Chapitre Cinq : De nouvelles résolutions
Hanajū, troisième mois de l'année 2441
Haruni but son thé et eut un sourire amusé et nostalgique en voyant une brioche au lotus sur l'assiette des douceurs. Il la prit mais trouva le goût sucré trop écœurant, malgré sa faim. De son côté, Mitsuhide se racla la gorge.
« Haruni, quelles sont tes intentions en venant ici ? »
Le temps était venu d'aborder le sujet important. Haruni joua avec la tasse entre ses mains.
« Voir Yatsu, répondit-il franchement, te voir. Vous faire savoir que je suis en vie, si on peut appeler ça comme ça ! Et surtout, m'échapper du palais.
– T'échapper ? releva le seigneur. Ils te traitent bien pourtant, non ? »
Haruni rétrécit à les yeux à ces souvenirs.
« Ils m'ont traité comme un enfant faible, ignorant et incapable. Tu n'imagines pas comme c'est frustrant ! »
Mitsuhide soupira. Il pouvait distinguer les deux points de vue, ce qui était plus difficile pour le garçon qui était directement impliqué dans cette situation.
« Écoute, c'est une situation inédite et extrêmement complexe. Je pense que ton père et l'Impératrice veulent faire au mieux et...
– Au mieux ? le coupa-t'il avec un bref rire sarcastique. Au mieux pour eux, c'est certain !
– Je t'en prie, fit Mitsuhide avec un nouveau soupir. Laisse-moi en tout cas envoyer un message pour informer l'Empereur que tu es ici, que tu vas bien et...
– Il n'a pas besoin de le savoir, décréta Haruni d'un ton dur.
– Haruni, c'est quand même ton père ! » s'indigna Mitsuhide.
Les yeux dorés lancèrent des éclairs.
« Il n'a rien d'un père ! Il se moque totalement de ce que j'ai vécu, il ne veut rien en savoir. Tu sais ce qu'il m'a dit ? Que je devais tout oublier, comme un mauvais rêve !
– Je suis sûr qu'il a dit ça dans l'idée de t'épargner des souffrances et...
– Des souffrances ? Les souffrances sont déjà arrivées ! Et je n'ai pas l'intention d'oublier qui je suis et de changer, tout ça pour correspondre à l'idée qu'il se fait d'un fils ! »
Mitsuhide savait que son ami était têtu et il reconnut là son esprit indomptable. Une partie de lui plaignit l'Empereur d'avoir affaire à lui, tandis qu'une autre déplorait la maladresse et le manque d'empathie de cet homme.
« Tu n'as pas à changer, c'est vrai, admit-il. Mais t'enfuir n'est pas une solution.
– Pourquoi pas ? Ma place n'est pas là-bas de toute façon.
– Où est-elle alors ? »
Haruni lui lança un regard éloquent. Mitsuhide se reprit :
« Si tu souhaites rester, tu es naturellement le bienvenu. Cela dit, je te demande d'y réfléchir encore.
– Réfléchir à quoi ? rétorqua le garçon.
– Tu as passé ta vie à courir d'un endroit à l'autre sans jamais te sentir vraiment à ta place. Même ici.
– C'est faux ! » réfuta-t'il aussitôt.
Le seigneur secoua la tête.
« Sois honnête avec toi-même, le sermonna-t'il. Tu étais heureux ici, je ne dis pas, mais est-ce que tu t'y voyais vraiment rester jusqu'à la fin de tes jours ?
– Oui.
– … En admettant que tu aies survécu aux Hikari et que tu sois resté Yama ? »
Cela plongea Haruni dans un silence buté.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Au bout d'un moment, il finit par marmonner à contrecœur :
« C'est quand même à moi de décider où j'ai envie d'être !
