Child of the Night 23

Partie Vingt-Trois : Nouvelle union


L'an de grâce 1460
Le lendemain du mariage
Le domaine de Draculea, Valachie


Vlad émergea lentement du sommeil. À moitié réveillé, il analysa son environnement. C'était toujours bien de savoir où vous vous réveilliez, votre vie en dépendait parfois. Il se trouvait dans un lit mais ce n'était pas le grand lit luxueux de son château. Les draps étaient un peu rêches et ce n'étaient pas les draps en soie dont il avait l'habitude quand il en avait.

Mais la chose la plus importante pour son réveil était le corps blotti à moitié sur lui. Une longue jambe nue était jetée sur la sienne et deux bras fermes étaient enroulés autour de son cou. Il sentit le doux chatouillis de cheveux sur sa poitrine et la bouffée chaude et humide d'une respiration mesurée. Un sentiment de paix et de joie s'empara de lui.

« Nicu, » murmura-t'il.


Ce n'était qu'un murmure, à peine prononcé mais le jeune homme s'étira contre lui et fit une voix somnolente :

« Maître ? »


Draculea déplaça le jeune homme dans ses bras pour avoir un meilleur accès au visage de Nicu et déposa un long baiser sur les lèvres qui étaient encore un peu enflées à cause des excès de la nuit précédente. Les yeux du jeune homme étaient encore fermés mais ils s'ouvrirent alors pour le regarder d'un air solennel. Puis son visage se fendit d'un lent et doux sourire et il nicha sa tête dans le cou de Draculea.

« Je me suis endormi.

– Je sais. Moi aussi.

– Je voulais rester éveillé.

– Pourquoi, Nicu ?

– Simplement pour être avec vous. Je voulais rester éveillé afin de vous regarder dormi. »


Draculea caressa les cheveux soyeux, démêlant les mèches sombres avec ses doigts.

« Tu seras toujours avec moi, Nicu. Tu peux dormir en paix.

– Notre temps sur cette terre est si court, Vlad. Je ne veux pas rater un seul moment où je suis avec vous. »

Vlad soupira et s'assit, entraînant le jeune homme avec lui. Cette fois il embrassa gentiment son front.

« Si solennel, mon amour. Si sérieux. Nous avons de nombreuses années devant nous, Nicolae. Ne t'inquiète pas pour ça. Profite simplement de l'instant présent. »

Il garda le silence un long moment, appréciant la proximité et la chaleur du corps du jeune homme qu'il aimait plus que sa propre vie. Puis il émit un son de désapprobation.

« Regardez-moi donc. Je te conseille de vivre dans l'instant présent, et maintenant je dois penser au futur. On doit y aller, mon garçon. Nous devons être au château avant l'aube pour éviter que les mauvaises langues ne s'agitent. »


Nicolae ne protesta pas ; il se leva et commença à se rhabiller. Avant qu'ils ne retournent se coucher durant la nuit, Draculea avait allumé un petit feu et réchauffé de l'eau, puis les avaient tous les deux lavés. Nicolae s'était tenu nu devant le feu, les flammes jetant une lueur dorée sur sa peau douce, et il avait laissé son amant nettoyer gentiment les marques de leur passion partagée. Il se sentait vraiment aimé, un sentiment rare pour lui.

À présent il terminait d'enfiler ses bottes et il se leva, croisant les bras autour de son torse nu avec un léger renfrognement.

« Domn, je ne peux pas sortir comme ça. »

Il ramassa le haillon qui fut sa chemise et l'examina.

« Et ce n'est plus bon qu'à ressuyer les casseroles maintenant.

– Tu auras beaucoup d'autres chemises, mon amour. Mais pour l'instant... »


Il y avait une tunique grossière accrochée à une patère, sans doute le seul vêtement de rechange du paysan qui vivait ici. Draculea la prit et la tendit au jeune homme.

« Mets-ça.

– Du vol, Domn ? »

La voix de Nicolae était horrifiée.

