Chapitre Trois : Entêtements
Kurojū, fin de l'année 2440
Après la cérémonie, Haruni put aller se changer avec bonheur et surtout se laver le visage pour retirer cet horrible maquillage. Chiharu le suivit, pressé de lui faire visiter le palais et de le montrer à ses amis. Chacun des garçons était accompagné par un de ses servants qui restaient en retrait. Le Premier Prince montra d'abord ses appartements à son petit frère, où l'on voyait que l'enfance et l'adolescence se côtoyaient : il y avait à la fois des jouets et des ouvrages de poésie, un théâtre d'ombre et un jeu de sabres, etc. Chiharu avait trente-six ans et voulait à la fois rester un enfant tout en réclamant des responsabilités de jeune homme. D'ailleurs, ce fut en frétillant qu'il tendit à son frère une boîte en bois rouge laqué.
« Un cadeau pour ton premier jour officiel à la Cour ! » déclara-t'il avec un immense sourire.
Haruni ouvrit la boîte et découvrit une sorte de jouet en bois composé de deux tiges torsadées et emboîtées l'une dans l'autre. Il les sortit d'un air perplexe.
« C'est un casse-tête, expliqua spontanément Chiharu pendant que son frère jouait avec les deux tiges. J'ai mis trois mois à comprendre comment ça fonctionnait et... »
Clic. Haruni venait de séparer les deux tiges. Chiharu en eut le souffle coupé.
« Mmm, je l'ai cassé ? s'inquiéta Haruni.
– Non, tu l'as... résolu.
– Oh. »
Il tritura de nouveau les tiges pour les remettre dans leur position initiale et reposa le casse-tête dans sa boîte.
« Merci pour ce présent, » fit-il en inclinant légèrement la tête.
Chiharu ne s'attarda pas là-dessus.
« Viens, je vais te faire visiter le reste du palais ! »
Le palais était immense, cinq fois plus grand que celui de Hanajū. Chiharu était pourtant à son aise en évoluant dans ce monde familier. Les servants s'inclinaient sur leur passage, de même que les nobles et les officiels. Haruni put sentir la réprobation de beaucoup en voyant les deux princes ensemble, mais rien d'ostensible. Le palais était composé de plusieurs pavillons avec chacun leur fonction. Chiharu ne lui présenta que les principaux endroits, ceux où ils auraient besoin de se rendre. Haruni mémorisa les lieux machinalement. À cause du froid qui sévissait ce jour-là, ils ne purent rester trop longtemps dehors pour visiter les jardins, mais Chiharu lui promit qu'ils iraient bientôt. En attendant, il le conduisit au Pavillon des Savoirs où se déroulaient les leçons et aussi où se trouvait la bibliothèque.
Autour d'une table, trois adolescents discutaient. Ils se levèrent en voyant les princes entrer et s'inclinèrent, mais pas formellement.
« Chiharu ! fit l'un d'eux en souriant. On t'attendait depuis la fin de la cérémonie. »
Le registre employé était familier. Ce devait être les amis que Chiharu avait mentionnés la veille. Ils étaient plus âgés que lui de quelques années, semblait-il.
« Shitaro, Hamoto et Kenshirō , voici Haruni, mon petit frère ! »
La présentation était inutile puisqu'on devinait au premier coup d'œil l'identité de Haruni. Pourtant, Chiharu semblait prendre plaisir à annoncer au monde entier qu'il avait enfin un petit frère.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Les trois amis saluèrent plus poliment Haruni qui inclina la tête vers eux.
« Votre Altesse, je me nomme Shitaro, fils du seigneur Bimara. C'est un honneur de faire votre connaissance. »
Shitaro était assez grand — toutefois, Haruni avait perdu tout repère en ce qui concernait les tailles, lui qui était devenu minuscule. Il avait les cheveux bleu clair et les yeux roses. Son visage qui s'affinait un peu semblait jovial. Il s'exprimait poliment avec Haruni, sans manifester d'hostilité mais affichant une curiosité évidente.
« Votre Altesse, mon nom est Kenshirō, fils de l'érudit Taikōshi. »
Celui-là était plus petit que Shitaro, les cheveux violets et les yeux gris. Il avait conservé quelques rondeurs de l'enfance et semblait attacher un soin tout particulier à sa tenue. C'était le plus coloré et orné de bijoux des trois. Il semblait plus méfiant envers Haruni.
« Votre Altesse, je suis Hamoto, fils du seigneur Kodamu. »
Le dernier était de taille moyenne. Curieusement, il était le reflet inversé de Kenshirō au niveau des couleurs : les cheveux gris et les yeux violets. Un grand sourire illuminait son visage et il avait l'air plutôt sympathique.
Les présentations étant faites, l'ambiance se détendit un peu entre les jeunes gens. Haruni les observa discuter autour d'une table basse de leurs dernières leçons ou commenter un poème d'amour. Chiharu était vraiment à l'aise avec eux et semblait les connaître depuis longtemps. Au bout d'un moment, la conversation porta sur Haruni.
« Votre Altesse, veuillez pardonner ma curiosité mais... quelle était cette étrange maladie qui vous affligeait ?
– Kenshirō, s'offusqua Chiharu, protecteur, ce n'est pas très délicat de ta part !
– Ça ne me dérange pas, » assura Haruni.
Il avait bien subi l'interrogatoire des conseillers, après tout. Cet adolescent semblait aussi curieux et suspicieux que ces gens.
