Chapitre 68 : Remplir sa part du contrat
Chi Yan se rendit enfin compte que la position de ce chasseur de vampires était à l'opposé total de ce qu'il aurait pensé. L'autre homme voulait vraiment s'excuser au nom d'un prince vampire ?! Ou bien s'était-il rendu compte qu'il avait parlé trop vite tout à l'heure et ne pouvait pas vraiment dire deux mots au prince Eymer, alors il tentait de se rattraper avec cette proposition absurde de "s'excuser en son nom" ?
Comme si le prince Eymer allait te laisser le représenter, hein ? Comme s'il allait reconnaître tes excuses, hein ?
C'est plutôt contradictoire : d'un côté chaleureux et ayant bon cœur mais de l'autre incapable de donner une bonne leçon aux vampires comme il s'en vantait, ainsi était le chasseur Tom Ye. Chi Yan ne put s'empêcher de trouver l'autre jeune homme adorable et étrangement, il fut vraiment réconforté. Il ne ressentait plus que de la chaleur et de la douceur dans son cœur, toutes les angoisses et les plaintes après avoir vu Alex s'étaient envolées.
« Merci, Ye Yiznghi. Ça va beaucoup mieux maintenant. Je n'aurai plus peur que le prince vienne boire mon sang. »
Les deux jeunes gens discutèrent de choses banales en prenant leur petit-déjeuner : qu'est-ce que tu manges, tu as bien dormi cette nuit, tu as fait des insomnies, et autres sujets ennuyeux pendant un bon moment. Chi Yan dit finalement au revoir à son interlocuteur et même après avoir raccroché, ses lèvres restaient encore arquées en un sourire.
Bien que tu sois adorable comme ça, j'espère quand même que tu deviendras plus puissant et un chasseur de vampires plus efficace, se dit-il intérieurement.
Chi Yan n'avait pas bien dormi la nuit précédente. Après avoir raccroché, il s'allongea sur le lit et joua sur son portable. Il s'endormit sans s'en rendre compte jusqu'à ce que Jiang Tian toque à sa porte pour l'inviter à déjeuner.
Jiang Tian n'avait pas chômé ce matin.
D'habitude il faisait la grasse matinée durant le week-end mais là, il s'était fait réveiller par Chi Yan avant huit heures du matin. Il n'avait pas réussi à se rendormir et ne voulait pas étudier, alors il s'était précipité dans la cuisine pour se mettre à cuisiner.
Sophis était une petite ville mais les prix étaient chers. Le prix des aliments était bien plus élevé que dans des villes comme Cairns, Brisbane et d'autres villes du nord. En comparaison, les ailes de poulets vendues en barquette au supermarché offraient le meilleur rapport qualité-prix — contrairement à la Chine, les gens ici préféraient le blanc de poulet ; les cuisses et les ailes de poulet coûtaient moins cher que le blanc de poulet. Les cœurs, les gésiers et les cous de poulet et autres étaient encore moins populaires. On pouvait en acheter toute une barquette pour seulement deux ou trois dollars. Voilà pourquoi c'étaient les aliments dont se servait le plus souvent Jiang Tian pour faire mille et une recettes.
Il avait fait mariner deux barquettes de cous de poulet, cuire dans la sauce soja une marmite d'ailes de poulet et griller des pommes de terre avec ces ailes de poulet. Il avait également préparé toute une casserole de nouilles aigres-douces et de nouilles à la patate douce qu'on trouvait dans les épiceries asiatiques. Après ça, il avait envoyé un message dans le groupe pour inviter quelques amis proches à manger ensemble. Étant donné que Chi Yan n'avait toujours pas répondu et qu'il n'était nulle part en vue, Jiang Tian était monté dans sa chambre pour l'appeler.
Quand Chi Yan entendit parler de repas, il fut évidemment très content. Il se frotta les yeux, se passa un coup d'eau sur le visage et sortit de sa chambre.
Il y avait une salle à manger publique au rez-de-chaussée du dortoir. Les gens de différents étages choisissaient en général cet endroit pour manger tous ensemble.
Plusieurs autres amis étaient déjà arrivés. L'un d'eux, Lao Gao, était si glouton qu'il n'avait pas pu se retenir en les attendant : il avait pris en cachette un cou de poulet et le mangeait. Quand il vit les deux jeunes gens arriver, il l'avala d'un coup et fit comme si de rien n'était.
Chi Yan suivit son ami jusqu'à la table. Il était de bonne humeur et avait eu envie de rire en voyant Lao Gao subtiliser de la nourriture mais cela lui passa quand il vit les gens assis à la table d'à côté — c'étaient Alex et ses amis, autrement dit un nid de vampires.
À leurs yeux, ces humains étaient certainement plus délicieux que la nourriture posée sur la table.
