Chapitre 53
La voix douce de He Qiaoying parvint de l'autre côté de la porte :
« Maître, vous dormez ? »
Yu Ci regarda aussitôt en direction de la porte d'un air paniqué, comme s'il venait de se faire surprendre en train de faire quelque chose de mal. Il s'empressa de répondre :
« Je dors déjà, qu'est-ce que tu veux ? »
Après avoir dit cela, il baissa les yeux sur le jeune homme dans ses bras et fit un ton plus bas :
« Toi... éloigne-toi de moi. »
Bien entendu, il aurait pu facilement repousser Shen Jue mais il se contentait de tenir les épaules de l'autre sans rien faire, comme si on avait pressé ses points d'acupuncture et qu'il ne pouvait plus bouger.
C'était étrange à dire mais en réalité, Yu Ci n'avait jamais expérimenté le fait que quelqu'un le prenne dans ses bras. Les deux corps de Soie Céleste qu'il entretenait l'avaient bien enlacé mais il avait perçu la peur en eux au premier regard alors il n'avait jamais apprécié leur proximité.
Il n'avait donc encore jamais rencontré quelqu'un qui l'aimait à ce point et qui se montrait si entreprenant.
Pourquoi ce petit nabot n'avait-il pas peur de lui ?
Yu Ci ne parvenait pas à le comprendre, jusqu'à ce qu'une raison lui apparaisse.
Ce devait être parce que ce petit nabot était tellement amoureux de lui, tout comme lui-même aimait Sang Xinghe, alors il n'avait peur de rien. Même si Yu Ci se montrait méchant avec lui, il ferait de son mieux pour se rapprocher de lui.
He Qiaoying qui attendait à la porte ne dit rien un moment puis fit :
« Alors le maître de l'île dort déjà. Dommage, j'ai sorti une jarre de bonne liqueur et je voulais la partager avec le maître. »
Il soupira lourdement.
« On dirait que je vais devoir la boire tout seul. »
Quand Yu Ci entendit la paroles de l'autre homme, il hésita un peu puis fit :
« Pars devant, je te rejoindrai quand je me serai habillé. »
He Qiaoying émit un son d'assentiment et partit. Yu Ci attendit qu'il n'y ait plus de bruit derrière la porte puis toussota deux fois comme pour dissimuler ce qu'il dit :
« Tu m'as assez tenu comme ça, lâche-moi ! »
Shen Jue avait confirmé pendant ce temps que l'anneau se trouvait bien au cou de Yu Ci. Quand il entendit ce dernier parler, il le lâcha. Après ça, il fit mine de sortir du lit mais à sa grande surprise, Yu Ci le tint par le bras.
« Dors ici, je sors boire de toute manière, » fit-il en faisant une drôle de tête.
Il vit Shen Jue baisser les yeux sur la main posée sur son bras et la retira bien vite. Il se leva subitement du lit en un éclair et marcha tout en s'habillant. Quand il atteignit la porte, il fit demi-tour pour revenir près de lit. Sans oser croiser le regard du jeune homme, il prit ses bottes au pied du lit et partit de nouveau d'un pas rapide.
En fait, il était tellement perturbé que ce n'était qu'une fois arrivé à la porte qu'il s'était rendu compte qu'il marchait pieds nus sans porter de bottes.
Shen Jue fronça les sourcils quand Yu Ci partit et tâta l'endroit où il l'avait agrippé.
Il trouvait que la réaction de Yu Ci était un peu bizarre, surtout quand il était parti : on aurait dit qu'il fuyait quelque chose.
Yu Ci courut avec ses bottes à la main et ce ne fut pas avant un bon moment qu'il s'arrêta et se pencha pour les enfiler. Dès qu'il eut mis ses bottes, il tourna la tête pour fixer un arbre en diagonale de lui :
« Qui est-là ? »
He Qiaoying, vêtu de blanc, sortit de derrière l'arbre. Avec un sourire aux lèvres, il contempla Yu Ci qui avait actuellement l'air débraillé et fit lentement :
« Ai-je interrompu le bon temps du maître de l'île ? »
Voyant qu'il ne s'agissait que de He Qiaoying, le visage de Yu Ci reprit aussitôt son air normal. Il lui lança un regard noir et fit d'un ton agacé :
« Arrête de dire n'importe quoi. Tu as parlé de boire, alors où est l'alcool ?
– Dans ma cour. Dépêchons-nous d'y aller sinon Yuan Hao va finir la jarre. »
Yuan Hao était le nom du gardien droit.
Quand Yu Ci entendit que la jarre risquait d'être vidée, il pressa He Qiaoying de partir vite.
Ce dernier émit un son d'assentiment mais regarda ensuite en direction de la cour de Yu Ci avant de partir.
Yu Ci remarqua le regard de He Qiaoying et il fit aussitôt une drôle de tête.
Mais oui, comment avait-il pu oublier que He Qiaoying aimait ce petit nabot ? Ne serait-ce pas dramatique si He Qiaoying apprenait que le petit nabot aimait Yu Ci ?