« On raconte que vous avez dormi depuis la naissance ? C'est fou ! »
Les deux autres adolescents étaient tout aussi captivés que Kenshirō.
« C'est exact, confirma Haruni.
– Alors vous n'avez vraiment aucun souvenir de cette période ? Aucun rêve ? »
Un rêve... Le visage de Haruni fut barré d'un sourire ironique en se rappelant des paroles de l'Empereur la veille :
« Tu n'as qu'à te dire... que c'était juste un rêve, un mauvais rêve qui est enfin terminé. »
Refoulant ce souvenir désagréable, il répondit à Kenshirō le curieux :
« J'ai rêvé de nombreuses choses.
– Ah ? »
Il aurait été impoli de demander directement le contenu de ces rêves. C'était à Haruni de choisir d'en parler ou pas, et il ne le fit pas.
« En tout cas, intervint Hamoto avec un rire pour détendre l'atmosphère, cela doit vous faire bizarre de vous retrouver à la cour impériale du jour au lendemain.
– C'est difficile de s'adapter, » reconnut Haruni en hochant la tête.
Il y avait tant d'usages et de contraintes. Dire qu'il avait déjà trouvé la vie à Hanajū si contraignante ! Les autres adolescents compatirent avec lui. Touché, Chiharu le prit dans ses bras.
« Ne t'en fais pas, petit frère. Tu peux compter sur moi pour t'aider !
– Merci, Chiharu. »
Le Premier Prince prit un air vexé.
« Mais non, fais comme hier : tu dois m'appeler grand frère !
– C'est obligé ? »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Il n'avait rien contre Chiharu mais il avait vraiment du mal à le considérer comme son aîné... ou comme son frère à la base. Chiharu restait pour lui le fils de Kaname et le garçon qu'il avait sauvé durant la Croisade à un lourd prix. Cela dit, il ne pouvait pas totalement regretter sa décision de l'époque, surtout quand il voyait à présent que ce garçon était devenu un adolescent plein de vie et aimable.
« Ben non, mais... reconnut Chiharu en faisant la moue.
– Alors je préfère t'appeler Chiharu, » décréta Haruni.
L'adolescent se mit à bouder, sous les rires de ses amis. Doko, le servant de Haruni, s'avança alors pour lui rappeler qu'il avait sa leçon de calligraphie avec l'Impératrice. Malgré la cérémonie, les cours de la journée n'avaient pas été complètement annulés. D'ailleurs, les autres adolescents avaient eux aussi une leçon qui les attendait. Ils se séparèrent donc en se saluant de nouveau.
Quelques jours plus tard, alors que Haruni prenait le thé avec l'Empereur et l'Impératrice dans un pavillon intérieur et que Chiharu était encore à sa leçon d'armes, Haruni en profita pour poser une question qui le chiffonnait depuis un moment.
« J'aimerais savoir ce qui va être fait pour Mitsuhide, commença-t'il en fixant l'Empereur.
– Qu-que veux-tu dire ? demanda Tegami, pris au dépourvu.
– J'ai été vraiment stupéfait d'apprendre qu'il n'avait eu droit à aucune reconnaissance officielle après tout ce qu'il a fait pour lutter contre les Hikari. C'est quand même lui qui a initié et mené la lutte contre ces traîtres, alors vous attendez quoi ? »
Tegami fut partagé entre l'envie de corriger la façon irrespectueuse dont son fils s'adressait à lui et sa réticence à évoquer ce sujet.
« Le seigneur Mitsuhide recevra une récompense appropriée, décréta-t'il en serrant les dents.
– Sous quelle forme ?
– Cela ne te concerne pas.
– Bien sûr que si, répliqua le garçon. Mitsuhide est mon ami et je tiens à ce qu'il reçoive les honneurs qu'il mérite.
– Ton ami ? fit Tegami en s'étranglant sur ce dernier mot.
– Oui. »
Le visage de l'Empereur se tordit alors de dégoût.
« Tu ne t'approcheras plus jamais de cet homme et il est hors de question qu'il mette les pieds à Kurojū ! »
Haruni fronça les sourcils, ne comprenant pas cette réaction exagérée. Était-ce encore en rapport avec le fait qu'il devait tout oublier de sa vie précédente ?
Il se fâcha :
« Ce n'est pas à vous de décider de mes fréquentations !
– Bien sûr que si ! Je suis ton père et mon rôle est de te protéger !
– Me protéger de quoi, de Mitsuhide ?
– Tout à fait ! »
Haruni plissa le front.
« Quel est le problème avec lui ?
– C'est... c'est... »
Tegami n'arrivait même pas à le formuler. Son visage fin exprimait à la fois le dégoût et la haine.
« Dégénéré ! » finit-il par cracher.
Haruni prit un air perplexe. Les dégénérés étaient ceux qui s'en prenaient aux enfants, or Mitsuhide était tout sauf cela. Ou bien alors...
« C'est parce qu'il m'a envoyé au combat ? Mais ce n'était pas la première fois pour moi et il...
– Cela n'a rien à voir ! le coupa l'Empereur d'un ton furieux. Votre... votre >relation était connue jusqu'à Kurojū !
– Notre relation ? »
Haruni était complètement perdu. Mitsuhide et lui étaient amis, où était le problème dans tout ça ? Pendant ce temps, Tegami continua de plus belle :
« La seule raison pour laquelle je ne le fait pas exécuter, c'est parce qu'il n'avait pas conscience de ton âge véritable. Mais il est hors de question qu'il se présente devant moi !
