Chapitre Vingt-Deux : La visite (1)
Myūjin, neuvième mois de l'année 2454
Haruni terminait de souper dans la grande salle avec les autres prêtres quand un moine se présenta devant Amonji :
« Très Saint, un jeune homme vient de se présenter aux portes pour voir le Second Prince. Il s'agit du Firal Seiryū. »
En entendant ça, Haruni prit un air surpris et exaspéré.
« Décidément, il ne comprendra jamais ! » songea-t'il.
Amonji se tourna vers lui.
« J'ignorais que vous étiez ami avec le fils du général Kenryū, commenta-t'il en souriant.
– Nous ne le sommes pas, rectifia-t'il sèchement. Je n'ai aucune envie de le voir !
– N'êtes-vous donc pas curieux de savoir pourquoi il a fait tout ce chemin en plein hiver ?
– Absolument pas ! Recevez-le si vous voulez, Très Saint, mais ce sera sans moi. »
Amonji avait fini par s'habituer au comportement abrupt du Second Prince, très différent de leur culture des relations sociales.
« Quel est le problème avec ce jeune homme ? s'enquit-il.
– C'est à cause de lui, répondit laconiquement Haruni en soulevant son bras gauche bandé.
– Vraiment ?
– De manière indirecte, mais oui, » nuança l'adolescent.
Si Seiryū n'avait pas révélé sa blessure au commandant Gorō, l'infection n'aurait pas été si grave. De manière générale, Haruni sentait que seules de mauvaises choses pouvaient se produire quand il s'associait au Firal. Dans ce cas, le mieux était de l'éviter. Malheureusement, Seiryū faisait tout le contraire. Il était vraiment très agaçant !
Le Grand Prêtre indiqua au moine qu'il allait recevoir ce visiteur inattendu. Haruni prit un air amer : si cela n'avait tenu qu'à lui, il aurait laissé Seiryū attendre des heures dehors jusqu'à ce qu'il comprenne et qu'il s'en aille pour de bon. Mais il ne voulait pas offenser Amonji en outrepassant son autorité, même s'il aurait très bien pu y prétendre en tant que descendant des Dieux.
Seiryū poussa un soupir de soulagement en voyant les portes s'ouvrir. Le temps était devenu glacé, encore plus en approchant du temple dans les hauteurs, et il rêvait d'un bon feu et d'un repas bien chaud. Il fallait dire qu'il avait à peine pris le temps de se restaurer en cours de route. Il ne prêta guère attention à l'intérieur du temple et après avoir confié sa monture à un moine, il suivit un autre moine vers les bâtiments. Tout ce qui comptait pour lui, c'était de se poser dans un endroit abrité — et aussi de revoir Haruni, bien sûr. Au cours des trois jours de voyage, il n'avait cessé de se demander comment le Second Prince allait réagir en le voyant. Serait-il encore en colère ? Le plus important était surtout son état de santé : l'infection s'était-elle aggravée ? La question qu'il osait à peine formuler était : Haruni avait-il encore son bras ? Alors même si l'adolescent devait l'insulter ou le frapper de nouveau, Seiryū n'en avait cure. Tout ce qui comptait, c'était qu'il puisse voir son état de santé de ses propres yeux.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Le moine le fit entrer dans une pièce meublée avec sobriété mais goût. Un vieil homme était assis sur un coussin au centre, avec une table basse et du thé devant lui, ainsi qu'une légère collation. Un prêtre se tenait debout à ses côtés et il annonça à l'entrée du Firal :
« Le Très Saint Amonji salue le Firal Seiryū. »
Comprenant qui était son hôte, Seiryū fit un salut respectueux, le point droit dans la paume gauche. Le Grand Prêtre hocha la tête, ses yeux bleus l'observant avec bienveillance et attention.
« Firal Seiryū, vous avez fait un long voyage pour venir jusqu'ici, l'accueillit-il. Venez vous asseoir pour prendre le thé et manger un peu, voulez-vous ?
