PARTIE 5 : Haruni — Enfance
Chapitre Un : Les séquelles
Kurojū, année 2440
Le cauchemar reprenait dès qu’il ouvrait les yeux. Il sentait alors un poids sur la poitrine, sa gorge qui se nouait et sa tête qui allait exploser. La seule chose à faire dans ce cas était de hurler, hurler à pleins poumons jusqu’à ce que sa voix se brise, que son corps se mette à trembler et qu’il perde connaissance. Seulement là, il ne ressentait plus rien hormis la paix. Il sentait également des présences autour de lui, certains plus fortes et plus… familières. Cependant, il était incapable de le nommer, ou plutôt il ne voulait pas faire appel à ses souvenirs, de crainte qu’ils ne ressurgissent tel un raz-de-marée capable de tout emporter.
Il entendait souvent une femme fredonner un air doux mais loin de l’apaiser, cela lui donnait encore plus envie de pleurer. Il sentait aussi des présences immatérielles qui restaient à distance respectueuse, tout en le surveillant néanmoins. Elles lui avaient fait quelque chose de terrible, alors elles ne tentaient plus de lui parler. Il entendait parfois un homme qui ne disait que peu de mots. Cette présence-là n’était pas du tout familière, donc il n’y réagissait pas. Il resta longtemps dans cet état, une éternité sans doute. Mais un jour, le brouillard qui obscurcissait son esprit disparut d’un coup. Il ouvrit les yeux, sans être envahi par les cauchemars cette fois.
Kaname était au bord de l’épuisement. Cela faisait deux mois qu’elle veillait sur Haruni nuit et jour, s’éloignant le strict minimum car personne ne pouvait prédire quand il allait faire une nouvelle crise. Les crises étaient horribles : il fallait cinq servants forts pour le maintenir au lit. La première fois, ils avaient utilisé des cordes pour l’attacher mais elles s’étaient subitement enflammées, menaçant de déclencher un incendie. Alors ils avaient dû le retenir physiquement, mais des seaux restaient à portée de main car des petits feux avaient encore tendance à apparaître dans ces moments-là.
Quand il n’avait pas de crise, le garçon restait léthargique, dans le même état qu’au temple de Myūjin. Il mangeait et buvait ce qu’on lui mettait dans la bouche, mais restait inerte sinon. Les médecins de la Cour l’avaient examiné et ils affirmaient qu’il était en bonne condition physique et que les crises étaient d’ordre spirituel.
« Ses trois énergies ne sont pas en harmonie, avaient-ils dit. Il faut attendre que l’alignement se fasse. »
Attendre, c’était tout ce qu’ils proposaient. En attendant, ce n’étaient pas eux qui se rongeaient les sangs pour cet enfant.
L’impératrice avait bien du mal à retenir ses larmes en contemplant le garçon endormi. Les souffrances de Haruni se poursuivaient alors même que les Hikari étaient morts. L’Empire tout entier avait fêté la bonne nouvelle, tandis que le héros de cette histoire subissait encore une véritable torture. Tegami venait parfois lui tenir compagnie, mais il ne supportait pas de voir son fils dans un tel état : la culpabilité était bien trop grand. Quant à Chiharu, il était hors de question qu’il voie son frère ainsi. C’était pourtant dommage car le garçon avait été tout excité en apprenant qu’il avait finalement un petit frère.
En parlant de ça, l’existence de Haruni avait causé un grand choc à la Cour impériale. Beaucoup avaient soupçonné un ultime complot Hikari, une dernière manigance de leur part. Comme si Haruni pouvait être de mèche avec sa famille maternelle ! Heureusement que le prêtre supérieur du temple de Myūjin avait fait le déplacement pour témoigner de l’histoire incroyable du garçon : dans un sommeil profond depuis la naissance, protégé par les Dieux. Il était bien sûr hors de question de révéler toute la vérité : Yama était officiellement mort en détruisant le clan Hikari et il n’avait absolument pas le moindre lien avec le Second Prince. Pour tous, l’histoire était à présent terminée et il s’agissait dorénavant de restaurer la paix et la prospérité dans l’Empire de l’Aube. Mais pour Kaname, il n’y aurait pas de répit tant que Haruni souffrait.
Un jour, après deux mois, ses prières parurent être exaucées : elle croisa le regard doré et lucide du garçon et son cœur battit plus vite.
« Haruni ? appela-t’elle doucement.
– Ce… pas mon nom, » articula-t’il avec difficulté.
Il grimaça en entendant sa voix aiguë et fluette. Kaname lui prit les mains, les yeux remplis de larmes.
« Les Dieux soient loués, tu es conscient ! Comment te sens-tu ? »
Le visage enfantin encadré de longs cheveux noirs touffus se rembrunit à la mention des Dieux.
« Tue-moi, fit-il simplement.
– Qu-quoi ?
– Je ne peux pas vivre, pas avec ce que j’ai fait. Je devais mourir, de toute façon, alors tue-moi, je t’en prie ! »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Kaname en resta interloquée. Elle serra plus fort les petites mains si fragiles.
« Pas question ! Tu dois te battre, tu vas réussir à surmonter ça. Ne laisse pas les Hikari te voler ta vie, tu mérites de vivre !
– J'ai tué des bébés, Kaname, des enfants de l’âge de Yatsu ! gémit-il. Quel genre de monstre peut faire ça ?! Tue-moi avant que je ne recommence ! »
La femme retint ses sanglots.
