Chapitre 36
Shen Jue sentit une douleur à ses lèvres puis se fit presser contre le sol.
Il fronça les sourcils et regarda l'homme au-dessus de lui. La pointe des longs cheveux de Murong Xiu qui tombait sur ses joues effleura légèrement son visage, laissant une sensation de chatouillis. Shen Jue se débattit de toutes ses forces mais se fit fermement presser au sol par son adversaire.
« Murong Xiu ! » cria-t'il le nom de l'autre tout en se débattant.
Il détourna son visage. La moitié qui avait été embrassée était déjà devenue brûlante.
« C'est ça ce que tu veux ? »
Murong Xiu baissa la tête et frotta affectueusement le bout de son nez contre le lobe de l'adolescent. Il murmura :
« Quoi ? »
Shen Jue lâcha un soupir de soulagement, reprit son souffle et fit :
« Si tu fais ça, tu es d'accord pour mourir après ? »
Murong Xiu eut presque envie de rire de colère. Il y existait donc une chose aussi ridicule dans ce monde.
« Pour qui tu te prends ? Si je couche avec toi, tu vas me tuer ? »
Il grinça des dents.
Shen Jue tourna son visage vers lui, le regard très calme.
« Si tu n'es pas d'accord, alors moi non plus. Si tu le fais quand même, ce sera un viol. Je ne peux pas te tuer mais j'ai plein de manières de me suicider. Essaie un peu pour voir. »
Murong Xiu s'étrangla, les yeux braqués sur le visage de Shen Jue. Murong Xiu était en effet mauvais dans cette vie mais il n'avait pas oublié le sentiment de panique qui l'avait envahi quand il avait failli se faire violer par Ni Xinyan dans sa vie précédente. Cette envie de vomir était encore maintenant difficile à dissiper.
Du début à la fin, Murong Xiu avait toujours agi avec sincérité, il ne voulait pas que Shen Jue soit comme son ancien lui.
Alors il se rassit lentement, sans aucune expression sur son beau visage.
Shen Jue ne bougea pas mais lança un regard expectatif au prince : il attendait sa réponse.
Si Murong Xiu refusait, il ne pouvait pas le tuer de force alors il ne pouvait que se suicider et entrer dans sa prochaine réincarnation.
Après un temps indéfini, Murong Xiu fit :
« Entendu, je te promets que tu pourras me tuer mais j'ai aussi une condition : tu me tueras quand je me serai lassé de toi. »
Shen Jue fronça les sourcils en entendant ça.
« Pas question, comment je saurais que tu t'es lassé ? »
Murong Xiu sourit et lui lança un regard moqueur.
« Quoi ? Tu crois que tu peux me charmer indéfiniment avec ton apparence ? »
Shen Jue se redressa sur un coude. Il ignora le sarcasme de Murong Xiu et fit simplement :
« Tu dois me donner un moment spécifique sinon je n'accepterai pas. »
Pendant qu'il contemplait Shen Jue, Murong Xiu sentit son corps se glacer. Shen Jue se servait de son corps comme monnaie d'échange pour négocier un accord avec lui. Cet accord était justement contre sa vie. Shen Jue ne semblait pas du tout se soucier de cela, il s'intéressait seulement à quand il pourrait le tuer. Peut-être que l'homme qu'il aimait n'avait finalement pas de cœur du tout.
Il avait cru à la base que sa renaissance était une chance accordée par les dieux pour qu'il accomplisse ce qu'il n'avait pas pu faire dans sa vie précédente. Mais peut-être que les dieux voulaient juste qu'il constate clairement que celui qu'il aimait ne l'aimait pas et voulait juste le tuer.
« Shen Jue, puis-je te demander pourquoi tu dois me tuer ? » fit doucement Murong Xiu.
Shen Jue hésita face à cette question.
« Je ne peux pas te le dire, mais sache que j'ai une bonne raison de te tuer. »
Murong Xiu trouva cela encore plus risible que Shen Jue refuse de lui donner la raison. Il se leva et baissa les yeux sur l'adolescent qui était toujours au sol.
« Après cette bataille, que je l'emporte ou que je perde, j'accepte de mourir de tes mains. Cela te convient ?
