Chapitre Quatre : La fugue
Kurojū, fin de l'année 2240
Haruni était impatient de reprendre un sabre en main. L'inaction lui pesait et il se sentait assommé par les diverses leçons qu'il devait suivre. Il avançait très bien en lecture mais sa calligraphie restait médiocre — d'un autre côté, il ne faisait pas non plus d'efforts pour améliorer son écriture, du moment qu'il se comprenait. L'Histoire de l'Empire de l'Aube ne le passionnait pas vraiment et la poésie le laissait indifférent. Seule la musique lui plaisait : avec un peu de maladresse au départ à cause de ses mains plus petites, il s'était remis à la flûte et avait aussi commencé à apprendre à jouer du koto, un instrument à cordes qu'on posait par terre devant soi, et aussi du biwa, une sorte de mandoline. S'il était naturellement doué dans ce domaine, il avait du mal à suivre les cours des précepteurs car il préférait faire à son idée et que ce n'était pas toujours en accord avec les enseignements. Par conséquent, les progrès dans son éducation étaient erratiques, au grand dam de Kaname. Du coup, pratiquer une activité physique et quelque chose de vraiment utile le motivait davantage. Qui plus est, la tenue d'entraînement était bien plus légère et pratique que ses tenues habituelles.
En début d'après-midi, Haruni se présenta dans la cour jouxtant le Pavillon des Armes. Son frère était également là avec ses trois amis, car les classes étaient mélangées pour l'entraînement des armes. Il y avait aussi quelques jeunes nobles dont les pères avaient un poste à la Cour et qui avaient donc le privilège de suivre les leçons avec les plus prestigieux précepteurs. Cela servait également à ce que les princes ne soient pas isolés des jeunes de leur âge. Le maître d'armes fit son apparition et tous les élèves se mirent en rangs bien ordonnés. L'homme se nommait Midarō et sa famille servait à la Cour depuis des générations. Il approchait de l'âge vénérable, cent cinquante ans, mais restait en excellente condition physique. Ses cheveux châtains étaient mêlés de gris, tandis que ses yeux bleus vifs examinaient avec attention ses élèves. Il avait un visage sec et une apparence martiale. Son maintien trahissait un ancien militaire. Haruni se dit avec appréciation qu'il était un homme d'expérience et non un noble oisif.
Les élèves saluèrent tous ensemble le maître d'armes. Ce dernier donna ses instructions :
« Les niveaux 4, vous allez pratiquer les postures 8 à 14 par groupes de deux. Les niveaux 3, ce sera les postures 1 à 7. Niveau 2, vous allez enchaîner les mouvements de base, cent fois chacun. »
Les consignes furent données d'une voix autoritaire et précise. Les élèves s'éparpillèrent pour les suivre. Il ne resta plus que Haruni, le seul de niveau 1, le niveau grand débutant. Le maître d'armes l'observa d'un œil critique mais pas hostile.
« Un peu frêle, commenta-t'il. Il va falloir vous épaissir, votre Altesse.
– C'est le but recherché, maître Midarō, » approuva Haruni.
Ce dernier prit pourtant un air pincé.
« Le sabre n'est pas une banale activité physique. Si c'est cela que vous recherchez, allez plutôt courir vingt fois autour du palais ! Je suis là pour vous enseigner l'art du sabre. »
Sa façon de parler franche et directe plut tout de suite à Haruni.
« Sachez que j'ai enseigné à votre père et votre oncle, ainsi qu'à votre frère aîné. Je vous enseignerai également l'art subtil et délicat du sabre, votre Altesse. »
Haruni en savait déjà beaucoup mais ne pouvait pas le dire. Il s'inclina donc légèrement.
« Je m'en remets à vous, maître Midarō. »
Satisfait, le maître lui demanda alors d'aller chercher un sabre en bois sur le râtelier en bordure du terrain. Il lui montra ensuite le premier mouvement de base et lui demanda de se réaliser. En se retenant de rouler des yeux, Haruni s'exécuta et abattit son sabre verticalement devant lui en un mouvement sec.
« Bien, fit Midarō. Vous allez maintenant me faire ça cent fois de suite. »
Ce n'était guère palpitant, mais Haruni se rendait bien compte que ses bras maigrelets manquaient terriblement de force. Rien que de soulever ce petit sabre en bois lui demandait un certain effort. Alors il obéit sans discuter et se motiva en se disant que cela servirait à lui muscler les bras.
Kenryū et Kaname prenaient le thé dans un salon du palais. En temps normal, il aurait été malséant qu'une femme mariée soit seule avec un autre homme, mais la réputation du général Kenryū était si irréprochable, sans parler de la longue amitié entre les clans Kakurō et Inugami, que même les plus mauvaises langues n'y trouveraient rien à redire. Il aurait tout de même été inconvenant que l'Impératrice reçoive Kenryū dans ses appartements et il faisait bien trop froid pour aller dans les pavillons des jardins. Alors ils avaient opté pour un salon dans le palais. Pendant que les servants posaient sur la table le thé et les douceurs, Kenryū entama le sujet qui l'intéressait, à savoir la visite de Kaname à son fils la veille.
« Votre Majesté, fit-il en s'inclinant légèrement, je vous remercie infiniment d'avoir parlé à mon fils.
– Je vous en prie, général Kenryū, c'est tout à fait naturel.
