chi Yuanshan qui s’est fait manipuler toute sa vie… Une petite minute, la mère de Chi Rong est morte depuis cinq ans. Alors comment se fait-il que Chi Yuanshan ne meurt que maintenant ?
Nouveau mystère…
Notes du chapitre :
(1) Un ver très fin qui s’infiltre dans le corps et permet de maudire, contrôler, etc., la personne infectée.
Commentaires :