– Bien, » répondit Shen Jue.
Murong Xiu étira légèrement le coin de ses lèvres pour dévoiler un sourire morne.
« Alors tu dois me promettre deux choses. La première : durant la guerre, tu dois apprendre à m'aimer même si tu fais juste semblant. La seconde : après ma mort, tu ne pourras pas être avec Ni Xinyan.
– D'accord, » répondit Shen Jue en hésitant à peine.
Murong Xiu hocha la tête et cligna rapidement des yeux pour en chasser les larmes.
« Très bien, nous avons un accord. »
Il fit demi-tour et quitta en premier le temple en ruines. La blessure à son dos saignait toujours et ses vêtements étaient tachés de rouge à cet endroit.
Shen Jue le suivit.
Murong Xiu laissa la blessure saigner et marcha d'un pas lent. Après réflexions, Shen Jue s'avança et fit :
« Soigne d'abord ta blessure. »
Murong Xiu ne se tourna pas vers lui et continua sa progression. Shen Jue plissa le visage et tendit la main pour le retenir.
« Tes blessures ont besoin de soins.
– Non, cette petite blessure n'est rien du tout. Ne t'en fais pas, je mourrai uniquement de tes mains. »
Murong Xiu s'arrêta et se tourna pour regarder Shen Jue, son regard dénué d'émotions.
« Sans parler du fait que je ne t'ai pas encore goûté. Comment pourrais-je alors mourir ? Tu veux ma vie, il faut bien que je couche avec toi quelques fois, non ? »
Il rit un peu à la fin de son discours.
Shen Jue lâcha sa main en le voyant dans cet état et ne chercha plus à le dissuader.
De retour au manoir, Murong Xiu ne parla toujours pas à Shen Jue et se rendit à son bureau sans se soucier de lui. Quand les hommes de Murong Xiu virent qu'il était blessé, ils firent aussitôt venir un docteur pour l'examiner. Il fut rapidement entouré d'une foule de gens qui s'enquirent de sa santé. Shen Jue regarda Murong Xiu qui était bien entouré. Il resta là un moment avant de retourner dans sa chambre.
Les deux hommes qui le surveillaient avaient déjà repris connaissance. En le voyant revenir, l'un d'eux renifla froidement et jura :
« Le maître est si bon avec toi et toi, tu préfères en suivre un autre... »
Il ne termina pas sa phrase car l'autre garde l'interrompit :
« Arrête, tais-toi. Le jeune seigneur est revenu. »
Il tourna ensuite la tête pour faire à Shen Jue :
« Vous devez être fatigué après cette sortie. Cet humble garde va faire chauffer de l'eau pour votre bain. »
Shen Jue acquiesça et entra dans la chambre.
La nuit s'acheva ainsi.
À partir du lendemain, plus personne ne surveilla Shen Jue. Murong Xiu semblait ne pas se soucier du tout qu'il reste ou pas, et durant les jours qui suivirent, Shen Jue ne vit pas Murong Xiu une seule fois.
Jusqu'à une nuit où Murong Xiu se présenta tard dans la chambre, visiblement ivre.
Shen Jue venait juste de finir de se baigner et était assis sur le divan près de la fenêtre, à sécher ses cheveux.
Murong Xiu portait une tunique rouge et avec sa taille haute et sa stature, ses vêtements lui donnaient tout à fait l'air d'une orchidée et d'un arbre de jade. Une carafe d'alcool à la main, il marcha lentement pour rejoindre Shen Jue et ses doigts blancs pincèrent sa joue.
« Tu viens de finir ton bain ?
– En, fit Shen Jue en le regardant.
– Tant mieux, répondit Murong Xiu en étirant les lèvres. Cela évite des efforts. »
Il leva la tête et prit une grande gorgée d'alcool. Il but un peu trop vite et le liquide coula inévitablement sur ses vêtements le long de son cou. Il avait l'air si débauché et sans gêne, difficile de retrouver en lui son apparence originelle.
Murong Xiu vida la carafe puis la jeta par terre. Il se ressuya la bouche du revers de la main, eut un rire d'auto-dérision puis se pressa contre Shen Jue.
