Le Prince Solitaire 7 06

Chapitre Six : Le Fieur Manoru


Kurojū, cinquième mois de l’année 2457



La reconquête de Dekita débuta au deuxième mois de l'an 2457. Kenryū et Gugonjū y participèrent, l'un coordonnant l'Armée Impériale, l'autre l'Armée Divine. Kenryū partait de l'Est vers Dekita, Gugonjū de l'Ouest, afin de parvenir à Torijū des deux côtés. Les villages et villes les plus proches de la frontière cédèrent sans poser de difficultés. Comme pressenti, ces gens n'attendaient qu'une excuse légitime pour renier Tadeoru et revenir dans le giron de l'Empire de l'Aube. Les casernes, à l'image de celle de Tomako, comportaient bien plus de fidèles à l'Empire et aux Dieux que de partisans de Tadeoru. Il y eut des batailles malgré tout, quoique de petite envergure et sans trop de blessés. Kenryū n'avait jamais avancé aussi rapidement en territoire ennemi. Le général aguerri reconnut toute l'efficacité de cette stratégie audacieuse, même s'il préférait rester prudent tant qu'ils n'auraient pas vaincu Tadeoru.

« Je me demande si on aurait pu faire pareil à Madare il y a quinze ans, » songea-t'il une fois.

Mais au final, c'était une chance que Madare l'ait emporté car cela avait sonné la fin des Hikari. Il en serait de même pour Tadeoru.


À Kurojū, les nouvelles parvenaient au fur et à mesure avec un décalage inévitable d'une semaine — le temps que les messagers oiseaux fassent le trajet. Haruni suivait attentivement la progression, lui qui aurait aimé être sur le terrain. Cependant, l'Empereur avait été catégorique : aucun de ses fils ne remettrait les pieds à Dekita tant que Tadeoru ne serait pas tombé. Même si Haruni comprenait son inquiétude de père, il aurait préféré participer à cette libération au cas où un problème urgent se présenterait. Dekita était devenu une affaire personnelle pour lui car il s'en voulait d'avoir laissé échapper le fils de Tadeoru alors qu'il aurait pu mettre un terme à ce conflit sans aucun autre combat. Sa culpabilité ne disparaîtrait que lorsque tout serait réglé. C'était sa responsabilité, après tout.


~*~


Haruni avait estimé qu'il faudrait six à neuf mois pour reconquérir la province. Cependant au bout de trois mois, un événement imprévu accéléra les choses : Manoru, le fils de Tadeoru, avait été capturé. Plus exactement, le Fieur s'était rendu à l'Armée Impériale de lui-même, assurant de ses bonnes intentions. Interloqué et méfiant, Kenryū l'avait néanmoins envoyé à Kurojū sous bonne escorte afin qu'on vérifie son identité et ses intentions. Le jeune homme arriva au palais à la fin du cinquième mois. Le matin de son arrivée, Seiryū en discuta avec Haruni pendant leur entraînement hebdomadaire.

« N'est-ce pas une bonne nouvelle, votre Altesse ? » demanda-t'il entre deux passes.

Haruni roula des yeux. Le Firal semblait incapable de se taire même en plein duel. C'était comme s'il tentait ainsi de se rapprocher de Haruni. Au moins, il avait cessé les demandes d'amitié, comme convenu.


« Je préfère attendre pour me réjouir, » répliqua Haruni d'un ton mesuré.

Beaucoup de choses pouvaient se produire, dont une nouvelle trahison. Les événements d'il y avait deux ans avaient vraiment marqué le Second Prince.

« Cette fois, assura Seiryū, mon père a lui-même choisi l'escorte de Manoru : ce sont des hommes de confiance !

Votre père faisait aussi confiance à Bakkushō, » rappela l'adolescent.

En plus de son exécution et du fait que son fils aîné ne deviendrait jamais général, Bakkushō n'avait également pas eu droit à un nom posthume. Dans l'Empire, on croyait qu'en prononçant le vrai nom d'un mort, cela tourmenterait son âme dans l'autre monde. Les noms posthumes permettaient d'empêcher cela et seuls les hommes nobles y avaient droit.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Seiryū reconnut là la propension de l'adolescent à prévoir le pire et il n'insista pas plus. Leur duel libre durait déjà depuis vingt minutes et Haruni tenait le coup. Seiryū était attentif à son état et il nota tout à coup une faiblesse de la part de son adversaire. Il choisit alors de mettre fin au duel.