– Une minute, vous voulez le tuer parce que nous sommes amis ? C'est n'importe quoi !
– Arrête de dire 'amis', je connais la vérité ! » cria l'Empereur en s'étouffant de rage.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Perdu, Haruni lança un regard à Kaname, mais la femme semblait embarrassée et ne croisa pas son regard.
« Quelle est la vérité que vous connaissez ? » demanda alors le garçon, bien décidé à démêler cette drôle d'histoire.
Tegami était si furieux que des veines bleues battaient à son front. La colère l'emporta sur l'embarras et les mots honteux sortirent de sa bouche :
« Tout l'Empire sait que vous étiez amants ! Le Vite de Mitsuhide ! »
Haruni en resta un moment bouche bée, puis protesta aussitôt :
« Quoi ?! Mais c'est faux !
– Inutile de mentir !
– Je ne mens jamais ! s'indigna Haruni. Quant à ma relation avec Mitsuhide, vous n'avez qu'à demander à Kaname ! Elle était à Madare avec moi !
– Justement, je lui ai demandé ! Et elle m'a dit qu'elle n'en savait rien ! »
Pour le coup, Haruni se tourna vers l'Impératrice en arborant un air trahi.
« Comment ça, tu n'en sais rien ?
– Hum, vous étiez si proches qu'on pouvait penser que... Ce n'était clair pour personne, pas même pour dame Teshime, » répondit la femme avec gêne.
Haruni tomba des nues. Comment les gens, mêmes les proches, avaient-ils pu croire qu'ils étaient amants ?
« Hé bien c'est faux ! affirma-t'il dans son bon droit. Nous sommes amis, rien de plus ! Je n'ai jamais couché avec lui et c'est ridicule de penser le contraire ! »
Cela ne parut guère convaincre l'Empereur qui s'entêta à dire :
« Une rumeur ne circule pas sans raison ! »
Haruni leva les yeux au ciel.
« Les Hikari étaient des spécialistes pour faire circuler des fausses rumeurs sur leurs ennemis ! répliqua-t'il. Ils ont bien fait croire que Kaname avait inventé son histoire d'Iguna lors de l'Invasion !
– Et il n'y a toujours pas de preuve que ce soit vrai ! »
Alors que Kaname tressaillait à cause de ce rappel douloureux, Haruni resta sans voix devant la bêtise de cet homme.
« Comment ça, pas de preuve ? C'est moi, Iguna ! »
L'Empereur plissa ses yeux noirs, clairement incrédule.
« Ne dis pas n'importe quoi ! Tu étais à peine né !
– J'avais vingt ans à l'époque ! Enfin, pas moi mais... mon corps. Enfin, vous voyez ce que je veux dire. Dans tous les cas, le fait est que l'Impératrice n'a pas menti pour Iguna et que Mitsuhide n'a jamais été mon amant ! »
L'Empereur prit un air buté qui donna envie à Haruni de l'insulter copieusement. Comment cet homme pouvait-il se raccrocher à des mensonges éhontés ? C'était désespérant !
Ce fut à ce moment qu'il entendit une voix discrète :
« Ce n'est sans doute pas le bon moment, mais...
– Ah non, pas vous ! » s'écria-t'il, s'attirant les regards étonnés de ses parents.
Les ombres vacillèrent, incertaines. Sa rancœur contre les Dieux se réveilla : c'était eux qui l'avaient obligé à intégrer ce corps faible, fragile et dont il n'avait jamais voulu. C'était à cause d'eux qu'il était coincé à Kurojū pour un bon bout de temps, obligé de suivre ces règles stupides et de fréquenter des gens qu'il n'appréciait pas. C'était aussi eux qui l'avaient empêché de mourir alors que cela aurait été un tel soulagement... Il fit donc mine de les ignorer mais elles clapotèrent à ses pieds, recherchant son attention.
« Nous ne voulions plus t'importuner car ce lien n'est pas bon pour toi. Cependant, ton père n'a toujours pas repris contact avec Nous, alors...
– Non mais je rêve ? Toujours pas ?! »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Il fixa un regard furieux sur l'Empereur qui ne comprenait pas ce qui se passait.
« Pourquoi vous n'avez pas encore contacté les dieux ? Et vous osez me parler de mes responsabilités ? » lui lança-t'il franchement.
Tegami prit un air coupable, tandis que Kaname affichait sa surprise.
« Tegami, intervint-elle, c'est pourtant ton devoir que de...
– Cela peut attendre, décréta-t'il. Il y a plus urgent ! Et puis, il faut un moment propice et...
– Moment propice, mon cul ! » répliqua Haruni.
Sans attendre, il se redressa et tendit la main par-dessus la table pour saisir le bras de l'Empereur. Il ferma les yeux et se projeta avec lui dans le monde des esprits. Il ne savait pas si cela allait fonctionner, s'il pourrait emmener l'Empereur avec lui, mais il était si furieux qu'il agit sans se poser la moindre question.
Et cela fonctionna : ils se retrouvèrent dans les ténèbres, les ombres se pressant autour d'eux. Haruni jeta un regard en direction de l'Empereur et fut surpris de voir qu'il n'avait qu'une vague forme rappelant un peu son apparence physique. Lui, au contraire, se distinguait très bien.