– Avec plaisir, Très Saint. »
Il retira son manteau de voyage humide pour le confier à un moine, puis prit place en face du Grand Prêtre. Inconsciemment, son regarda parcourut la pièce à la recherche de quelqu'un…
« Le Second Prince ne sera pas des nôtres, expliqua Amonji. Sa retraite spirituelle ne peut pas être troublée. »
Seiryū eut bien du mal à cacher sa déception.
« Ah, c'est que… j'ai des nouvelles qu'il doit impérativement connaître.
– Dans ce cas, vous pouvez tout me dire. Je transmettrai votre message à son Altesse. »
Ce n'était pas du tout ce que Seiryū avait prévu. Il chercha un moyen de décliner l'offre sans se montrer trop impoli ou insistant.
« Très Saint, fit-il en inclinant la tête, je dois absolument m'adresser au Second Prince. C'est extrêmement important ! »
Cela lui valut un regard spéculateur.
« Quelle valeur accordez-vous à la religion, Firal Seiryū ?
– Je respecte infiniment les Dieux ! » répondit aussitôt le jeune homme.
Sa voix contenait un tel empressement mêlé de crainte que cela surprit son interlocuteur.
« Bien, alors vous respecterez la retraite spirituelle du Second Prince.
– Mais… mais, » protesta Seiryū, le regard implorant.
Il soupira et dut renoncer à ses projets.
« L'Empereur va venir ici pour voir le Second Prince, » révéla-t'il.
Cela provoqua l'effet escompté : le visage d'Amonji marqua une légère surprise.
« Sa Majesté compte venir à Myūjin ?
– C'est exact. Il est prévu qu'il se mette en route demain. Je suis venu prévenir le Second Prince car… j'ai estimé qu'il aimerait être informé à l'avance. »
Amonji caressa son menton glabre et échangea un regard avec le prêtre Hōki.
« Il faut nous préparer à recevoir sa Majesté comme il se doit.
– Je vais prévenir les prêtres, » acquiesça Hōki.
Le temps que les instructions soient transmises, Seiryū avait terminé son thé et la collation. La fatigue de son voyage commença à se faire sentir. Notant sa tête qui dodelinait et ses yeux qui se fermaient tout seuls, le Grand Prêtre eut un sourire bienveillant.
« Je vois que vous êtes épuisé, Firal Seiryū. Nous allons vous conduire à une chambre d'invité.
– Merci, Très Saint. Hum… Pouvez-vous dire au Second Prince que… que j'espère qu'il se porte bien ?
– Naturellement. »
Avec un sourire de remerciement, Seiryū salua le vieil homme et suivit un moine dans les couloirs.
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Haruni contemplait le Jardin de l'Infini — une étendue de sable râtelé avec un rocher dans un coin, censé faciliter la méditation. Le Grand Prêtre le rejoignit. Malgré la fraîcheur de la soirée hivernale, Haruni ne portait qu'une légère tunique blanche sans souffrir du froid, grâce à sa maîtrise du feu. Amonji, lui, avait revêtu un manteau orange. Haruni tourna la tête vers lui à son arrivée, sans dire un mot. Le Grand Prêtre s'amusa à garder le silence, obligeant l'adolescent à poser la question qui le taraudait sans qu'il ne veuille l'admettre :
« Hé bien, que voulait le Firal Seiryū ? »
Le ton était détaché, toutefois Amonji perçut la curiosité à l'intérieur. Il eut un léger sourire.
« Vous parler, bien entendu, fit-il. Il espère que vous vous portez bien.
– Mmph, fit Haruni en fronçant les sourcils. Je suis sûr qu'il n'est pas venu que pour ça !
– Il m'a informé que votre père va se mettre en route pour le temple. Il tient à vous voir. »
Haruni fixa le Grand Prêtre avec étonnement et perplexité.
« Il a dû se passer quelque chose à Kurojū, en déduisit-il. Mon père ne quitterait le palais pour rien au monde !