– Bien sûr, approuva aussitôt Mitsuhide. C'est un choix qui n'appartient qu'à toi seul et que tu dois prendre après mûres réflexions. »
Avant que le garçon ne puisse répliquer, Mitsuhide reprit avec un grand sourire :
« Dans tous les cas, rien ne peut se décider après un si long voyage. Repose-toi et nous en reparlerons demain, tu veux ? »
Haruni reconnut la sagesse de ses propos.
« J'aimerais voir Yatsu avant tout.
– Je comprends, mais il dort avec Tetsuō depuis... depuis...
– Ma mort, » compléta le garçon pour lui, voyant son trouble.
Cela faisait toujours aussi bizarre pour Mitsuhide.
Il poursuivit :
« D'ailleurs, j'aimerais que tu réfléchisses aussi à l'impact que cela aurait sur lui d'apprendre la vérité à ton sujet. Ce n'est qu'un enfant, ne vaudrait-il pas mieux le laisser faire son deuil ? »
Haruni serra les poings.
« Yatsu est plus solide que tu ne le crois et je pense qu'il aimerait savoir que son père est vivant, même sous cette forme.
– C'est toi qui vois. »
Haruni soupira, puis lui sourit soudain.
« Merci de me traiter normalement, Mitsuhide. Ça fait du bien. »
Mitsuhide avait déjà vu son ami sourire mais sous cette nouvelle apparence, cela faisait ressortir son côté mignon et adorable. L'homme toussota pour masquer sa gêne.
« Hum, Tsuga va te conduire à tes appartements. N'oublie de prendre un bain et de laver tes cheveux parce que... c'est un vrai désastre ! »
Le Second Prince leva les yeux au ciel. Ces cheveux étaient un fléau ! Il les avait gardés nattés pour le voyage, mais ils étaient quand même parvenus à s'emmêler. Et toutes ces semaines sans lavage n'avaient vraiment pas arrangé les choses, loin de là. Si Kaname le voyait dans cet état, elle tomberait droit dans les pommes !
« Et laisse-moi envoyer un message à la capitale, d'accord ? reprit Mitsuhide. De toute façon, ta présence ici sera connue demain. »
Haruni céda, au grand soulagement de son ami qui n'aurait donc pas à agir dans son dos.
Comme Yatsu se trouvait avec Tetsuō pour la nuit, Haruni fut conduit dans ses anciens appartements. Cela faisait bizarre d'y retourner dans un autre corps. Les lieux n'avaient pas changé, pourtant ils semblaient différents. Cela ne faisait que quelques mois cependant. Ce devait être sa perspective qui n'était plus la même. Il fut présenté à ses anciens servants sous sa nouvelle identité et ils s'occupèrent de lui sans plus poser de question. Il refusa l'aide de Chō pour laver son corps mais l'accepta volontiers pour ses cheveux.
« Et s'il faut couper un peu à cause des nœuds, ne te gêne pas, » assura-t'il.
Elle lui répondit par un regard horrifié, comme s'il avait suggéré qu'elle lui coupe un doigt. Avec beaucoup de temps, de patience et l'aide de l'autre servante Kara, la magnifique chevelure noire fut sauvée. Haruni dormait à moitié lorsqu'elles eurent fini. Il devait vraiment être fatigué car il ne protesta pas lorsque Shiju le porta pour le mettre au lit. À peine la tête posée sur l'oreiller moelleux, il s'endormit profondément.
Le
réveil fut assez difficile. Haruni aurait volontiers continué
à dormir plus longtemps, mais ce n'était pas dans ses
habitudes. En ouvrant les yeux et en se redressant, il examina les
environs. C'était étrange : malgré le fait
qu'il avait occupé ces appartements pendant presque deux ans,
il ne s'y sentait pas chez lui. Il connaissait pourtant les lieux, il
pouvait voir son bureau avec la carte de Hakurō accrochée
dessus, la table basse où il avait pris ses repas avec
Yatsu... pourtant il ne ressentait aucun attachement, aucune
nostalgie. C'était triste en un sens, car il avait
l'impression de ne jamais pouvoir s'attacher à un endroit,
comme si sa place n'était nulle part en ce monde.