Draculea eut un léger rire.

« Non, mon garçon, pas du vol. Regarde donc. »

Il fouilla dans sa poche et trouva une seule petite pièce d'argent, la montra à Nicolae puis la plaça au centre de la table.

« Cela suffira-t-il ? »

Nicolae murmura :

« Oh, Domn, votre générosité...

– Nicu, je t'en prie. »

Il serra le jeune homme dans ses bras, puis prit le vêtement grossier et le glissa au-dessus de sa tête.

« Tu apprendras un jour que l'argent ne signifie pas grand-chose pour moi. J'ai appris tout seul à vivre simplement lorsque je le dois. Payer le propriétaire de cette chaumière est la bonne chose à faire et je suis content de le faire. Je ne prends pas de ceux qui ont si peu. Viens maintenant. Lucifer va faire sa promenade matinale mais je pense qu'il doit avoir faim. Je n'ai pas vu beaucoup de fourrage dans la petite cabane. »

Lucifer n'était pas content d'avoir un second cavalier mais il se tint tranquille et laissa Draculea soulever Nicu sur son dos, avant de monter à son tour. Nicolae agrippa l'épaisse crinière de l'étalon tandis que Draculea passa les bras autour de lui pour prendre les rênes. Il s'adossa contre Draculea, se reposant sur le confort solide du corps de son amant tandis que le cheval allait l'amble le long de la route qui menait au château, secouant la tête avec irritation jusqu'à ce que Draculea lui montre à nouveau qui était le maître, comme il le faisait à chaque fois qu'ils testaient leurs volontés respectives. Il n'y eut pas un seul instant durant le combat entre ces deux êtres puissants où Nicolae ressentit la moindre crainte, tant il se sentait en sécurité dans les bras de l'homme qu'il aimait.


Il faisait encore nuit quand ils arrivèrent au château, l'aube se cachant encore derrière l'horizon avec seulement quelques pâles doigts de lumières qui commençaient à se frayer un chemin dans le ciel. Les ombres des torches basses projetaient des doigts fins mais sauvages de lumière sur les murs du château, ne servant guère à éclairer les deux hommes qui s'approchaient des portes du château à une telle heure.


La cour était déserte, mis à part deux gardes aux portes. Tenant à leur vie, ils n'avaient pas bu d'alcool durant leur tour de garde et malgré l'heure tardive, ils étaient alertes lorsque le cheval et ses cavaliers s'approchèrent. Seul l'étalon aisément reconnaissable permit aux gardes de deviner l'identité du plus grand homme perché sur le dos de cet animal bien connu pour son tempérament difficile et incontrôlable. L'autre homme, plus fin et avachi contre le torse du cavalier, était en partie caché par les larges épaules et le bras de l'homme que les gardes reconnurent comme leur chef. Ils regardèrent avec curiosité le prince chevaucher dans l'enceinte du château avec, juché devant lui, un compagnon dont ils devinèrent qu'il s'agissait du jeune bibliothécaire, mais ils ne dirent pas un mot, se mettant simplement au garde-à-vous pour accueillir cet homme qu'ils craignaient autant qu'ils le révéraient. Et ils ne toucheraient pas mot du retour matinal de leur seigneur avec son bagage endormi. Aucun d'entre eux n'était stupide.


Draculea descendit de cheval près des écuries, réveillant puis aidant Nicolae à descendre. Il tapa la croupe de Lucifer, envoyant le cheval obéissant dans l'écurie vers sa propre stalle ouverte. Satisfait d'être de retour chez lui, il commença à manger du grain alors qu'un garçon d'écurie encore somnolent se hâtait de prendre soin du cheval fatigué, tandis que Draculea conduisit Nicolae dans le château.