– Il l'a déjà quitté une fois pour vous, » rappela Amonji d'une voix douce.
Haruni eut un geste négligent de la main.
« Avez-vous demandé au Firal Seiryū la raison de ce voyage subit ? Ou bien avez-vous des nouvelles du palais ?
– Je n'ai pas demandé et je n'ai pas de nouvelles. »
Les prêtres étaient éloignés des affaires mondaines depuis des décennies, mais Haruni ne pouvait pas croire qu'ils n'avaient pas les moyens de se renseigner. Il commença à soupçonner une manigance.
« Si vous tenez tant que ça à le savoir, reprit le Grand Prêtre, pourquoi ne pas demander directement à notre visiteur ? Je suis sûr qu'il se fera une joie de vous répondre. Il était si déçu de ne pas vous voir. »
Haruni renifla de dédain. Amonji l'avait déjà contraint à écrire au Saint Gugonjū et à son grand désarroi, le prêtre avait entamé une correspondance avec lui. Et voilà qu'à présent, Amonji le poussait à rencontrer Seiryū ! Cependant, Haruni ne comptait pas se laisser faire cette fois, en dépit de sa curiosité.
« Bah, je demanderai à mon père une fois qu'il sera là, répondit-il avec un détachement feint. Cela peut attendre. »
Amonji lâcha un léger rire, pas dupe pour un sou. Un brin vexé, Haruni ajouta :
« Cela va être l'heure de mes soins. Bonne soirée, Très Saint.
– Bonne soirée à vous, Votre Altesse. »
L'adolescent partit en direction de l'infirmerie où Kuji était déjà en train de préparer les vers de rechange.
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Seiryū se cacha dans un couloir annexe alors qu'un groupe de moines passait. Il sortit de sa cachette dès que possible. Le temple était immense, avec plusieurs pavillons et des gens partout, ce qui ne facilitait pas ses recherches. Comment trouver au plus vite le Second Prince avant de se faire repérer ? En effet, Seiryū n'avait pas accepté le refus du Grand Prêtre : il devait voir Haruni, même de loin ! Ce n'interférerait pas avec sa retraite spirituelle, pas vrai ? Seiryū ne pouvait que l'espérer.
« Je ne fais rien de mal, se répéta-t'il pour se convaincre. Juste un regard afin de vérifier qu'il a toujours son bras, c'est tout ce que je demande ! »
Cela ferait peut-être cesser les cauchemars qui l'accablaient depuis son retour à Kurojū.
Avisant une terrasse, Seiryū se précipita pour voir l'extérieur. La nuit était tombée depuis une heure déjà, bien que cela ne soit pas encore l'heure de se coucher. Des torches éclairaient les chemins, montrant de nombreux prêtres et moines encore en activité. Seiryū vit soudain des cheveux noirs sur une tunique blanche et son cœur battit plus vite : c'était le Second Prince plus bas et il se dirigeait justement vers le pavillon où Seiryū se trouvait ! Ce dernier plissa les yeux pour distinguer le bras gauche de l'adolescent, mais sa tunique avait des manches longues et vu d'en haut, il ne pouvait rien percevoir. Seiryū grogna de frustration. Il allait devoir s'approcher plus.
Il s'élança de nouveau dans les couloirs pour emprunter un escalier qui menait au rez-de-chaussée. Il ignorait la destination de Haruni, alors il se dirigea au hasard, comptant sur sa chance pour croiser son chemin. Il se cacha de nouveau dans un couloir annexe en entendant des bruits de pas. La personne dépassa le croisement et Seiryū écarquilla les yeux : c'était précisément Haruni !
« Votre Altesse ! » s'écria-t'il aussitôt en surgissant derrière lui.
Haruni se retourna vivement et se mit automatiquement en position de défense, croyant à une attaque. Ses yeux dorés s'écarquillèrent en voyant son agresseur.
