Chapitre 83 : Rendre la monnaie de sa pièce
Ye Yingzhi déposa Chi Yan au sol.
Un vent frais et humide souffla sur eux, balayant quelques mèches de leurs fronts.
Chi Yan ouvrit les yeux et vit le ciel nocturne lointain et profond de l'hémisphère sud. Les étoiles étaient extrêmement brillantes, tels des diamants étincelants. La dernière fois que Chi Yan avait vu un ciel nocturne aussi clair et lumineux, c'était lorsqu'il était petit. Une fois grand, il n'avait ni le temps ni l'envie de regarder le ciel la nuit et même s'il levait les yeux, il ne pouvait pas voir les étoiles.
La brise nocturne était douce, ils se trouvaient sur une étendue d'herbe déserte. Ils ne pouvaient voir ni des gens ni des bâtiments au loin, seulement de l'herbe à perte de vue. Chi Yan supposa alors qu'ils se trouvaient quelque part en périphérie de la ville.
Le sentiment d'avoir réchappé au pire et d'avoir toute la vie devant soi surgit en cet instant. Il se rappela de ces vampires qui portaient des masques blancs et étranges et qui chuchotaient avec des rires cruels ; il repensa à cette mélodie lugubre ; il revit le long poinçon à la pointe en forme de tétraèdre derrière lui ainsi que son ombre longue et vacillante amplifiée par la lumière des bougies...
C'était la première fois qu'il avait senti la mort de si près. Même lors de la réception des vampires la dernière fois, il n'avait pas eu le si fort pressentiment "qu'il allait mourir". Et quand il était avec le prince Eymer, il croyait inconsciemment que ce vampire ne lui ferait jamais vraiment de mal.
Ye Yingzhi le garda dans ses bras sans le lâcher. Il pouvait sentir les tremblements subtils et constants du jeune homme contre lui. Il sentait son amant trembler sans s'en rendre compte dans ses étreinte.
Chi Yan avait peur. Cette pensée fit bondir le cœur de Ye Yingzhi et il sentit une détresse inexplicable et de la pitié, voire même un léger pincement et de la douleur.
Il resserra son étreinte et embrassa légèrement le sommet de sa tête et son front sans oser le perturber. Il murmura d'un ton réconfortant :
« Pardon, j'ai eu tort, je n'ai pas été bon. J'aurais dû arriver plus tôt... Je te promets que cela ne se reproduira plus... »
C'était son instinct de mâle : il voulait instinctivement protéger son partenaire du moindre mal, même si ce partenaire était assez fort pour se protéger tout seul.
Chi Yan ne prêta pas attention à ce qu'il chuchotait. Il resta appuyé contre lui un bon moment, inspira deux fois puis élimina toutes les émotions négatives qu'il venait de ressentir. Il se souvint d'un détail qui le turlupinait et leva la tête pour regarder l'autre homme :
« Ye Yingzhi, je t'ai vu dire quelque chose, puis tu as tué ce vampire et alors tous les autres vampires sont devenus tout respectueux tout à coup. Ils avaient l'air terrifié et n'osaient plus du tout bouger. Pourquoi ? Tu leur as dit quoi ? »
Ye Yingzhi se sentait encore en détresse et il caressa les mèches sur son front, comme le pelage d'un petit animal. Il fit simplement d'un ton nonchalant :
« Je leur ai simplement dit que la brigade de la police allait arriver et qu'ils feraient mieux de se rendre bien gentiment. »
Chi Yan se dit que les vampires semblaient vraiment avoir peur de la police : que ce soit celle des vampires ou des chasseurs de vampires, la brigade pouvait leur inspirer la crainte.
Avec tout ça, Chi Yan n'avait pas encore commencé son séjour de quatre jours à Sydney alors Ye Yingzhi proposa de se joindre à lui. Il dit qu'il avait par chance emprunté la maison vacante d'un ami ici, alors Chi Yan annula sa réservation à l'hôtel précédent et alla vivre avec lui.