« Accroche-toi, fit-elle dans un souffle. Ça ira mieux avec le temps.
– Ça n’ira jamais mieux ! »
Il refusa de dire un mot de plus et retomba dans un sommeil profond mais tourmenté. Kaname laissa enfin éclater sa peine et pleura longuement. Quand Haruni se réveilla de nouveau, les crises reprirent de plus belle.
« … montrerai les jardins et les écuries. Ah, tu verras mon cheval, Hayai Rapide. (1). Bon, je ne vais pas encore au galop avec lui, mais tu pourras monter avec moi et on pourra se promener dans le champ des chevaux. L’automne est agréable, tu sais. Même les hivers sont doux ici. Ah, s’il neige, on pourra s’amuser à faire des bonhommes de neige ! »
Haruni écouta un moment cette voix basse et inconnue : c’était une femme… ou un jeune garçon. Il ou elle racontait un peu n’importe quoi mais au moins, c’était reposant. Il finit par ouvrir les yeux et croisa un regard azur qui s’écarquilla.
« Ah, tu es réveillé ? Bonjour, je suis Chiharu, ton grand frère ! »
Haruni se crispa, sentant les souvenirs se soulever. Il n’avait pas revu Chiharu depuis… la Croisade. À ce moment, il lui avait sauvé la vie en trahissant son frère et meilleur ami, Lucius. Et ensuite…
« Ka… Kaname, » marmonna-t’il en craignant l’imminence d’une nouvelle crise.
Le garçon se méprit sur son ton.
« Chut, Mère est en train de dormir, fit-il en portant un doigt à sa bouche. Cela fait des semaines qu’elle s’occupe de toi. Dis, tu vas aller mieux bientôt, hein ? Je suis si heureux d’avoir un petit frère ! Je n’arrête pas de parler de toi à mes amis et je voudrais…
– Kaname ! » appela-t’il plus fort en se redressant.
Son corps semblait peser des tonnes et il avait bien du mal à bouger.
L’impératrice se réveilla enfin et elle sursauta en voyant les deux frères ensemble.
« Chiharu ! Que fais-tu ici ? le gronda-t’elle. Je t’avais pourtant dit de ne pas venir ! »
On pouvait également l’inquiétude dans sa voix. Elle se tourna vers le servant de son fils et le réprimanda à son tour.
« Mais Mère, protesta le garçon d’un air boudeur, je voulais voir mon petit frère !
– Fais-le sortir, intervint Haruni dont le front était couvert de sueur. Vite ! »
Kaname n’hésita pas un instant : elle prit son fils par la main pour le conduire dehors, le servant les suivant. Haruni entendit les pleurnichements de l’autre enfant s’éloigner peu à peu. Seulement lorsqu’il fut sûr que Chiharu était parti, il laissa la crise se déclencher.
Haruni alterna encore une semaine les périodes de lucidité et de crises, puis ce fut la lucidité qui l’emporta. Lorsqu’il passa un jour entier en étant conscient et sans crise, Kaname laissa échapper des larmes de soulagement.
« Tu vas mieux, enfin ! Les Dieux soient loués ! »
Haruni n’eut pas le cœur à la détromper. Au fond de lui, il savait qu’il n’irait jamais mieux et que l’acte ignoble qu’il avait commis le hanterait à tout jamais.
« Je n’ai pu le faire que parce que je pensais mourir après, se dit-il. Sans ça, j’en aurais été incapable. Alors maintenant, comment vivre ? »
Inconsciente de ses tourments, Kaname se lança dans une conversation avec lui, toute heureuse, pendant que les servants leur apportaient du thé.
« J’ai reçu une lettre de Mitsuhide il y a deux jours. Tu veux savoir ce qu’il dit ? »
Mitsuhide — Yatsu. Malgré lui, Haruni hocha la tête.
« Tu n’es peut-être pas au courant, mais la bataille avec l’Armée Impériale n’a pas eu lieu finalement.
– Je sais, fit-il distraitement.
– Tu… sais ? S’étonna-t’elle.
– Les diabu… bu… lu… »
Il se figea soudain et reprit :
« Les diabu… lu…
– Haruni ? » s’inquiéta l’impératrice qui craignait un début de crise.
Le petit visage bien pâle et émacié se plissa en un sourire de dégoût.
« Fais chier ! Je n’arrive même plus à parler ma langue !
– Ta langue ? »
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Kaname était très confuse. Haruni lui lança un regard excédé :
« La langue des Vites. Il va vraiment falloir que je m’exerce.
– Pourquoi tu aurais besoin de parler cette langue ? »
Cela lui valut un nouveau regard.
« C’est ma langue, » répliqua-t’il d’un ton ferme.
Cela la dissuada d’arguer.
« Bref, reprit-il, les Diab… Ah, ces gens-là me l’avaient déjà dit à Madare quand Mitsuhide est parti pour le combat. C’est bien pour ça que je ne l’ai pas retenu. »
À voix basse, il continua à s’exercer à prononcer le mot ‘Diables’ mais ne parvint pas à un effet satisfaisant. Kaname demanda :
« Tu veux parler des Dieux, n’est-ce pas ? »
Haruni fit une vilaine tête.
« Je ne les considère pas comme des dieux.
– Mais ce sont pourtant nos Dieux. Ce sont même tes ancêtres. »
Haruni serra les dents et lâcha :
« Non. »
Elle prit un air peiné.
« Haruni, je sais que c’est difficile pour toi à accepter, mais…
– Non ! » répéta-t’il sèchement.