– Que pensez-vous de l'état de Kikuchi ? » demanda-t'il, désireux d'avoir son avis éclairé.
Kaname pesa ses mots.
« Il est très affecté par la mort de Yama. Selon moi, il a besoin de temps pour faire son deuil. »
Le général eut un rire sans joie.
« À l'entendre, même mille ans ne suffiraient pas !
– C'est encore un tout jeune homme, voyons. Il est extrême dans ses émotions. Je suis sûre que vous étiez pareil au même âge. »
Le visage de Kenryū n'exprima que de l'impassibilité, comme s'il ne s'était jamais mis dans un tel état, même adolescent. En tout cas, rien ni personne ne pourrait le forcer le reconnaître.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Kaname masqua son rire et poursuivit sur un ton plus grave :
« Pour le moment, Kikuchi a simplement besoin d'exprimer sa douleur et ses regrets à une oreille compatissante, sans crainte de se faire juger. »
Kenryū tiqua, comprenant le sous-entendu.
« Malgré tout, vous pensez qu'il va s'en remettre ? »
C'était sa plus grande inquiétude après tout : il n'avait encore jamais vu son fils dans un tel état et pendant si longtemps. Il commençait donc à désespérer de le voir redevenir lui-même un jour.
« Oui, j'en suis certaine, le rassura Kaname. Les regrets seront toujours là mais la douleur va s'atténuer.
– Je vous remercie encore pour votre aide. Je sais que vous avez vos propres soucis avec le Second Prince. »
Elle le fixa d'un air surpris mais ravi :
« Mon époux s'est confié à vous ? Quel soulagement ! Cela veut dire que tout redevient peu à peu normal. »
Il acquiesça de tout cœur avec elle. Kaname partagea alors ses soucis à son tour :
« Haruni n'en fait qu'à sa tête dans tous les domaines. Cela dit, il a de qui tenir ! »
Le général eut un léger rire à cette réflexion et expliqua :
« Quand Tegami s'est plaint de l'entêtement de son fils, je me suis fait exactement la même remarque. »
Kaname rit à son tour.
« Pourtant, Chiharu a meilleur caractère. En tout cas, je garde espoir que Haruni s'adapte à la vie ici et se fasse une raison.
– Il a du mal à s'adapter ? releva Kenryū.
– Il n'aime pas toutes les contraintes de la Cour. C'est un esprit libre et je crains fort qu'il ne se sente en cage en ces lieux. »
Kenryū choisit alors soigneusement ses mots :
« Votre Majesté, sans vouloir vous offenser, j'aimerais connaître votre opinion sur un sujet qui m'inquiète beaucoup. Se peut-il que le Second Prince ait fait partie d'un plan des Hikari pour accéder au pouvoir ? »
Kaname se raidit, son beau visage prenant un air sévère et indigné. Cependant, elle ne rencontra qu'un regard ouvert et soucieux. Les inquiétudes de Kenryū étaient légitimes puisqu'il ne connaissait pas toute la vérité. Elle devait voir les choses de son point de vue. Haruni avait compris ça dès le début, lui.
« Réfléchissez un peu, général Kenryū, lui fit-elle d'un ton raisonnable. Si tel était le cas, pourquoi les Hikari auraient fait croire à sa mort ?
– Pour qu'il ne soit pas élevé au palais et qu'il ne s'attache pas à son frère. »
Kenryū avait bien réfléchi à la question, semblait-il.
« Sauf que Haruni a passé son existence au temple de Myūjin, pas à Shirojū, contra l'Impératrice. Les Hikari l'auraient élevé s'ils souhaitaient se servir de lui.
– Hum, cette histoire de maladie m'a toujours laissé perplexe, » reconnut Kenryū.
Kaname retint un soupir de lassitude. C'était toujours le même problème.
« Vous croyez que ce n'est pas vrai ? Pourtant...
– Oh non, la détrompa-t'il, je suis certain qu'il a bien été malade comme l'ont dit les prêtres. Par contre, je soupçonne cette maladie d'avoir été provoquée par les Hikari pour qu'on ne soupçonne pas le Second Prince de faire partie d'une sorte de plan secondaire. La preuve, n'a-t'il pas guéri à l'instant où les Hikari sont morts ? »
La conclusion de Kenryū se tenait et il avançait de bons arguments. Le problème était que la vérité était bien trop incroyable pour qu'il la devine.
« Général Kenryū, quelles étaient les ambitions des Hikari d'après vous ?
– Prendre le contrôle de l'Empire de l'Aube, bien sûr.
– Dans ce cas, vous conviendrez qu'un héritier à moitié de leur sang aurait été le meilleur moyen d'y parvenir, non ? »
Kenryū considéra la question, puis hocha la tête.
« Du coup, poursuivit Kaname, pourquoi auraient-ils traité Haruni comme un plan secondaire ? Cela aurait dû au contraire être leur plan principal ! »
Le général n'eut pas de réponse à cela.
« Je déteste les Hikari encore plus que vous, continua l'Impératrice. J'ai honte de le dire, mais je ne suis même secrètement réjouie quand j'ai appris la mort du fils de la concubine. Si je soupçonnais Haruni de représenter le moindre danger pour mon fils, je l'aurais moi-même chassé de Kurojū. Mais ce n'est qu'un enfant qui n'a aucun lien avec les Hikari. »
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Cela semblait difficile d'objecter après un tel discours passionné, pourtant Kenryū s'y risqua :
« Il est néanmoins de leur sang. Il a forcément des traits communs avec eux ! »
Bien entendu qu'il y en avait, ne serait-ce que le fait qu'il pouvait manipuler le feu. Mais cela était tenu strictement secret.