He Qiaoying détourna les yeux et vit le regard bizarre que lui lançait l'autre homme. Il ne put s'empêcher de se figer.
« Maître, il y a un problème ? »
Yu Ci toussota puis reprit son avancée avec lui. Après quelques pas, il ne put s'empêcher de demander :
« Qu'est-ce que tu penses de ce petit nabot ? »
He Qiaoying émit un ah :
« Le maître veut parler de Shen Jue ? Il est très bien, il est bien élevé mais il a parfois son caractère. »
Il marqua une pause puis reprit :
« Mais maître, vous ne l'appeliez pas fichu nabot avant ? Vous avez changé la manière dont vous parlez de lui. »
Quand Yu Ci entendit les compliments de l'autre homme, son regard se modifia imperceptiblement et quand il entendit la seconde partie, ses yeux manifestèrent une lueur de panique.
« Je l'appelais un fichu nabot avant, et alors ? Un nabot est un nabot. Ce type est si petit et toi, tu le trouves bien. »
He Qiaoying objecta :
« En fait, ce n'est pas que Shen Jue est trop petit, c'est juste qu'il est encore jeune. En plus, quand l'autre est relativement petit, c'est plus agréable de le tenir dans ses bras, pas vrai ?
– Quoi ?! s'écria Yu Ci en tournant la tête pour le foudroyer du regard. Tu l'as déjà tenu dans tes bras ? »
Cela parut plonger He Qiaoying dans la confusion.
« Hein ? Non ah, j'imagine, c'est tout. »
Yu Ci émit un oh puis regarda de nouveau devant lui.
« J'ai cru que tu avais pris dans tes bras ce petit... fichu nabot. Étant donné qu'il n'a rien sur les os, ça doit faire mal de le tenir, hein ? »
He Qiaoying se tourna vers Yu Ci avec une expression quelque peu indéchiffrable.
« Pourquoi le maître ne cesse de dire du mal de Shen Jue ? Vous a-t'il offensé ? »
Yu Ci se pinça les lèvres et roula des yeux avec agacement.
« C'est son existence toute entière qui m'offense. »
He Qiaoying garda le silence un moment avant de faire subitement :
« Dans ce cas, ne le laissez plus aller au Pavillon de l'Eau Changeante. Prenez plutôt quelqu'un qui vous est agréable. »
Il regarda Yu Ci et ses yeux s'étirèrent.
« En fait, il y a quelque chose que je voulais dire depuis un moment au maître mais j'avais peur de le mettre en colère. Aujourd'hui, je ne peux plus me taire. »
En voyant la tête de He Qiaoying, Yu Ci eut tout à coup un mauvais pressentiment et effectivement, l'instant d'après, il entendit l'autre homme déclarer :
« J'apprécie vraiment ce jeune Shen Jue. Et si vous me l'offriez en récompense, maître ? »
L'expression de Yu Ci devint crispée et il lui fallut un bon moment pour dire :
« Il a déjà été utilisé. Si tu veux vraiment un corps de Soie Céleste, n'y en a-t'il pas plein d'autres encore vierges sur l'île ? Tu n'as qu'à choisir celui que tu veux, hein ?
– Maître, je ne veux pas un corps de Soie Céleste pour cultiver. J'aime Shen Jue. »
Tout en disant ces mots, He Qiaoying rougit un peu.
« En fait, il m'a plu au premier regard mais vous l'avez envoyé au Pavillon de l'Eau Changeante alors je n'ai pas osé vous en parler. Maintenant que j'ai l'impression que vous le détestez à ce point, autant laisser Shen Jue me servir, non ? Et si le maître ne veut plus le voir, je possède une demeure en dehors de l'île, il pourrait aller y vivre. »
Le splendide visage efféminé de Yu Ci était déjà complètement sombre.
« He Qiaoying, tu as l'intention de quitter l'Île des Dix Absolus ? »
L'autre homme garda le silence un moment avant de dire :
« Si le maître veut que je m'en aille, je peux partir avec Shen Jue.
– N'y songe même pas ! s'écria-t'il d'un ton furieux. He Qiaoying, j'ai l'impression que tu n'as pas les idées claires. Je vais faire comme si je n'avais rien entendu ce soir et tu n'en parleras plus à l'avenir. »
He Qiaoying fronça les sourcils et ouvrit la bouche pour dire quelque chose.
Yu Ci le coupa à l'avance :
« Tais-toi, oublie ce petit nabot. Si tu oses dire encore un mot ce soir, je le tuerai. »
Sur ce, Yu Ci fit claquer ses manches et rebroussa chemin.
Il n'était pas d'humeur à boire ce soir, lui qui pourtant aimait boire.
Yu Ci était actuellement comme un gros lion dont on avait touché le derrière et l'irritation lui monta à la tête. Ce fichu nabot est une plaie. Cela ne fait pas longtemps qu'il est là et il a déjà fait tourner la tête au gardien gauche à tel point que ce dernier veut renoncer à sa position.
Une plaie ! Une plaie sans la moindre gêne ! Il devait donner une bonne leçon à ce fichu nabot.