Ainsi rabrouée, l’impératrice se tut. Haruni lâcha un soupir et détourna la conversation :
« Alors, qu’est-ce que Mitsuhide a écrit ? »
Kaname accepta de changer de sujet.
« Mitsuhide va bien. Il a regagné Madare en héros et…
– Il a déjà eu droit à sa cérémonie ici ?
– Une cérémonie ? Pourquoi ? »
Le garçon lui lança un regard d’évidence.
« Une reconnaissance officielle de l’empereur pour son action contre les Hikari, bien sûr ! Il a été déclaré hors-la-loi, est-ce que cela a été rectifié au moins ? »
Kaname lui adressa un air gêné.
« En fait… »
Haruni sentit la colère et l’indignation l’envahir :
« Rien n’a été fait ? L’empereur ne l’a même pas reçu pour le remercier ? Mais bordel, sans Mitsuhide, les Hikari auraient pris la tête de l’Empire ! »
Kaname prit un air pincé.
« Haruni, ton langage !
– Personne n’a pensé à lui ? Même pas toi ?! »
Kaname baissa les yeux.
« J’étais très occupée ces derniers temps… avec toi.
– Je n’en reviens pas, c’est inadmissible ! »
Il s’agita tellement qu’un coin de sa couverture s’enflamma soudain. Kaname ne perdit pas de temps et tapota sur la flamme avec sa longue manche afin de l’éteindre. Aussitôt, une de ses servantes se précipita pour vérifier qu’elle ne s’était pas brûlée.
« Calme-toi, je t’en prie, fit Kaname. Tu sais, tu déclenches des incendies quand tu fais une crise. »
Cela interloqua un peu le garçon. Il se rendit compte qu’il ne ressentait plus le moindre calme intérieur. Mais c'était plutôt normal : quand il songeait aux sacrifices de Mitsuhide, aux risques qu’il avait pris sans grand espoir de faire triompher la justice, seul contre tous… et tout ça pour n’avoir aucune reconnaissance officielle !
« C’est une honte, songea-t’il. J’y remédierai dès que possible ! »
Il ne savait pas encore très bien ce qu’il allait faire, mais il ferait quelque chose. En fait, il ne se voyait pas du tout dans sa nouvelle identité, comme le Second Prince de l’Empire de l’Aube. Il se sentait uniquement faible et avec la tête qui lui tournait. Sa voix aiguë lui faisait horreur, et ne parlons même pas des quelques mèches d’un noir absolu qu’il pouvait apercevoir du coin de l’œil.
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Voyant que le garçon semblait un peu calmé, Kaname reprit :
« Pour Mitsuhide, il sera toujours temps de l’inviter à Kurojū après l’hiver. Rien ne presse.
– Il a organisé mes funérailles ? la coupa-t’il soudain.
– Pardon ?
– Je suis mort, alors il a dû organiser mes funérailles, non ? »
Kaname le fixa avec un peu de réprobation.
« Voyons, il sait que tu es en vie. »
Un rictus étira les lèvres du garçon
« Pas moi. C’est Haruni qui est en vie.
– Tu es Haruni. »
Il renifla, mais fit plutôt :
« Yatsu doit penser que son père est mort. »
Elle ne put rien redire à cela. Mitsuhide était le seul à Hanajū à connaître la vraie identité de Yama. Elle n’était pas certaine qu’il en avait parlé à Yatsu car ce serait bien trop risqué de dévoiler ce secret à un enfant. En plus, les gens s’attendaient à ce que Yatsu pleure son père. Un autre comportement ne pourrait qu’attirer les soupçons.
« Et les Hikari ? demanda Haruni, bien décidé à aborder les pires sujets. Dis-moi au moins que je les ai tous tués ! »
Kaname retint un soupir en entendant ça. Haruni ne se rendait pas compte, mais elle voyait un petit garçon pâle et fragile lui parler de meurtres. C’était vraiment trop étrange et cela lui brisait le cœur.
« Tous les Hikari de Shirojū son morts, l’informa-t’elle. Le général Kenryū a été envoyé là-bas dès que possible et il l’a confirmé : le palais a complètement brûlé, de nombreux corps ont été retrouvés…
– Dont le mien… »
Elle ne dit rien, ce qui était une réponse en soi.
« Il restait quelques Hikari ici, d’autres ont tenté de s’enfuir. Ils ont été arrêtés et exécutés. »
Cela lui valu un rire moqueur.
« Tiens donc, vous pouvez tuer les Hikari à présent ?
– Hé bien… Ils ne se sont pas vraiment défendus et une fois qu’on leur a retiré leur bâton… » répondit-elle avec gêne.
S’ils ne s’étaient pas laissés piéger par les mensonges des Hikari, Haruni n’aurait pas eu cette lourde tâche à accomplir.
« Le clan des Hikari est donc officiellement éteint. La province de Higawa a été confiée à un régent en attendant que tu...
– Pas complètement éteint, marmonna Haruni.
– Comment ?
– Il reste encore un Hikari en vie. »
Kaname se tendit aussitôt, songeant au pire, mais elle comprit soudain de qui le garçon voulait parler.
« Tu n'es pas un Hikari ! protesta-t'elle vivement. Seulement... à moitié.
– Une moitié de trop, cracha Haruni.
– Voyons, tu n'as absolument rien en commun avec eux, voulut-elle le rassurer.