Chi Yan demanda comme ça quel genre d'ami c'était et si c'était aussi un chasseur de vampires. Ye Yingzhi mentit comme ça en disant que c'était aussi un chasseur de vampires, qu'il avait été envoyé en Europe pour une affaire et que sa maison était donc par chance vide. Chi Yan n'eut aucun doute à ce sujet. Pour être appelé tout à coup par la police internationale, il se dit que l'ami de Ye Yingzhi devait être un puissant chasseur.
Les deux jeunes gens passèrent les trois premiers jours à visiter tous les endroits touristiques de Sydney et essayèrent aussi plusieurs restaurants renommés. Sans s'en rendre compte, le temps fila et on était déjà au dernier jour. Chi Yan avait réservé pour un vol à destination de Sophis à dix-sept heures et Ye Yingzhi avait pris un billet pour le même vol aussitôt qu'il l'eut appris.
Comme leur vol était en fin d'après-midi, Chi Yan n'avait pas prévu un programme trop serré. Il comptait flâner un peu dans les environs après s'être réveillé le matin puis aller à Hyde Park et la cathédrale Sainte Marie après le déjeuner. Ye Yingzhi l'écouta expliquer son programme, comme il le faisait toujours en souriant, puis acquiesça.
C'était encore un autre jour avec un temps couvert. Depuis leur réveil au matin, il avait commencé à crachoter dans le ciel et la pluie s'intensifia à midi. Les deux jeunes gens trouvèrent tranquillement un abri dans un restaurant au bord de la route et attendirent que la pluie se calme tout en prenant leur repas.
Toutefois la pluie ne faisait pas mine de se calmer et elle s'abattit sur leurs corps. Chi Yan et Ye Yingzhi flânèrent donc dans Hyde Park sous la bruine. La cathédrale se trouvait de l'autre côté de la rue par rapport au parc. Quand on se trouvait au bord du parc, on pouvait donc voir de l'autre côté clairement la silhouette magnifique et majestueuse du bâtiment gothique sous le ciel sombre.
Les deux jeunes gens marchèrent côte à côte dans le parc pendant un moment. Ye Yingzhi s'assit ensuite sur un banc en dessous d'un arbre et fit à Chi Yan :
« Je suis un peu fatigué et ça ne m'intéresse pas trop de voir l'église. Je préfère rester assis ici et me reposer un peu. Vas-y, toi. Tu m'enverras un message quand tu auras fini, je t'attendrai au carrefour. »
Malgré ce qu'avait dit le chasseur de vampires, il était peu probable qu'il soit vraiment fatigué. Par contre Ye Yingzhi vivait en Europe où on pouvait voir partout des églises dans ce style occidental. Il avait dû visiter plein d'églises renommées alors cela ne l'intéressait probablement pas d'en visiter une de plus. Compréhensif, Chi Yan hocha la tête. Il se dit en lui-même qu'il avait en effet été un peu négligent en préparant son programme et qu'il n'avait pas pris ça en compte.
Il sortit son portable pour consulter l'heure puis fit à son ami :
« D'accord, je vais jeter un coup d'œil. J'en ai pour un quart d'heure, pas plus. »
Ye Yingzhi sourit et hocha la tête tandis que l'autre jeune homme partit en courant. Il posa son menton sur sa main gauche et contempla le dos de Chi Yan qui s'éloignait. Il songea qu'avec un peu de chance, Chi Yan ne lui demanderait probablement pas un mariage à l'église. Si son amant voulait vraiment ça, il devrait alors trouver quelqu'un pour bâtir une église vampire provisoire.
Comme on n'était pas dimanche, il n'y avait pas grand-monde à l'église. C'était calme à l'intérieur. Sur les bancs au milieu et de chaque côté, il y avait des gens qui priaient en silence ou lisaient la Bible. Un homme vêtu d'une robe de prêtre distribuait à chaque croyant de l'eau bénite à boire Hum, normalement l'eau bénite de l'église ne se boit pas ! Ce n'est pas comme de l'eau d'une source ou d'une fontaine bénites. (1).
Une bougie à la flamme vacillante brûlait devant une statue de la Vierge Marie. Chi Yan n'osait pas faire trop de bruit alors il marcha tranquillement le long des murs, observant les sculptures et les vitraux. Il avait pris à gauche en entrant et fit le tour complet. Quand il revint à droite des portes, il sortit son portable. Cela faisait quinze minutes, il devait donc sortir rejoindre Ye Yingzhi.