Simion attendait dans la grande salle, pâle et anxieux. Quand les deux hommes entrèrent, ses yeux cherchèrent rapidement Nicolae. Il vit le regard doux et empli d'adoration que le jeune homme lança à Draculea, et il se détendit avec un long soupir. Il avait eu très peur pour le jeune homme et pour son maître. Simion savait que le désir de Draculea pour le jeune homme avait été comme une fièvre qui lui brûlait le sang, et quand le sang de son maître était chaud, il était dangereux.


Simion posa une main sur l'épaule du jeune homme. Nicolae lui offrit un sourire timide.

« Simion, vous étiez inquiet pour moi, n'est-ce pas ? Je suis désolé de m'être comporté aussi stupidement.

– Pas stupide, mon garçon. Juste... »

Il fit une grimace, cherchant ses mots.

« Ignorant des faits, ce qui t'a effrayé. Mais sache ceci, mon garçon, l'ignorance et la peur sont guéries par la connaissance.

– Nicolae, peux-tu retrouver ma chambre ? »

Quand le jeune homme hocha la tête, Vlad l'embrassa sur la joue.

« Va te reposer. Tu as encore besoin de sommeil. »


Nicolae posa un moment sa joue sur l'épaule de Draculea, puis leva les yeux vers lui.

« Vous viendrez bientôt ? »

Il caressa le torse de Draculea, jouant avec les attaches de sa chemise.

L'autre homme sourit.

« Je veux que tu dormes, mon garçon. Va. Je te rejoindrai plus tard pour voir comment tu te portes et pour m'assurer que tu te reposes vraiment. »

Ses yeux suivirent Nicolae tandis qu'il montait les escaliers et tourna dans un couloir, puis il regarda Simion.

« Alors. »


Simion pencha la tête d'un air interrogateur.

« À en juger par son attitude, je dirais que tout s'est bien passé quand vous vous êtes rencontrés. Il comprend à présent comment seront les choses ? »

L'expression de Draculea se dégrisa.

« Je lui ai presque fait mal, Simion. J'étais si furieux qu'il veuille me quitter, ma douleur était si grande...

– Mais vous ne lui avez rien fait, Domn. Vous avez vu qu'il n'y avait pas de malveillance dans ses actes.

– Mais j'ai failli. Et j'aurais dû le traiter plus gentiment. »

Simion grommela.

« Il y a des moments pour la gentillesse, seigneur, et vous les aurez avec Nicolae. Mais les émotions que vous ressentiez tous les deux étaient trop fortes pour qu'on les retienne cette nuit. Ce qui est arrivé devait arriver et le garçon est heureux. Voyez-le et pardonnez-vous. »


Draculea acquiesça et son expression devint plus sévère.

« Maintenant que le mariage est officiel et que j'ai mon Nicolae, il ne reste encore plus qu'une chose à faire. »

Simion souriait à présent — ce n'est pas un spectacle plaisant.

« Oui, Domn. Comment le ferez-vous ?

– Il part aujourd'hui pour son propre château. Je crains fort que ce pauvre seigneur Varga ne rencontre des bandits sur la route. Quel dommage, il aurait dû prendre plus d'homme avec lui pour le voyage de retour. Tu sais, Simion, que je peux normalement contrôler les troupes de bandits sur mes propres terres, mais bon... »

Il haussa les épaules.

« Même moi, je ne peux pas être partout à la fois, et les tragédies arrivent. »

Les deux hommes regardèrent le sommet de l'escalier.

« Et quels sont les projets de mon prince pour aujourd'hui ?

– Quelques heures de sommeil avec mon amour, puis j'assisterai au départ de mon beau-père et lui souhaiterai bon voyage. »

Le sourire de Draculea était cruel.

« Puis je pense que j'irai chasser. »

Quand Draculea entra dans sa propre chambre, elle était à peine éclairée, les tentures lourdes étant pour une fois tirées afin de refuser l'entrée à la lumière du jour naissant dans la pièce bien meublée. La seule lumière provenait du feu qui crépitait à peine dans l'âtre. Il prit le temps de l'attiser, ajoutant quelques bûchettes, puis se dirigea vers le lit et s'arrêta à côté, s'abreuvant de la vue qu'il avait rêvé de voir depuis de nombreux jours. Nicolae reposait là, blotti sous le dessus-de-lit de velours riche, ses cheveux très sombres contre la taie blanche de l'oreiller. Draculea avait eu raison de dire qu'il avait besoin de sommeil car il était déjà profondément endormi, sa poitrine se soulevant et tombant dans le rythme lent d'un sommeil profond.