« Arrêtons-nous là, c'est une longue journée qui nous attend, » prétexta-t'il.

Sauf que Haruni ne fut pas dupe et s'en irrita.

« Dans un vrai combat, mon adversaire n'aurait pas pitié de moi ! lança-t'il.

Nous ne sommes pas dans un vrai combat, se défendit le Firal. Il est inutile de trop forcer sur votre bras pour avoir ensuite mal toute la journée.

Si je ne force pas, comment progresser ? »

L'entêtement du Second Prince ne changerait jamais. Seiryū suivait simplement les recommandations de Kuji, le moine en charge du traitement de Haruni : il ne fallait pas forcer jusqu'à la douleur.


« Vous avez progressé depuis trois mois, assura-t'il d'un ton doux. Soyez simplement…

Ne me dites pas 'patient' ! » avertit Haruni.

Comme c'était précisément le mot qu'il allait employer, Seiryū se tut et eut un rire gêné. Haruni leva les yeux au ciel et quitta le terrain d'entraînement pour se ressuyer le visage avec une serviette, imité peu après par le Firal. Seiryū était plus que satisfait de leur arrangement : il participait ainsi à la guérison du Second Prince, ce qui apaisait sa culpabilité. De plus, à force de côtoyer Haruni, il avait fini par comprendre un peu plus comment se comporter avec lui. Leur relation n'était pas amicale — Haruni y était hélas toujours opposé — mais plus que cordiale.

« Nous nous reverrons au Conseil, Firal Seiryū, » fit l'adolescent avant de partir pour le petit-déjeuner.

Seiryū le salua et repartit vers ses appartements. Le seul inconvénient dans tout ça, c'était qu'il devait se lever tôt, trop tôt. Ce n'était pas qu'il était un gros dormeur mais selon lui, c'était anormal de se lever avant le soleil, voire irrespectueux. Hélas, le Second Prince tenait à ses entraînements matinaux. Heureusement que Seiryū n'y participait qu'une fois par semaine !


~*~


Le Fieur Manoru arriva sous bonne escorte et fut aussitôt reçu par le Conseil.

« Est-ce bien lui ? demanda Tegami à son fils cadet de façon discrète.

C'est bien lui, » confirma Haruni après un rapide examen.

Le fils de Tadeoru était plus jeune qu'il ne l'avait pensé. Après tout, il ne l'avait vu qu'au cours d'une bataille nocturne. Le jeune homme avait environ l'âge de Tomuki. Ses cheveux orange étaient soigneusement coiffés malgré une semaine de voyage en étant prisonnier. Des ornements dorés égayaient la coiffure. Il avait un visage harmonieux, des yeux vert foncé et il était vêtu assez simplement, mais avec un tissu de bonne facture. Il étudiait également les membres du Conseil, mais avec de la timidité sur le visage. Quand son regard se posa sur Haruni, il écarquilla les yeux et baissa aussitôt la tête. Il l'avait aussi reconnu.


La session du Conseil démarra et les murmures se turent.

« Manoru, fils aîné de Tadeoru, commença le seigneur Hatochi en omettant exprès les titres de noblesse et en usant du registre inférieur, d'après le rapport du général Kenryū, tu t'es rendu volontairement à l'Armée Impériale.

C'est exact, » répondit le concerné avec une voix qui manquait d'assurance.

Après tout, c'était intimidant de se retrouver face à ces nobles qui le dévisageaient ouvertement et de manière hostile, surtout qu'il voulait faire bonne impression.

« Explique donc tes intentions au Conseil. »

Le jeune homme déglutit et se tourna d'abord vers Haruni pour se pour se prosterner devant lui.

« Tout d'abord, je tiens à m'excuser auprès du Second Prince pour la façon dont le commandant Gorō l'a traité durant sa captivité. Cet homme s'est montré… absolument irrespectueux. Il avait les faveurs de mon père, ce que je déplorais grandement. Sa… mort est une bonne chose. »

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Haruni haussa un sourcil devant ces excuses inattendues et qu'il jugeait superflues. Il ne s'attardait plus sur ces événements.

« Le commandant Gorō m'a dit que tu lui avais demandé de prendre bien soin de moi en remerciement pour le soir de ton attaque surprise, » fit-il.

Manoru se redressa, pâle comme la mort.

« Je… Oui, je lui ai écrit cela, mais ce n'était pas du tout… Je le pensais sincèrement ! Vous m'avez épargné ce soir-là, alors je voulais que vous soyez bien traité !