Le bénévole qui distribuait l'eau bénite s'avança vers lui à ce moment et lui tendit un gobelet en carton :
« Voici l'eau bénite qui a été consacrée devant le Seigneur. »
Il parla doucement en se signant :
« Que le Seigneur soit avec vous. »
Chi Yan fut un peu perdu. Il prit l'eau en disant :
« Merci. »
Après un moment de réflexion, il prit une gorgée, sourit puis hocha la tête en direction de l'autre homme. Il ne connaissait pas trop les usages religieux. Il se contentait de psalmodier Amitabha en joignant ses mains lorsqu'il se rendait au temple pour prier Bouddha. Il ne savait donc pas quoi faire en ce moment pour ne pas se montrer impoli.
L'autre homme lui sourit gentiment puis partit avec son plateau pour aborder une autre personne.
Chi Yan vida le gobelet d'un coup. Juste à la sortie, il se dirigea vers la poubelle pour y jeter son gobelet en carton. Après deux pas, il ressentit une vive douleur à la poitrine. Son cœur se mit soudain à battre à un rythme anormalement élevé et il donnait l'impression de vouloir sortir de sa poitrine. Chi Yan porta une main à son cœur, s'arrêta et n'osa plus faire un pas. Les battements de cœur effrénés et continus lui donnaient l'impression qu'il avait soudain un autre cœur — non, plusieurs autres cœurs qui battaient dans sa poitrine.
Chi Yan posa sa main gauche sur le mur pour se soutenir. Sa conscience devint peu à peu floue et son corps se fit plus faible. Il glissa lentement le long du mur. Il vit le bénévole qui distribuait l'eau bénite poser son plateau par terre avec stupéfaction et courir anxieusement vers lui, criant quelque chose, tendant les mains pour le rattraper...
Le cerveau de Chi Yan ne pouvait plus recevoir la moindre information. Avant qu'il ne perde totalement conscience, la dernière chose qu'il vit, ce fut un homme en manteau noir courir vers lui en franchissant la porte — un pantalon noir, le bas net du manteau, le cou fin et pâle, les lèvres rouges et les yeux noirs... Chi Yan regarda l'autre homme des pieds à la tête et tenta de lever une main vers lui. Il cria le nom de l'autre homme dans son cœur...
« Ye... »
Il parvint juste à prononcer la première syllabe avant de laisser retomber faiblement la main à ses côtés, fermant les yeux. Sa tête retomba sur son épaule gauche faiblement, dévoilant le côté droit de sa gorge fine.
L'homme s'approcha, se pencha et le souleva doucement dans ses bras. Il se leva et repartit, comme s'il n'était jamais venu.
Ce ne fut que longtemps après que sa silhouette ait disparu que le bénévole qui distribuait l'eau bénite reprit ses esprits. Il contempla le coin vide d'un air légèrement confus : avait-il rêve à l'instant ? Quelqu'un n'avait-il pas fait une attaque et s'était évanoui ? Il comptait justement appeler les urgences.
Il secoua la tête et fut sur le point de repartir. Au moment où il baissa les yeux, il vit un gobelet en carton rouler par terre — exactement le même que ceux sur son plateau.
Sophis, dans le manoir du prince Eymer
Gray vit le prince se précipiter dans la chambre du premier étage en tenant l'humain inconscient et en fut un peu surpris. À sa connaissance, le prince n'était-il pas censé avoir une lune de miel anticipée ? Pourquoi alors... l'humain s'était-il évanoui ? Qu'est-ce qu'il avait fait ?
