Chapitre 33 : Malédiction
Chi Yan fut un peu surpris de voir Ye Yingzhi raconter un fait si horrible d'un ton et d'un air si calmes. Il tremblait rien qu'en imaginant la scène. Toutefois l'attitude étrange de Ye Yingzhi le réconforta et il ne se laissa pas trop aller.
La deuxième rue n'était qu'à une station de métro de leur université. Une mort si tragique ne pouvait que susciter des commentaires.
Selon les informations de son colocataire, la victime était une femme qui vendait du maquillage dans le centre commercial Lotus de la deuxième rue. Elle travaillait de nuit ce soir-là. Le magasin était ouvert jusqu'au vingt-deux heures. Elle ne quitta pas le travail avant vingt-trois heures pour prendre le métro. Malheureusement elle connut ce sort horrible. Comme la mort était suspecte et tragique, la nouvelle avait été bloquée et le département publique avait émis un conseil à l'intention des habitants du quartier pour qu'ils fassent attention à leur sécurité et qu'ils ne rentrent pas tard.
La deuxième rue était florissante avec tous ses commerces et elle n'était pas loin de l'université de A. Les étudiants aimaient bien manger et faire des courses là-bas. Chi Yan s'était peut-être déjà trouvé sur les lieux de ce crime, peut-être qu'il avait déjà croisé la victime dans le centre commercial. Il se mit à trembler tandis que les mots "les yeux exorbités, le cœur et la langue arrachés" résonnaient dans son esprit. Il se força à ne plus y songer et se mit au lit après avoir souhaité bonne nuit à Ye Yingzhi.
À moitié endormi et à moitié conscient, il crut entendre quelque chose bouger par la fenêtre. Chi Yan se réveilla un peu confus en se demandant si ce pouvait être un voleur. Non, leur chambre se trouvait au sixième étage...
Chi Yan ouvrit les yeux et regarda en direction du bruit. Par la fenêtre il put vaguement voir une silhouette sur la balustrade du balcon. Il se réveilla un peu plus et ouvrit de grands yeux pour voir —
Une femme vêtue d'une robe rouge foncé était assise sur la balustrade. Elle fixait Chi Yan avec attention, ses yeux exorbités et injectés de sang. Elle voulut dire quelque chose, ouvrit la bouche mais la bouche était vide, privée de sa langue. Elle ne put qu'émettre un sifflement.
Chi Yan baissa machinalement les yeux vers la poitrine de la femme et vit un gros trou dans son torse. La chair, le sang et les intestins étaient vaguement visibles...
Chi Yan ferma aussitôt les yeux et tourna le dos. Il se souvint tout à coup que Ye Yingzhi était également présent ce soir. La pensée s'était à peine formée dans son esprit qu'il avait déjà appelé :
« Ye Yingzhi ! Ye Yingzhi...
– Que se passe-t'il ? Tu as fait un cauchemar ? »
Il n'ouvrit les yeux qu'en entendant la voix calme et sereine de son colocataire. Il n'osa plus jeter un coup d'œil à la fenêtre et regarda directement le lit d'en face. Ye Yingzhi était déjà assis et le contemplait calmement.
Il déglutit et désigna la fenêtre d'un doigt tremblant. Il murmura :
« … Regarde, il y a quelque chose dehors... ? »
Ye Yingzhi regarda calmement par la fenêtre avant de se tourner vers lui.
« Il n'y a rien. Tu as fait un cauchemar ?
– Rien ? » redemanda Chi Yan pour confirmer.
Il se tourna à son tour vers la fenêtre. Le balcon était vide, il n'y avait que deux vêtements qui séchaient depuis hier et qu'il n'avait pas encore décrochés.
« … Je viens de voir une femme par la fenêtre. Elle portait une robe rouge et je ne pouvais pas voir le bas de son corps. Elle n'arrêtait pas de me regarder comme pour me dire quelque chose... Mais elle avait la langue coupée et le cœur arraché. »
Rien que d'en parler, il sentit un grand froid derrière lui et ne put s'empêcher de regarder par-dessus son épaule.
Ye Yingzhi sourit et fit :
« Ce n'est rien. Tu as dû imaginer ça après avoir été effrayé par ce qui s'est passé ce soir, ou bien tu as rêvé et cru que c'était vrai. N'y pense plus et retourne te coucher. »
Après tout, les dieux et les démons étaient des mystères du Dao. Chi Yan avait encore un peu peur mais il était trop gêné de se montrer timide et faible devant son camarade. Dire qu'il avait la trouille rien qu'en entendant parler d'un tel meurtre. Alors il hocha la tête et se coucha de nouveau.
Il était humainement impossible de se rendormir tout de suite. Dès qu'il fermait les yeux, la scène réapparaissait devant lui. Au beau milieu de la nuit, Chi Yan n'osa pas importuner encore Ye Yingzhi alors il ne put que prendre son portable et jouer en silence.
Cependant il continuait à sentir un regard braqué sur lui et cela semblait provenir de dehors sur le balcon...
Il avait déjà réveillé une fois son colocataire en pleine nuit, ce dernier venait peut-être de se rendormir à l'instant. Alors Chi Yan ne voulait pas le réveiller une seconde fois. D'un autre côté s'il ne vérifiait pas, il n'aurait pas l'esprit tranquille.
Après une longue hésitation, il rassembla finalement le courage de regarder à nouveau par la fenêtre —
La chose grimaça de sa bouche sans langue et lui lança un sourire béant.