Judy repéra également Chi Yan. Son regard vacilla et elle toucha doucement le bras d'Alex pour murmurer à son oreille :
« Hey, ce garçon va bien ? Les vampires de haut rang ne sont pas censés avoir des désirs plus intenses ? J'aurais cru que le prince Eymer aller le vider de son sang. »
Le visage d'Alex se figea et il ne répondit pas. Ce fut Simon qui lui rappela sagement :
« Judy, évite de parler de cette personne. »
Après un moment, Alex avertit ses amis à voix basse :
« Il vaut mieux ne plus s'approcher de Jerry et de ne plus avoir de vues sur lui. »
Quand elle entendit ça, Judy marmonna :
« Mais pourquoi ? Aucune loi n'interdit à un autre vampire de boire le sang d'un humain qui a déjà servi au prince, pas vrai ? »
Alex n'offrit aucune explication.
C'était parce qu'il ne savait pas comment expliquer et même s'il essayait, ce qu'il dirait allait provoquer plus de remous qu'il ne pourrait l'imaginer et cela lui retomberait ensuite dessus. Qu'aurait-il pu dire d'ailleurs ? Qu'il avait vu ce matin la preuve que le prince Eymer avait embrassé cet humain avec enthousiasme ? On le prendrait certainement alors pour un fou.
Il avait parfaitement conscience que même si les gens faisaient bien attention à ne pas répandre de fausses rumeurs sur les vampires de rangs supérieurs, en fait les rumeurs sur les gros bonnets se répandaient d'autant plus vite. Alors n'imaginons même pas ce qui se passerait avec une rumeur explosive sur le mystérieux prince Eymer qui détruisait son image habituelle.
L'information que Chi Yan avait délibérément révélée dans le but de se protéger avait eu un impact plus fort que prévu sur son voisin vampire. En effet dans l'esprit de tous les vampires, le prince Eymer était un être qui se tenait éloigné des vampires comme des humains et ne buvait du sang que dans un verre en cristal.
Alors les traces de suçon prouvaient amplement qu'aux yeux du prince Eymer, Chi Yan était encore plus spécial et exceptionnel qu'il ne l'aurait cru.
Judy n'était pas la seule à vouloir savoir, Simon et les autres vampires dans la salle étaient également curieux de savoir pourquoi Alex faisait subitement cette remarque. Ils eurent beau insister, Alex refusa de dire un mot de plus.
Au même moment, Miss Julia de la réception entra dans la salle à manger et s'adressa à la table de Jiang Tian :
« Jerry, est-ce que Jerry de la chambre 407 est ici ? Un monsieur aux cheveux gris vous demande. Il vous attend dehors dans une voiture noire. »
Un monsieur aux cheveux gris... Chi Yan sentit un pincement au cœur : il avait déjà deviné de qui il s'agissait.
Si tôt, cela ne faisait même pas vingt-quatre heures. Est-ce que son Altesse comptait ne pas laisser passer un seul repas durant les trente jours ?
Chi Yan se leva et éleva un peu la voix en remerciant Miss Julia :
« Merci de m'avoir prévenu. Ce doit être le monsieur qui m'a raccompagné hier soir. J'ai découvert après que j'avais un manteau qui n'était pas à moi. Il sait sûrement à qui il est alors il est venu récupérer le manteau. »
Il raconta tout cela à l'intention des vampires de la table voisine.
Du coin de l'œil, Chi Yan vit les vampires prendre un air troublé et abasourdi pendant un moment.
Parfois les gens avaient besoin de l'approbation ou d'un encouragement de la part des autres pour continuer à agir bien ou mal.
Durant leur conversation matinale, Ye Yingzhi l'avait félicité pour sa ruse méprisable et l'avait qualifiée d'efficace et de malin. Chi Yan fut ainsi encouragé et décida de continuer à prétendre qu'il avait une relation spéciale avec le prince jusqu'à ce que le groupe de vampires soit puni. En dépit de tout le reste, Ye Yingzhi était un chasseur de vampires alors ses conseils devaient être relativement professionnels et dignes de confiance.
Après avoir appris la nouvelle, Chi Yan salua ses amis et courut à l'étage pour récupérer le manteau. Il se dépêcha ensuite de sortir avec.
Gray était assis dans la voiture à l'attendre. Il était midi et le soleil de la mi-Avril à Sophis était encore chaud et ardent. Les vampires ne devaient pas trop aimer ce soleil, tout comme Gray.
Chi Yan ressentit aussitôt un peu de compassion pour ce monsieur vampire.
Apparemment peu importait la race, ce n'était jamais facile et agréable de travailler pour quelqu'un. Ce monsieur Gray, en tant que vampire qui aurait certainement préféré sortir de nuit selon sa nature, était envoyé par son patron pour chercher à emporter en plein soleil à midi. Cela devait être très pénible.
En fait, Gray avait déjà remarqué que quelque chose clochait chez le prince après l'avoir accompagné à Sophis pendant un mois. Toutefois il n'y avait pas prêté attention au début. Il avait mis ces bizarreries sur le compte du soleil chaud de Sophis ainsi que du fait que le prince venait de se réveiller d'un long sommeil.