Ah, il semblerait que le commandant avait interprété autrement tes mots, » répondit l'adolescent en lâchant un léger rire.


Manoru n'avait aucune envie de rire, se sentant coupable. Seiryū serra les poings en songeant à ce qu'avait dû subir Haruni entre les mains de ce pervers sadique, tout ça à cause de mots mal interprétés. Tomuki, de son côté, lança un regard mauvais au prisonnier comme s'il le tenait personnellement responsable des souffrances de son petit frère.

« Votre Altesse, j'implore une fois encore votre pardon ! fit Manoru en tapant le sol de son front.

C'est bon, tu n'y es pour rien, » répondit Haruni d'un ton presque négligent.

Incertain, Manoru se redressa pour croiser son regard. L'adolescent ne semblait pas en colère, cependant cela ne prouvait pas qu'il n'avait plus de rancœur contre lui.


Manoru n'insista pas et ramena son attention sur les autres conseillers.

« Sinon, mon but en venant ici de vous aider à libérer Dekita. »

Cela provoqua une vive agitation. Les conseillers étaient plus qu'incrédules. Haruni, lui, plissa les yeux et ne dit rien.

« Je sais de quoi ça a l'air, reprit le Fieur d'une voix un peu plus forte, mais je suis sincère : mon père n'aurait jamais dû réclamer l'indépendance de notre province et se révolter contre l'Empire de l'Aube et les Dieux. Je n'approuve nullement ses actes et je souhaite l'arrêter dans sa folie ! »

Le jeune homme n'avait déjà pas beaucoup de crédit en tant que Fieur ennemi et voilà qu'en plus, c'était un fils qui ne respectait pas son père ! Plusieurs conseillers le fixèrent avec un mépris non déguisé.

« Jeune homme, tu devrais avoir honte de tenir de tels propos ! » le réprimanda vivement Hatochi en agitant son éventail.

Manoru rougit de colère, mais il serra les dents et ne riposta pas.


« En quoi est-ce honteux ? s'enquit soudain Haruni en fixant le seigneur Hatochi.

Hé bien… Il ose parler de son père ainsi, c'est manquer de piété filiale ! bafouilla l'autre homme, pris de court.

Le fait que ce soit son père ne change rien. Il a le droit de le critiquer si son père agit mal. »

Manoru fixa le Second Prince avec étonnement. Il n'aurait jamais cru que ce dernier le défendrait. Son opinion complexe sur l'adolescent se compliqua davantage. De son côté, Tegami se tourna vers son cadet et demanda :

« Alors tu me critiquerais si j'agissais mal ?

Je ne l'ai pas déjà fait ? » répliqua l'adolescent.

Devant l'air confus de son père, il précisa :

« 2453, le Tournoi Impérial. Vous vouliez condamner à mort le Fieur Jikato, un enfant !

Il avait tenté de te tuer ! se souvint Tegami en grinçant des dents.

Sous le coup de la colère, » tempéra Haruni.

L'Empereur n'insista pas. Il savait qu'il n'aurait pas le dernier mot avec son cadet, alors il ne voulait pas relancer cette discussion.

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Les conseillers secouèrent la tête : en matière de fils irrespectueux, ils avaient un bel exemple devant eux ! Quant à Manoru, il restait stupéfait de voir que le Second Prince ne ressemblait pas du tout à ce que disaient les rumeurs : il n'était pas froid et distant comme les Hikari, ou bien rustre et mal élevé avec son entourage.

« Et si nous revenions au sujet principal ? suggéra le général Modori avec peu de patience.

Ah, vous avez raison, général, reconnut Hatochi. Manoru, tu as déclaré vouloir apporter ton aide. Précise tes intentions. »

Rappelé au présent, le jeune homme se redressa.

« Hum, oui, je… Je suis le fils unique de mon père, alors vous pouvez vous servir de moi comme otage pour exiger sa reddition. »

Les conseillers hochèrent la tête : que Manoru soit volontaire ou pas, ils auraient agi ainsi.


« Cela ne fonctionnera pas, déclara soudain Haruni en attirant les regards, surtout celui de Seiryū.

Votre Altesse, c'est pourtant ce que vous comptiez faire de lui ! » s'étonna-t'il.

Haruni lui lança un regard agacé.

« Oui, et cela aurait fonctionné à l'époque. Il est maintenant trop tard.

Qu'est-ce qui pourrait avoir changé en un an ? demanda l'Érudit Hōmaru en fronçant les sourcils.

Tadeoru a eu une demi-victoire, ce qui l'a conforté dans sa position. Il ne cédera plus aussi facilement qu'avant.