« Merci, lui firent les ombres de leurs voix multiples. Tu peux repartir à présent, il vaut mieux que tu ne restes pas trop longtemps ici.
– Qu'est-ce que vous allez faire de lui ?
– Ne t'en fais pas, Nous te rendrons ton père... après une petite discussion. »
Haruni sentit dans le ton des dieux que cette 'petite conversation' n'aurait rien d'agréable pour l'Empereur.
« Bien fait pour lui, » songea-t'il sans remords.
Il rouvrit les yeux et l'air de rien, il se rassit proprement et but une gorgée de thé. Kaname le fixait avec effroi, osant à peine bouger. Tegami se tenait assis, les yeux ouverts dans le vide, sans réaction, sauf un petit frémissement de temps à autre. Haruni put sentir les ombres autour de l'Empereur et en fut satisfait. Il finit par dire à l'Impératrice :
« Ne t'en fais pas, il va revenir.
– D... d'où ?
– Du monde des esprits. Les dieux avaient deux mots à lui dire. »
Kaname déglutit, tentant de comprendre ce qui venait de se passer.
« T... c'est toi qui l'y as envoyé, comme ça ? »
Haruni acquiesça, ne voyant rien d'extraordinaire là-dedans.
« Mais il faut toute une cérémonie et une invocation que seuls les Empereurs connaissent ! protesta la femme. Même les prêtres ne peuvent pas se rendre comme ça dans le monde des esprits !
– Moi, je n'ai toujours eu qu'à fermer les yeux pour m'y rendre, expliqua Haruni. Le problème était plutôt de ne pas m'y rendre. »
Hébétée, Kaname ne sut plus quoi lui dire.
Tegami inspira soudain et recula vivement. Kaname se porta aussitôt à ses côtés, inquiète.
« Comment tu vas ? »
Mais le regard de l'Empereur était fixé sur son fils cadet et contenait un profond effroi.
« Tu... tu... comment tu peux faire ça ? »
Haruni haussa les épaules.
« Ne recommence plus jamais !
– Accomplissez votre devoir envers les dieux et je n'aurai plus jamais à le faire, » répliqua-t'il simplement.
La menace fit pâlir l'Empereur. Il venait également de réaliser que malgré ses illusions et ses espoirs, son fils n'était pas et ne serait jamais un enfant comme les autres.
« Tegami, que t'ont dit les Dieux ? s'enquit Kaname avec une pointe de terreur respectueuse.
– Ils... Ils ont... Je ne me souvenais pas qu'Ils étaient aussi terribles ! »
Haruni lâcha un rire moqueur.
« Imaginez ce que c'est de les avoir dans la tête pendant vingt-cinq ans ! »
Tegami prit un air confus.
« Tu veux dire que tu les entends depuis ta naissance ? »
Haruni hocha la tête.
« Mais alors, pourquoi Ils ne t'ont pas fait revenir plus tôt ?
– J'étais trop loin pour eux.
– Ils auraient au moins pu te dire qui tu étais !
– Ils l'ont fait, mais j'ai refusé de les croire.
– Pourquoi ? »
Le garçon lui lança un regard d'évidence.
« Vous iriez croire des voix dans votre tête, vous ? »
C'était un argument des plus recevables.
« En tout cas, tu n'as plus à t'inquiéter d'Eux, assura l'Empereur en déglutissant. Je... je vais reprendre mon rôle d'intermédiaire.
– Tant mieux, » fit simplement le garçon.
Mais en lui-même, il ne pensait pas que son lien avec les dieux pourrait se rompre aussi facilement, hélas.
Kenryū observait Tegami en train de finir d'écouter un rapport de Mekkoshi, le ministre de la justice. Cela faisait si longtemps que l'Empereur avait été sous la coupe des Hikari que Kenryū ne se rappelait même plus de son attitude normale. Les mauvais souvenirs étaient plus nombreux que les bons, malheureusement. Mais le général avait bon espoir que cela change maintenant que les Hikari n'étaient plus là. Dire que c'était un Vite qui avait sauvé l'Empire ! Quelle honte pour tous les seigneurs et généraux. Pendant que Kenryū se désolait de cela, le ministre salua l'Empereur et se retira avec ses officiels. Il ne restait plus que Kenryū, quelques officiels et des servants dans le Pavillon Principal. Il regarda Tegami apposer le sceau impérial sur un document, puis pousser un lourd soupir en se massant l'arête du nez. Son regard croisa celui de Kenryū et il eut un pauvre sourire.
« Kenryū, je peux te poser une question ? » fit-il.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Il venait d'employer le registre amical avec lui, ce qui n'était plus arrivé depuis très longtemps. Un peu dérouté, Kenryū répondit dans le même registre que lui :
« Oui, vas-y.
– Toi qui as deux fils, est-ce normal que deux frères n'aient pas du tout le même caractère ? »
Kenryū ne s'attendait absolument pas à ce genre de question, mais il comprit vite :
« Le Second Prince, hein ? »
Tegami soupira de nouveau.
« Il est tellement différent de Chiharu, se plaignit-il. Je ne sais pas comment lui parler ou me comporter avec lui.
– Tu dois te comporter comme un père. C'est à lui de s'adapter.
– Mais c'est une tête de mule, tu n'as pas idée.
– Oh ? »
Kenryū se retint de rire. Il songea à son prince, qui pouvait se montrer borné, sans parler de Tegami lui-même.
