Chapitre Cinq : La majorité
Kurojū, quatrième mois de l'année 2454
L’année suivante, Chiharu fêta son cinquantième anniversaire. La majorité du Second Prince donna forcément lieu à des réjouissances dans tout l’Empire de l’Aube. Le palais croula littéralement sous tous les présents envoyés par les nobles qui ne pouvaient pas faire le déplacement. Chiharu était extatique durant les jours précédents. Haruni se dit que pour un futur adulte, il se comportait de plus en plus comme un enfant !
« La majorité est un moment très important dans la vie, fit Kaname en souriant tandis qu’il se plaignait de son frère. Tu comprendras quand ce sera ton tour. »
Haruni se sentait complètement majeur depuis très longtemps, alors il n’y avait rien à comprendre selon lui.
Physiquement, Chiharu se rapprochait plus d’un homme que d’un enfant. Il avait encore grandi en l’espace d’un an et était désormais aussi grand que son père, soit une tête de plus que Haruni. Les rondeurs de l’enfance s’étaient estompées pour laisser place à des traits plus fins, mais encore juvéniles, surtout au niveau du visage. Grâce à l’éducation de Kaname, il se tenait avec toute la dignité d’un prince et ses manières étaient impeccables. Il avait toujours un caractère aimable et sociable. Pour tous, il était l’image parfaite d’un Premier Prince et futur Empereur.
Trois jours avant son anniversaire, Tegami profita du petit-déjeuner pour aborder des sujets importants.
« Chiharu, tu sais déjà qui tu vas choisir pour le premier soir ? »
L’intéressé rougit, mais acquiesça.
« Laisse-moi deviner, le Fieur Murada ?
– Père ! protesta Chiharu. Et non, ce n’est pas lui ! Nous ne sommes plus en cour depuis deux semaines.
– Oh ? Alors qui sera l’heureux élu ?
– C’est un secret, » décréta Chiharu.
Tegami eut un sourire indulgent. De son côté, Haruni roula des yeux. Chiharu allait d’une cour à l’autre sans trop se fixer. Il avait même fréquenté un temps le Fieur Wakari, celui qui l’avait laissé gagner un duel au Tournoi ! Heureusement que cela n’avait pas duré non plus.
« Tegami, le taquina son épouse, il faut suivre. Chiharu est actuellement en cour avec le Fieur Honaru.
– C’est le fils de l’érudit Kujamū ?
– C’est ça.
– Mais Honaru est encore mineur, précisa Chiharu, alors je ne peux pas le choisir, hélas. »
La situation était courante et dans ce cas, Chiharu avait parfaitement le droit de choisir un autre homme comme premier amant, sans que cela ne porte préjudice avec sa relation avec Honaru.
« Bon, reprit Tegami, je sais que tu choisiras bien. Je te fais confiance.
– Oui, Père !
– Tu sais aussi qu’à l’âge adulte, tu commences à te préparer à me succéder un jour. Il est capital que tu saches inspirer la loyauté. À ce sujet, as-tu une idée des intentions du Firal Seiryū ? »
Chiharu prit un air surpris ?
« Ses intentions ? À quel sujet ?
– Tu n’es pas sans savoir que le clan Inugami a presque toujours été au service de notre famille. Tu penses que Seiryū voudra poursuivre dans cette voie ?
– Nous sommes amis depuis longtemps, mais je n’ai jamais abordé ce sujet avec lui. Je… je ne sais pas pour ses intentions, mais je ne crois pas qu’il voudra devenir mon vassal.
– Vous vous entendez bien pourtant, s’étonna Tegami. Seiryū a toujours eu à cœur de te protéger. »
Chiharu ne voulait pas décevoir son père, mais il connaissait assez bien son ami pour être sûr de lui. Tegami prit un air soucieux.
« Seiryū a cinquante-cinq ans. Il faudra bientôt qu’il s’engage et l’idéal serait envers notre famille. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Le regard de l’Empereur se posa sur Haruni qui l’écoutait distraitement, peu concerné par ces histoires. Chiharu fit de même, mais retint une grimace en songeant à cette idée.
« Haruni, comment est-ce que tu t’entends avec Seiryū ?
– Pas, répondit brièvement le garçon.