On parle tout de même de son héritier, là !

Manoru, comment est ta relation avec ton père ? » demanda alors l'adolescent.

Le jeune homme cligna des yeux, perplexe.

« Notre relation… Elle s'est dégradée au fil du temps, je vous l'avoue. Mon père sait que je ne le soutiens pas dans sa quête de pouvoir. »

Haruni hocha la tête : cela confirmait les renseignements des prêtres.


« Même s'il y a des différends envers vous, insista Hōmaru, aucun père ne renoncerait à son fils !

Il ne s'agit pas de renoncer, rectifia Haruni. Tadeoru comptera sur le fait que nous n'allons pas tuer son fils.

Qui a dit que nous n'allions pas le tuer ? »

Cette remarque divisa clairement le Conseil.

« Ce jeune homme vient de son plein gré nous offrir son aide, et vous voulez le tuer ? s'indigna le seigneur Kawano.

Si cela permet de mettre fin à ce conflit, pourquoi pas ? répliqua le général Modori.

Un prisonnier doit être traité avec équité, objecta l'Érudit Taikōshi.

Mais un otage que l'on ne peut pas tuer est inutile ! » intervint le ministre Mekkoshi.

Les arguments se répandirent d'un groupe à l'autre.


Haruni roula des yeux face à ce manque d'unité. Le pire était que les Dieux S'y mirent aussi :

« Il ne doit pas mourir, il est important !

– Humph, je croyais que seuls les membres de notre famille comptaient à vos yeux ? » rétorqua Haruni en pensée.

Les ombres gardèrent le silence un moment, puis répliquèrent :

« Dans tous les cas, il ne doit pas mourir ! »

L'adolescent ne masqua pas son ironie. Si les Dieux tenaient tant que ça à sa survie, Ils n'avaient qu'à Se manifester et…

« Nous pouvons le faire si nécessaire. »

… Finalement, mieux ne valait pas.

« C'est à vous d'intervenir, Père, » souffla-t'il à l'Empereur à côté de lui.

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Comme toujours, Tegami était réticent à l'idée d'intervenir devant le Conseil. Pourtant, il se fit violence.

« Cela suffit ! tonna-t'il, réduisant les conseillers chamailleurs au silence. Il n'est pas question de le tuer ! »

Les Dieux furent satisfaits, tandis qu'une partie des nobles tiraient la tête. Hatochi n'avait pas exprimé son opinion, attendant de voir la tournure des événements. Il emboîta le pas à l'Empereur et réprimanda ses pairs :

« Honte à vous de songer à tuer un jeune homme rempli de bonnes intentions ! »

Haruni renifla, pas dupe de ses manigances. Il s'était toujours dit que si un jour Hatochi entrevoyait une occasion, il ferait tout pour s'emparer du pouvoir.


« Dans ce cas, reprit le ministre Kimora, discret jusque lors, qu'allons-nous faire de ce jeune homme ?

Nous pouvons quand même envoyer une lettre à Tadeoru pour exiger sa reddition en échange de la vie de son fils, persista l'Érudit Hōmaru. Cela ne coûte rien d'essayer ! »

Haruni n'y vit pas d'objection, bien qu'il se doutait déjà de l'inutilité de négocier avec Tadeoru.

« Autrement, Manoru va nous donner tous les renseignements pertinents sur l'état des troupes de Dekita, les stratégies envisagées, les alliés de Tadeoru, et ainsi de suite, proposa-t'il en fixant le concerné.

Euh… Oui, bien sûr ! » répondit ce dernier, dépassé par les événements.

Il se sentait intimidé face à la famille impériale et tous ces nobles. Et quand ils s'étaient querellés pour savoir s'il fallait le tuer ou non, son cœur s'était arrêté de battre. Il était également impressionné par le Second Prince qui, malgré son jeune âge, n'hésitait pas à prendre la parole et à défendre ses opinions.


Pendant que le Conseil rédigeait la missive à destination de Dekita, Haruni allait se charger de l'interrogatoire de Manoru dans une autre pièce. Au moment où il se leva, Tomuki se leva à son tour et s'interposa entre Manoru et lui, un regard hostile pour le prisonnier.

« Je viens avec toi, petit frère, annonça-t'il.

Si tu veux.

Après ce que ces monstres t'ont fait subir, je ne te laisserai pas seul avec l'un d'entre eux ! »

En entendant cela, Manoru prit un air d'accusé à tort. Il avait pourtant expliqué qu'il n'y était pour rien et que c'était le commandant Gorō qui avait agi de son propre chef !