« Je ne sais plus quoi faire avec lui, continua de se lamenter l'Empereur. Kaname a une patience infinie avec lui mais moi, je ne m'en sens pas capable. »
Le stratège en Kenryū voulait bondir sur cette opportunité pour marteler l'idée d'envoyer le Second Prince en exil — sous surveillance rapprochée, bien sûr. Mais l'homme ne voulait pas gâcher ce moment entre eux où Tegami lui parlait à cœur ouvert comme ce n'était plus arrivé depuis si longtemps.
« Ah, hum, les enfants peuvent se montrer difficiles, fit-il simplement.
– Pas les tiens, répliqua Tegami avec un ton d'envie. Kikuchi est devenu un jeune homme respectueux et dévoué envers sa famille. Dokano, la dernière fois que je l'ai vu, promettait de suivre ses traces. Et Kōtori est une petite si charmante. »
Kenryū eut un sourire inconscient en songeant à ses trois enfants, mais ce sourire se ternit un peu.
« Il n'y a pas d'âge pour avoir des problèmes avec ses enfants. Je... »
Il hésita à se lancer dans la confidence, mais il voulait qu'ils se rapprochent de nouveau.
« En fait, Kikuchi a changé durant son séjour à Madare. Depuis son retour, il est devenu difficile. »
L'Empereur marqua sa surprise.
« Ton fils est revenu ? Depuis quand ?
– Trois semaines, avoua le général.
– Pourquoi ne l'ai-je pas vu à la Cour alors ? »
Ce fut au tour de Kenryū de soupirer.
« Il restera à Katoru avec mon épouse et les enfants jusqu'à ce qu'il reprenne ses esprits ! »
Un peu surpris par cette nouvelle, Tegami s'enquit avec circonspection :
« Je peux te demander ce qui s'est passé ?
– Son premier chagrin d'amour, » répondit le général, les dents serrées.
Tegami se retint de sourire car la situation semblait grave pour Kenryū.
« Ah, c'est un moment difficile mais inévitable dans la vie d'un homme, » philosopha-t'il.
Kenryū marmonna quelque chose de pas content.
« J'en profite pour te demander un service, reprit-il. Est-ce que l'Impératrice pourrait aller lui parler ? Elle, il l'écoutera au moins. »
Cela surprit Tegami qui ne savait pas que son épouse et le jeune homme étaient si proches.
« Je ne m'y oppose pas si elle accepte, fit-il.
– Merci ! » fit le général en s'inclinant.
Cela consola un peu Tegami de voir qu'il n'était pas le seul à éprouver des difficultés avec un de ses enfants.
Quelques mois plus tôt, alors que Kenryū conduisait soixante-dix mille hommes vers la plaine de Shima vers une bataille qu'il ne souhaitait pas, un messager-oiseau leur parvint avec une nouvelle sidérante : tous les Hikari du palais avaient été tués par le général Yama de Madare. L'Empereur avait par conséquent décidé d'annuler la bataille contre le seigneur Mitsuhide et l'Armée Impériale devait tout de suite faire demi-tour. C'était trop beau pour être vrai, si beau que Kenryū crut d'abord à un complot des Hikari pour le discréditer, même si le message portait le sceau impérial. Pourtant, un autre message l'accompagnait, écrit cette fois de la main même de l'Impératrice.
« Quoi ?! s'ébahit le général. L'Impératrice est de retour à Kurojū ?! Mais comment ? »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Après de nombreuses hésitations, même si certains des autres généraux et commandants suggéraient d'attaquer malgré tout, Kenryū choisit d'y croire. Un échange de messages avec Mitsuhide confirma que le jeune seigneur avait reçu le même message qu'eux. Entre gens d'honneur, ils décidèrent de reporter la bataille en attendant d'approfondir cette histoire. Le temps de revenir à Kurojū et d'apprendre toute la série d'événements stupéfiants qui s'y étaient passés, Kenryū eut à peine le temps d'envoyer un message personnel à Mitsuhide pour lui demander de renvoyer son fils Kurojū qu'il dut se rendre à Shirojū pour se rendre compte de la situation dans le fief des Hikari. Ce qu'il y trouva... Kenryū haïssait les Hikari du plus profond de son âme, mais le fait de voir les corps sauvagement assassinés — femmes, hommes et même enfants ! — lui remua le cœur. Le palais blanc avait triste mine : il était à présent noir de suie car un incendie s'y était déclaré, sans toutefois réduire l'édifice en cendres.
Il n'y avait eu aucun survivant. Un des hommes de Kenryū découvrit le corps sans vie du général Yama et, fait étrange, il avait à la main le sabre de l'Empereur dont la lame était ébréchée et couverte de sang. Les soldats débarrassèrent tous les corps pour les brûler ensemble, laissant les cendres se disperser dans les airs. Seul Yama eut droit à une crémation à part et ses cendres furent recueillies dans une urne pour être envoyées à Hanajū. Kenryū, qui avait coupé une mèche de ses cheveux pour la brûler avec le corps du Vite, se dit qu'il ne saurait jamais ce qui avait pu passer par la tête de cet homme pour ainsi massacrer brutalement les Hikari. Certes, ils le méritaient amplement mais tout de même... Si Yama avait survécu, la situation aurait été très compliquée : aurait-il fallu le punir d'un crime si ignoble, ou bien le récompenser ? Malheureusement — ou devrait-on dire heureusement ? — le problème n'avait plus lieu d'être.