– De quoi ? fit Tegami avec perplexité.
– Je ne m’entends pas avec lui, » précisa l’adolescent.
Kaname soupira en secouant la tête. Elle n’avait pas renoncé à l’espoir qu’ils deviennent amis. Haruni aurait pu lui dire que c’était peine perdue.
« Il faudrait peut-être faire un effort, sermonna Tegami. Il est essentiel que le clan Inugami nous soutienne. Beaucoup de nobles voudraient suivre l’exemple de Dekita et guettent le moindre signe d’inaptitude de notre part. Gagner la loyauté de Seiryū serait un signe fort ! »
Chiharu se mordit les lèvres, n’ayant jamais songé aussi loin. Pour lui, Seiryū était un ami fidèle et il n’aurait jamais pensé à traduire leur amitié en terme politique. Il ne souhaitait pas commencer à le faire.
« Je vais faire de mon mieux, Père, » promit-il néanmoins.
Tegami hocha la tête avec satisfaction, puis posa le regard sur son cadet :
« Haruni ?
– Je ne m’entends pas avec le Firal Seiryū, il n’y a rien à faire, répondit l’adolescent.
– Vous avez pourtant le sabre en commun. Des amitiés se sont créées pour moins que ça !
– Mais il haït les Hikari. »
Cela perturba Tegami.
« Tu crois que c’est pour ça ?
– Principalement. »
L’Empereur prit un air mécontent, mais n’insista plus sur le sujet. De son côté, Chiharu ne pouvait pas croire que Seiryū détestait son petit frère uniquement à cause de ses origines. Il n’avait jamais fait la moindre remarque là-dessus ! Chiharu se promit de tirer ça au clair, sûr qu’il ne s’agissait que d’un simple malentendu.
Tegami invita Kenryū chez lui en soirée, comme il le faisait de temps à autres. C’était une marque d’amitié et d’estime envers le général dévoué à la famille impériale. Les deux hommes discutaient de toute et de rien, des problèmes avec la province de Dekita — où la situation empirait — de l’avenir, du passé… Ce soir-là, Tegami avait un sujet bien précis en tête :
« Dire que Chiharu va être majeur dans quelques jours, soupira-t’il. Je n’en reviens pas.
– Les enfants grandissent trop vite, concéda Kenryū avec un sourire.
– Seiryū a cinq ans de plus, c’est vrai.
– Merci de me le rappeler ! »
Tegami eut un léger rire, avant de prendre un air nostalgique.
« C’est drôle, c’est le même écart qu’entre Harutō et toi. »
Ils gardèrent un moment le silence, hanté par le souvenir d’un homme qu’ils avaient aimé.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
« Cela me rappelle qu’à cinquante-deux ans, tu avais déjà juré fidélité et loyauté à mon grand frère.
– Je l’aurais fait avant, confia le général, mais j’ai préféré attendre sa majorité !
– Tu savais déjà depuis longtemps que tu voulais le servir. »
Kenryū acquiesça. Comment aurait-il pu ne pas vouloir servir Harutō ? Ce dernier était la perfection à ses yeux. Il lui aurait donné volontiers sa vie. Malheureusement, il ne pouvait pas lui donner son cœur.
« Et Seiryū ? Il a déjà une idée sur la personne qu’il souhaite servir ?
– Pas encore, soupira Kenryū.
– Cela ne t’inquiète pas ? »
Le général reprit un verre d’alcool.
« Seiryū n’a pas eu la même chance que moi. Il n’a encore rencontré personne qu’il n'ait envie de servir. »
Dans son esprit, les divagations de son fils sur le Vite ne comptaient pas. Cela lui était forcément passé et dans tous les cas, Yama était mort.
« Je l’emmène le plus possible dans mes déplacements pour qu’il rencontre du monde, mais… rien à faire.
– N’a-t’il pas au moins une idée en tête ? Des préférences ?
– Il évite le sujet dès que je cherche à l’interroger. À mon avis, ce sera un homme plus âgé que lui et aux aptitudes militaires.
– Le choix est vaste, » commenta Tegami.
La description ne correspondait à aucun de ses fils. Cela se présentait mal.
Kenryū prit un air impuissant.