Draculea se déshabilla en silence puis se glissa entre les draps pour s'allonger à côté de son amant. Avec soin, de façon à ne pas réveiller le jeune homme, il se rapprocha de lui. Comme s'il sentait sa présence, même dans les profondeurs du sommeil, Nicolae se tourna vers lui, se pressant contre lui. Draculea sentit la chaleur vibrante et chaude le long de son corps et il offrit une prière de remerciement avant de s'abandonner au sommeil.

Le second réveil avec Nicolae fut aussi doux que le premier. Un serviteur s'était glissé dans la chambre à un moment ou un autre pour apporter de l'eau chaude et attiser à nouveau le feu pour qu'il fasse chaud dans la chambre quand ses occupants se réveilleraient. Un bon feu flambait dans la cheminée et des chandelles étaient déjà allumées. Quand Draculea ouvrit les yeux, ce fut pour trouver Nicolae assis à côté de lui et l'observant. Avec ses cheveux emmêlés et ses yeux encore ensommeillés, il semblait avoir quatorze ans tout au plus. Draculea s'étira.

« Bonjour, Nicolae. »

Il tendit la main pour caresser le bras du garçon.

« Tu as bien dormi ? Je pense que tu n'as pas l'habitude de dormir avec quelqu'un d'autre.

– En effet, Domn, mais je vais grandement apprécier le fait de m'y habituer. Mon sommeil était plutôt excellent.

– Bien. »


Draculea attira Nicolae contre lui pour un baiser, qui devint deux baisers, qui devinrent trois baisers. Finalement il s'écarta du jeune homme avec un soupir.

« J'ai envie de toi, mon amour. La faim semble grandir au fur et à mesure que je me nourris.

– Puis-je toujours vous satisfaire, mon seigneur.

– Tu me satisfais. Tu me satisferas. Mais... »

Il s'assit.

« Je dois m'occuper de mes autres faims charnelles. »

Il se leva du lit.

« Je ferai monter Simion avec un petit-déjeuner pour toi. Je veux que tu restes ici jusqu'à ce que je vienne te chercher, ou que j'envoie Simion te chercher. »


Nicolae regarda Draculea s'habiller.

« Comme vous voulez. Mais... »

Sa voix était remplie de doutes.

« Je ne vais pas rester ici pour toujours, n'est-ce pas ? »

Draculea s'assit sur le lit, enfilant ses bottes.

« Quoi, sans jamais quitter cette chambre ? »

Il sourit, ébouriffant les cheveux de Nicolae.

« C'est une idée plaisante, mais non. Tu n'es pas prisonnier ici, mon garçon. Tu n'es pas en détention dans cette chambre. C'est juste que je ne veux pas que tu sois inquiété, et la plaie purulente qui t'a engendré n'est pas encore partie. Il va bientôt s'en aller et alors l'enceinte du château sera toute à toi. »

Draculea se leva.

« Je vais assister à son départ, puis je te montrerai ton nouveau lieu de travail. »


Les yeux de Nicolae s'illuminèrent.

« La bibliothèque ?

– Tu dis ça de la même façon qu'un fanatique dirait Jérusalem. Oui, la bibliothèque. »

Il se pencha pour un autre baiser et Nicolae jeta ses bras autour de son cou, s'agrippant à lui. Vlad apprécia l'étreinte pendant un moment puis il se libéra gentiment. Il caressa le visage de Nicolae et murmura :

« Bientôt, mon bichon. Bientôt tu seras débarrassé de lui. Ne le laisse pas troubler ton cœur encore longtemps. »

Sa démarche était ferme lorsqu'il quitta la chambre.

