Esprit Malin 63

Chapitre 63 : L'invitation du prince


Une fois que la porte se ferma de nouveau, Judy lança un regard indigné à Simon.

« C'est qui, celui-là ? Pourquoi tu l'as laissé emmener Jerry ? Tu as oublié ? Dans la cuisine ce jour-là, l'odeur de son sang, c'était si doux... »

Elle renifla comme pour se rappeler de l'odeur.

« C'était dur d'avoir une occasion comme ce soir. Il a accepté l'invitation au festin de sang et a suivi Alex ici. Il est donc notre proie ce soir et nous pouvons faire de lui tout ce que nous voulons. Et vous le laissez partir avec un étranger sorti d'on ne sait où ? La règle dans notre clan stipule clairement que celui qui ramène une proie a droit de possession sur elle. Personne ne peut se permettre de nous voler notre proie, pas vrai ?

– Mais c'est le prince Eymer, » expliqua Alex.


Cette simple phrase coupa aussitôt le sifflet de Judy.

« Le prince Eymer... ? répéta-t'elle involontairement en baissant la voix.

– Oui, à l'instant c'était le majordome de son Altesse, répondit Simon. Dieu merci, tu n'as rien fait de stupide pour l'offenser.

– Mais c'est vraiment dommage que Jerry tombe entre ses mains... » ne put s'empêcher de soupirer un autre vampire.

Il fut si effrayé par le regard que lui lança Simon qu'il n'osa pas en dire plus.

Toutefois tous les vampires présents avaient compris ce qu'il avait voulu dire par "c'est vraiment dommage" — c'était un secret public et connu de tous.


Le prince Eymer avait une étrange obsession de la propreté. Il ne buvait jamais de sang directement d'un humain mais demandait à ses serviteurs de verser le sang dans une coupe en cristal afin qu'il le boive. Cependant n'importe quel membre du clan de sang savaient que le sang perdait de son goût délicieux en faisant ça. Il devenait presque aussi fade qu'un steak trop cuit. À leurs yeux, le prince qui jouissait d'un grand pouvoir et de ressources inépuisables et qui pourrait aisément profiter du luxe de boire chaque jour du sang frais de la meilleure qualité qui soit directement d'un humain faisait ainsi un immense gâchis.

Il y avait même une rumeur qui disait que le prince Eymer n'avait que rarement consommé du sang ces cent dernières années. On disait aussi qu'il n'avait pas du tout les mêmes goûts que les autres vampires mais qu'il aimait goûter à toutes sortes de nourritures humaines — bien entendu rien n'étayait cette rumeur et beaucoup de vampires ne la prenaient pas au sérieux. Après tout, le pouvoir d'un vampire était maintenu grâce au sang. Si le prince Eymer n'avait vraiment pas bu de sang depuis deux ou trois cents ans comme le disait la rumeur, alors son pouvoir en serait amoindri et son statut de prince aurait été remis en cause.

Cependant le fait était que non seulement son pouvoir n'avait pas décliné mais même peu de membres du clan de sang n'osaient prononcer son nom. La plupart des jeunes vampires ne l'avaient jamais vu, pourtant sous l'influence de leurs aînés, ils le craignaient et le révéraient instinctivement.


« J'espère seulement que... Jerry sera assez docile et malin pour plaire à son Altesse, qu'il ne nous causera pas d'ennuis et qu'il fera ensuite comme si rien de tout ça n'était jamais arrivé. Ce serait bien, » fit doucement Simon.

Il craignait que ce jeune homme inconscient qui ignorait tout du clan de sang, du festin de sang ou même du prince Eymer et des autres ne fasse une bêtise et apporte le malheur sur eux.

La salle annexe fut momentanément plongée dans le silence qui fut rompu par Alex :

« Bon, arrêtons d'y penser. Nous devrions aussi nous chercher à manger. Il nous reste encore un Kevin bien frais, non ? Ne laissons pas quelqu'un d'autre s'en emparer avant nous. »


* * *


La seule pensée qui parcourut l'esprit de Chi Yan à cet instant fut de quitter cette pièce. Dans tous les cas, il devait d'abord partir de là avant de prévoir quoi que ce soit. Il n'y avait rien de pire que d'être entouré par six monstres.

Quand il entendit la porte de la salle annexe se refermer derrière lui, une lueur d'espoir apparut dans son cœur.

L'homme aux cheveux gris parut lire dans ses pensées et fit d'un ton léger :

« Je vous conseille de venir sagement avec moi pour rencontrer son Altesse. Ne tentez rien de stupide. Vous ne voulez pas savoir ce qui peut arriver à un humain comme vous qui se rendrait maintenant seul dans la salle de réception. »

Chi Yan fronça les sourcils mais son instinct lui souffla que l'autre homme disait vrai. Bien qu'il ne soit pas vraiment sûr que cette personne soit vraiment une personne.


En dehors de la salle annexe se trouvait un couloir vide. Quand Chi Yan avait accompagné Alex ici, il y avait encore des gens par groupes de deux ou trois qui discutaient. Cependant là, le couloir était vide et les deux grandes portes qui menaient à la salle principale étaient bien fermées.