« Firal Seiryū ? Qu'est-ce que vous faites dehors ?! »
Seiryū n'entendit pas le moindre mot, ses yeux fixés sur le bras gauche de l'adolescent. Le soulagement l'envahit aussitôt : Haruni n'avait pas perdu son bras ! Cela voulait-il dire qu'il recevait des soins au temple ? C'était une excellente nouvelle !
« … Firal Seiryū ! appela rudement Haruni en se rendant compte que le jeune homme était perdu dans ses pensées.
– Oui, votre Altesse ? » demanda-t'il en sursautant.
Haruni lui lança un regard excédé. Il ne le regardait plus que comme ça depuis Dekita.
« Vous n'avez pas le droit de quitter votre chambre, le réprimanda Haruni. Vous devez y retourner tout de suite.
– Un instant, votre Altesse ! » s'écria Seiryū.
Après tout ce chemin, comment aurait-il pu se retirer sans lui avoir parlé un peu ? Haruni fronça les sourcils, clairement hostile. Le Firal s'en moquait bien.
« Comment vous portez-vous ? demanda-t'il avec inquiétude. Surtout… »
Il désigna le bras du regard. Haruni retint un rire moqueur : Seiryū avait finalement appris les vertus de la discrétion. Dommage qu'il était trop tard pour ça !
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« Je vais bien, comme vous pouvez le constater. »
Alors que Seiryū digérait cette réponse, Haruni fit claquer sa langue et se décida à demander :
« Que s'est-il passé au palais ? »
Puisqu'il se retrouvait face à face avec Seiryū même s'il ne l'avait pas voulu, autant lui poser la question. Ravi que le Second Prince accepte de lui parler, Seiryū lui relata la visite des soldats de la caserne de Tomako, ce qui avait motivé la décision de l'Empereur de venir. Haruni prit un air songeur.
« Ils sont vraiment venus, fit-il pour lui-même. Ils auraient mérité un meilleur accueil. »
Seiryū acquiesça.
« Quand ils ont appris que vous étiez au temple de Myūjin, ils ont décidé de venir vous voir. Mais la route est difficile, sans parler de leur état. »
Haruni haussa les épaules.
« S'ils souhaitent faire ainsi pénitence, c'est leur droit. Je les recevrai s'ils arrivent jusqu'ici. »
Seiryū sentit que leur conversation n'allait pas durer plus longtemps, aussi se lança-t'il :
« Votre Altesse, serait-il possible que… vous me montriez votre bras ?
– Non, » fut la réponse implacable.
Le Firal prit un air peiné.
« Je vous voudrais juste voir que ça guérit bien. Je… Cela m'inquiète énormément. »
Le Second Prince prit un air moqueur.
« Au risque de vous décevoir, je ne vais pas perdre mon bras. C'est tout ce que vous avez besoin de savoir. »
Interloqué, Seiryū ne sut que dire. Haruni pensait vraiment qu'il aurait souhaité qu'il perde son bras ?!
« Votre Altesse, vous vous méprenez sur mon compte…
– Je sais exactement ce qu'il en est. »
L'entêtement typique de l'adolescent se manifestait de nouveau. Seiryū secoua la tête.
« Si je souhaite voir votre bras, c'est pour mettre fin à mes cauchemars. »
Il manqua le sourire ironique qui orna brièvement les lèvres de l'adolescent.
« Dans ce cas, je vous garantis que vous ne voulez pas le voir, argua Haruni.
– Bien sûr que si !
– Soit, mais je vous aurai prévenu ! »
Seiryū fut tellement stupéfait de l'entendre accepter qu'il ne nota pas le sarcasme dans sa voix. Haruni se mit à défaire les bandages autour de son poignet jusqu'à la moitié de son avant-bras. Le regard de Seiryū était rivé sur les compresses blanches, se réjouissant de l'absence de sang et de pus — telle était la dernière image qu'il avait conservée de cette effroyable blessure. Lorsque Haruni retira les dernières compresses, l'esprit du Firal se bloqua, incapable de comprendre ce qu'il voyait. Les vers avaient eu de quoi se nourrir depuis des semaines et ils se restauraient encore. Une fois le plus gros de l'infection passée, Kuji avait préféré procéder avec peu de vers d'un coup, quitte à ce que cela prenne plus de temps, et par petites zones. Même si la chair offrait un aspect plus sain et que l'écoulement de pus ainsi que l'odeur infecte avaient disparu, la présence des asticots donnait une toute autre impression.