« Je préfère lui laisser du temps. De toute façon, ce doit être son choix. Le souci, c’est qu’il se laisse trop facilement porter par ses sentiments. Je pense qu’il attend une sorte de coup de foudre, comme si c’était son bien-aimé qu’il choisissait. »
Tegami retint un sourire amusé. De ce qu’il avait pu voir de la relation entre Kenryū et Harutō, cela avait effectivement ressemblé à un coup de foudre, même si chacun des deux hommes l’avait exprimé différemment.
« En attendant, reprit Kenryū, il m’a déjà dit que cela ne le dérangeait pas de suivre mon choix. »
Autrement dit, la famille impériale.
« Les enfants nous donnent du souci à tout âge, commenta Tegami avec sympathie.
– C’est en échange de toute la joie qu’ils nous apportent. »
Les deux hommes trinquèrent à cela.
La veille de l'anniversaire de Chiharu, des invités particuliers arrivèrent : il s'agissait du seigneur Kabirō de la province de Tadashi, qui venait accompagné de son épouse, son second fils et ses deux filles. L'aînée des filles, Mirikō qui avait quarante-quatre ans, s'avérait être la fiancée de Chiharu.
« Tu as une fiancée ? » s'étonna Haruni en entendant parler de ça pour la première fois.
Son grand frère répondit avec nonchalance :
« Ce sont nos parents qui ont organisé ça. Moi, c'est la première fois que je la vois. »
Il était effectivement courant dans les familles nobles que ce soient les parents qui arrangent les mariages, le plus souvent en demandant à peine leur opinion aux concernés. Dans le cas de Chiharu, Premier Prince de l'Empire, les fiançailles auraient dû être arrangées quand il avait eu trente ans mais à cette époque, sous l'influence malsaine de Shumē, Tegami n'avait absolument pas voulu s'en occuper. Toutefois, Kaname n'avait pas oublié ses devoirs envers son fils, alors dès que les Hikari avaient été éliminés, malgré le fait qu'elle devait veiller sur Haruni qui n'allait pas bien du tout, elle avait pressé son époux de trouver une fiancée convenable à leur fils, comme il se devait.
La sélection avait pris des mois — la période durant laquelle Haruni avait été pratiquement inconscient. Les candidatures avaient afflué des quatre coins de l'Empire de l'Aube. Le choix s'était porté sur la fille aînée du seigneur Kabirō, en particulier parce qu'il avait autrefois entretenu de bons liens avec le clan Hamenoto et que Kaname avait donc une bonne impression de lui. Ces fiançailles n'étaient pour le moment qu'un accord de principe, il fallait attendre que les deux concernés aient l'occasion de faire connaissance pour savoir s'ils s'entendaient bien. Cependant, Chiharu ne semblait guère intéressé par sa fiancée et lui écrivait seulement parce que sa mère l'y forçait. Tegami ne disait rien, comprenant que son fils était bien plus passionné par les cours que par ce lointain mariage. Le voyage pour aller de Tadashi à Kami était long, voilà pourquoi ce n'était que pour la majorité de Chiharu que sa fiancée potentielle faisait enfin le déplacement. Et encore, cela n'avait pas été simple car ils n'avaient pas pu passer par Dekita. Avec le détour, ils étaient partis depuis presque un mois et demi. Chiharu avait donc été instruit par sa mère de leur faire un excellent accueil, quels que soient ses sentiments.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Haruni dut également être présent pour l'accueil. Il ne jeta qu'un regard intrigué à celle qui épouserait peut-être son frère plus tard. Mirikō avait de soyeux cheveux verts coiffés avec soin et élégance. Ses traits étaient délicats et elle affichait un sourire poli. Malgré la contenance qu'elle se donnait, on pouvait distinguer une légère lueur d'appréhension dans ses yeux roses. Ce n'était encore après tout qu'une jeune fille projetée dans l'immense palais de Kurojū, avec tous ces gens qui la regardaient et la jugeaient. Kaname l'accueillit avec une immense bonté et la rassura, se rappelant de sa propre expérience en arrivant à la Cour. Haruni nota qu'elle semblait avoir une bonne impression de sa future belle-fille. Peut-être qu'avec un peu de chance, elle serait tellement accaparée par Mirikō qu'elle en oublierait de superviser la tenue de Haruni pour les festivités, ou bien qu'elle ne se montrerait pas aussi pointilleuse que les autres fois. On pouvait toujours rêver !