Lorsque Kenryū revint à Kurojū pour faire son rapport, il eut la surprise de recevoir une lettre de Mitsuhide l'informant que Kikuchi refusait de quitter Madare, trop affecté par la mort du général Yama.
« Pourquoi cela l'affecte-t-il à ce point ? » s'étonna alors Kenryū mentalement.
Il décida de se rendre là-bas en personne pour récupérer son fils. Il partit avec plusieurs hommes à lui car il craignait malgré tout une traîtrise de la part du seigneur de Madare. Après quatre-vingts ans à côtoyer les Hikari et leurs manigances, il avait désormais tendance à voir des complots partout. Mais Mitsuhide était sincère et il le conduisit sans discuter à son fils... Et là, Kenryū eut alors l'impression qu'il s'était écoulé des années plutôt que des mois car il ne reconnut plus du tout son fils aîné.
Kikuchi s'était coupé les cheveux en signe de deuil... à ras. C'était la coutume de couper une mèche de cheveux quand un proche mourait ou en signe de respect, et la longueur dépendait du lien. Là, c'était comme si le jeune homme avait perdu un parent très proche... ou un amant.
« Pourquoi tu as fait ça ?! explosa Kenryū. Tu te rends compte du temps que ça va mettre à repousser ? »
Les yeux émeraude de son fils, lourdement cernés de noir et rouges d'avoir pleuré, s'assombrirent davantage.
« Même si cela prend cent ans, ma peine n'aura toujours pas disparu, » répondit-il.
Son inclination à la poésie ressortait inconsciemment.
Kenryū secoua la tête, confus et perdu.
« Tu respectais le général Yama, certes, mais ce n'était pas une raison pour...
– Je ne le respectais pas, je l'aimais, » le coupa son fils.
Kenryū le fixa, à court de mots.
« Tu... quoi ?
– Je l'aimais, répéta Kikuchi avec l'aplomb de la jeunesse. C'est lui que j'aurais voulu servir. »
Les seigneurs du clan Inugami avaient pour particularité d'être extrêmement loyaux envers la personne à qui ils prêtaient allégeance. Kenryū avait autrefois fait un tel serment à Harutō et continuait à le respecter malgré la mort de ce dernier. Mais que Kikuchi dise cela au sujet d'un Vite, c'était... grotesque.
« Allons, tu ne sais pas ce que tu dis, chercha-t'il à relativiser. Tu es encore trop jeune pour...
– Vous aviez pourtant environ le même âge quand vous avez décider de vouer votre vie au prince Kodōtaro, Père. »
Pour le coup, Kenryū s'indigna de cette comparaison insultante pour son prince :
« Ce n'est pas pareil ! Kodōtaro était noble, digne de mon respect et surtout, ce n'é:tait pas un Vite ! Combien de temps restait-il à vivre au général Yama s'il n'était pas mort là ? Vingt, trente ans ?
– Vingt ans à son service valent mieux que cent ans sans lui, répliqua Kikuchi en fermant les yeux de douleur.
– Tu racontes n'importe quoi ! C'est à force de rester ici, ça ne te vaut rien. Tu vas rentrer avec moi et je ne veux plus rien entendre à ce sujet !
– Je veux rester ici ! objecta Kikuchi. Il a vécu dans ce palais, alors je me sens... plus proche de lui ici. C'est comme si sa présence imprégnait encore les lieux. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Kenryū sentit sa patience à bout. Kikuchi s'était toujours montré obéissant et respectueux. Comment avait-il pu changer en si peu de temps ?
« Tu n'as pas ton mot à dire, fit-il en prenant un air sévère. Rassemble tes affaires, nous partons tout de suite !
– Non !
– Mais enfin, Kikuchi, tu as perdu l'esprit ?! »
Le jeune homme baissa les yeux et fit tristement :
« J'ai perdu mon amour... et je n'ai même pas eu l'occasion de lui dire ce que je ressentais pour lui... »
Kenryū compatissait avec le chagrin évident de son fils mais en même temps, Yama n'avait été qu'un Vite, par les Dieux ! Comment Kikuchi avait-il pu s'enticher de lui en si peu de temps ?
« Reviens à la maison, je t'en prie, » le supplia-t'il d'un ton radouci.
Cela eut plus d'effet que les menaces. Kikuchi soupira, se ressuya les yeux et acquiesça sans un mot. Soulagé, Kenryū avait cru que l'histoire s'arrêterait là.
Mais Kikuchi resta triste tout le long du trajet, ne disant pas plus que quelques mots et uniquement quand on lui adressait la parole en premier. De retour dans leur domaine de Katoru, à quelques heures de la capitale, il s'enferma dans ses quartiers pour se morfondre. Même sa mère ne put le sortir de cette humeur sombre. Lorsque Kenryū tenta de nouveau de discuter avec lui, son fils ne le regarda pas, tourné vers les jardins et jouant avec une flûte entre ses mains
« Pose-moi ça, fit Kenryū d'un ton excédé. D'où ça sort, d'ailleurs ? Tu ne joues pas de flûte, que je sache.
– C'était la sienne, » souffla Kikuchi en serrant précieusement l'instrument contre lui.
Kenryū fit une drôle de tête en apprenant ça.
« Il t'a offert sa flûte ?
– Non, je... je l'ai prise avant de partir.
– Tu l'as volée ? » fit Kenryū d'un ton horrifié, n'en croyant pas ses oreilles.
Kikuchi se renfrogna mais ne nia pas.