« Quels que soient les traits communs, biaisa Kaname, je suis sûre qu'il les mettra au service de l'Empire. »
Kenryū ne put que s'incliner devant ça.
– Que les Dieux vous entendent, votre Majesté. »
Sur ce point, Kaname n'avait pas le moindre doute.
L'hiver touchait à sa fin. La Cour s'était progressivement habituée à la présence de Haruni et les chuchotements s'étaient peu à peu atténués sur son passage. Par contre, Haruni n'appréciait toujours pas la vie en ces lieux, son statut d'enfant et pire que tout, l'obstination de l'Empereur à nier les faits qui l'embarrassaient. Tegami avait repris ses fonctions comme si de rien n'était et ses conseillers le suivaient dans cette voie. C'était absolument aberrant. Quant à la reconnaissance du rôle de Mitsuhide, il avait seulement eu droit à une missive impériale contenant les remerciements polis de Tegami ainsi qu'une récompense pécuniaire. Haruni n'avait pas hésité à manifester son mécontentement sur ce sujet mais l'Empereur resta borné, comme d'habitude. Leur relation était plus que tendue et, petite mesquinerie, Haruni ne l'avait pas une seule fois appelé 'Père'. Il estimait que Tegami ne méritait pas du tout ce rôle puisqu'il ne se comportait pas du tout comme un père.
Lors du thé un après-midi, alors que l'Empereur lui reprochait une fois de plus son attitude envers ses précepteurs, Haruni en eut assez :
« Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que je n'ai rien à faire ici ! Il serait temps de satisfaire vos conseillers et de m'exiler de Kurojū, vous ne croyez pas ? »
Heureusement que Chiharu n'était pas présent, car il n'aimait pas les querelles entre son père et son frère. Kaname était là, elle, et elle pâlit en prévision de ce qui allait suivre.
« Tu n'iras pas en exil, décréta Tegami en plissant ses yeux noirs. Où irais-tu d'ailleurs ?
– À Madare, ce serait parfait, » répondit le garçon.
L'Empereur lâcha un rire moqueur.
« Comme par hasard, tiens !
– Vos conseillers seraient rassurés de savoir que Mitsuhide me surveillera.
– La seule raison pour laquelle tu veux te rendre à Madare, c'est pour le revoir !
– Ce n'est pas la seule raison, il y a aussi mon fils là-bas. »
Sur le coup, Tegami changea de couleur.
« Ton... quoi ?
– Mon fils, Yatsu. Vous n'étiez pas au courant ? Ah, il faut que vous veniez rencontrer votre premier petit-fils alors, » railla Haruni.
L'Empereur parut sur le point de suffoquer, jusqu'à ce que Kaname vole à son secours :
« Yama a recueilli ce garçon tout bébé et l'a élevé comme son fils.
– Aaah, ce n'est donc pas son fils, » fit Tegami avec un long soupir de soulagement.
Haruni se renfrogna devant cette formulation.
« Même si Yatsu et moi ne sommes pas liés par le sang, j'ai été plus un père pour lui que vous pour moi !
– Haruni !
– Le sang ne fait pas tout ! »
Tegami but une gorgée de thé puis, d'un air calme, expliqua du ton de l'adulte supérieur à l'enfant, une chose que Haruni avait en horreur :
« Tu te trompes, Haruni. Les liens du sang sont plus forts que tout, que tu l'admettes ou non.
– N'oubliez pas que vous parlez à quelqu'un qui a tué sa mère. »
Tegami en lâcha sa tasse, choqué et bouleversé.
« Haruni !
– Quelqu'un qui a aussi massacré son clan maternel ! Alors ne venez pas me parler des liens du sang ! »
Il quitta le pavillon, ignorant les appels de son père. Tegami lança un regard désemparé à Kaname qui lui caressa le bras. En son for intérieur, la femme désespérait de les voir s'entendre un jour.
Cette énième dispute fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Haruni prit alors la décision de quitter Kurojū. Depuis ces derniers mois, il avait repris des forces et se sentait tout à fait capable de faire un voyage. Toutefois, il n'agit pas tout de suite et prit le temps de préparer son évasion — il se considérait comme prisonnier au palais, après tout. Il étudia les lieux et les horaires des gardes, ainsi que leurs itinéraires. Il mit également de côté des vêtements et de la nourriture sèche. Il parvint même à se procurer un sabre court — il ne se leurrait pas, c'était bel et bien du vol, mais il se jura de renvoyer le sabre au palais dès qu'il serait arrivé à destination.
Une fois les préparatifs achevés, il décida de la date de son départ : la nuit des célébrations de la Nouvelle Année qui avait lieu ici à la fin de l'hiver. Les gardes seraient plus relâchés ce soir-là, car beaucoup fêteraient également la fin de l'année. De plus, le palais se réveillerait plus tard le lendemain, ce qui laisserait plus de temps à Haruni avant qu'on ne remarque sa disparition. Il fut tout de même surpris de ne pas entendre les dieux s'opposer à son plan. Avaient-ils réellement rompu le lien avec lui, comme promis ? Ou bien se moquaient-ils de ce qu'il faisait à présent qu'ils étaient de nouveau en contact avec l'Empereur ? Ils avaient tellement eu besoin de lui au début mais là, il était devenu inutile à leurs yeux. Mais il s'en moquait bien : il leur en voulait toujours pour l'avoir forcé à intégrer ce corps, alors c'était tout aussi bien s'ils n'intervenaient plus dans sa vie.