Seiryū réagit enfin en poussa un cri d'effroi et il voulut se saisir du bras pour en retirer les vers blancs grouillants. Haruni le retint de l'autre main.
« N'y touchez surtout pas ! l'avertit-il.
– Mais ce sont… ce sont… des asticots ! bafouilla Seiryū, consterné. Vous avez dit que vous alliez mieux !
– Et je n'ai pas menti.
– Comment vous pouvez allez mieux avec de la chair pourrie ?
– C'est mon traitement. »
Hébété, Seiryū le fixa sans un mot. Ses cris avaient attiré une patrouille de moines qui les rejoignit.
« Votre Altesse, fit le meneur en s'inclinant légèrement, y a-t'il un problème ?
– Aucun problème, répondit Haruni sans quitter Seiryū du regard. Le Firal Seiryū a juste besoin qu'on le raccompagne à sa chambre. »
Cela tira le jeune homme de sa stupeur.
« Mais je…
– Quoi encore ? s'énerva finalement Haruni. Vous n'en avez pas vu assez ? Vous n'en avez pas fait assez ?! Vous venez vous plaindre de quelques cauchemars tandis que moi, je vis le cauchemar, et cela grâce à vous ! Alors laissez-moi tranquille comme je vous l'ai demandé, Firal Seiryū ! »
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Accablé, Seiryū le regarda s'en aller après avoir récupéré les compresses au sol. La longue manche de la tunique de l'adolescent retomba, recouvrant la blessure… et ses occupants morbides. Pris de tremblements, Seiryū inspira pour calmer une crise de panique.
« C'est ma faute, se répéta-t'il. Je lui ai fait ça… »
Le moine qui dirigeait la patrouille l'appela :
« Firal Seiryū ? Si vous voulez bien me suivre.
– Quel genre de traitement est-ce là ? demanda le jeune homme avec stupéfaction.
– Ça… »
Le moine ne savait que répondre. Évidemment, tout le temple était au courant de ce traitement expérimental, la folie de Kuji, comme ils l'appelaient entre eux.
« Son Altesse devait être assez désespéré pour accepter ça, commenta le moine. Mais cela semble fonctionner, les Dieux en soient loués ! »
Seiryū baissa la tête. Il ne pouvait imaginer ce qu'avait ressenti l'adolescent pour en arriver à une telle extrémité. Et Seiryū osait l'importuner avec sa conscience coupable ? Pas étonnant que Haruni se soit mis en colère contre lui ! Il l'avait parfaitement mérité !
« Je ne suis qu'un imbécile, se dit-il. Je vais maintenant le laisser tranquille jusqu'à ce qu'il guérisse. »
Il se laissa conduire dans sa chambre, mais ne put fermer l'œil de la nuit.
Le matin venu, après le petit-déjeuner dans la salle commune où il entraperçut Haruni mais ne l'importuna pas, Seiryū annonça au Grand Prêtre qu'il repartait. Le vieil homme le jaugea du regard.
« Vous êtes quand même allé voir son Altesse hier, » commenta-t'il.
Seiryū prit un air honteux.
« Toutes mes excuses, Très Saint.
– Les jeunes sont tellement têtus, fit Amonji en secouant la tête. Bah, faites bon voyage, Firal Seiryū. »
Le jeune homme s'inclina pour le saluer. Son voyage avait apaisé certains tourments tout en créant d'autres inquiétudes. Au final, il aurait mieux fait de s'abstenir de venir. Sans compter que son père devait être furieux de son départ en douce. Ce fut donc le cœur lourd que Seiryū enfourcha sa fidèle Senkō pour reprendre le chemin de Kurojū.