Un autre passage important pour Chiharu avant de célébrer son anniversaire, c'était d'apprendre le Rituel d'Invocation pour la première fois, afin d'entrer en contact avec ses ancêtres. Un peu nerveux, il écouta et regarda son père faire. Ils se trouvaient dans les appartements de Tegami et pour l'occasion, même les servants avaient dû sortir. Ce rituel était un secret de la famille impériale qui ne se transmettait que de père en fils aîné — bien que les Grands Prêtres de Myūjin se le transmettaient également sans le pratiquer, au cas où quelque chose de grave empêchait la transmission dans la famille impériale.
« À toi, mon fils, » fit Tegami après sa démonstration.
Il sentit la nervosité de Chiharu et le rassura d'un sourire.
« Tu n'as rien à craindre, ce sont nos ancêtres. Même s'Ils sont impressionnants, Ils restent ta famille après tout et ne te veulent que du bien. »
Chiharu resta un peu inquiet. Pourtant, il exécuta le rituel. Il dut le recommencer quatre fois avant d'y arriver. Et là… Il put sentir des milliers de présences dans les ombres. Tout d'abord paniqué, il finit par se rassurer quand il vit que ces ombres ne semblaient lui vouloir aucun mal et ne faisaient que l'observer. Puis une vague d'affection naquit dans son cœur, comme un doux feu qui le réchauffait en plein hiver. Ému, il voulut parler mais ce fut à ce moment qu'il quitta ce monde des esprits pour revenir dans son corps.
Un peu haletant, il dut reprendre son souffle avant de demander :
« Pourquoi je n'ai pas pu rester plus longtemps ?
– C'est une question de force et de concentration, expliqua Tegami avec un sourire. Moi non plus, je ne peux pas rester bien longtemps. Mais cela Leur suffit pour rester en contact avec nous.
– Ils… J'ai aussi entendu dire qu'Ils pouvaient S'adresser directement à toi même quand tu n'accomplis pas le rituel, c'est vrai ? »
Tegami se crispa, songeant à la seule et unique fois où c'était arrivé : pour le prévenir qu'il devait aller chercher Haruni à Myūjin.
« Ils font ça uniquement dans des cas très graves et importants, fit-il.
– Et les visions, c'est vrai aussi ? »
Tegami regarda attentivement son aîné qui avait l'air captivé.
« Tu t'es vraiment bien renseigné à ce sujet, dis-moi. »
Chiharu prit un air contrit.
« J'ai regardé dans nos archives familiales, avoua-t'il. Je voulais savoir à quoi m'attendre. »
Au même âge, Tegami n'avait absolument pas ressenti la même curiosité que son fils. Il fallait dire qu'à cause de l'influence de Shumē ainsi que son propre ressentiment envers les Dieux, il aurait même préféré ne jamais accomplir le Rituel d'Invocation. Mais son père s'était montré intraitable et l'avait forcé à apprendre. Même si Tegami lui en avait énormément voulu à l'époque, il le remerciait à présent car il pouvait transmettre ce rituel à son propre fils.
« Pour les visions, cela n'arrive que rarement, expliqua Tegami. Je n'en ai jamais eues. »
Chiharu hocha la tête d'un air songeur.
« Et ce rituel, c'est uniquement le fils aîné qui l'apprend, hein ? Je ne dois donc pas en parler avec Haruni, ni lui parler des Dieux. »
Cette question surprit un peu Tegami, tout en le mettant dans l'embarras. En temps normal, Chiharu aurait raison, mais là…
« Ton frère n'a pas à connaître le rituel, » répondit-il.
De toute manière, Haruni avait sa propre façon de se rendre dans le monde des esprits, comme Tegami l'avait découvert à ses dépends au tout début.
« Mais pour ce qui est de nos ancêtres, tu peux lui en parler. Après tout, n'oublie pas que les Dieux ont veillé sur lui pendant vingt-cinq ans alors qu'il était endormi au temple de Myūjin. Il a un certain lien avec Eux.
– Ah bon ?