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Le soir du Nouvel An, les festivités furent grandioses : festin somptueux, spectacles animés au palais, feux d'artifice — Haruni n'en avait jamais vus avant de vivre à Hanajū. Le lendemain serait tout aussi festif avec des spectacles dans les rues de la ville et de nombreux stands. Le banquet des enfants se termina plus tôt dans la soirée et pour une fois, cela ne dérangea pas Haruni d'être traité en accord avec son âge. Avec son frère, il salua le couple impérial.
« Faisons la paix, lui suggéra l'Empereur. Démarrons cette année en de meilleurs termes.
– Je suis d'accord, accepta le garçon. Je promets de faire des efforts dès demain pour que nos disputes cessent. »
Évidemment qu'ils n'allaient plus se disputer puisqu'ils ne vivraient plus sous le même toit ! L'Empereur prit cela comme un bon signe et pour la première fois, il serra son fils dans ses bras. Kaname et Chiharu observèrent la scène d'un air attendri. D'autres remarquèrent l'effusion et cela leur plut nettement moins de voir que le Second Prince se rapprochait de l'Empereur.
Haruni regagna ses quartiers avec un servant. Deux d'entre eux étaient restés pour le servir, tandis que les autres pouvaient profiter des festivités. Haruni les laissa lui retirer ses lourdes tuniques de cérémonie et défaire sa coiffure trop compliquée. Il ne garda qu'une légère tunique de nuit. Une fois qu'il fut prêt à se coucher, il fit à ses deux servants :
« Vous n'êtes pas obligés de rester ici. Je vais dormir, je n'aurai donc pas besoin de vous.
– Mais petit maître, protesta Hakka, l'un des servants, nous ne pouvons pas vous laisser seul ! »
Haruni roula des yeux.
« Que pourrait-il bien m'arriver ici ? Et puis, il y a des gardes qui font leurs rondes dans la cour. Alors allez vous amuser un peu, vous l'avez bien mérité. »
Voyant que les deux servants hésitaient encore, il leur sourit avec bienveillance :
« Allez au moins au banquet des servants et profitez de la bonne nourriture. Vous reviendrez dans une heure ou deux. »
La mention du banquet acheva de les convaincre. Ils s'assurèrent tout de même que leur petit maître avait tout ce qu'il fallait pour dormir, ainsi que de l'eau à disposition. Ils finirent par s'en aller. Haruni récupéra le sac de voyage qu'il avait préparé en douce et qu'il avait caché dans un grand placard qui contenait ses tenues d'été. Il le posa au pied du lit. Puis il s'allongea dans le lit et attendit dix bonnes minutes, au cas où ses servants reviendraient. Il attendit également la relève au plafond : le général Kafūze ne lui envoyait plus que ses meilleurs hommes, comme promis, et ils se montraient très discrets dans leur surveillance. Cependant, Haruni pouvait encore déceler leur présence s'il se concentrait. Ce fut ainsi qu'il choisit le moment propice de la relève des espions pour se lever rapidement et mettre des coussins sous les couvertures pour simuler sa présence. Sans perdre de temps, il prit son sac de voyage et sortit en vitesse par l'écran coulissant qui menait aux jardins. Il attendit derrière, concentré sur les ombres dans la pièce qu'il venait de quitter afin de voir si le nouvel espion avait remarqué son départ. Comme l'homme ne bougeait pas, Haruni en conclut que non et il poussa un soupir de soulagement.
Il traversa ensuite les jardins qui étaient déserts à cette heure de la nuit et il arriva à un arbre qui poussait près du mur d'enceinte. Il fit une pause pour enfiler sa tunique d'extérieur et sa cape avant de prendre froid. Il mit le sac en bandoulière sur son épaule et escalada l'arbre. Cette variété avait heureusement de nombreuses branches basses qui lui permirent de se hisser à hauteur du mur. Deux mois auparavant, il aurait été complètement incapable de grimper. De l'autre côté du mur s'étendait une allée où les gardes faisaient leur ronde. Mais comme il faisait nuit, ils se déplaçaient avec une lanterne donc ils étaient aisément repérables. Haruni aurait sérieusement eu plusieurs choses à redire sur la sécurité du palais mais en l'occurrence, cela l'arrangeait bien. Il sortit une corde de son sac et l'attacha solidement à une branche. Il s'en servit pour descendre le long du mur. Arrivé en bas, il se concentra et fit appel au feu pour brûler le nœud de la corde afin de la récupérer et de ne pas laisser de traces de son passage. Il maîtrisait un peu mieux son pouvoir car il s'était entraîné en secret — tout en ayant toujours un seau d'eau à proximité au cas où. Il manquait encore de précision et de puissance comparé à avant, mais brûler une corde ne lui posait aucun problème.