En retirant les vêtements de l'adolescent, il ne dit rien et se pinça seulement les lèvres. Shen Jue ne dit rien non plus et laissa Murong Xiu se placer sur lui.
Murong Xiu ouvrit de force le coquillage et toucha la chair tendre à l'intérieur. Le coin de ses yeux était légèrement rouge et la couleur s'accentua au fur et à mesure. Il finit par fondre en larmes. Des gouttes coulèrent sur ses joues et tombèrent sur les cils de Shen Jue.
Ce dernier avait fermé les yeux et il les rouvrit en sentant une goutte. Quand il vit Murong Xiu en pleurs, il fut visiblement surpris. Après un moment, il leva une main pour toucher les larmes sur le visage de l'autre homme.
« Pourquoi... Pourquoi tu pleures ? »
Murong Xiu se renfrogna et tira sur la fine couverture placée à côté pour ressuyer son visage. Il fit d'un ton détaché :
« Je ne pleure pas. »
Shen Jue plissa la front, il ne comprenait pas pourquoi l'autre disait un mensonge aussi flagrant.
Après cette nuit, Murong Xiu vint trouver Shen Jue toutes les nuits, même si ce dernier dormait. Dans ce cas Murong Xiu le tirait de son sommeil. Parfois Shen Jue se fâchait et le frappait mais Murong Xiu était comme une toute autre personne. Si Shen Jue le frappait, il n'esquivait pas et le regardait fixement comme un beau morceau de viande, montrant clairement son intention de ne pas manquer un repas si savoureux.
Si Shen Jue résistait trop férocement, il lâchait d'un ton léger une phrase du genre :
« Tu dois faire de moi un fantôme rassasié. »
Shen Jue se pinçait les lèvres, pas content, ce qui faisait rire Murong Xiu.
Il baissait alors la tête et l'embrassait sur les lèvres.
« Tiens bon, tu n'as plus à subir ça très longtemps. »
Bien qu'il souriait, son regard était très sérieux.
Parfois Murong Xiu venait trouver Shen Jue mais pas pour faire ce genre de choses. Il le tenait simplement dans ses bras toute la nuit sans fermer l'œil. Il contemplait la personne dans ses bras sans ciller et regardait les sourcils, les yeux et les lèvres rouges avec affection comme s'il voulait graver son image dans son cœur.
Trois mois s'écoulèrent très vite.
Murong Xiu commença à ne plus venir la nuit et Shen Jue entendit les gens dans le manoir dire que la guerre à la frontière était serrée.
Quand Murong Xiu réapparut devant lui, il lui donna une dague.
C'était exactement la même que celle qu'il avait utilisée pour tuer Murong Xiu dans la vie précédente.
« Tu me tueras avec ça le moment venu, fit doucement le prince. La guerre est bientôt terminée, Shen Jue, et je vais perdre. »
Shen Jue toucha la dague dans sa main et ne dit rien. Après un moment, il leva la tête pour regarder Murong Xiu.
« Alors tu vas le faire aujourd'hui ? »
Murong Xiu fut interloqué un moment puis éclata de rire et sourit, mais des larmes coulaient de ses yeux.
Il les ressuya de ses doigts.
« Shen Jue, tu es vraiment sans cœur. J'abandonne. »
Sur ce, il fit demi-tour et s'en alla. Quand il réapparut ensuite devant Shen Jue, son visage et son corps étaient couverts de sang.
Murong Xiu avait été vaincu et le pays de Murong, qui avait renié le roi de Ning, avait subi une défaite écrasante. Le stratège à côté de Murong Xiu était mort d'une flèche tirée par Ni Xinyan. En fait Ni Xinyan aurait pu toucher Murong Xiu avec ce tir mais il avait changé de direction au dernier moment. Murong Xiu avait très bien compris son message.
Ni Xinyan voulait que Murong Xiu voit de ses propres yeux son armée battre en retraite petit à petit, ne laissant que des armures derrière elle.
La nuit de sa défaite totale, Murong Xiu se retira au manoir couvert de sang mais quand il s'approcha de la chambre de Shen Jue, il ralentit le pas comme s'il craignait de déranger la personne à l'intérieur. Shen Jue avait déjà compris que Murong Xiu avait dû perdre parce que les serviteurs du manoir étaient partis les uns après les autres et personne n'avait préparé le petit-déjeuner ce matin-là.