Haruni soupira.

« Tomuki, commença-t'il, je ne risque rien ici…

Je viens également, votre Altesse ! intervint Seiryū.

 »

Bon sang, il n'était pas faible et sans défense ! En plus, Manoru n'avait pas en tête de s'en prendre à lui ! Ces deux-là étaient parfois aussi fatigants l'un que l'autre.

« Faites comme vous voulez, » céda-t'il avec lassitude.

De ce fait durant l'interrogatoire, Manoru eut droit aux regards menaçants du Premier Prince et du Firal, chacun d'un côté du Second Prince en face de lui. C'était encore plus intimidant que le Conseil !


~*~


Conformément aux prévisions de Haruni, Tadeoru ne céda pas, même pour sauver son fils. Selon Manoru, il était tellement assoiffé de pouvoir que plus personne ne pouvait lui faire entendre raison. Le jeune homme ne le dit pas expressément, mais il savait que seule la mort arrêterait son père. Effectivement, lorsque Torijū fut assiégée un mois plus tard, la victoire fut facilitée par les renseignements militaires de Manoru. Cependant, Tadeoru se retrancha dans son palais et choisit d'y mettre le feu, ne voulant pas subir le déshonneur d'une défaite. Des centaines de personnes périrent avec lui dans l'incendie. Quand Manoru apprit la nouvelle, il commenta tristement :

« S'il l'avait pu, mon père aurait mis le feu à toute la province pour que l'Empire ne la récupère pas. »

Malgré sa mésentente avec son père, il se coupa les cheveux à ras pour porter le deuil, se moquant bien de l'opinion des conseillers. Tomuki éprouva de la compassion pour ce jeune homme et commença à se montrer plus amical avec lui.

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Kenryū et Gugonjū revinrent triomphants à la Cour et il y eut un immense banquet pour fêter leur victoire. Après neuf ans, la crise de Dekita était enfin terminée. Il fut décidé que Manoru ne prendrait pas tout de suite la succession de son père : malgré son aide, de nombreux conseillers le soupçonnaient encore. Pour autant, il n'était pas question de retirer définitivement la province au clan Shikafū. Un régent fut donc nommé par le Conseil pour une durée de vingt ans. Pendant ce temps, Manoru resterait à Kurojū en tant qu'invité, avec sa mère qui avait eu le bon sens de quitter Torijū pour regagner sa famille peu de temps après que son fils ait été fait prisonnier. Le jeune homme serait soumis à des examens rigoureux pour déterminer s'il était fiable ou non. Manoru s'était attendu à cette décision et il estimait qu'elle était juste.


Néanmoins, tout n'était pas au mieux : Gugonjū fit part d'une nouvelle inquiétante à Haruni.

« Certains villages de Dekita ont rapporté avoir subi des attaques de la part de créatures anormales. »

Le Second Prince comprit aussitôt :

« Des Horreurs. »

Gugonjū acquiesça.

« Elles n'ont pas disparu, en fin de compte.

Elles avaient bien disparu, rectifia Haruni, et là, elles sont réapparues. »

Devant l'air étonné de l'autre homme, il expliqua :

« Les Horreurs sont une manifestation d'un déséquilibre dans la Nature. »

C'était le rôle des Dieux d'assurer le Grand Équilibre, sauf que…


« Vous avez gaspillé Vos forces pour soigner mon bras ? comprit l'adolescent.

Ce n'est pas du gaspillage, répliquèrent aussitôt les ombres.

– Mettre toute une province en danger pour une seule personne, c'est ce que j'appelle du gaspillage.

Ce n'est pas “une personne”, c'est toi !

– Humph, c'est encore parce que je suis de votre sang ? s'indigna-t'il.

C'est parce que c'est un investissement. »

Haruni ne sut que répondre. Les Dieux poursuivirent :

« Tant que tu es vivant et en bonne santé, les Horreurs qui apparaissent, tu peux les détruire. Les troubles dans l'Empire, tu peux les apaiser. Tout ce que tu es voué à accomplir, personne d'autre ne pourrait le faire !

– Encore vos Alternatives…

Et puis, Nous n'avons pas passé vingt-cinq ans à te maintenir en vie pour que tu perdes un bras quelques années plus tard. »


Haruni reconnut bien là l'entêtement de ses ancêtres. Il fronça les sourcils et demanda toujours mentalement :

« Quand est-ce que Vous allez arrêter de Vous montrer aussi déraisonnables ?