Yu Ci se rua pour retourner dans sa chambre et découvrit que son lit était vide. La couverture était proprement pliée et placée au pied du lit.
Yu Ci : « ... »
Il inspira profondément, se mordit les lèvres et ses yeux firent peur à voir.
« Très bien, je vois qu'il ose me désobéir. »
Yu Ci se rua donc en vitesse dans la cour de Shen Jue.
Le jeune serviteur dans la cour de Shen Jue fut choqué de voir Yu Ci et allait dire quelque chose quand il vit que le maître avait déjà pénétré dans la chambre principale.
Après un moment, Yu Ci en sortit de nouveau en tempêtant, une expression sinistre sur le visage. Il contempla le jeune serviteur d'un air inexpressif.
« Où est-il ? »
Le jeune serviteur fut si effrayé par Yu Ci qu'il ne pouvait plus parler, alors il ne put que pointer du doigt la pièce sur la gauche.
Sans s'arrêter, Yu Ci fit irruption dans la pièce désignée.
En le voyant se ruer, le petit serviteur inspira et fit dans la demi-seconde d'après :
« Maî... maître, le seigneur Shen est en train... de prendre un bain. »
Malheureusement il avait parlé trop tard : Yu Ci s'était déjà rué en face de Shen Jue.
Il le vit assis dans la baignoire et ses pupilles se dilatèrent aussitôt.
Shen Jue vit Yu Ci apparaître brusquement et en resta interloqué. En cet instant, la colère n'avait pas encore disparu du visage de l'autre homme alors Shen Jue cru qu'il était venu le punir. À cette pensée, il se releva et prit les vêtements sur le paravent derrière lui.
S'il devait être puni, il tenait au moins à être habillé.
Le corps du jeune homme avait un halo chaleureux sous la lumière orange de la lanterne, comme une perle de jade. Les cheveux mouillés noirs comme l'encre retombaient de manière sinueuse tel un serpent noir et deux cerises rouges étaient vaguement visibles sous le noir.
Yu Ci contempla avec stupéfaction la peau presque étincelante et la chair qui se dévoilaient sous ses yeux, et il eut tout à coup la gorge sèche.
Surtout quand la peau fut recouverte de vêtements qui furent aussitôt humides à cause de l'eau.
Yu Ci ferma les yeux et secoua la tête avec résolution.
Non, c'était Sang Xinghe qu'il aimait.
Mais face à tout cela, il ne pouvait subitement plus se rappeler du visage de Sang Xinghe.
Une fois habillé, Shen Jue releva la tête pour regarder Yu Ci. En voyant l'autre homme qui avait les yeux fermés et secouait la tête, il ne put s'empêcher de se poser des questions.
Yu Ci récita le nom de Sang Xinghe plus d'une douzaine de fois dans son cœur avant d'expirer et de rouvrir les yeux. Dès qu'il ouvrit les yeux, il fit face aux magnifique yeux bleus de Shen Jue.
Il n'avait jamais trouvé que les corps de Soie Céleste étaient beaux. Pour lui, il n'y avait rien de beau dans une jarre humaine qui stockait l'énergie interne. Mais là, il se dit soudain qu'il avait eu tort.
Ce corps de Soie Céleste était vraiment magnifique, comme un trésor accordé par le Ciel.
Il avait été aveugle jusqu'à présent et n'avait pas vu ce précieux trésor.
Shen Jue vit Yu Ci le contempler d'un air hébété et il plissa légèrement le front. L'instant d'après, il vit Yu Ci s'avancer vers lui.
Yu Ci s'avança vers la baignoire, son nez frémit et ses yeux s'assombrirent, le tout en silence.
Shen Jue eut un très mauvais pressentiment. Il recula d'un pas puis vit que Yu Ci avait déjà sauté dans la baignoire.
L'eau éclaboussa. Shen Jue ressuya les gouttes sur son visage et prit un air grimaçant. Cependant, il se rappela qu'il voulait dissimuler sa véritable nature dans cette vie alors quand Yu Ci s'approcha de lui, il ne fit que fuir.
Mais la baignoire avait beau être grande, elle n'était pas si grande que ça. Où aurait-il pu fuir ?
Shen Jue songea à ce problème et utilisa alors son qing cong pour s'envoler hors de la baignoire. Au moment où il sortit de la baignoire, il fut soudain saisi par la cheville et ramené de force dans l'eau.
Shen Jue se trouva assis sur Yu Ci, ses vêtements trempés d'eau. Il lança un regard ahuri à l'autre homme, son visage pâle légèrement rougissant. Yu Ci fut également surpris de son propre geste. Maintenant qu'il tenait le jeune homme dans ses bras, il sentit simplement que ce qu'il avait dit à He Qiaoying d'un air austère et honorable lui revenait en pleine face comme une gifle.
Ça faisait vraiment mal.
Il avait vraiment l'air de n'avoir que peu de chair, mais peu lui importait d'avoir mal à la main quand il le serrait contre lui.
Que faire ? Il ne voulait vraiment pas le lâcher.
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