« Je voulais un souvenir de lui ! se justifia-t'il.
– Mais le général Yama a un fils, non ? C'est à lui que doit revenir cette flûte.
– Ça va, Yatsu a plein d'autres souvenirs de son père ! Je peux bien garder celui-ci. »
Kenryū secoua la tête et se promit d'envoyer une missive à Mitsuhide pour lui expliquer la situation. Toutefois, si ce dernier exigeait la restitution de l'instrument, que ce soit pour Yatsu ou pour lui-même, Kenryū songea qu'il serait difficile de forcer son fils à s'en séparer de son propre gré.
« Tu as pris autre chose ? préféra-t'il demander.
– Juste... juste une de ses tenues, avoua honteusement son fils.
– Kikuchi ! fit son père d'un ton scandalisé.
– Je rembourserai la flûte et la tenue s'il le faut, mais je ne m'en séparerai pas ! »
Kenryū ne comprenait donc vraiment plus son garçon. Du coup, il n'était pas question de le laisser paraître à la Cour comme ça, que ce soit pour ses cheveux ou son attitude. Malgré tout, Kenryū aurait bien eu besoin de lui pour continuer à garder un œil sur le Premier Prince et observer de près les agissements du Second Prince.
D'ailleurs, quand il apprit la nouvelle à son fils, cela le tira un peu de sa mélancolie, mais pas bien longtemps.
« L'autre fils de l'Empereur était vivant depuis tout ce temps ? C'est bien un bâtard Hikari ? »
Kenryū ne corrigea pas l'appellation injurieuse. D'un, ils étaient dans leur propre domaine et non à la Cour, loin des oreilles indiscrètes, et de deux, lui aussi appelait le Second Prince ainsi en privé.
« Yama a donné sa vie pour nous débarrasser d'eux, poursuivit Kikuchi avec amertume. S'il savait que l'un de leurs bâtards se trouvait encore à la Cour, il serait furieux.
– Ce serait une façon d'honorer sa mémoire que de surveiller le bâtard Hikari, » insinua le général.
Hélas, le jeune homme secoua la tête.
« Si je vois cet Hikari, je ne pourrai pas me retenir de le tuer.
– Kikuchi, ce n'est encore qu'un enfant ! »
Malgré sa haine extrême envers les Hikari, Kenryū ne perdait pas de vue le fait que le Second Prince n'était encore qu'un enfant. Il était donc hors de question de lui faire le moindre mal. Par contre, s'ils avaient pu l'éloigner de la Cour, cela aurait été parfait.
« Cela n'a pas arrêté Yama, argua Kikuchi. Il savait que les Hikari étaient tous mauvais et que la chose à faire était de tous les tuer. »
Kenryū n'apprécia guère cette pensée.
« Yama était un Vite, ces gens-là ne pensent pas comme nous, » le sermonna-t'il.
Quand le Second Prince serait devenu majeur, il serait alors temps d'aviser.
Kaname accepta volontiers de rendre visite à Kikuchi lorsque son époux lui en transmit la demande.
« Le pauvre garçon, compatit-elle. Il s'était rapidement attaché à Yama.
– De quoi tu parles ? Kenryū a mentionné un chagrin d'amour, cela n'a rien à voir ! »
Mais Kaname avait compris la vérité puisqu'elle avait pu constater de ses propres yeux la façon dont Kikuchi suivait le Vite en permanence, recherchant son attention et son approbation. C'était typiquement le comportement d'un jeune homme amoureux.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
L'Impératrice se rendit donc dans le domaine de Katoru en carrosse, escortée par dix gardes impériaux et avec trois de ses servants. Dame Mikato, l'épouse de Kenryū, l'accueillit avec joie et elle confirma son intuition.
« Quelle drôle d'idée de tomber amoureux d'un Vite, soupira la noble dame en conduisant son invitée vers les quartiers du jeune homme. C'était voué à l'échec dans tous les cas ! Et puis, avec tout ce que j'ai entendu dire sur ce Yama...
– Ne vous fiez pas aux rumeurs, dame Mikato, conseilla gentiment Kaname. Yama était très différent, croyez-moi. »
La dame eut un air dubitatif.
Elles arrivèrent devant un petit pavillon.
« Nous y voilà, votre Majesté. Je suis navrée que vous soyez contrainte d'aller dans ses quartiers, ce n'est pas bienséant. Mais il se trouve qu'il refuse de les quitter.
– Cela ira, ne vous en faites pas. »
C'était déjà bon signe que Kikuchi accepte de la recevoir. D'après sa mère, il ne sortait plus de ses quartiers et ne voulait voir personne. Seul son père avait plusieurs fois forcé l'entrée pour discuter avec lui, sans parvenir à arranger la situation. C'était au point où Kikuchi refusait même de voir son petit frère et sa petite sœur, alors qu'il les adorait.
Un servant fit entrer l'Impératrice. Kikuchi se trouvait à sa table d'étude, écrivant un poème. Il leva les yeux à son arrivée et son visage s'anima un peu.
« Votre Majesté ! fit-il en se levant pour la saluer.
– Bonjour, Kikuchi. Comment vas-tu ? »
La tristesse s'empara de nouveau de lui.