– Tu crois ? Plus important encore, que crois-tu que les gens vont s'imaginer en me voyant ? »
Kaname le contempla sans un mot. Haruni avait les longs cheveux noirs du clan des Kakurō, mais ses yeux étaient dorés, preuve de son ascendance Hikari.
« Les gens ne verront toujours que ce qu'ils veulent bien voir, commenta-t'elle un peu amèrement. À toi de leur prouver qu'ils se trompent.
– Pour quoi faire ? » répliqua-t'il.
Cette question la prit au dépourvu.
« Pour... pour prouver que tu es quelqu'un de bien, pour te faire une place à la Cour...
– Pour quoi faire ? répéta-t'il.
– Pour te faire des amis et vivre enfin ta vie ! »
Il secoua la tête avec un rire ironique.
« J'ai déjà vécu ma vie, Kaname, plusieurs même. Je suis fatigué de devoir recommencer encore et encore. Je me sens... si épuisé. »
Kaname le fixa avec une extrême compassion tandis que son cœur saignait pour ce pauvre garçon. Âgé d'à peine vingt-cinq ans, il était très frêle et d'un teint maladif. Tout en lui exprimait la fragilité, pourtant son esprit était bel et bien celui de Yama. Il s'exprimait comme un adulte, ce qui était en total décalage avec son apparence. Et il avait subi de profonds traumatismes, que ce soit le fait de tuer des Hikari de tous âges ou bien de découvrir sa véritable identité et de se retrouver dans son corps d'un coup. C'était donc plus que compréhensible qu'il soit fatigué et il aurait tellement mérité de se reposer et de tout oublier... Malheureusement, ce bienfait ne lui avait pas été accordé. Il allait devoir apprendre à vivre dans cette vie, même s'il ne semblait pas très désireux de le faire.
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Kaname lui proposa alors :
« Dis, si tu te sens bien, que dirais-tu de prendre l'air ? Le temps est doux aujourd'hui. »
Malgré lui, Haruni releva la tête à l'idée de sortir. Il étouffait dans cette pièce, il y avait vraiment passé trop de temps. Il repoussa donc la couverture, grimaça en voyant ses jambes comme des baguettes, mais tenta tout de même de se relever. Kaname le souleva spontanément, ce qui lui valut un regard de reproche, surtout quand il se rendit compte qu'il lui arrivait à peine à la taille. Mais quand elle le lâcha, il vacilla et manqua de tomber. Elle le rattrapa de justesse.
« Fait chier, marmonna Haruni en s'agrippant de toutes ses forces à son bras. Je n'arrive même pas à tenir debout dans ce corps pourri !
– Haruni, ton langage ! le reprit-elle. Et puis, tu sors d'une longue maladie, c'est normal que tu sois un peu faible. Tu vas pouvoir à présent reprendre des forces et il faudra que tu t'exerces un peu. En attendant, un servant peut te porter...
– Tu te fous de moi ?! » explosa-t'il, sa voix s'envolant dans les aigus.
Kaname se figea, à la fois surprise de sa réaction et choquée par son langage plus que grossier. Un coussin du lit s'enflamma tout à coup. Haruni jura à voix haute et tenta cette fois d'éteindre le début de feu avec son pouvoir, en vain. De son côté, Kaname avait pris la théière près du lit pour la jeter sur les petites flammes. Le feu s'éteignit alors, laissant un coussin noirci. Un servant vint emporter le coussin détruit. Kaname secoua la tête puis se tourna vers le garçon :
« Un prince n'utilise pas un tel langage, fit-elle d'un ton réprobateur.
– Je t'en foutrai des princes ! » répliqua-t'il par pure provocation.
Elle rétrécit les yeux mais n'insista pas... pour cette fois. Après tout, c'était la première journée où Haruni était conscient aussi longtemps, alors elle ne voulait pas la gâcher. Mais elle prit bonne note de surveiller l'éducation de ce garçon qui laissait franchement à désirer.
« Allons dehors, fit-elle en revenant à sa première proposition.
– Personne ne me portera ! décréta Haruni. C'est humiliant ! Je préfère encore sortir par mes propres moyens ! »
L'Impératrice eut soudain un sourire rusé.
« Qu'est-ce qui serait le plus humiliant d'après toi : que tu te fasses porter ou qu'on te voit ramper par terre ? »
Il referma la bouche, incapable de répliquer. Elle venait de marquer un point.
« Nous allons simplement dans les jardins privés, pas plus loin, insista-t'elle. L'accès en est interdit, sauf en cas d'invitation. Pour te rassurer, je vais même envoyer les servants en avant pour être sûr qu'il n'y a personne. Comme ça, personne ne te verra.
– Mmph. »
Elle prit cela pour un acquiescement.
Haruni récupéra très vite à partir de ce moment, comme l'avait dit Kaname. Pourtant, le rétablissement n'était pas assez rapide au goût du garçon. Il se concentra surtout sur sa mobilité : dans un premier temps, rien que le fait de tenir seul sur ses jambes lui demanda un moment, comme si c'était un exploit. Ensuite, il put faire quelques pas hésitants, puis un peu plus. Il se frustrait facilement de la faiblesse de ce corps minuscule — ce corps, et pas son corps. Il eut bien du mal à retrouver son équilibre. C'était surtout sa masse de cheveux noirs qui le gênait.
« Je veux les couper, annonça-t'il à Kaname quelques temps après.
– Pas question ! répondit-elle d'un ton horrifié, comme s'il parlait de se couper une main.