Draculea trouva Simion près de l'entrée.

« Combien d'hommes vont accompagner Varga et où sont-ils maintenant ?

– Seulement les trois qui sont venus avec lui. Il a laissé les autres partir en avance car il n'y avait pas de dames ou de biens de valeur à transporter et surveiller sur le chemin du retour, Domn. Ils se trouvent actuellement dans la cuisine.

– Bien. Viens avec moi au trésor. »

Ils se dirigèrent vers une petite pièce cachée au plus profond du château, parmi les cryptes et les cachots dans ses entrailles. La seule indication qui la différenciait des autres pièces étaient les deux hommes qui la gardaient. Les hommes entrèrent.


Les murs étaient couverts de coffres et de caisses. Draculea prit trois petits sachets de cuir sur une étagère et ouvrit un coffre. Il était rempli de pièces d'argent étincelantes. Il plongea les mains dans la masse puis hésita, songeur. Il ferma le coffre et en ouvrit un autre. Ce dernier révéla une masse identique de pièces d'or. Draculea en prit une poignée et commença à remplir les sacs.

« As-tu déjà exécuté ce bandit qu'on a capturé le mois dernier ?

– Vous n'en avez pas spécifiquement donné l'ordre, mon seigneur, donc il vit toujours.

– Bien. Je l'avais oublié jusqu'à maintenant. Il sera plus utile aujourd'hui que dans toute sa misérable existence. Si je ne l'avais pas fait exécuter pour ses crimes, son sort aurait été de moisir sa cellule mais on va plutôt maintenant lui accorder une mort rapide. »


Draculea finit de remplir le dernier sac, le ferma bien puis ferma le coffre. Il glissa les sacs dans sa chemise où ils pesèrent lourd contre sa peau.

« Quand nous irons à la cuisine, prends à manger pour Nicolae et reste avec lui un bout de temps. Il peut avoir besoin de parler à quelqu'un et j'ai des affaires à gérer avant que je le rejoigne. Je ne veux pas qu'il se fasse du mouron ou qu'il s'inquiète tant que ce bâtard est toujours au château. »


Dans la cuisine, les hommes du seigneur Varga finissaient leur repas et aussi de harceler joyeusement les filles de cuisine. Ils bondirent sur leurs pieds lorsque le prince et son homme entrèrent dans la pièce. Simion ordonna aux servantes et aux cuisiniers de se trouver des tâches ailleurs, puis rassembla de la nourriture pour Nicolae et laissa le prince parler aux hommes.

Draculea les considéra. Ils n'avaient rien de spécial, peu soigneux dans leur accoutrement, dans le soin de leur équipement et probablement aussi dans leurs maîtrise des armes. Exactement ce à quoi il pouvait s'attendre des hommes de Varga. S'il avait bien évalué leur caractère, ou plutôt leur manque de caractère, ils ne poseraient pas de problème. S'il avait tort... Hé bien, des gens mouraient tous les jours. Ainsi allait le monde.


Draculea croisa les bras.

« Êtes-vous des hommes libres ou des serfs ? »

Ils se raidirent tous. Le plus grand, le chef du trio, parla fièrement :

« Nous sommes des hommes libres, Domn. Varga est bien trop fier et trop pingre pour dépenser l'argent nécessaire pour entraîner ses serfs. C'est moins cher pour lui d'engager des mercenaires comme nous quand il lui faut des combattants. Mais notre contrat avec lui est bientôt terminé et nous chercherons du travail ailleurs.

– Laissez-moi deviner. Il n'est pas extrêmement généreux.

– Comme je l'ai déjà dit, Domn, il est pingre. Nous n'aurions jamais accepté son offre si nous n'avions pas été désespérés à l'époque.