Bien que Tegami aurait aimé partir le jour même pour le temple de Myūjin, il avait conscience de ses responsabilités. Il lui fallait clôturer les affaires importantes et décider lesquelles pouvaient attendre, tout en formant Tomuki à tenir l'Empire de l'Aube en son absence. Le Premier Prince était partagé entre l'excitation de ces nouvelles responsabilités et son inquiétude pour son frère.
« En mon absence, si de nouvelles affaires arrivent — et elles arrivent toujours – gère les plus simples en t'appuyant sur le Conseil. Le reste attendra mon retour.
– Et si quelque chose d'urgent se produit ? »
Tegami prit un air soucieux.
« Il ne faut qu'une journée pour envoyer un oiseau messager à Myūjin. Je reste joignable.
– Mais si vous vous trouvez sur la route à ce moment-là ?
– Dans ce cas… Effectue le rituel d'Invocation et préviens nos Ancêtres. Ils sauront me contacter. »
Tomuki prit un air apeuré. Il n'avait effectué ce rituel qu'une fois à sa majorité et la présence des Dieux l'avait à la fois émerveillé et rempli de terreur. Il n'était pas pressé de réitérer l'expérience.
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Tegami nota son air réticent et eut un sourire compatissant.
« Tu es Leur descendant, Tomuki. Ils ne te mangeront pas, le rassura-t'il.
– Pourtant, vous ne pratiquez pas souvent le rituel, Père, remarqua le jeune homme.
– Hum, répondit l'Empereur avec une pointe d'embarras. C'est parce que j'ai encore honte de mes actes à l'époque des Hikari. »
Tomuki fut touché par cette confidence. Son père évitait en général de parler de cette période, même s'ils en subissaient encore tous les conséquences, en particulier Haruni.
« Ce n'est rien, Père, fit-il en lui tapotant la main. Je suis sûr que vous avez fait de votre mieux. »
L'Empereur sourit à son fils, mais ne fut pas rasséréné pour autant. Tomuki ignorait tout ce qu'il avait fait et aussi tout ce qu'il n'avait pas fait. Son opinion était par conséquent biaisée.
« Peu importent mes réticences, reprit-il, c'est différent pour toi. N'hésite pas à contacter les Dieux pour qu'Ils me préviennent ensuite… moi ou Haruni. »
Tomuki inspira brusquement et regarda son père en écarquillant les yeux.
« Haruni peut aussi faire le rituel d'Invocation ? C'est donc ce qui s'est passé à la caserne de Tomako ? »
Tegami prit un air ennuyé. Plus Tomuki grandissait, plus il soupçonnait quelque chose au sujet de son frère. Haruni n'avait peut-être pas tort quand il disait qu'il faudrait mettre Tomuki au courant de son passé, mais…
« Plus tard, songea Tegami. Ce n'est pas le bon moment. »
Il avait déjà bien des soucis à gérer, alors il était inutile de s'en rajouter !
« Ton frère est en contact avec les Dieux depuis qu'Ils l'ont maintenu en vie à Myūjin pendant vingt-cinq ans, expliqua-t'il brièvement. C'est un cas exceptionnel. »
Le visage de Tomuki indiqua que, exceptionnel ou pas, cela ne lui plaisait guère.
« Entendu, Père, s'inclina-t'il. Je suivrai vos conseils. »
Tegami soupira.
« J'aurais préféré que Seiryū reste avec toi en cas de besoin. Je ne comprends toujours pas ce qu'il est allé faire à Myūjin !
– Je pense qu'il s'inquiétait pour Haruni. »
Cette réponse inattendue titilla la curiosité de Tegami.
« Tu crois ?
– J'ai l'impression que depuis quelques temps, Seiryū essaie de se rapprocher de Haruni. Mais vous savez comment Haruni est. »
Effectivement, il était inutile d'en dire plus.
« Quand tu dis “se rapprocher”, c'est dans quelle mesure ?