Il suivit le prince Eymer à l'étage afin que le prince puisse lui donner des instructions à tout moment. Monsieur le majordome s'avança à la porte de la chambre et resta là, tête baissée. Il réfléchit un moment puis ne put s'empêcher de demander :
« Excusez-moi votre Altesse, que s'est-il passé ? »
Le prince déposa doucement l'humain qu'il tenait sur le sofa. Il retira son manteau et le jeta sur une chaise à côté. Puis il s'assit à côté de l'humain, défit les boutons de la manche gauche de sa chemise et expliqua d'un ton indifférent :
« Il a accidentellement bu l'eau bénite consacrée dans une église. Le pouvoir sacré de l'eau bénite a tenté d'attaquer la marque de sang que j'ai laissé dans son corps avant. Du coup, son corps n'a pas pu le supporter et il s'est évanoui. »
Après avoir défait ses boutons de manchettes, le prince vampire retroussa sa manche, se leva et prit un couteau en argent sur son bureau. Il s'entailla rapidement le poignet gauche — le sang coula aussitôt de la blessure. Il porta son poignet ensanglanté à la bouche de l'humain tout en baissant la tête et en cajolant doucement :
« Sois gentil et bois un peu. Tu n'auras plus mal quand tu auras bu. »
Il releva la tête pour regarder Gray, et l'air cajoleur sur son visage redevint aussitôt calme.
« Tout va bien. »
Le sang incomparablement vif coulait de la blessure au poignet du membre du clan de sang avec une odeur extrêmement séductrice de ténèbres et de chaos. L'humain parut tenté. Il reprit peu à peu conscience mais ses yeux étaient encore troubles. De toute évidence, il n'avait pas retrouvé toute sa lucidité.
Il leva instinctivement sa bouche vers le poignet du vampire. Au début, il ne fit que lécher timidement et maladroitement le sang qui coulait mais cela ne lui convint rapidement plus. Il saisit l'avant-bras de l'autre homme à deux mains et se mit à boire avec avidité.
Le vampire caressa ses cheveux avec indulgence et ses yeux sombres étaient insondables. Contemplant l'humain qui était en train de boire son sang, ses yeux débordèrent d'affection.
Les pupilles grises de Gray se dilatèrent de surprise. Il ne put s'empêcher de s'écrier :
« Votre sang... »
Le sang était la source de pouvoir dans le clan de sang et aussi la chose la plus importante pour un vampire. À quel point le sang du prince Eymer devait être précieux et puissant... il n'osait même pas y penser.
Le prince vampire agita simplement sa main nonchalamment.
« C'est bon, tu peux y aller. Ferme la porte derrière toi. »
Gray vit le prince s'asseoir sur le sofa en prenant l'humain dans ses bras pour l'asseoir sur ses genoux. À cause de ce changement de position, son bras gauche s'éloigna un bref moment. L'humain passa alors ses bras autour de son cou avec un gémissement de mécontentement. Il pressa son visage contre sa joue comme un chaton malheureux qui pressait son propriétaire de le nourrir.
Le vampire lui présenta rapidement son poignet de nouveau. Il attendit que l'humain tienne à nouveau son poignet et se mette à boire avant de se pencher sur lui. Il embrassa tendrement son cou de haut en bas puis remonta jusqu'à son oreille pour murmurer doucement :
« Sois gentil, bois lentement. Tu peux boire autant que tu veux, personne ne te le prendra... C'est tout à toi... »
Monsieur le majordome secoua la tête et referma la porte.
Note de Karura : Ce n'est pas dit clairement mais Ye Yingzhi peut apparemment se téléporter. Voilà comment il a pu se rendre de Sydney à Sophis aussi vite avec un Chi Yan inconscient. Cela explique aussi comment il a pu rejoindre Chi Yan vite durant le sacrifice de sang et aussi comment il a quitté le souterrain avec lui (fin du chapitre 82).
Il y a aussi le fait qu'il a laissé une marque de sang dans le corps de Chi Yan, ce qui lui a permis de le repérer. Chi Yan, tu ne peux plus échapper à ton Ye Yingzhi !
Sinon, j'aime bien la réaction de Gray quand il voit son maître débarquer avec un Chi Yan inconscient : il se demande que ce Ye Yingzhi a bien pu faire à Chi Yan pour qu'il s'évanouisse pendant leur lune de miel... Ah là là, monsieur le majordome a les idées bien mal placées !
Notes du chapitre :
(1) Hum, normalement l'eau bénite de l'église ne se boit pas ! Ce n'est pas comme de l'eau d'une source ou d'une fontaine bénites.
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