Quand Murong Xiu entra, Shen Jue se tenait à la fenêtre. En entendant le bruit, il tourna la tête.
L'armure de Murong Xiu était couverte de sang. Il retira le casque qu'il portait et le déposa soigneusement sur la table.
« Ah Jue, tu peux me tuer. »
Il se mit même à rire.
« Tu as bien la dague ? Sers-toi en pour me tuer. »
C'était la première fois qu'il l'appelait Ah Jue.
Shen Jue ne dit rien un moment puis retourna au centre de la pièce pour prendre la dague.
Murong Xiu se rendit dans la salle d'eau pour retirer son armure et se laver le visage avant de sortir.
Quand il vit Shen Jue tenir la dague, un sourire naquit sur son visage. Il s'avança lentement de lui et dégaina la lame de ses propres mains.
« Ah Jue, tu seras content de me tuer ? »
Shen Jue hocha la tête sans hésiter.
Murong Xiu eut un léger sourire.
« Tant mieux si tu es content. »
Il marqua une pause.
« Après ma mort, tu pourras t'enfuir. J'ai posé ma plaque de jade sur la table. Il reste un peu d'argent dans la boîte ici. Prends-le et pars, ne t'inquiète pas d'enterrer mon corps... Ah, évidemment que tu ne t'en soucieras pas, c'est moi qui m'inquiète de trop. »
Il regarda Shen Jue et ses longs cils recouvrirent les émotions contenues dans son regard. Le coin de ses lèvres était toujours étiré. Il tendit la main pour la poser sur celle de Shen Jue qui tenait la dague puis la plaça en direction de son corps.
« Ah Jue, vas-y. »
Shen Jue regarda Murong Xiu puis après un moment, sa main s'avança.
On entendit le bruit de la chair transpercée par la dague.
Murong Xiu se pencha légèrement. Il saisit la manche de Shen Jue d'une main tremblante.
« Ah Jue, tu peux... me donner... un baiser ? » fit-il avec du mal.
La douleur l'empêcha de se redresser. Il se mit même à tomber lentement mais il continua de s'accrocher obstinément à la manche de Shen Jue sans le lâcher des yeux.
« Ah Jue, je t'en prie. »
Shen Jue baissa les yeux vers lui et ne dit rien et ne fit rien jusqu'à ce qu'il tombe par terre.
Une fois au sol, Murong Xiu contempla Shen Jue avec un triste sourire.
Son Ah Jue ne l'aimait pas du tout.
Sur le champ de bataille aujourd'hui, il avait failli mourir plusieurs fois mais il s'était dit qu'il devait pas mourir là car après tout, il avait fait une promesse à Shen Jue.
Il ne voulait pas le décevoir.
Murong Xiu tendit la main et toucha les bottes de Shen Jue. En fait il avait fait faire ces bottes en secret. Il avait pris les mesures des pieds de Shen Jue la nuit et avait demandé à une servante de les transmettre à un artisan. Il avait fait également brodé son nom et celui de Shen Jue sur la semelle. Si Shen Jue voyait ça un jour, que penserait-il de lui ?
« Ah Jue. »
La voix de Murong Xiu était très faible et sa poitrine se soulevait de plus en plus lentement.
« S'il y a une vie après la mort... »
S'il y avait une vie après la mort, que ferait-il ?
Avant qu'il n'ait pu achever sa phrase, Murong Xiu mourut.
Shen Jue le vit rendre l'âme et après un moment, il manifesta de la surprise.
Pourquoi ce monde ne s'était-il pas encore dissipé ?
Il avait pourtant bien tué Murong Xiu.
La parole à l'auteur :
Shen Jue : C'est quoi cette histoire ? Mon gars ?
Auteur immoral : Je ne sais absolument rien !
Note de Karura :
Oui, Shen Jue est vraiment sans cœur. Quant à Murong Xiu, qui aurait cru qu'il était aussi sentimental ?
Prochain chapitre... ce sera le dernier de cette partie. Refaites le stock de mouchoirs avant de lire.
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