Quand tu feras plus attention à toi ! »

Haruni lâcha un soupir. Gugonjū, qui avait senti la conversation, en devina la teneur.

« Maintenant que vous allez mieux, les choses devraient se stabiliser, non ?

Oui, mais ces Horreurs devront être tuées en attendant.

D'après les villageois, elles ne se sont plus manifestées depuis des semaines.

Mmm, restons quand même sur nos gardes. »

Ce fut ainsi que les prêtres de Dekita furent chargés de surveiller la province.

« Allez-vous en parler à votre père ? » demanda Gugonjū.

Haruni réfléchit un instant avant de secouer la tête.

« Si les Horreurs se manifestent de nouveau, il sera alors temps de lui en parler. »

Le prêtre inclina la tête avec un sourire, satisfait de voir l'adolescent assumer son rôle de prince. Il avait déjà apprécié de travailler avec Yama à l'époque, il attendait avec impatience de voir le plein potentiel de ce jeune homme se déployer. Bien entendu, il était prêt à le soutenir.


~*~


Huit mois s'écoulèrent sans ennuis. Haruni était à présent parfaitement rétabli, cependant Kuji resta à la Cour car il ne désirait pas quitter le Second Prince. Seiryū maintint également leur entraînement hebdomadaire. Comme c'était un bon adversaire, Haruni finit par accepter. Le Firal ne tentait plus de demandes d'amitié et le sujet fut relégué au passé. Tomuki et Manoru devinrent proches, à tel point que leurs amis s'attendaient à une cour d'un jour à l'autre. Mais Manoru ne s'estimait pas en position de courtiser le Premier Prince, alors il préféra rester ami avec lui. Quant aux amours de Seiryū, il cherchait un partenaire plus sérieux et se heurta à des difficultés. Peut-être était-il trop exigeant, peut-être n'avait-il pas trouvé la bonne personne. En tout cas, ses cours duraient rarement plus de quelques semaines. Kenshirō suivait attentivement tout cela, espérant que le Firal se tournerait de nouveau vers lui. Lui-même était trop fier pour faire une demande de cour à un homme qui l'avait rejeté sur un coup de tête — telle était son interprétation de leur rupture.

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Un autre événement important de l'an 2458 serait la venue de Tetsuō et Yatsu à Kurojū pour une durée de quatre ans, comme l'avait promis l'Empereur lors de la cérémonie de reconnaissance de Mitsuhide. Haruni attendait avec hâte de revoir son fils et leurs échanges de courriers tournaient exclusivement autour de ce sujet. À l'époque, Haruni avait eu l'impression que ce serait très long à attendre mais à présent que le moment arrivait, il se rendit compte que c'était passé vite.

« Cela va faire dix-huit ans que j'ai retrouvé mon corps, » se dit-il.

Il se souvenait avec précision de sa frustration des premiers mois avec ce corps trop faible. Comparé à ce qu'il était devenu aujourd'hui, il avait parcouru bien du chemin.

« Et je ne suis même pas encore majeur. »

Des fois, la vie des Autres lui semblait très longue.

« Mais du moment que je la passe avec ceux que j'aime, cela ne sera jamais trop long. »


~*~


Seiryū rêvait à nouveau de Yama et c'était un rêve érotique. Bizarrement, c'était toujours Yama qu'il voyait dans ce genre de songe, tandis qu'il y avait cet inconnu dans les autres avec qui il vivait en couple. Il trouvait ça étrange de rêver de deux personnes différentes. Toutefois, qui pouvait contrôler ses rêves ? Seiryū ne se posa pas plus de question alors que Yama lui faisait l'amour, le plaisir imaginaire semblant presque plus intense que ses expériences réelles.

« Yama, » gémit-il.

Il fut soudain réveillé parce qu'on le secouait. Tiré de son rêve agréable, il ouvrit les yeux avec agacement. Son membre érigé réclamait une délivrance qui lui avait été refusée. Seiryū grogna et posa son regard sur celui qui l'avait réveillé : Wakari, son amant du moment.

« Quoi ? demanda-t'il, de très vilaine humeur.

De quoi tu rêvais ? » répliqua le jeune homme qui faisait une drôle de tête.


Seiryū soupira lourdement. Il se doutait qu'il avait encore parlé en dormant.

« Tu as bien dû entendre, non ? lança-t'il.

Oui, mais… Ce n'est pas… C'est bizarre, non ?

D'avoir un rêve printanier ?