Haruni courut ensuite le long de l'allée. Il connaissait le plan du palais et de la cité par cœur, l'ayant trouvé dans la bibliothèque quelques semaines plus tôt. Et comme il avait une excellente mémoire, il visualisait son trajet sans souci. Il emprunta plusieurs portes dans les murs et traversa des jardins en évitant quelques couples qui cherchaient un endroit discret pour célébrer le Nouvel An à leur façon. Il se cacha dans des buissons pour éviter des patrouilles et finit par arriver à la porte est du palais. C'était le dernier obstacle avant la ville mais là, il y aurait tellement de monde que ce serait facile de se faufiler sans se faire repérer. Ici, la sécurité n'était pas relâchée et les patrouilles plus nombreuses. Il n'y avait qu'une grande porte à double battants pour sortir et ce ne serait pas simple de la franchir. Heureusement, Haruni avait tout prévu.
Il sortit plusieurs rouleaux de pétards de son sac. C'était le même principe que les feux d'artifice, mais en plus petits et moins dangereux. Il les jeta à plusieurs endroits éloignés de lui, puis en enflamma une partie avec son pouvoir. Les gardes à la porte réagirent aussitôt aux petites explosions.
« Qui va là ?! » firent-ils.
Une partie d'entre eux se dirigea vers l'origine du bruit, mais il en restait encore à la porte. Haruni dut reconnaître à contrecœur qu'ils étaient bien plus disciplinés qu'il ne l'avait pensé. Il enflamma d'autres pétards plus proches d'eux pour les faire réagir. Ils finirent par s'éloigner suffisamment de la porte pour qu'il puisse s'en approcher en longeant les murs. Haruni franchit alors la porte en courant, sa capuche rabattue et espérant se faufiler dans les ombres. Son cœur battait à tout rompre et il redoutait à tout moment entendre des cris derrière lui ou sentir une main saisir son col.
Rien de tout cela n'arriva et il franchit la porte sans se faire repérer. Une fois de l'autre côté, il ne continua pas à courir droit devant lui sur le chemin, mais se colla contre le mur extérieur sur le côté, attendant la réaction des gardes. Il les entendit revenir à la porte.
« Vous avez vu quelqu'un, vous ?
– Rien, capitaine. Y avait juste des pétards cramés, c'est tout.
– Ils ne se sont quand même pas déclenchés tous seuls !
– Vous croyez... que ce serait des esprits ? » fit une voix hésitante.
Des rires et moqueries s'élevèrent aussitôt :
« Arrête de croire à ces superstitions ! »
Deux gardes franchirent quand même la porte pour vérifier les alentours. Haruni se recroquevilla dans son coin, cherchant à se fondre avec les ombres, mais les gardes regardèrent juste en gros, guettant un mouvement plutôt qu'une présence. Ils finirent par retourner à l'intérieur.
Haruni relâcha son souffle. Il attendit encore un peu, puis franchit le pont qui surplombait les douves. Il put alors s'enfoncer dans la ville, le cœur palpitant. Il était libre ! Un sentiment de joie féroce l'envahit, bien plus intense que tout ce qu'il avait pu ressentir dans sa vie. Il pouvait aller où bon lui semblait, personne n'irait plus lui dicter sa conduite, il était redevenu maître de son existence. La sensation d'étouffement qu'il ressentait en permanence au palais disparut enfin, tout comme sa frustration.
« Et maintenant, se dit-il avec un sourire ravi, allons à Madare ! »
Il ne doutait pas que la route serait longue et compliquée, mais il avait confiance en ses capacités pour y arriver.
Conformément au plan de Haruni, sa disparition ne fut constatée qu'en début d'après-midi. Ses servants crurent d'abord qu'il dormait alors ils le laissèrent tranquille. Mais en fin de matinée, ils voulurent s'assurer qu'il allait bien et ce fut à ce moment qu'ils se rendirent compte du pot-aux-roses. La panique s'empara alors d'eux. Ils commencèrent par chercher dans les jardins, les pavillons, la bibliothèque, tous les endroits préférés du Second Prince, en vain. Ils durent se résoudre ensuite à dévoiler la terrible nouvelle, sachant qu'ils allaient en être tenus pour responsables et que si quoi que ce soit était arrivé au Second Prince, ils seraient exécutés sans merci. Le plus âgé d'entre eux, Doko, se rendit chez l'Empereur pour lui apprendre la nouvelle. Tegami s'alarma aussitôt et fit prévenir la garde pour qu'ils fouillent le palais et les environs.
Le Conseil restreint fut réuni dans l'heure, en dépit des festivités du Nouvel An. Les gardes venaient faire régulièrement leur rapport à Kenryū mais pour le moment, les recherches étaient infructueuses.
« Les appartements du Second Prince ainsi que les jardins attenants ont été soigneusement inspectés : aucune trace d'intrusion ou de lutte, les informa le général, la mine sombre.
– Et les servants alors ? s'indigna le seigneur Hatochi en s'éventant. Où étaient-ils cette nuit ?
– D'après eux, le Second Prince les a autorisés à profiter du banquet des servants pour une heure. Quand ils sont partis, il allait se coucher et tout allait bien.
– Qu'est-ce qui nous prouve que c'est la vérité ?
– Ne commençons pas à douter de la loyauté des servants, intervint le ministre Mekkoshi, sinon ce sera la fin ! »
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Un garde entra et après avoir salué l'empereur et le Conseil restreint, il tendit une missive à Kenryū. Le général la lut, ses yeux saphir se plissant. Tous les autres hommes présents avaient les yeux fixés sur lui.