– Que diriez-vous de quitter votre emploi plus tôt et avec assez d'argent pour vivre confortablement jusqu'à ce que vous trouviez un autre poste ? »


Les hommes échangèrent des regards, se demandant si le prince était en train de leur offrir du travail. Cela ne semblait pas être le cas. Ils savaient qu'il avait déjà assez d'hommes pour le servir, tous mieux équipés et mieux entraînés qu'eux.

« Ce serait une opportunité bienvenue, prince. Mais comment ? »

Draculea sortit un sac de cuir de sa chemise et jeta au chef. Quant l'homme l'ouvrit, ses yeux faillirent lui sortir de la tête en voyant les pièces d'or. C'était des richesses presque inimaginables pour un homme qui n'avait jamais possédé plus de quelques pièces d'argent à la fois. Il le montra à ses compagnons qui furent aussi étonnés que lui. Enfin il regarda à nouveau Draculea.

« Que souhaitez-vous que nous fassions, seigneur ?

– Votre maître n'en a plus pour longtemps dans ce monde. »


L'homme se renfrogna. Il jeta un nouveau regard d'envie aux pièces puis referma le sac en soupirant et le présenta au prince.

« Je suis désolé, Domn. Je ne peux pas tuer, même pour un prix si élevé.

– Je ne vous demande pas de tuer, imbécile. »

Au lieu de reprendre le sac, Draculea en sortit deux autres, les lançant à chacun des autres hommes.

« Je vous demande de ne rien faire. C'est exactement ça. Vous ne ferez rien et ensuite vous serez libres de suivre votre propre route, de vivre votre propre vie. Tout ce que vous devez faire, c'est quitter ce pays après ce qui va se passer et de ne jamais revenir, de ne jamais parler de ce dont il s'agit. »


Quand ils semblèrent soupçonneux, Draculea fit :

« Vous savez quel genre d'homme est Varga ? »

Ils hochèrent la tête d'un air morose.

« Il a blessé quelqu'un que j'aime. Je veux le voir mort, avec ou sans votre aide. Je préférerais avec. »

Ses yeux brillèrent.

« Je vais avoir assez de sang sur mes mains et je vous avertis que j'en aurai encore plus si jamais vous parlez de ce à quoi vous assisterez. Je veux votre parole sacrée que vous allez complètement oublier ce que vous allez voir, tous les trois. Si un seul d'entre vous, à n'importe quel moment de sa vie, raconte ce qui va se produire, alors vous mourrez tous de façon horrible, peu importe où vous fuirez pour échapper à mon courroux. Alors, que vous preniez cet or ou non, vous êtes contraints de vous taire. Ce silence peut être assorti d'or ou non. Je vous suggère de l'assortir. »

Dans la chambre d'Elizabeta, Lena aidait sa maîtresse à s'habiller. Beta n'était guère heureuse.

« Je veux dormir, Lena. Je suis une princesse maintenant ; je peux faire ce dont j'ai envie.

– J'ai l'impression que tu te fais une fausse idée de la façon dont une princesse vit. Il se peut qu'un prince puisse faire comme il lui plaît, mais une princesse est comme toutes les autres femmes — liée à ses devoirs. Ton père est sur le point de partir et tu dois lui faire tes au revoir.

– Je ne vois pas pourquoi, fit Beta d'un air bougon. Ce n'est pas comme si l'un de nous deux était contre. Je suis contente de le quitter, et il ne versera pas une larme pour mon départ.

– On doit quand même maintenir l'illusion pour le monde, Beta. Ce qui est vraiment ne compte guère pour le monde. C'est ce qui paraît être qui est important pour les autres. Après cette corvée, tu n'auras plus besoin de le voir très souvent, seulement une lettre de temps en temps et peut-être une visite de devoir lorsque ton premier enfant sera né. »


Beta fit la grimace.

« Cette pensée ne m'apporte aucun plaisir, Lena.

– La visite ? C'est lui qui pourra se déplacer ici.

– Non, l'enfant. Rien que de penser à quelque chose qui pousse en moi...