Chi Yan ne cria pas cette fois. Il descendit de son lit et se dirigea de tout son cœur vers la couche de Ye Yingzhi. Il n'osa pas regarder ailleurs et grimpa l'échelle qui menait au lit de Ye Yingzhi comme si sa vie en dépendait. Il agrippa sa couverture.
Il était impossible que Ye Yingzhi ne se réveille pas suite à ses mouvements. Il ouvrit les yeux, s'assit et baissa la tête pour regarder Chi Yan :
« Qu'y a-t'il encore ? »
Chi Yan secoua la tête et fut incapable de parler. Après quelques inspirations, il ouvrit la bouche en tremblant :
« … cette chose est encore dehors... »
Ses mains tremblaient constamment et il semblait sur le point de pleurer.
Ye
Yingzhi recula un peu et regarda de la tête aux pieds le corps
complètement nu de l'autre homme sauf pour un short. Il tapota
sa couverture.
« Viens-là déjà, il
fait froid dehors. »
On était à la fin du mois d'Octobre et la température dans le Nord n'était pas très élevée. Sans radiateur ou clim, Chi Yan risquait d'attraper froid s'il restait comme ça sur l'échelle.
Comme s'il avait reçu une sorte d'édit, Chi Yan grimpa rapidement sur le lit et souleva soigneusement un coin de la couverture pour se glisser en-dessous.
Ye Yingzhi tourna la tête pour regarder par la fenêtre.
« Il n'y a toujours rien. Tu as dû mal voir et tu t'es fait peur tout seul. »
Cette fois cependant, Chi Yan n'eut pas le courage de regarder de nouveau vers l'extérieur.
Ye Yingzhi s'allongea dos contre le mur.
« Tu peux dormir avec moi mais tu dois descendre chercher ta couverture. Je n'en ai qu'une. »
La peur de Chi Yan ne l'avait pas quitté. Il avait épuisé toutes ses forces rien qu'en courant vers Ye Yingzhi à l'instant et ses jambes tremblaient encore. Il entendit ce que dit Ye Yingzhi mais ne bougea pas. Il resta assis là à lui lancer un regard bête, l'air un peu misérable.
Ye Yingzhi souleva la moitié de la couverture.
« Viens dormir, c'est presque l'aube. Il faudra que tu fasses avec pour le moment. »
Chi Yan hésita un peu puis se glissa sous la couverture. Collé contre Ye Yingzhi, il murmura :
« Merci. »
Les lits des dortoirs ne faisaient tous qu'un mètre de large alors c'était difficile d'y caser deux jeunes hommes. Ils n'eurent pas d'autre choix que de dormir sur le côté, dos à dos, mais c'était comme vivre ensemble en harmonie.
Chi Yan avait eu si peur cette nuit et il était tellement tendu qu'il s'endormit dès qu'il se détendit.
Quand il ouvrit les yeux le lendemain, il vit que la chambre était déjà lumineuse et il sentit un autre souffle dans son cou. Il tourna légèrement la tête et vit que Ye Yingzhi s'était retourné à un moment ou à un autre. Il avait la tête sur son cou et son bras droit était totalement enroulé autour de sa taille. Leurs deux corps étaient très proches, preuve que Ye Yingzhi le serrait contre lui.
Le plus embarrassant dans tout ça était que quelque chose se pressait et se frottait inconsciemment derrière lui.
Chi Yan ouvrit la bouche puis se figea un moment.
Ye Yingzhi avait déjà été trop dérangé et importuné la nuit dernière et il n'avait dormi plus de quelques heures. Chi Yan était donc bien trop embarrassé pour le repousser et le réveiller. Il tenta de changer de place et de position et il bougea son corps vers l'avant mais à cause de l'espace limité et de la main droite de Ye Yingzhi fermement pressée contre lui, cela ne servit à rien. Au contraire, cela donnait l'impression qu'il servait spontanément les besoins de l'autre homme...
Le visage de Chi Yan devint tout rouge et il finit par grincer des dents, fermer les yeux et décider de faire comme si de rien n'était.
Après tout... cela allait se calmer rapidement, non ?
Entre l'incident du matin dont il feignait n'avoir aucune connaissance et dont l'autre homme n'avait pas du tout conscience et l'agitation de la nuit précédente où il avait dérangé l'autre homme, Chi Yan n'osa pas regarder Ye Yingzhi droit dans les yeux à son réveil et ses oreilles étaient entièrement rouges.
Ye Yingzhi ouvrit lentement les yeux et retira son bras. Il fit tout en gardant la position actuelle :
« Désolé, je t'ai un peu écrasé ? »
À cause de la proximité, Chi Yan pouvait clairement sentir son souffle à la base de sa nuque et de ses oreilles.
Il secoua vivement la tête et continua de la secouer plusieurs fois. Il ajouta :
« Non. Euh non. Merci beaucoup pour hier. »
Il se leva en n'osant pas regarder Ye Yingzhi.
Ce dernier plissa les yeux légèrement et sourit sous cape.
« De rien. Ne sois pas parano et arrête de te faire peur tout seul. Les fantômes n'existent pas. Ce sont juste des histoires qu'on invente. »
Chi Yan hocha la tête et sortit rapidement du lit. Il retourna de son côté pour s'habiller et ranger.
Il ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil par la fenêtre : le ciel était beau et lumineux.
Sans surprise, il n'y avait rien.
Note de Karura : Oh oh, Ye Yingzhi passe vite à l'attaque !
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