« Hier, en début de soirée, il y a eu un incident à la porte est. Des pétards ont éclaté à plusieurs endroits près de la porte. Les gardes n'ont trouvé personne.
– Des pétards ? c'est normal pour le Nouvel An, relativisa Mekkoshi. C'étaient sûrement des servants ou des soldats qui s'amusaient. »
Toutefois, Kenryū resta soucieux.
« Sauf que c'est arrivé durant la période où le Second Prince a disparu. Ce serait une étrange coïncidence, non ?
– Ce qui est étrange, intervint l'érudit Netsuma, c'est qu'avec toute la surveillance du palais, quelqu'un ait pu enlever le Second Prince. C'est du jamais vu ! »
Kenryū serra les poings. Étant en charge de la sécurité du palais, il prenait ça comme un échec personnel.
« Réfléchissons un peu : qui pourrait vouloir enlever le Second Prince ? »
La question du seigneur Hatochi engendra un silence songeur. Tous pensaient, sans oser l'exprimer devant l'Empereur, qu'il pouvait s'agir d'un opposant aux Hikari qui refusait que leur bâtard soit à la Cour. Ils partageaient la même opinion, mais de là à s'en prendre à un enfant, protégé des Dieux qui plus est... Il n'y avait pas tant de candidats que ça. De son côté, Tegami se rongeait les sangs en silence. Le général de l'armée des Ombres l'avait informé Kenryū et lui que la disparition s'était forcément produite au moment où les Ombres s'étaient relevées car sinon, la surveillance du Second Prince était constante. Mais comment les ravisseurs avaient-ils pu déterminer le moment exact pour agir ? C'était un mystère. Sinon, Tegami avait été jusqu'à accomplir le Rituel d'Invocation, mais ses Ancêtres lui avaient seulement dit que le garçon était vivant et en bonne santé. Ils refusèrent de dévoiler l'endroit où il se trouvait, malgré l'insistance de l'Empereur. Pour finir, Tegami s'était fait un peu brusquement repousser du monde des esprits et il n'avait vraiment pas envie d'y retourner de si tôt.
« Les ravisseurs sont des gens qui soit lui veulent du mal, soit recherchent son soutien, fit Kenryū.
– Quel soutien ? » s'exprima enfin Tegami en levant des yeux sombres sur son général.
L'homme se raidit mais ne se déroba pas :
« En tant que dernier représentant du clan Hikari...
– Cela suffit ! le coupa l'Empereur, perdant son sang-froid déjà bien fragilisé.
– Votre Majesté, nous ne pouvons pas exclure cette possibilité, » insista calmement Kenryū.
La situation était sur le point de dégénérer lorsque l'Impératrice se fit annoncer, ce qui était contraire à l'usage. Sentant qu'il s'agissait de Haruni, Tegami l'autorisa à entrer. La femme aux cheveux roses avait la mine défaite. Les conseillers s'inclinèrent pour la saluer.
« Je viens de trouver ceci parmi les pages de calligraphie que Haruni a faites hier, » expliqua-t'elle.
Elle tendit une feuille à son époux qui se figea. Les conseillers tendirent le cou, essayant d'apercevoir ce qui était écrit. Les mains de l'Empereur se crispèrent subitement sur la feuille.
« Tu crois vraiment que... ? demanda-t'il à son épouse.
– Le connaissant, c'est très probable. »
Tremblant de rage, l'Empereur tendit le document à Kenryū qui fronça les sourcils. Il y était écrit d'une main maladroite : Merci pour votre hospitalité le temps de ma guérison. Haruni.
« Haruni a dû écrire ça à la fin du cours hier à mon insu, expliqua l'Impératrice. Il savait que je trierais les papiers aujourd'hui.
– Votre Majesté, demanda Kenryū avec incrédulité en faisant circuler la feuille, ne me dites pas que vous êtes sincèrement convaincue que le Second Prince serait parti de lui-même ? »
Kaname hocha la tête et les conseillers prirent des mines effarées. Tegami se renfrogna.
« C'est impensable ! s'écria Netsuma en examinant la feuille. Il s'agit forcément d'une fausse piste. Regardez-moi un peu cette écriture bâclée. Le Second Prince a dû écrire ça sous la contrainte, à n'en pas douter !
– Hum... non, c'est son écriture habituelle, » avoua Kaname avec gêne.
L'érudit en resta bouche bée. Les caractères étaient si mal tracés qu'ils étaient difficilement déchiffrables. Même un singe aurait été plus appliqué !
« Bon, tout de même, l'idée est tout bonnement grotesque ! reprit l'érudit qui ne voulais pas en démordre. Et où irait-il dans ce cas, hein ? Où ça ?
– Madare, » fit soudain Tegami entre ses dents.
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Il se tourna soudain vers Kenryū et, le regard furieux, ordonna :
« Cessez les recherches autour du palais, c'est inutile. Haruni est parti depuis hier soir, il doit être loin à présent. Vérifiez s'il ne manque pas un cheval aux écuries. Général Kenryū, prenez une troupe et suivez la route de Madare. C'est là qu'il se rend ! »
Le général aux cheveux d'automne prit un air stupéfait et il n'était pas le seul.
« Votre Majesté, vous êtes certain pour Madare ? Il n'a rien à faire là-bas pourtant ! Je pencherai plutôt vers l'ouest, pour Higawa... »
Tegami lui lança un regard noir.
« Que voudriez-vous qu'il aille faire à Higawa ?!