– Je sais, je sais. Mais on ne peut pas l'éviter. Tu dois produire un héritier pour sceller ta position. Juste un, si c'est un mâle en bonne santé. Ensuite il y a des façons pour éviter d'avoir un enfant, et je peux y accéder assez facilement. »

Elle rassembla les cheveux de Beta en un chignon à la base de son cou, planta des épingles pour le faire tenir et ajusta un délicat filet de cordes en soie dessus.

« Là. Tu es si belle, ma Beta. Draculea peut bien régner sur la Valachie mais tu vas régner sur lui. »

Et moi, je règnerai sur toi, songea-t-elle.

Les deux femmes descendirent à la grande salle et trouvèrent le père de Beta assis sur une chaise devant le feu, habillé pour partir. Il se leva pour accueillir sa fille, déposant un bécot sec sur une joue qu'on lui tendit avec réticence.

« Alors, Beta. Tu es mariée maintenant. Bientôt mère, j'espère. »

Son ton indiquait qu'elle avait intérêt à consacrer toutes ses forces pour produire un héritier le plus rapidement possible.

« Ce sera la volonté de Dieu, Père.

– Non, ce sera la volonté de ton seigneur et époux, mon enfant. Souviens-t'en. Tu penses peut-être que tu es libre de toute contrainte et de tout contrôle à présent. Je t'avertis, ma fille, de prendre bien garde. Ne prends pas trop de libertés, ou bien tu te retrouveras rejetée à ta place. Draculea n'est pas le genre d'homme que l'on prend à la légère. »

Il frotta sa gorge d'un air absent.

« Je ne le sais que trop bien. »


Draculea entra dans la grande salle et s'approcha du groupe. Il fit un salut bref et formel, auquel le seigneur Varga répondit nerveusement tandis que les femmes firent la révérence.

« Varga, vos hommes sont prêts à vous accompagner.

– Je vous remercie d'avoir été les chercher, mon seigneur.

– Ce n'est rien, Varga. J'étais content de le faire. »

Content de ne plus jamais te revoir chez moi, bâtard, mais pressé pour notre dernière rencontre qui sera inoubliable.

Ils sortirent dehors et trouvèrent les soldats, chacun à côté de son cheval, attendant que leur maître monte à cheval. Le seigneur Varga embrassa à nouveau Beta et elle murmura consciencieusement :

« Bon voyage, Père.

– Merci, Beta. Sois une gentille fille. »


Il lança un regard au château, une lueur malsaine dans les yeux, et fit :

« Dis à Nicolae que je penserai à lui, et de ne pas se languir. Je suis sûr que nous nous reverrons à nouveau.

– Oui, Père, » répondit Beta, confuse

Depuis quand son père s'inquiétait-il des sentiments de son bâtard ?

Draculea avait entendu ses mots et ses poings se serrèrent à ses côtés, mais il parvint à offrir au seigneur Varga un sourire faible et faux.

« Bon voyage, Varga. Puissiez-vous atteindre sans encombres la fin que le destin vous a préparée. »


Ernestu cilla à cause du choix étrange des mots, mais il accepta gracieusement les meilleurs vœux. Il monta à cheval avec difficultés et, quand il fut finalement en selle, jeta un dernier regard au château, songeant au jeune homme caché quelque part à l'intérieur. Tandis qu'il faisait tourner son cheval et franchissait les portes, il considéra le temps qu'il devait attendre avant d'oser écrire à Beta et de suggérer qu'elle envoie Nicolae à la maison pour le réconforter, à présent que son dernier enfant légitime était parti.


Elizabeta essayait de trouver une bonne excuse pour éviter la compagnie de Draculea quand il se tourna vers elle et fit :

« Bien, ma dame, vous voulez sans doute découvrir votre nouveau domaine. Je vais vous envoyer Simion et il pourra vous montrer le château et vous présenter les domestiques. Cela vous sied-il ? »

Beta savait que la dernière question était par pure courtoisie. C'était ce qu'il voulait qu'elle fasse et cela lui convenait très bien.