– Ils sont bien trop longs, se plaignit-il. Je n'aime pas ça. »
Effectivement, les cheveux lui arrivaient en-dessous de la taille mais en plus, ils étaient épais et touffus ! Il aurait parié que la moitié de son poids venait de sa chevelure, voir plus ! Comparé à Yatsu qui avait toujours eu les cheveux fins, Haruni ne comprenait pas pourquoi les siens étaient aussi pénibles. Il tira avec agacement sur une mèche noire. Kaname lui écarta la main avec patience.
« Ils sont de la bonne longueur pour un prince impérial, expliqua-t'elle. Il n'y a que les gens du peuple qui ont les cheveux plus courts.
– Et les Vites.
– Mais tu n'es ni l'un, ni l'autre. »
Il prit un air renfrogné. Cependant, il ne pouvait guère la contredire sur ce point, même si cela ne lui plaisait pas du tout.
Ravie de ses progrès, Kaname organisa une visite de l'Empereur dans un premier temps, puis de Chiharu. Bien entendu, quand Haruni avait repris connaissance pour de bon, elle avait aussitôt prévenu son époux mais lui avait demandé de ne pas venir tout de suite, étant donné que Haruni n'était pas dans un bon état d'esprit. À présent que cela allait un peu mieux, il était temps que la famille soit réunie. Toutefois, la première visite se fit dans un silence gêné. Tegami semblait aussi mal à l'aise que lui. Kaname, elle, restait en retrait.
« Je suis content que tu ailles mieux, mon... mon fils, bafouilla Tegami.
– Mmm.
– J'aurais voulu être à tes côtés plus souvent mais... j'ai l'Empire à gérer, tu sais.
– Mmm. »
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L'Empereur était au supplice face au manque de réponse de Haruni. Ce dernier regardait devant lui, évitant de croiser son regard. Alors contre l'avis de Kaname, Tegami aborda un certain sujet qui lui tenait à cœur :
« Ce qui s'est passé dans le Pavillon Principal... je t'ai... j'ai osé te faire du mal. Sache que...
– Vous n'avez rien fait, le coupa Haruni.
– Quoi ? »
Le garçon se tourna enfin vers lui.
« C'est moi qui me suis jeté sur votre sabre afin de détourner l'attention des Hikari. Ils auraient tué Chiharu sinon. »
L'Empereur trembla, réprimant ses larmes.
« C'est moi qui aurais dû vous protéger, tous les deux. Jamais je ne me pardonnerai... »
Haruni ne semblait que peu intéressé par ses excuses et le coupa une fois de plus :
« Vous avez parlé aux dieux ?
– Les... Les Dieux ? P-pourquoi tu demandes ça ?
– Parce que je ne les entends plus depuis mon réveil. Enfin. »
Tegami prit un air embarrassé et détourna les yeux.
« Hé bien, je n'ai... je n'ai guère eu le temps pour accomplir le Rituel d'Invocation, alors...
– Vous attendez quoi pour le faire ?! »
Pris au dépourvu, Tegami ne sut que dire. Haruni l'observait de ses grands yeux dorés et scrutateurs, et il se sentit disséqué et jugé. C'était compliqué pour lui d'associer l'image de cet enfant à celle du Vite qu'il avait brièvement aperçu il y avait quelques mois. Quoi qu'il en soit, Haruni ne se comportait absolument pas comme un enfant.
« Je... ce sera fait, je te le promets, assura-t'il. Je dois y aller. Je reviendrai te voir demain, si tu veux. En attendant, porte-toi bien. »
Sans réponse de la part de son fils, Tegami hésita. Il finit par tendre les bras et se pencher vers lui comme pour l'enlacer. Cependant, Haruni se raidit et lui lança un regard interloqué.
« Vous faites quoi, là ?! »
L'Empereur se figea alors et dut renoncer. Le cœur envahi par de multiples pensées contradictoires, il quitta la pièce. Kaname soupira en secouant la tête.
« Tu aurais pu être plus gentil avec lui, Haruni, le réprimanda-t'elle.
– Pour quoi faire ? argua-t'il.
– C'est ton père, voyons. »
Le garçon poussa un lourd soupir.
« Je ne le connais même pas.
– Bon, sois au moins plus gentil avec ton grand frère, d'accord ? »
Il ne dit rien.
Chiharu, lui, ne se laissa pas du tout rebuter par les réticences de son frère. À peine arrivé, il le prit dans ses bras et le serra très fort.
« Petit frère ! Je suis si heureux de te voir ! Tu vas mieux, dis ? »
Après ça, Chiharu le lâcha et l'examina attentivement, les yeux brûlants. Haruni fut un peu confus devant cette manifestation d'affection et cligna des yeux.
« Mmm, répondit-il laconiquement.
– Tant mieux ! Alors, c'est quand qu'on va faire du cheval ?
– Du cheval ?
– Oui, je t'en ai parlé la dernière fois ! Ah, je sais aller au galop depuis. J'ai encore un peu de mal, mais ça ira. Il faudra qu'on te trouve un cheval, un petit pour commencer. Comment tu vas l'appeler ? »
Devant un tel flot de paroles, Haruni était plus que perdu. Dire qu'il avait toujours trouvé Yatsu bavard, alors que ce n'était rien en comparaison de Chiharu. Néanmoins, le garçon avait bon cœur, ne parlait que de sujets futiles et ne s'offusquait pas de ses réponses courtes. Toutefois au bout d'un moment, Haruni lança un regard de détresse à Kaname. La femme intervint aussitôt :
« Chiharu, il est temps de te retirer. Ton frère est un peu fatigué.