– C'est là que se trouve Shirojū... »
L'Empereur tapa du poing sur la table, excédé par les insinuations de son général.
« Mon fils se moque totalement du fief des Hikari ! Je vous ai ordonné de partir pour Madare, alors obéissez sur-le-champ ! »
Kenryū s'inclina et quitta la pièce. Énervé, l'Empereur congédia aussi les autres conseillers qui partirent avec des murmures spéculateurs.
Kaname s'approcha de son époux et saisit sa main qui tremblait.
« Tegami...
– Je n'en reviens pas qu'il ait osé faire ça !!! »
L'Impératrice soupira tristement.
« Il est jeune et impulsif. Il n'a sûrement pas réfléchi aux conséquences.
– Dis plutôt qu'il se moque des conséquences ! répliqua Tegami en lâchant un rire bref. S'il lui arrive malheur, je ne sais pas...
– Ne t'en fais pas, les Dieux t'ont dit qu'il allait bien, n'est-ce pas ? Haruni est plein de ressources, tu sais. »
L'Empereur se détourna brusquement et se leva de son trône. Toute colère le quitta pour ne laisser que l'inquiétude et la tristesse d'un père démuni face à son enfant rebelle.
« Tu te rends compte, il a pu partir comme ça, d'un coup. Cela veut dire que nous ne représentons rien pour lui alors ? »
Kaname n'eut aucune parole rassurante à lui offrir. Elle le prit dans ses bras par derrière, aussi anxieuse et désemparée que lui.
Deux mois et demi plus tard, Mitsuhide fut réveillé au milieu de la nuit par son servant Tsuga.
« Maître, un visiteur s'est présenté à l'entrée secrète.
– De quoi ? » s'écria aussitôt le seigneur, alerté.
Seul un nombre très limité de personnes connaissaient cette entrée secrète de Hanajū. Ayant un sentiment de déjà-vu, le cœur de Mitsuhide se mit à battre plus vite.
« Qui est-ce ? demanda-t'il tout en espérant et en craignant la réponse.
– Le Second Prince. »
Mitsuhide bondit alors de son lit.
« Amène-le ici ! »
Le servant prit un air confus car seuls la famille ou les amis proches pouvaient être invités dans les appartements, et le Second Prince n'était aucun des deux. Pourtant, il s'inclina et obéit. Pendant ce temps, Yūta, un autre servant, apporta une tunique simple à son maître qui l'enfila. Mitsuhide lui demanda aussi de préparer du thé et une solide collation.
Lorsque Tsuga revint avec le visiteur, Mitsuhide s'était composé une expression sereine mais ses pensées tourbillonnaient dans tous les sens. La porte coulissa et le servant annonça le Second Prince avant de le faire rentrer. Mitsuhide ne vit d'abord qu'une petit, très petite silhouette portant sa capuche baissée. Puis le garçon découvrit son visage et le fixa avec des sentiments mitigés.
« Mitsuhide, » le salua-t'il simplement.
La voix était plus aiguë mais c'étaient les mêmes intonations et la même impression. Mitsuhide l'observa sans un mot, des longs cheveux noirs très secs et sales au visage minuscule et tout pâle, sans parler des immenses yeux dorés. Cet enfant portait visiblement les traces de son long voyage mais c'était tout de même extraordinaire qu'il ait pu arriver jusqu'à Hanajū.
« Yama... commença Mitsuhide avant de se reprendre et de se prosterner : Votre Altesse, votre visite est un immense honneur pour mon humble demeure. »
Une expression d'agacement passa sur le visage enfantin, une expression très familière.
« Oh ça va, maugréa le garçon. On peut se passer de ses formalités quand même !
– Comme il siéra à son Altesse. »
Haruni allait répliquer quelque chose lorsque Mitsuhide se releva à moitié et le serra dans ses bras, un doux sourire aux lèvres.
« Toi, vraiment, tu n'es pas croyable ! » murmura-t'il.
Il finit par le lâcher et se redressa totalement. Haruni lui arrivait un peu en-dessous de la taille. C'est un des plus gros changements... non, en fait, il n'y avait que des gros changements ! Le fait de savoir et le fait de voir étaient deux choses totalement différentes.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Mitsuhide se détourna de sa contemplation pour toussoter.
« Tu dois avoir faim. Je t'ai fait préparer une collation, Ya... Haruni. »
Le garçon ne protesta pas et suivit son ami pour s'installer à la table basse où les servants, encore un peu médusés mais efficaces, avaient disposé les plats. La collation était en fait un bon repas bien complet. Haruni apprécia le riz chaud car il n'avait guère eu l'occasion d'en manger durant son voyage. Par contre, il se retint de bondir sur le plat de viande parce que ça, ça lui avait énormément manqué. Effectivement, il n'avait pas pris d'arc avec lui pour ne pas s'encombrer. Du coup, il n'avait pas pu chasser. Il avait compté à la base sur la pêche pour se nourrir mais... Avec effroi, il s'était rendu compte qu'il n'avait plus les mêmes réflexes et la même vitesse qu'avant. C'était donc très difficile pour lui d'attraper un poisson avec une pique. Quant à pêcher avec une canne à pêche, cela demandait du temps, ce dont il manquait puisqu'il était en cavale.