De rêver de cette personne ! »

Franchement irrité, Seiryū se redressa brusquement. L'expression de Wakari était presque du dégoût. Cela n'aurait pourtant pas dû surprendre son amant : qui n'était pas au courant que Seiryū avait été follement amoureux de Yama et qu'encore aujourd'hui, il se languissait de lui ?

« C'est comme ça ! répliqua Seiryū. Si ça ne te plaît pas, tant pis pour toi !

Mais enfin, il est mineur !

Il est… Il est quoi ? s'étonna le Firal. De qui tu parles ?!

Du Second Prince.

Qu'est-ce qu'il vient faire là-dedans ? »

S'ensuivit un moment d'incompréhension : Wakari se demandait si Seiryū lui mentait ouvertement et Seiryū ne comprenait pas pourquoi le jeune homme mentionnait Haruni.


Finalement, Wakari demanda prudemment :

« Tu rêvais bien de lui à l'instant, non ?

Non ! s'écria Seiryū, horrifié. Je rêvais de Yama !

Yama ? Tu es sûr ?

Bien entendu, je sais encore de quoi je rêve, enfin !

Je t'ai entendu dire “Haruni” à l'instant et sur un ton… suggestif. »

Seiryū en resta bouche bée.

« Tu as mal entendu : j'ai dit “Yama”.

Je suis sûr que c'était “Haruni”. Je ne peux pas confondre les deux !

Tu crois que je rêve de coucher avec le Second Prince ?! s'indigna Seiryū.

Je ne le croyais pas, mais je sais ce que j'ai entendu ! répliqua Wakari d'un air buté.

Et moi, je sais de qui j'ai rêvé ! C'est de Yama ! Yama et seulement Yama ! » s'emporta le Firal.

Les deux jeunes gens reprirent leur souffle après cet esclandre et se dévisagèrent, chacun persuadé d'avoir raison.

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« D'ailleurs, reprit Seiryū, ce que tu suggères est tout bonnement… horrible et malsain !

C'est bien ce que je dis ! »

Seiryū se massa les tempes et tâcha de calmer la situation.

« Oublions ça, ça n'a pas d'importance.

Ah, j'ai donc bien raison ! »

Seiryū jeta un regard noir à l'autre jeune homme.

« Non, fit-il fermement, et si tu continues à insister, autant qu'on arrête tout de suite de se voir.

C'est la preuve que tu as quelque chose à te reprocher ! insista Wakari avec un sourire narquois.

C'est la preuve que je refuse de rester avec quelqu'un qui s'imagine ça de moi !

Tu es vraiment…

Dégage ! »


Interloqué, Wakari fixa son amant, puis son visage se tordit d'une grimace écœurée.

« Pff, quand je pense que les gens s'imaginent que tu es quelqu'un d'honnête et de droit ! Attends un peu qu'ils apprennent que tu veux coucher avec le Second Prince ! »

Seiryū réprima la colère qui grondait en lui et arbora un sourire moqueur.

« Tu veux répandre tes mensonges ? Mon pauvre Wakari, qui te croiras ? Tu vas juste te couvrir de ridicule.

Mmph, tu dis juste ça pour me faire taire…

Oh non, je t'en prie, vas-y. Tu l'as dit toi-même : ma réputation est irréprochable. Tu devrais plutôt songer à la tienne. »

Les joues de Wakari se teintèrent de rouge tandis que le reste de son visage pâlit. Furieux, il se leva, s'habilla en hâte et quitta la chambre de Seiryū.


Ce dernier le foudroya du regard avant de se rallonger dans le lit.

« Qu'est-ce qui lui a pris de raconter n'importe quoi ? marmonna-t'il. Pourquoi j'aurais parlé de Haruni ? »

Le rêve qu'il avait fait juste avant son réveil forcé concernait Yama, il en était sûr. Et il n'y avait aucun lien entre Yama et Haruni !

« Peu importe, cela m'a permis en tout cas de voir le vrai visage de Wakari. Tch', je choisis vraiment n'importe qui comme amant ! »

Comme son sexe était encore dur, il le saisit d'une main et se caressa. Mais les paroles de Wakari lui revinrent en mémoire et il eut l'imagine de Haruni en tête, ce qui le coupa dans son élan. Il jura entre ses dents et se leva pour prendre un bain froid.