– Oh, Mère, je viens à peine d'arriver !
– Cela fait une heure que tu es là, le contredit-elle. Sois gentil, tu reviendras voir Haruni une autre fois. »
Le garçon fit la moue mais, voyant que sa mère ne céderait pas, il se tourna vers son frère et lui prit les deux mains, ses yeux azur étincelants.
« Dis, je peux revenir demain, hein ? demanda-t'il d'un air rempli d'espoir.
– On verra. »
Mais Chiharu prit cela comme un oui. Il serra de nouveau son petit frère contre lui avec un grand sourire et l'embrassa même sur la joue. Il partit ensuite d'un pas joyeux, tout ça sous le regard attendri de l'Impératrice.
Haruni était un patient très difficile : il refusait d'admettre qu'il était physiquement faible et qu'il avait par conséquent d'aide pour les moindres gestes du quotidien. Il insistait pour se laver seul, manger de lui-même, se coiffer, marcher dès qu'il le put, même à un rythme très lent... Il avait plusieurs fois demandé à ce qu'on lui coupe les cheveux en vain. Alors il se contentait de les attacher en queue de cheval avec un ruban noir. Il ne les démêlait même pas. Kaname finit par employer la force car la masse sombre commençait à prendre des allures de paille séchée. Il fallut trois servants pour maintenir le garçon tandis que deux autres lui lavaient correctement les cheveux, appliquant la crème de soin et les démêlant patiemment. L'opération prit deux heures en tout, mais la chevelure fut sauvée. Kaname fut aussi soulagée qu'aucun incendie ne se soit déclarée pendant ce temps, signe que Haruni avait repris le contrôle de lui-même.
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Elle lui fit ensuite un long sermon tandis qu'il arborait un air boudeur.
« Tes cheveux sont une part importante de ton apparence. Tu dois en prendre grand soin. L'apparence en dit long sur quelqu'un, tu sais. C'est...
– Je m'en fous de mon apparence ! explosa-t'il. Ce n'est pas comme si je pouvais me voir !
– Surveille ton langage, Haruni, répéta-t'elle pour la millième fois. Tu ne te vois pas, mais les autres te voient et ils te jugent d'abord par ton apparence.
– Ce sont des cons alors. L'apparence ne veut rien dire ! »
Kaname se massa les tempes.
« L'apparence ne veut pas tout dire, nuança-t'elle, mais elle est quand même révélatrice d'une partie de ta personnalité. Dans tous les cas, l'apparence fait partie de ton identité. »
Le garçon éclata d'un rire moqueur.
« Vraiment, Kaname ? Vraiment ? C'est à moi que tu dis ça ?! »
Elle réfléchit un moment.
« Tu avais énormément changé physiquement entre le moment où je t'ai rencontré en tant qu'Iguna et après, en tant que Yama. Je pense que c'est ton identité qui s'imposait lentement au corps que tu possédais, tu ne crois pas ? »
Haruni se renfrogna. Il savait qu'elle avait parfaitement raison, mais il refusait de l'admettre. Dans tous les cas, il refusait toujours de se regarder dans un miroir. Cela ne lui avait jamais apporté rien de bon !
« J'y pense, fit-il soudain, tu ne crains pas de parler de toute ça devant des témoins ? » fit-il en désignant les servants.
En tant qu'Impératrice, Kaname disposait de dix servants, quatre hommes et six femmes. Bien que discrets, ces gens étaient présents en permanence. Kaname n'y prêtait pas attention, mais Haruni ne pouvait s'empêcher de tourner les yeux vers eux par réflexe dès que l'un bougeait. Ils entendaient forcément leur conversation, pourtant aucun d'eux ne semblait avoir réagi quand leur maîtresse avait parlé de Yama.
« Les servants sont entièrement dévoués à leur maître et maîtresse, » assura Kaname d'un ton d'évidence.
Cet argument était loin de suffire à Haruni. Son esprit aiguisé lui soufflait qu'un servant pouvait faire un très bon espion. En plus, ils devaient forcément parler entre eux, non ?
Kaname perçut ses doutes et expliqua davantage :
« Tu ne le sais sans doute pas, mais les servants sont au service de leurs maîtres de génération en génération. Ils sont fiers de leur rôle et très à cheval sur la loyauté. Aucun servant ne se risquerait à trahir son maître, même si sa vie était en jeu.
– Tu dis qu'un enfant de servant devient forcément servant ? » s'enquit le garçon.
Au hochement de tête de l'Impératrice, il leva les yeux au ciel.
« Et s'il veut faire autre chose ?
– Comment ça, autre chose ?
– Cuisinier, soldat, paysan ou... je ne sais pas. Ce qu'il veut. Autre chose que ses parents. »
Kaname donna l'impression de n'y avoir jamais pensé.
Derrière elle, deux servantes dissimulèrent un rire amusé. L'Impératrice se tourna vers elles pour leur demander leur avis sur la question.
« Votre Altesse, fit la première en s'inclinant devant Haruni, ma famille sert la famille impériale depuis sept générations. Ma mère a eu l'honneur de servir votre grand-mère, l'Impératrice Hitomi. C'est un immense honneur pour moi et je ne l'échangerai pour rien au monde. »
La seconde exprima son approbation. Haruni les fixa et demanda directement :
« Vous parlez de votre famille, mais vous êtes au service de votre maîtresse en permanence. Où est-ce que vous trouvez le temps de fonder une famille et de faire des enfants ? »
Les servantes prirent un air ébahi, de même que Kaname. Un enfant n'était pas censé parler de ces choses-là.