« Ils sont tous dans la grande salle, expliqua l'homme aux cheveux gris d'un ton nonchalant. Seules les proies qu'on a apportées ici et qu'on ne veut pas partager sont cachées dans les salles annexes pour qu'on les savoure seul. »

Le ton de l'homme était très neutre mais chaque mot prononcé effleurait les nerfs de Chi Yan et chaque phrase lui prouvait que cet endroit et cette réception étaient encore plus inhabituels, terrifiants et difficiles à en sortir qu'il ne l'aurait pensé.


L'homme conduisit Chi Yan aux escaliers au bout du couloir qui menaient au premier étage. Chi Yan s'immobilisa devant les marches, hésitant à poursuivre. Il savait au fond de lui que s'il montait à l'étage, ce serait encore plus difficile de s'échapper.

En plus dès qu'il était parti avec l'autre homme, il avait discrètement vérifié sur son portable et après vingt-deux heures, le signal de son téléphone avait été complètement bloqué. Il n'avait plus aucun moyen de contacter l'extérieur.

L'homme s'arrêta également au pied des escaliers et l'attendit avec patience.

« Désolé monsieur, mais pour être franc, vous n'avez pas le choix. »

Oui, dans cet endroit où se trouvent je ne sais combien d'inhumains, je n'ai pas d'autre choix que de le suivre.


Chi Yan contempla l'homme aux cheveux gris qui lui montrait le chemin et sentit de plus en plus qu'il lui était familier. Il se rappela tout à coup l'avoir rencontré devant le restaurant de burgers près du dortoir. Comme la tenue de l'autre homme avait détoné sur son environnement, Chi Yan était encore marqué par lui bien que plus d'un mois se soit déjà écoulé.

Alors... il allait l'emmener voir le propriétaire de cette main ?

Cette pensée surgit tout à coup dans son esprit et Chi Yan cessa aussitôt de respirer. Il ne put s'empêcher de repenser à son rêve de cette nuit-là...

Il secoua la tête et tenta de se convaincre de ne penser à n'importe quoi. Bien que tout ce qui s'était passé ce soir était si inimaginable que cela dépassait l'entendement d'une personne ordinaire, il devait rester calme et garder son sang-froid pour le moment afin de trouver un moyen de faire sortir Jiang Tian et lui de cet endroit.


L'intérieur du manoir était ouvert, conçu comme une cour. Les gens dans la salle principale du rez-de-chaussée ne pouvaient pas apercevoir facilement les gens à l'étage. Cependant quand on se trouvait à l'étage, on pouvait avoir une vue d'ensemble sur la salle de réception plus bas.

Pendant qu'il montait l'escalier en spirale du premier étage, Chi Yan jeta un coup d'œil comme ça à la salle de réception brillamment éclairée et ne put détourner le regard — un monstre à l'apparence humaine mais doté de crocs avait pressé un jeune humain contre un mur. Les dents pointues percèrent la peau douce en un instant et pénétrèrent dans la gorge... D'autres monstres étaient trop impatients et mordirent avec trop de force, faisant jaillir le sang qui éclaboussait une robe d'un blanc immaculé ou une chemise... Certains humains avaient un air terrifié et tremblaient en se cachant dans un coin, apparemment ils ignoraient tout de cette soirée comme Chi Yan ; par contre d'autres humains conservaient leur calme et couraient même derrière les monstres à crocs avec des taches de sang sur leurs vêtements. Sans exception, tous les humains montraient une expression qui était soit de la souffrance soit de l'extase quand ils se faisaient sucer le sang.


Chi Yan se rappela alors de ce qu'avait dit Alex —

« Ne t'en fais pas pour elle. Elle a déjà l'habitude de ce genre de soirée. Laissons-la s'amuser toute seule. »

Alors Emily savait quel genre de fête c'était ce soir. Elle savait même quel genre de monstres étaient Alex et ses amis et pourtant elle était venue de son plein gré ?

Mais pourquoi ça ? Comment cela se faisait-il ?! Elle était folle ou quoi ?

À vue d'œil, environ la moitié des participants n'étaient pas humains.

L'odeur du sang se répandit dans toute la salle. C'était donc ça le thème de cette soirée : quand le moment venait, cela se transformait en un endroit gai pour que les monstres se restaurent.


L'homme aux cheveux gris le pressa :

« Quelles que soient vos intentions, veuillez d'abord me suivre pour voir son Altesse. C'est ma mission de vous amener à lui. »

En fait il avait très peur que son Altesse ne perde patience car il n'avait déjà que trop tardé.

Chi Yan fit bouger ses pieds avec difficulté et ne put s'empêcher de demander confirmation :

« … Que sont-ils, qu'est-ce que vous êtes en fait ? »

Il était absurde de se dire que cet homme aux cheveux gris qui semblait imperturbable lui donnait un sentiment de confiance juste parce qu'il semblait contrôler la situation et ne s'était pas transformé en monstre sous l'influence du sang comme Alex et les autres.

L'homme ne s'arrêta pas et le conduisit au second étage. Il ne lâcha qu'un mot sans regarder en arrière :

« Des vampires. »

Comme si c'était juste une question ordinaire.