– Mmm, devenir amis, je crois. »
Vu que Tegami souhaitait que Seiryū entre au service d'un de ses fils, c'était une excellente nouvelle.
« Bon, tiens-moi au courant sur ce sujet. »
Tomuki acquiesça, tout en se disant que cela n'irait certainement pas plus loin, étant donné le caractère invivable de son petit frère.
Au temple de Myūjin, les préparatifs pour l'arrivée de l'Empereur mobilisaient une grande partie des prêtres. Haruni assistait à tout cela d'un air médusé.
« L'Empereur est le descendant des Dieux, expliqua Kuji pendant qu'il le soignait. Sa venue ici est donc un très grand événement pour le temple.
– Il ne vient pas pour des cérémonies, fit Haruni avec un soupir. Il vient pour des explications et sûrement pour me ramener de force à Kurojū.
– Personne ne peut briser une retraite spirituelle, objecta le moine, pas même l'Empereur.
– Tout est négociable, Kuji. »
Avec tout ce qu'il avait connu, Haruni portait un regard blasé sur la religion. Les prêtres, comme leurs homologues Vites, ne pouvaient échapper au pouvoir séculier.
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Lorsqu'il fit part de ses impressions à Amonji, le vieil homme ne nia pas.
« L'Empereur peut faire pression sur nous, c'est exact, reconnut-il.
– Bon, je vais donc préparer mes affaires.
– Si vous partez, je pars avec vous, votre Altesse ! » s'écria aussitôt Kuji qui servait le thé.
Devant le regard surpris des deux autres, il se reprit :
« Euh… votre traitement est loin d'être fini. Vous avez encore besoin de moi. »
Amonji ne fut pas du tout dupe : Kuji vénérait littéralement le Second Prince, encore plus depuis le retour de l'adolescent. Quant à Haruni, il se dit juste que ce ne serait guère pratique de se faire soigner à Kurojū avec les ragots dans tous les sens.
« Quoi qu'il en soit, votre Altesse, reprit Amonji en ignorant l'intervention, nous vous soutiendrons dans votre décision.
– Je ne comprends pas très bien, Très Saint, répondit le Second Prince en plissant les yeux. Vous dites que vous seriez prêts à vous opposer à l'Empereur pour moi ?
– L'Armée Divine est toujours à votre disposition. »
Cela ne lui rappela que des souvenirs de la guerre contre les Hikari.
« L'Armée Divine répond à l'Empereur, fit-il d'un ton ferme.
– D'abord aux Dieux qui nous ont commandé de vous servir.
– Autrefois.
– Cet ordre reste toujours valide. »
Pris d'un mauvais pressentiment à ce sujet, Haruni poussa exprès la conversation vers une zone dangereuse :
« Alors admettons que je veuille m'emparer du trône en me rebellant contre mon père et mon frère, vous me soutiendrez encore ? »
Kuji en resta bouche bée, mais Amonji inclina simplement la tête.
« Oui, votre Altesse.
– Vous êtes vraiment… explosa l'adolescent, indigné.
– Mais je sais que vous ne le ferez jamais. »
Amonji le fixa avec un sourire amusé, si bien que Haruni soupira lourdement.
« Ça ne m'intéresse pas d'être Empereur. Trop de responsabilités, admit-il.
– Vous avez tout de même bon nombre de responsabilités en tant que Second Prince et plus tard en tant que Second Empereur.
– Justement, c'est déjà de trop ! » se plaignit Haruni.
Le sujet fut ainsi clos, mais Haruni décida de garder un œil sur les prêtres qui seraient prêts à renverser l'Empereur.
Les anciens soldats de Dekita se présentèrent aux portes du temple cinq jours après le départ de Seiryū. Haruni avait prévenu le Grand Prêtre à ce sujet et ce dernier avait envoyé une patrouille pour les recevoir et les guider. Le fait de voyager à pied en plein cœur de l'hiver les avait durement éprouvés, mais aucun ne se plaignait. Lorsque Haruni fit son apparition dans la cour du temple, les hommes se prosternèrent en silence.