« J'en serais ravie, mon seigneur. Et comment passerez-vous votre journée ? »

Draculea eut un sourire de loup.

« Je vais chasser. »

Elizabeta frémit en le regardant partir, murmurant à Lena :

« Les hommes et leurs sports sanglants. »



Dans sa chambre, Draculea trouva Nicolae en train de parler d'un ton excité à Simion qui écoutait patiemment le jeune homme exposer ses espoirs et ses plans pour la bibliothèque du palais. Il était en train de finir avec :

« ... bien sûr, je ne l'ai pas encore vue donc je ne sais pas trop avec quoi je vais travailler, mais je suis certain que ce sera très bien.

– Tu vas le voir de toi-même, mon garçon. »

Le sourire qui se dessina sur le visage de Nicolae lorsqu'il vit Draculea réchauffa le cœur du prince.

« Les voyageurs sont partis, le devoir est fait. Maintenant je vais te montrer ton sanctuaire, puis j'irai chasser. Viens. »

Nicolae se rua vers lui et Draculea fit :

« Simion, la princesse et sa servante t'attendent dans la grande salle. Je te fais confiance pour lui montrer tout ce qu'elle a besoin de savoir dans sa nouvelle position. »

Ses yeux dirent : Et rien de plus.


Tandis qu'ils marchaient dans les couloirs, Draculea expliqua à Nicolae :

« Tu auras les pleins pouvoirs ici, Nicolae, et tu auras bien du travail. Je crains qu'elle n'ait été tristement négligée depuis que mon père est mort. Tu la feras vivre à nouveau. Tu disais que tu voulais apprendre à relier les livres ? »

Le jeune homme acquiesça avec empressement.

« Bien. Je vais engager des tuteurs pour te l'enseigner. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n'as qu'à le dire à Simion ou à moi-même et tu l'auras. J'ai déjà commandé de l'encre, des plumes et des parchemins, mais il doit déjà y en avoir dans la bibliothèque pour que tu puisses commencer. Nous y voici. »


Draculea ouvrit la lourde porte et pressa le jeune homme d'y entrer avant lui. Nicolae s'arrête net à l'intérieur, regardant autour de lui d'un air émerveillé et presque stupéfait. Avec indulgence, Draculea l'observa pendant que les yeux du jeune homme parcouraient les immenses rangées d'étagères. Son expression était plus proche de l'avidité, songea-t-il, qu'elle ne l'avait encore jamais été.

Nicolae déambula vers un rayon et tendit la main, touchant les volumes poussiéreux avec une révérence hésitante. Il fit doucement :

« Je... Je pense que je devrai d'abord faire l'inventaire, pour que mon seigneur sache exactement ce qu'il a et qu'il puisse ainsi déterminer au mieux ce qu'il souhaite acquérir.

– Fais comme tu le souhaites, Nicolae. J'ai déjà tout ce que je veux, mais si tu penses que je devrais avoir quelque chose en particulier, alors je l'obtiendrai. »


Il prit la main du jeune homme et la retourna, embrassant la paume.

« C'est ton domaine, Nicolae. Je sais que tu en prendras bien soin. Je dois y aller maintenant. Je serai de retour cet après-midi ou en début de soirée, et tu devras alors t'arrêter, ou bien je finirai par devenir jaloux de ton travail. Tu pourras passer tes journées ici comme tu le voudras, mes tes nuits m'appartiennent. »

Avant que Draculea ne puisse libérer sa main, Nicolae la porta à ses propres lèvres, déposant un doux baiser sur la paume calleuse. Timidement, il murmura :

« Mes nuits, mes jours, ma vie, mon seigneur... Vlad. Tout est à vous. »

Draculea partit rapidement, sentant une piqûre douteuse dans ses yeux. Il n'avait jamais été du genre à croire qu'on pouvait pleurer de joie mais Nicolae pouvait presque le convaincre que c'était possible.







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