De ce fait, il s'était principalement nourri de fruits et de tubercules cueillis dans la forêt. Une fois, il était tombé sur un lapin attrapé dans un collet. La faim le tiraillait tellement qu'il avait dû se résoudre à voler l'animal. Cependant, il avait bien remis le collet en place, espérant qu'un autre lapin se fasse attraper pour compenser son vol. S'il avait eu de l'argent sur lui, il aurait laissé quelques pièces. Toutefois, ce vol avait été motivé par la faim et la survie, alors il s'était dit que ce n'était pas un péché trop grave et avait prié pour implorer le pardon. Pour résumer, le voyage avait été très rude mais l'essentiel était qu'il avait survécu jusqu'à sa destination.
Le bouillon de porc était bien trop épicé mais pour une fois, Haruni le mangea malgré tout, bien trop affamé pour faire le difficile. Mitsuhide se prit du thé en attendant, laissant son invité se restaurer.
« On dirait que ma venue ne te surprend pas, remarqua Haruni entre deux bouchées.
– Tu te doutes que la nouvelle de ta disparition a fait le tour de l'Empire. Ils voulaient garder ça secret au début mais comme ils ne te retrouvaient pas, ils ont fini par prévenir tout le monde. L'Empire tout entier est à ta recherche, comment as-tu fait pour passer inaperçu ?
– J'ai évité les villes, les grandes routes et les gens en général, répondit Haruni en haussant les épaules.
– Et pour te nourrir ? »
Haruni grimaça en se rappelant de ses mésaventures.
« J'avais pris quelques provisions au départ. Ensuite, j'ai fait avec ce que j'ai trouvé dans la nature. »
En voyant l'apparence émaciée du garçon et la manière dont il s'était jeté sur la nourriture, Mitsuhide comprit que cela n'avait pas été simple. Il ferma les yeux et soupira, se retenant de faire un long sermon. Haruni avait agi avec une totale inconscience et cela aurait pu très mal tourner.
« Tu n'as pas croisé le général Kenryū en chemin ? demanda-t'il. Il est parti d'ici il y a plusieurs semaines, furieux d'avoir fait le déplacement pour rien, selon ses propres termes.
– Si je l'avais croisé, je ne serais pas arrivé ici, répliqua Haruni d'un ton d'évidence. Mais il m'a semblé une fois entendre une troupe au loin pendant que j'avançais dans les bois. Ce devait être lui. »
Bien entendu, Kenryū avait fait ses recherches sur les routes. Jamais il n'aurait pensé que le Second Prince irait s'aventurer dans les bois !
Une fois le repas terminé, Mitsuhide insista pour qu'il se fasse examiner par le médecin du palais, qui avait été réveillé et dépêché pour l'occasion.
« Je vais bien, décréta Haruni.
– Ta parole ne suffit pas, contra Mitsuhide. Le corps d'un enfant est nettement plus fragile que celui d'un adulte et tu as toujours eu tendance à trop te pousser. »
Haruni roula des yeux.
« Je connais mes limites quand même.
– Faux, tu connaissais les limites de ton autre corps. C'est très différent pour celui-ci. Haruni, dis-toi que je suis responsable devant l'Empereur et les Dieux de ton état de santé ! »
Haruni finit par accepter, que ce soit pour éviter les ennuis à son ami ou pour ne plus se fatiguer à discuter.
Le médecin l'ausculta. Haruni avait eu son compte de médecins à Kurojū ces derniers mois, aussi subit-il l'examen sans broncher, habitué à tout cela. Le médecin prit d'abord son pouls, puis nota plusieurs bleus et écorchures qu'il désinfecta avant d'appliquer une crème cicatrisante et des bandages. Il fit claquer sa langue devant l'état de maigreur du garçon et le sermonna respectueusement :
« Vous devez bien plus vous nourrir et aussi bien vous reposer, votre Altesse. Un enfant n'est pas fait pour errer dans la nature ! »
Haruni le laissa dire.
« Vous avez des frissons, des vertiges ? continua le médecin.
– J'ai eu des vertiges, mais c'était sûrement dû à la faim. »
Cela lui valut un nouveau regard désapprobateur. Le médecin finit par déclarer que le Second Prince était dans un état d'épuisement extrême et qu'il devait impérativement se reposer et se nourrir avec des aliments tonifiants. Il lui fit une prescription à ce sujet avant de s'en aller.
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Haruni poussa un soupir.
« Les médecins sont vraiment tous les mêmes, » commenta-t'il.
Mitsuhide n'était guère de son avis.
« Tu es vraiment dans un sale état, fit-il franchement. C'est un miracle que tu aies réussi à venir jusqu'ici en un seul morceau ! Cet voyage était vraiment une idée insensée ! »
Loin de se vexer, le garçon secoua simplement la tête.
« Ce n'était pas si mal que ça... même si ça a été dur par moments. Mais au moins, ça m'a permis de m'habituer un peu à ce corps et de m'endurcir plus. J'ai réalisé que ce corps n'était pas aussi faible et inutile que ça.
– Tu n 'exagères pas un peu ?
– On devait me porter les premiers jours car j'étais incapable de marcher. Je n'exagère pas du tout. »
Pour quelqu'un d'aussi fier et indépendant que Haruni, cela avait dû être une torture. Mitsuhide commença à entrevoir peu à peu les tourments qu'avait dû endurer son ami et ce qui l'avait poussé à entreprendre ce long et périlleux voyage. Mais cela restait de l'inconscience.
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