« Votre Altesse, fit ensuite Hirō, leur porte-parole, nous sommes venus ainsi que vous nous l'avez commandé !
– Vous avez déjà fait un long et dur chemin jusqu'à Kurojū, les accueillit l'adolescent. Vous n'aviez pas besoin de poursuivre jusqu'ici.
– Bien sûr que si, votre Altesse ! Nous voulions aussi implorer votre pardon !
– Comme je vous l'ai dit à Tomako, c'est le pardon de l'Empereur que vous devez demander.
– Sa Majesté nous a pardonnés, mais… c'est surtout vous que nous avons grandement offensé ! »
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Haruni retint un soupir. Ces gens savaient se montrer obstinés, l'air de rien.
« Je vous pardonne, fit-il d'une voix forte pour s'adresser à l'ensemble des soldats. Vous avez amplement prouvé votre désir de vous racheter. Allez désormais en paix. »
Il prit le même ton que lorsqu'il était prêtre à Misato, à la fois rassurant et rempli de conviction. Cela fit effet sur les soldats qui relevèrent la tête, soulagés. Certains se mirent même à pleurer.
« Merci mille fois, votre Altesse, fit le porte-parole en réprimant lui aussi ses sanglots. Vous n'imaginez pas à quel point cela compte pour nous. »
Le Second Prince hocha la tête avant de demander :
« Comment s'est déroulé votre voyage ? Y a-t'il des blessés qui ont besoin de soin ? Les moines vont bientôt vous apporter un repas chaud.
– C'est trop de bonté, votre Altesse. »
Hirō lui relata leur départ de la caserne et le sort réservé à ceux qui avaient voulu alerter les autres casernes. Cet acte brutal n'émut pas l'adolescent qui avait vu pire.
« Sur la route, dix d'entre nous sont morts, poursuivit l'homme. Nous les avons brûlés et emporté les cendres pour qu'ils puissent continuer le voyage avec nous.
– Vous avez bien fait, approuva Haruni. Le Très Saint Amonji dira une prière pour eux ensuite. »
Le porte-parole prit soudain un air hésitant.
« À Kurojū… Nous ne savions pas, alors nous avons parlé librement devant l'Empereur !
– Je sais, le Firal Seiryū est venu m'en parler. Vous n'y êtes pour rien, ne vous en faites pas. »
Soulagés, les soldats ne purent que louer la magnanimité du Second Prince.
Alors que les moines entamaient la distribution d'un bouillon de riz bien chaud et revigorant, Haruni rejoignit le Grand Prêtre qui avait observé la scène en retrait, un sourire bienveillant aux lèvres.
« Votre Altesse, vous avez redonné de l'espoir et du courage à ces pauvres gens, le félicita-t'il.
– Je ne voulais surtout pas qu'ils aient fait tout ce chemin pour rien. Hum, par contre, désolé qu'ils envahissent un peu le temple. Ils sont vraiment très nombreux. »
Amonji hocha la tête, pas du tout agacé.
« Les plus affaiblis pourront dormir à l'intérieur. Les autres devront rester dans la cour, mais nous avons des tentes et ils pourront allumer des feux.
– Merci, Très Saint, » fit Haruni en s'inclinant légèrement.
Il s'éloigna pour superviser la distribution des repas et la répartition des plus affaiblis.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Amonji commenta à l'intention de Hōki, qui était comme toujours à ses côtés :
« Le Second Prince a beau vouloir présenter une image indifférente, il ne peut cacher son bon cœur.
– Ses expériences lui ont appris la compassion.
– Même sans cela, son Altesse porte la lumière en lui, bien qu'il cherche à la cacher à tout prix.
– Les Dieux l'ont ramené à la vie afin qu'il accomplisse de grandes choses plus tard.
– En effet, et j'espère vivre assez longtemps pour assister à cela ! »
Amonji savait que sa fin était proche, mais il l'acceptait avec sérénité. Après tout, c'était le cycle naturel de la vie.
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