– Mais c'est un lien très différent du nôtre. »
Chiharu prit un air soulagé. Tegami était tellement content d'avoir pu lui répondre de manière à peu près convaincante qu'il ne s'en rendit pas compte.
Le premier jour, les festivités démarrèrent très fort : danseurs, musiciens, acteurs, jongleurs et autres artistes firent leurs représentations dans divers endroits de la cour principale. Les mille invités eurent de quoi se divertir. Ailleurs dans l’Empire, tous fêtaient aussi l’événement. À Kurojū, les servant s’affairaient pour que personne ne manque de rien et il y avait à faire ! La cérémonie au Pavillon Principal fut solennelle et somptueuse. Chiharu portait pour l’occasion une tunique noire — la couleur de la famille impériale — avec des dragons brodés en or et violet. Maquillé avec soin et couvert de bijoux et ornements scintillants, il renvoyait une impression de luxe et de pouvoir. Les nobles murmurèrent entre eux, favorables à ce prince qui deviendrait plus tard leur empereur. Le seigneur Kabirō, qui pour l’occasion était dans les premiers rangs avec sa famille, rayonnait de fierté. Il était clair qu’il ne verrait aucun inconvénient à marier sa fille à ce jeune homme des plus prometteurs.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Tegami, vêtu tout aussi somptueusement que son aîné, sourit à son fils agenouillé devant lui.
« Chiharu, ce jour marque la fin de ton enfance et le début de ta vie d’adulte. Tu es libéré de tout serment antérieur, car ils ont été prononcés par l’enfant que tu étais. Désormais, tu porteras comme nom d’adulte Tomuki : la richesse de l’énergie. »
C’était un nom choisi en commun par le père et le fils plusieurs mois avant la cérémonie. Le nom d’adulte était le dernier nom que porterait un homme jusqu’à sa mort, sauf changement majeur dans sa vie.
« Relève-toi, Tomuki du clan Kakurō, et salue-moi comme un homme salue son père. »
Un immense sourire aux lèvres, Tomuki s’inclina devant son père. Leurs regards se croisèrent et l’affection était palpable.
Tegami serra son fils contre lui, s’ébahissant qu’il fasse à présent la même taille que lui, alors qu’il avait semblé si minuscule à sa naissance. Dire que cinquante années s’étaient écoulées si vite…
« Les Dieux sont fiers de toi, mon fils. Tu es bien Leur digne descendant.
– Je Leur ferai honneur, Père, et à vous aussi. »
Une vive acclamation suivit la fin de la cérémonie. Ce fut ensuite l’heure du banquet. Compte tenu du nombre immense d’invités, il n’avait pas été possible de tous les placer à l’intérieur du Pavillon des Fêtes. Mais puisqu’on était en plein été, des tables supplémentaires avaient été préparées dans la cour du palais — pour les invités de moindre importance, bien entendu.
Haruni regretta de ne pas être considéré comme un invité secondaire car dans le pavillon, l’atmosphère était un peu étouffante. En plus, Kaname n’avait accepté aucun compromis pour sa tenue, arguant que l’occasion était exceptionnelle. Même la présence de Mirikō ne l’avait pas distraite suffisamment pour laisser l’adolescent en paix. Haruni se retrouvait donc avec une lourde tunique noire — au moins la couleur était à son goût ! — brodée d’argent, qui comportait sept ou huit couches. La coiffure avait pris trois heures et il aurait pu jurer qu’il portait son poids en épingles, ornements et autres bijoux. Qui plus est, il était même maquillé. Oui, il n’avait pas pu y réchapper cette fois. Son visage le démangeait et il devait se retenir de se ressuyer avec ses manches car cela aurait donné un désastre. Il avait eu de nombreux compliments sur son apparence, sauf qu’il s’en moquait bien ! Heureusement qu’en tant que mineur, il allait pouvoir quitter le banquet plus tôt. C’était bien sa seule consolation.
À la place d’honneur, Tomuki reçut ses très nombreux présents, ceux de sa famille en premier. Kaname lui offrit de nouvelles tenues, tandis que Tegami lui offrit un jeu de sabres magnifiques. C’étaient les cadeaux traditionnels des parents. Haruni se présenta ensuite avec une série d’estampes de maître Kadaroku, un grand peintre des années 1900 et que Tomuki appréciait énormément.