« Comment voulez-vous que j'aille ? Il n'est plus... »
Elle prit un air peiné et acquiesça. Ils s'assirent à la table basse sans un mot, où du thé et des douceurs furent vite apportés par les servants. Kaname en profita pour examiner le jeune homme. Ses cheveux d'automne coupés courts faisaient davantage ressortir son visage pâle et amaigri. Ses yeux émeraude avaient perdu de leur éclat. Il n'était plus que l'ombre du jeune homme vif qu'elle connaissait.
« Sa mort est une perte terrible, commenta-t'elle.
– Vous... Vous pourriez me dire ce qui s'est passé ? demanda-t'il presque timidement. Il était censé être en route pour Myūjin avec les prêtres, puis j'apprends que vous vous retrouvez tous les deux à Kurojū, et il finit à Shirojū... Je n'y comprends plus rien ! »
Kaname comprenait sa confusion. Entre le mensonge de Mitsuhide pour retirer Yama des combats et les portails des Hikari, l'histoire était compliquée. Elle regretta de ne pas pouvoir simplement dire la vérité, mais Tegami avait raison sur un point : si cela venait à se savoir, Haruni ne pourrait jamais tourner la page sur ces horribles événements. Alors elle broda autour de l'histoire sans trop déformer les faits. Les portails des Hikari furent bien pratiques pour expliquer tous ces déplacements !
« Des portails ? s'étonna Kikuchi. C'est incroyable...
– Les Hikari gardaient de nombreux secrets, acquiesça-t'elle avant de prendre une gorgée de thé.
– Dont celui d'un second héritier impérial. »
Elle reposa la tasse et sourit.
« Ah, ton père t'a parlé de Haruni. »
Le nom rendait plus réel ce prince bâtard, mais pas plus appréciable. Kikuchi serra un poing sous la table.
« Vous croyez que cet enfant va poser problème plus tard ? demanda-t'il directement.
– Non, répondit aussitôt l'Impératrice. Il n'a pas été élevé par les Hikari et ils ont voulu le faire passer pour mort, rappelle-toi. Il est donc resté à Myūjin durant tout ce temps sous la protection des Dieux.
– Cela ne veut rien dire, s'obstina Kikuchi. Mais bon, peu importe ce garçon. Je me moque bien de ce qui peut arriver désormais. »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Kaname leva des yeux peinés sur lui.
« Kikuchi... c'est normal que tu aies de la peine mais la vie...
– De la peine ? Vous pensez que j'ai juste de la peine ? Est-ce qu'on vous a déjà arraché le cœur, Votre Majesté ? Parce que c'est exactement ce que je ressens.
– Kikuchi... »
Le jeune homme partit d'un rire ironique.
« Mon père estime que j'en fais trop pour un simple Vite, fit-il en imitant le ton dédaigneux de Kenryū. Mais il ne le connaissait pas vraiment, pas comme nous. Vous, vous savez à quel point il était exceptionnel, n'est-ce pas ?
– Oui, je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme lui, » approuva-t'elle.
En son for intérieur, elle songea sans pouvoir le dire :
« Et il est encore exceptionnel. »
Kikuchi lui sourit avec gratitude, bien que ses yeux émeraude se remplissaient de larmes.
« Il me manque à chaque instant, poursuivit-il en inspirant profondément. Si seulement j'étais un peu plus âgé, j'aurais pu... lui déclarer mes sentiments ou lui offrir ma loyauté... Non, les deux ! Mais je n'ai même pas pu lui dire au revoir avant qu'il ne quitte Madare. Je me sens si... frustré ! »
Kaname lui tapota gentiment la main, compatissant de tout son cœur. Kikuchi savait qu'il pouvait lui parler librement car elle avait également énormément d'estime et d'affection pour le général Yama. Alors elle au moins le comprenait.
« Le pire dans tout ça, ajouta-t'il, c'est d'entendre mon père répéter que c'est mieux que je n'ai pas prêté allégeance à Yama puisqu'il est mort. Et lui alors ? Son prince est bien mort quelques années seulement après qu'il se soit mis à son service ! »
Une ombre parcourut le visage de Kaname. La mort de Kodōtaro avait été un immense choc pour tout le monde à l'époque. Et maintenant qu'on y repensait, cela avait été également le prélude à toute une suite de tragédies qui s'étaient étalées sur des décennies. Avec un peu de chance, c'était fini pour de bon. La femme se reprit et tâcha de défendre un peu le général Kenryū :
« C'est justement parce qu'il a vécu la même chose qu'il veut t'éviter cette douleur. C'est une réaction normale pour un père. »
Kikuchi renifla, pas du tout convaincu.
« Cela ne change rien. Je ne servirai personne car plus jamais je ne rencontrerai quelqu'un comme Yama. »
Les larmes finirent par couler le long de ses joues. Kaname soupira. Elle souhaita qu'il fasse vite la connaissance de Haruni pour qu'il se rende compte que cette déclaration était fausse. Toutefois, lorsque Kikuchi revint enfin à la Cour un mois plus tard, Haruni était parti.
Commentaires :
Plafond a écrit le dimanche 25 septembre 2022 à 12:37
Hé ben... Il a fait tourner la tête à bien des personnes, notre Prince.
Quel plaisir de continuer à suivre cette histoire. J'ai toujours la même hâte d'en connaître la suite.
Merci de continuer à la partager !
Karura Oh a écrit le jeudi 29 septembre 2022 à 11:53
Le pire, c'est qu'il n'a même pas conscience de son charme ravageur ! Cela viendra peut-être un jour.
Merci à toi de suivre fidèlement cette histoire ! 😘