Kaname se couvrit la bouche de sa manche pour masquer son embarras.
« Hum, les servants ont droit à des jours de repos et ne travaillent pas non plus en permanence. Ils se relaient et peuvent ainsi avoir une vie de famille.
– Ils doivent forcément épouser quelqu'un qui sert le même maître ? continua à demander Haruni.
– Pas obligatoirement le même maître, mais le même clan en tout cas. Bien entendu, ils doivent avoir l'autorisation de leur maître pour ça. »
Haruni se demanda mentalement :
« Quelle est alors la différence entre un servant et un esclave ? Si ce n'est peut-être l'illusion qu'il a choisi son sort ? »
Il n'exprima pas sa pensée, trop las pour se battre contre des millénaires d'us et de coutumes. Dans l'Empire de l'Aube, un enfant suivait forcément la voie de ses parents, quelle que soit sa classe sociale. La naissance l'emportait largement sur le mérite. Certes, il y avait des exceptions mais elles restaient très minoritaires. Haruni ne pouvait pas comprendre comment les gens pouvaient croire que leurs enfants pouvaient avoir les mêmes talents et aspirations qu'eux. Comme si le fils d'un général pouvait être aussi brillant que son père ! Cela faisait partie des choses qui allaient mal dans l'Empire de l'Aube.
« Mais ce n'est pas mon problème, » se borna à songer le garçon.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Il reprit à voix haute :
« Admettons pour les servants, mais qu'en est-il des gens dans le plafond ? »
Kaname tiqua.
« De quoi ?
– Dans le plafond, répéta-t'il en désignant les dalles en hauteur. Il y a toujours une ou deux personnes là haut. »
La femme le fixa, se demanda s'il n'avait pas perdu l'esprit. Peut-être que les crises n'étaient pas encore finies, en fait. Il surprit son regard et soupira.
« Allons bon, c'est reparti. Les gens me regardaient aussi comme ça quand je parlais des Dia-bu... des Di-a-bles. »
Il avait persévéré pour parler de nouveau la langue des Vites sans trébucher sur les sons qui ne passaient pas, mais il avait encore un peu de mal.
Kaname continua de le regarder étrangement.
« Il n'y a personne dans le plafond, je t'assure.
– Tu en es sûre ? Aucun espion ou assassin ne passerait par là ? Cela me semble pourtant très pratique ! »
Il ne se lança même pas sur les murs intérieurs en papier, les portes coulissantes qu'on pouvait enfoncer d'un simple coup de pied ou les fenêtres qui n'étaient que des ouvertures dans le mur avec des volets en bois très fragiles. Les voleurs dans l'Empire ne devaient avoir vraiment aucun mal à s'introduire dans les habitations !
« Tu es en sécurité au palais, assura Kaname. Personne ne te fera de mal. »
Il soupira, mais ne la crut pas entièrement.
Un autre point de discorde furent les études. Maintenant que Haruni allait mieux, il devait commencer à étudier afin de rattraper son retard, notamment en lecture et écriture.
« Je sais lire et écrire, contra-t'il dès qu'elle mentionna le sujet.
– C'est vrai ? Pourtant à Madare...
– Dans la langue des Vites, » précisa-t'il.
Kaname conserva un air neutre.
« Cela ne te servira à rien ici. Tu dois pouvoir communiquer dans notre langue, c'est essentiel. Il serait impensable qu'un prince soit illettré.
– J'étais bien un général illettré, cela ne m'a pas empêché de gagner contre l'Armée Impériale ! »
Kaname secoua la tête.
« Tu avais un scribe avec toi, c'est bien la preuve que c'est indispensable de pouvoir communiquer par écrit.
– Alors tu n'as qu'à me fournir aussi un scribe ! » répliqua-t'il.
Elle haussa un sourcil.
« Parce que tu lui ferais confiance ? Tu parlais tellement d'espions tout à l'heure, imagine un peu ce que cette personne apprendrait auprès de toi.
– Alors faisons appel à un servant, contra Haruni. Tu me vantais tellement leur loyauté tout à l'heure. »
Haruni était non seulement têtu — un trait de caractère commun dans le clan Kakurō — mais aussi très intelligent. Il était donc difficile de lui faire entendre raison quand il avait décidé de faire sa tête de mule.
Kaname plissa les yeux et répliqua :
« Les servants connaissent des mots de base mais ne savent pas écrire.
– Quoi ?! s'ébahit Haruni.
– Les gens du peuple ne savent pas non plus lire et écrire. Ne me dis pas que c'est différent chez les Vites ? »
Le garçon se mordit les lèvres car elle avait vu juste.
« J'aurais cru que ce serait différent chez vous, bougonna-t'il.
– Chez nous, le corrigea-t'elle. Et non, ce n'est pas différent. Voilà pourquoi tu dois apprendre à lire et écrire, comme il sied à ton rang. Et puis, tu ne préférerais pas communiquer avec Yatsu et Mitsuhide en toute intimité ? »
Il grimaça car elle venait de marquer un point. La femme poursuivit :
« Et pense à la joie de Yatsu quand il recevra une lettre écrite de ta main. »
Il finit par capituler de mauvais gré.
Soucieuse, Kaname avait tout de même mentionné à son époux cette histoire d'hommes dans le plafond. À sa grande surprise, Tegami avait froncé les sourcils sans rien dire.