« Je souhaite que la contemplation de ces œuvres magnifiques t’apporte la sérénité, grand frère. »
Les yeux azur de Tomuki s’illuminèrent à cette appellation. Ce cadeau-là lui fit plus plaisir que le reste. Le seigneur Kabirō s'avança à son tour, accompagné de sa fille qui baissait timidement les yeux.
« Votre Altesse, c'est avec un immense honneur que je vous offre ce recueil de maître Hidashi. Que ses écrits vous enchantent et vous émeuvent.
– Merci à vous, seigneur Kabirō. »
L'homme hocha la tête, puis adressa un regard significatif à sa fille. Mirikō rougit un peu, puis réussit à faire d'une toute petite voix :
« Il s'agit aussi de mon poète préféré, votre Altesse. Si cela vous convient, nous pourrons peut-être discuter de ses œuvres ? »
Tomuki n'était guère enchanté, mais sa mère l'avait suffisamment sermonné à ce sujet. Alors il eut un sourire aimable et répondit :
« Ce sera avec plaisir, demoiselle Mirikō. »
La jeune fille rougit davantage et baissa la tête, mais elle semblait très heureuse. De leurs côtés, leurs parents respectifs furent satisfaits de la manière dont se présentaient les choses.
Après le long défilé des invités, le festin se poursuivit jusque tard dans la nuit. Haruni s’était retiré en début de soirée, comme les autres enfants. Pour une fois, il s’était réjoui de son statut. Ce serait bientôt le moment pour Tomuki de choisir son premier amant. Des paris s’étaient fait discrètement durant la soirée et même plusieurs jours avant, chacun se demandant qui serait le favori du Premier Prince. Tomuki avait été bien embêté puisque son prétendant actuel n’était pas majeur. Au départ, il s’était tourné vers ses amis — cela n’avait rien d’inhabituel — mais l’idée lui avait paru trop étrange. Heureusement, Seiryū lui avait recommandé le Fieur Wakeda. Après avoir discuté plusieurs fois avec lui, Tomuki avait accepté.
Ce fut donc à Wakeda qu’il tendit la main durant le banquet et les autres adultes encouragèrent les deux jeunes gens. Le visage un peu rouge, Tomuki quitta le pavillon avec son élu afin de découvrir une autre facette de la vie d’adulte. Tegami le regarda partir avec un air mélancolique. À côté de lui, Kenryū lui servit un autre verre de sake, tandis que le seigneur Hatochi se lança dans la poésie :
« Le printemps est le temps de l’enfance. Et à la fin du printemps se cueillent les cerises.
– Hatochi ! gronda Kenryū. Un peu de tenue en présence de sa Majesté !
– C’est bon, Kenryū, le rassura Tegami. Nous pouvons nous détendre un peu, ce soir. »
Hatochi approuva en souriant. Kenryū fit un tss entre ses dents, mais laissa faire.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Le lendemain matin, Tomuki ne parut pas au petit-déjeuner, mais son servant vint prévenir que son maître dormait encore. Tegami secoua la tête en souriant.
« Aaah, la jeunesse. »
Haruni se retint de rouler des yeux. Kaname en profita pour lui rappeler de passer chez elle afin d’enfiler sa tenue du matin, étant donné qu'ils allaient déjeuner en compagnie du seigneur Kabirō et de sa famille. Pour la période restante, Haruni allait changer six fois de tenue ! Cela faisait des heures de torture en perspective et il souhaita que les festivités s’achèvent très tôt. Les deux jours restants lui paraissaient une éternité. Bien entendu, la tenue la plus sophistiquée avait été pour le banquet d'anniversaire de son frère. Les autres tenues seraient moins complexes, mais c'était toujours plus que ce que Haruni portait d'habitude et c'était bien plus que ce qu'il pouvait supporter ! Bon, il allait prendre sur lui.
L’après-midi, dans une tenue violette cette fois avec du noir aux manches et à l’encolure, Haruni accompagna son frère devant sa montagne de cadeaux. Ce n’était pas une exagération : les présents formaient réellement une petite montagne dans le pavillon qui leur était réservé.
« Tu vas vraiment ouvrir tout ça ? s’enquit Haruni avec incrédulité.