~*~


Le Fieur Wakari alla chercher conseil auprès de la seule personne qui le croirait : Kenshirō. Il savait que ce dernier n'attendait qu'une occasion de nuire à Seiryū depuis leur rupture soudaine. Ils étaient donc alliés. Kenshirō l'écouta au détour d'un couloir sur le chemin du Pavillon du Savoir et il fronça les sourcils.

« Il lui arrive de rêver de Yama de cette manière, c'est vrai, reconnut-il, mais pas du Second Prince.

Je sais ce que j'ai entendu, par les Dieux ! Il a dit “Haruni” plusieurs fois !

Il a aussi déjà rêvé du Second Prince en l'appelant “son Altesse”, mais cela n'avait rien d'érotique.

Alors c'est quelque chose de récent ! »

Kenshirō se repassa en mémoire toutes les petites choses qu'il avait notées sur Seiryū : il s'était fâché contre lui parce qu'il avait parlé du prince Bâtard, il se sentait coupable depuis Dekita envers le Second Prince, il observait souvent l'adolescent en cachette, il s'était brouillé avec le Fieur Manaru depuis que ce dernier était ami avec le Second Prince… Tout cela était cohérent, sauf que Haruni était mineur, alors Seiryū ne ferait jamais ce genre de rêve.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

« Seiryū n'est pas un dégénéré, déclara Kenshirō.

Mais pourtant…

Je crois néanmoins qu'il est intéressé par le Second Prince. »

Wakari hocha plusieurs fois la tête.

« Alors il suffit qu'on répande cette rumeur pour qu'il devienne la risée de la Cour ! » s'enflamma-t'il.

L'autre jeune homme le fixa de ses yeux gris.

« Cela ne marchera pas, Seiryū a trop de prestige. Ça se retournera contre toi si tu essaies de le calomnier.

C'est injuste ! s'énerva Wakari. Il doit bien y avoir quelque chose à faire, non ?!

Oui, seulement nous devons agir avec délicatesse. »

Wakari lui jeta un regard expectatif. Kenshirō se tapota le menton.

« Nous allons lancer la rumeur que Seiryū s'intéresse au Second Prince, sans parler de ce rêve printanier.

Mais ce ne sera qu'une rumeur inoffensive…

Tu veux vraiment l'accuser ouvertement d'être un dégénéré ? »

Cela fit hésiter le jeune homme. Une accusation aussi grave requérait des preuves tangibles et sa parole ne valait rien à côté de celle de Seiryū. Le visage de Wakari s'assombrit.


« Tu comprends le problème, reprit Kenshirō. Trop peu de gens te croiraient — pour ne pas dire personne — et en plus, tu pourrais être accusé de calomnie. Ce serait grave. Alors je te conseille de renoncer. Cela n'en vaut pas la peine. »

Même si Wakari aurait aimé se venger de Seiryū car il était extrêmement rancunier, il devait admettre qu'il était impuissant. C'était rageant, mais il n'y avait rien à faire. Il dévisage Kenshirō et demanda :

« Toi, tu attends toujours l'occasion de te venger de lui, non ? »

Le jeune homme eut un sourire indéchiffrable.

« Il a rompu après six ans de cour. Ma rancœur est plus forte et plus tenace que la tienne. »

Wakari ne put que compatir avec lui.

« En tout cas, merci de m'avoir écouté.

Je t'en prie. »

Wakari partit pour rejoindre les autres pour les leçons. Kenshirō resta en arrière, les yeux rétrécis.

« Seiryū, songea-t'il, si vraiment tu me préfères le Bâtard Hikari, je cesserai de protéger ta réputation ! »


Note de Karura : Ne pas confondre Manaru (le fils du seigneur Tehiru et le premier ami de Haruni au palais) avec Manoru (le fils de Tadeoru). Je ne m'étais pas rendue compte tout de suite que les deux prénoms se ressemblaient à ce point, puisque les deux personnes étaient rarement mentionnées ensemble. Après, je me suis dit que ça ferait plus réaliste si certains prénoms étaient presque identiques. Dieu sait que parmi mes élèves, j'ai trop souvent cette situation.

Sinon pour ceux à l'excellente mémoire, Wakari est bien le même Wakari qui avait affronté Tomuki lors du Tournoi Impérial et qui l'avait laissé gagner. Les deux ont eu une cour peu de temps après. Kurojū est un petit monde, après tout. C'est normal qu'on retrouve certaines personnes.







Commentaires :


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Novel_roman a écrit le dimanche 19 mai 2024 à 20:53
Un chapitre très surprenant😧. j'ai Hâte d'avoir la suite,
Merci pour ce chapitre. 🤭🩷

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