Sa conjecture étant confirmée, Chi Yan ferma les yeux faiblement.

Regarde un peu comme tu as été stupide et sans méfiance. Tu t'es entraîné avec ton ami dans cette situation dangereuse et surréaliste !


Ils finirent par arriver devant la porte de la pièce la plus reculée du second étage. Il y avait un bandeau noir bien visible sur la poignée de la porte en bois.

« Toutes mes excuses. Veuillez fermer les yeux et coopérer, » fit l'homme en prenant adroitement le large ruban.

Il le noua autour des yeux de Chi Yan. Son champ de vision devint aussitôt sombre et Chi Yan fut perdu un moment. Ensuite ses autres sens devinrent particulièrement aiguisés.

Il entendait l'homme toquer trois fois à la porte d'un coup léger avant de l'entendre lui dire :

« Veuillez entrer. »

Chi Yan hésita un moment puis fit un pas en avant pour essayer. Il ne rencontra aucun obstacle — la porte avait été ouverte en silence à un moment ou à un autre. L'homme aux cheveux gris ne le suivit pas. De toute évidence Chi Yan devait entrer seul.


Il ne pouvait rien voir et ne savait pas ce qui l'attendait à l'intérieur, alors il tendit les mains, tâtonna et tenta d'avancer.

Il y avait un épais tapis par terre, il pouvait sentir sa douceur sous ses pieds mais ne pouvait pas entendre ses bruits de pas. Il entendit un clic : la porte en bois s'était refermée derrière lui et avait été verrouillée.

Chi Yan sentit soudain une bouffée de panique l'envahir. Il resta figé, ne sachant que faire. Le sentiment d'être privé de sa vue exacerba la peur de l'inconnu et sa panique intérieure.

Avec hésitation, il leva sa main gauche devant le bandeau — il comptait le retirer afin de voir clairement où il se trouvait ; il craignait cependant que son geste offenserait l'étrange maître ici et que cela lui causerait plutôt des ennuis — quoiqu'il ne pensait pas que sa situation actuelle pourrait devenir pire.


Cependant quelqu'un décida rapidement pour lui : le maître de la pièce s'était approché de lui en silence à un moment ou à un autre et une main abaissa avec force la main gauche de Chi Yan qui tenait le bandeau.

C'était une main froide, fine et aux jointures bien marquées, exactement comme dans son rêve.

Chi Yan déglutit et sa pomme d'Adam tressauta involontairement.

Puis il sentit le propriétaire de cette main se pencher vers lui, son souffle froid caressant son visage. Chi Yan put ainsi constater que l'autre personne était très proche de lui — peut-être à un cheveu d'entrer en contact.

Mais il ne pouvait rien voir.

Chi Yan tourna nerveusement la tête vers la droite sans se rendre compte que son geste avait laissé le côté gauche de sa nuque complètement exposé au regard de l'autre homme.


La personne en face de lui se pencha à nouveau et le souffle froid glissa sur le côté gauche de sa nuque — Chi Yan ne sentit que le froid sur sa peau exposée puis quelque chose de froid et d'humide qui glissait dessus.

Oui, c'était la langue de l'autre homme. Dès que cette pensée surgit dans son esprit, Chi Yan se raidit automatiquement.

Le vampire pressa fortement son épaule droite de sa main gauche. La main droite qui l'avait au début empêché de retirer le bandeau rejoignit sa main gauche, leurs doigts s'entrelaçant. Ces deux simples actions l'empêchèrent d'exercer la moindre force et il ne put même plus bouger.

Ils étaient blottis étroitement l'un contre l'autre. L'instant d'après, Chi Yan sentit quelque chose de pointu à l'endroit qui avait été léché. C'étaient les canines de l'autre personne... Avant qu'il ne puisse réagir, sa nuque fut aussitôt transpercée par quelque chose de pointu !

Il ne put retenir un grognement étouffé et tendit la main pour saisir étroitement la nuque du coupable.


Il pouvait sentir le sang quitter son corps mais en même temps il y avait un sentiment étrange et indescriptible — il avait l'impression de voler dans le ciel, sa conscience devint trouble mais son corps devint chaud et faible. Ses jambes pouvaient à peine supporter le poids de son corps. Il n'eut pas d'autre choix que de s'accrocher à l'autre homme et de se tenir à lui pour rester debout. Il ferma les yeux sans s'en rendre compte et se mit à gémir doucement.

Le fait de se faire sucer le sang ne dura probablement qu'un moment mais cela lui parut extrêmement long. Enfin les canines pointues de l'autre homme se retirèrent de sa nuque, cependant Chi Yan n'avait pas encore retrouvé toute sa lucidité. Il sentit vaguement l'autre homme caresser la nuque blessée de sa langue et de ses lèvres puis lécher gentiment la plaie et les marques de dents.

Curieusement, au moment où le vampire se retira, le sang cessa de couler comme si la plaie avait guéri instantanément.

Il entendit l'autre homme pousser un profond soupir de satisfaction.


Note de Karura : La vengeance de Ye Yingzhi ! (cf ch 56)






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