Après tout ce n'était pas grand-chose : le prince aimait juste rester assis dans la chambre avec un portable en main et souriait du matin au soir. Bien que ce soit très différent de son comportement usuel, cela ne valait pas la peine de s'en faire pour ça.
Ces derniers temps toutefois, il sentait un peu que les choses devenaient hors de contrôle. La longue vie et l'excellente capacité d'apprentissage du clan de sang lui avait permis de maîtriser de nombreuses compétences. Par exemple, il savait très bien parler chinois aussi avait-il clairement compris ce que son prince disait au téléphone — il en avait encore des frissons rien que d'y penser. Il ne pouvait pas croire que de telles paroles sortaient de la bouche du prince et qu'il s'agissait du même prince qu'il avait connu avant.
Et toutes ces choses étranges et anormales avaient atteint leur comble la nuit dernière — le prince lui avait demandé de lui apporter cet humain, puis avait laissé partir l'humain avec son ami.
Quand Gray s'était parfaitement acquitté de sa mission comme toujours et qu'il était retourné auprès du prince Eymer, il avait senti ce qui avait changé — son altesse avait personnellement bu du sang humain. En tant que vampire avec des milliers d'années d'existence derrière lui, Gray pouvait le sentir.
Pendant des milliers d'années, le besoin et la soif de sang du prince Eymer avaient toujours été très faibles. Gray avait secrètement supposé que l'une des raisons majeures était que le prince n'avait en fait jamais bu du sang directement d'un humain. Mais les choses avaient changé à présent. Le prince avait rompu son abstinence et il serait désormais difficile pour lui de revenir à son état antérieur d'absence de désir. Le désir était comme un fleuve en crue : une fois que l'eau débordait de la digue, elle ne pouvait pas faire marche arrière.
À midi aujourd'hui, il avait présenté au prince du sang contenu dans un verre en cristal comme d'habitude mais le prince n'y toucha pas. Le temps passa et une heure plus tard, Gray retira le verre avec le sang qui n'était plus frais mais encore intact. Il en profita pour demander d'un ton circonspect si le prince désirait qu'il fasse venir un humain et dans son for intérieur, il avait déjà une vague idée de la réponse.
Sans surprise, le prince Eymer posa le livre épais qu'il tenait dans ses mains, regarda le paysage au loin par la fenêtre et lui dit d'un ton qui se voulait calme :
« Va le chercher. Apporte-le moi. »
Gray n'avait pas besoin de demander, il savait déjà de qui voulait parler le prince.
Alors quand il reçut l'ordre d'aller chercher ce jeune homme, il n'en fut pas vraiment surpris.
Gray regarda le jeune humain accourir vers lui avec un manteau familier dans les mains. Il ne put s'empêcher de lui lancer un regard circonspect et fit après hésitation :
« Vous n'avez pas besoin d'apporter ce manteau.
– Je veux le rendre au... à ce monsieur, répondit Chi Yan.
– Son Altesse n'en voudra pas. »
Gray ajouta après réflexion :
« Mais il se peut que vous ayez besoin de le porter au retour. »
Sur ce, il démarra la voiture sans attendre la réaction de Chi Yan.
Sophis n'était pas très peuplée et il y avait peu de piétons ou de voitures sur la route qu'ils prirent. Gray repéra d'un œil vif une femme qui tomba sur le trottoir droit juste devant lui. Elle semblait avoir été prise d'un tournis et sous son corps une large flaque rouge tachait le sol.
Il arrêta rapidement la voiture à côté, sortit et inclina la tête avant de dire :
« Madame, que se passe-t'il ? Avez-vous besoin d'aide ? »
La femme paraissait souffrir, le visage pâle, et elle leva la tête.
« Oui, merci. J'ai trébuché sur un caillou et je me suis fait mal à la jambe. »
Tout en parlant, elle indiqua la blessure à sa jambe. Son mollet avait été entaillé par les bords tranchants du caillou, on pouvait voir la chair, et du sang coulait en permanence. Cela avait l'air grave.
Chi Yan sortit de la voiture à son tour et jeta un coup d'œil inquiet au vampire devant lui.
Il y a tellement de sang... Est-ce que M. Gray va être affecté ?
Gray fronça légèrement les sourcils en voyant la plaie.
« … Il me semble que nous devons vous emmener à l'hôpital. Je devrais pouvoir trouver l'hôpital le plus proche. »
C'était autre chose qui l'inquiétait et il lança un regard inquiet à Chi Yan — J'espère que cela ne prendra pas trop longtemps d'accompagner cette dame à l'hôpital. Cela dit, du moment que je ramène au prince son petit chéri, son Altesse ne devrait pas trop m'en vouloir d'avoir un peu tardé en allant le chercher ?
Il regarda de nouveau Chi Yan et décida d'oublier ces craintes infondées. Quand il verrait son petit dessert, son Altesse oublierait totalement son existence et songerait encore moins à enquêter sur les raisons de son retard.
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