« Tegami ? s'était-elle enquis.
– Je vais voir ça, » avait-il répondu.
Et le soir même, alors que Haruni reposait seul dans la chambre, il lança soudain dans l'obscurité :
« Ça y est, vous vous êtes enfin décidé à me tuer ? »
Il perçut alors une hésitation, puis la présence qu'il avait sentie à quelques pas de son lit alluma une lanterne. Haruni se redressa pour le regarder : c'était un homme d'âge moyen, vêtu d'une tunique gris foncé avec une capuche. Il avait les cheveux bleu foncé et des yeux d'un vert perçant. Il se dégageait de lui une aura de force et de tranquillité. Sans un mot, le nouveau venu examina le Second Prince qui lui rendit son regard sans la moindre panique. Si l'homme était venu le tuer, hé bien, cela mettrait un terme à tout cela — à condition bien entendu que les Diables n'interviennent pas une fois encore.
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L'homme s'approcha soudain de lui et mit un genou à terre pour le saluer respectueusement.
« Votre Altesse, je suis le général Kafūze de l'Armée de l'Ombre. »
Haruni fronça les sourcils. Il n'en avait jamais entendu parler.
« Nous sommes au service de la famille impériale mais notre champ d'action est plus... secret. Vous avez parlé tantôt d'assassins et d'espions. Ce sont effectivement des rôles que nous jouons quand c'est nécessaire.
– Et là, vous venez en tant que ? »
Le général eut un léger sourire.
« Notre mission principale est d'assurer la protection de la famille impériale. »
Haruni partit un rire ironique.
« C'est donc pour ça que vous me surveillez nuit et jour ? Pour me protéger ?
– Oui, répondit Kafūze sans sourciller. Nous le faisons également pour votre père et votre frère. Par contre, vous n'étiez pas censé détecter notre présence. »
Haruni ne dit rien à ce sujet, il avait simplement eu conscience de ces présences dans les ombres, comme s'il avait entendu un bruit ou senti une odeur sans le vouloir consciemment.
« Votre père m'a fait part de votre gêne. Je venais donc m'en excuser et je vous garantis que dorénavant, seules mes meilleures Ombres seront affectées à votre protection. Vous ne remarquerez plus leur présence.
– Et si je sens encore leur présence ? » insista Haruni.
Loin de se vexer, le général eut un sourire qui ne présageait rien de bon tandis qu'une lueur d'acier passait dans ses yeux verts.
« Si vous arrivez à sentir leur présence, c'est qu'ils ne sont pas suffisamment entraînés. Dans ce cas, j'y remédierai avec autant de sévérité qu'il le faudra. »
Haruni le regarda en haussant un sourcil.
« Hé bien, j'ai pu sentir votre présence, général Kafūze.
– C'est parce que je n'ai pas cherché à me dissimuler pour cette fois, répondit l'homme avec un sourire. Dans tous les cas, vous savez à présent que nous ne représentons aucune menace pour vous, votre Altesse. »
Ça, ce n'était pas encore garanti.
« Comment se fait-il que l'Impératrice n'avait pas l'air de savoir ce dont je parlais ? demanda-t'il par curiosité.
– C'est parce qu'elle ignore notre existence. Seul l'Empereur est au courant et a autorité sur nous. En temps normal, son frère devrait aussi être dans le secret et détenir le commandement, mais...
– Il est mort, » compléta Haruni.
Kafūze hocha la tête, une brève lueur de tristesse dans le regard.
« Du coup, c'est le général Kenryū qui assume ce poste. À part eux deux, personne n'est au courant.
– Il y a moi, maintenant, » précisa le garçon.
Kafūze eut de nouveau un sourire.
« Il y a vous à présent, votre Altesse. Il va de soi qu'il faudra garder le secret, mais je sais que je peux me fier à vous. »
Haruni ne dit rien. Il en avait assez des secrets, surtout ceux qu'il n'avait jamais demandé à connaître.
« Cela m'est égal, » fit-il en haussant les épaules.
L'autre homme n'insista pas.
« Sur ce, je vous souhaite une bonne nuit, votre Altesse. »
Le général le salua, puis éteignit la lanterne. L'obscurité envahit de nouveau la chambre et le généra parut se fondre dedans, sauf que Haruni ressentait encore sa présence à la limite de sa perception. C'était faible et ténu, mais bien là.
« Vous êtes encore là, » lança-t'il d'un ton réprobateur.
Un léger rire lui parvint, puis la présence disparut enfin.
Note de Karura : Haruni fait ses premiers pas dans le palais... sauf qu'il ne peut pas aller bien loin pour le moment !
On entre en plein dans la partie choc culturel, déjà amorcé avec Yama. Pour la civilisation de l'Empire de l'Aube, j'ai mélangé des traditions japonaises, chinoises voire même tziganes ! Et j'ai inventé le reste.
L'intégration de Haruni ne se fera pas sans mal, d'une part parce qu'il n'a pas du tout envie de s'intégrer, et ensuite parce que son lien avec les Hikari ne peut que susciter la méfiance chez les autres.
Et pour ce qui est de la romance dans tout ça ? Hum, Haruni n'a que vingt-cinq ans actuellement, ce qui correspond à onze ou douze ans. Il ne sera pas question de romance pour lui tout de suite. Par contre, je peux vous dire que son autre moitié a déjà fait son apparition dans le roman ! 😉 À vous de tâcher de deviner de qui il s'agit !
Notes du chapitre :
(1) Rapide.
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