– Oui, bien sûr ! Déballer mes cadeaux, c’est le meilleur dans un anniversaire ! »
Techniquement, c’était les servants qui déballaient et présentaient ensuite les objets à leur maître. Tomuki partageait ses commentaires avec son frère, surtout en lisant les compliments associés à chaque présent.
« “Nous espérons que cet humble koto vibrera avec la plus belle des mélodies entre vos mains”. Hé bien, ceux-là ne savent pas que je ne suis pas doué en musique ! »
Et ainsi de suite.
Les amis de Tomuki arrivèrent à leur tour et décidèrent de transformer ça en jeu : chacun devait prendre une boîte et tenter de deviner son contenu sans l’ouvrir.
« Mmm, je dirais… un livre ! fit Hamoto qui devina juste.
– Et ça, c’est… un service à thé, » devina Shitaro.
Il avait secoué la boîte pour s’aider et on entendit un craquement reconnaissable entre mille.
« C’était un service à thé, rectifia aigrement Kenshirō. Tu n’es vraiment qu’une brute.
– Eh, oh, ils n’avaient qu’à mieux l’emballer ! » se défendit l’intéressé.
Même Haruni fut contraint de participer et obtint quelques bonnes réponses.
Le jeu se poursuivit ainsi jusqu’à ce que Tomuki reçoive une grande boîte en bois noir laqué. Aussitôt, il fit la grimace.
« Quelle odeur horrible !
– On t’aurait envoyé de la nourriture qui n’a pas supporté la chaleur ? » suggéra Kenshirō, les sourcils froncés.
Mais Haruni connaissait cette odeur : elle lui rappelait la Géhenne. Au moment où Tomuki voulut ouvrir la boîte, il lui saisit la main :
« Non, fit-il simplement.
– Haruni, qu’est-ce que…
– Qui a envoyé ce présent ? »
L’un des servants, Kudō, répondit :
« Cela provient du seigneur Chōkafū de la province de Jūka. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Ce seigneur était fortement opposé à l’indépendance de Dekita, la province voisine, et une grande partie de son armée patrouillait le long des frontières, veillant à l’application des contraintes sur Dekita. Haruni eut alors un mauvais pressentiment.
« Qu’y a-t’il ? demanda Seiryū qui avait noté son air tendu.
– Va ouvrir cette boîte plus loin, » ordonna Haruni au servant.
Ce dernier obéit et poussa un cri en découvrant le contenu. Les jeunes gens se relevèrent aussitôt.
« Qu’est-ce que c’est ? » exigea de savoir Seiryū.
Il s’approcha de la boîte, imité par Haruni, et en vit le macabre contenu : deux têtes d’hommes, l’un jeune et l’autre plus âgé, dans un état de décomposition mineur.
Tomuki voulut s’avancer à son tour, mais il en fut empêché par deux exclamations simultanées :
« Recule !
– N’approche pas ! »
Haruni et Seiryū échangèrent un bref regard. Le Second Prince aperçut un rouleau dans la bouche du plus âgé et se pencha pour le saisir, pas du tout écœuré à l’idée de toucher un mort. Il déroula le parchemin et lut :
« Félicitations pour votre majorité. Que les années à venir vous soient aussi prospères que pour le seigneur Chōkafū et les siens. Tadeoru, empereur de Dekita. »
Ce fourbe avait décidé de gâcher l’anniversaire de Tomuki tout en le menaçant.
Seiryū n’en revenait pas.
« Mon père a encore reçu un rapport du seigneur Chōkafū il y a deux jours !
– Soit ce rapport était un faux, soit le seigneur Chōkafū a été attaqué juste après l’avoir envoyé, fit Haruni. Dans tous les cas, prévenons l’Empereur. »
Seiryū acquiesça et héla des gardes pour qu’ils emmènent la boîte morbide ailleurs et qu’ils préviennent l’Empereur, ainsi que Kenryū. Tomuki était resté en retrait avec ses amis, car aucun ne voulait voir le contenu.
« Qu’est-ce qu’il y a dans cette boîte à la fin ?! » voulut-il savoir.
Haruni lança un regard à Seiryū pour le charger de répondre à cette question délicate. Pour sa part, il se dit que la provocation de Tadeoru allait certainement enclencher le début de la guerre.
Commentaires :