Chō se prosterna dès qu'il sortit du lit.
« Votre Altesse, avez-vous bien dormi ? »
Il tiqua devant le titre. Pour la servante, il était uniquement le Second Prince et devait être traité en conséquence.
« Oui, merci, se força-t'il à répondre. Quelle heure est-il ? »
À travers les stores tirés, il pouvait voir la lumière du jour. Lui qui se réveillait d'ordinaire peu avant l'aube, il devait dormi longtemps.
« C'est le milieu de l'après-midi. »
Hum, il avait dormi très longtemps. Au moins, il se sentait reposé et avec les idées plus claires.
« Nous allons vous apporter votre repas. Le seigneur Mitsuhide a demandé à être prévenu dès votre réveil. »
Haruni donna son accord et l'un des servants alla porter le message, tandis que les autres allèrent en cuisine pour chercher les plats. Chō lui servit du thé le temps que le repas arrive. Haruni avait vraiment faim, comme cela ne lui était arrivé que rarement. Ce nouveau corps réclamait nettement plus de nourriture que le précédent, ce qui était pénible.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Kara se présenta soudain avec un air embêté :
« Votre Altesse, le Firal Yatsu demande l'autorisation de venir prendre quelques affaires. »
Le cœur de Haruni battit plus vite à l'idée de revoir son fils si tôt.
« Bien sûr, accepta-t'il sans réfléchir. C'est chez lui ici. »
Le panneau coulissa s'ouvrit et le garçon entra, suivi de son servant Ritsu. Haruni l'observa avec émotion. Yatsu semblait avoir un peu grandi — ou peut-être était-ce encore dû au fait que lui-même avait rapetissé. Il avait l'air d'aller bien mais son visage était triste. Il s'inclina très respectueusement devant Haruni.
« Votre Altesse, je suis le Firal Yatsu. C'est un honneur d'être en votre présence. »
La formule de politesse fut prononcée sans hésitation et Haruni fut fier de lui.
« Firal Yatsu, c'est moi qui te remercie de m'accueillir dans tes appartements. »
Si Yatsu fut surpris par l'emploi du registre amical informel, il n'en montra rien. La noblesse faisait ses propres règles en la matière.
« Je vous en prie, ce n'est rien. De toute façon, je n'y suis plus depuis que... j'ai perdu mon père. »
Haruni sentit sa gorge se serrer et les paroles de Mitsuhide lui revinrent à l'esprit : qu'est-ce qui était le mieux pour Yatsu ? Qu'est-ce qui serait le moins douloureux pour lui ?
« Toutes mes condoléances, » offrit-il, incapable de se décider pour le moment.
Yatsu le remercia. Ritsu prit les affaires dont il avait besoin, puis les deux repartirent. En le voyant de dos, Haruni constata que ses cheveux châtain, qui avaient mis tant de temps à pousser, étaient de nouveau coupés courts et relevés en un petit chignon. C'était presque comme à son arrivée à Hanajū.
« Qu'est-il arrivé à ses cheveux ? demanda-t'il à voix haute sans s'en rendre compte.
– C'est la coutume lorsque l'on perd un proche, votre Altesse, expliqua obligeamment Chō. On brûle une mèche de cheveu pour accompagner le défunt dans le monde des esprits. La longueur coupée dépend du lien.
– Oh... »
Mitsuhide avait gardé ses cheveux longs car il savait que Haruni était en vie. Voilà pourquoi la veille au soir, Haruni n'avait pas remarqué ce détail. Au contraire, Yatsu portait le deuil de son père. Pour lui, la mort de Yama était bien réelle.
Le repas arriva mais Haruni se sentit moins d'appétit tout à coup. Pourtant quand il commença à se forcer à manger, l'appétit lui revint vite. Après tout, il sortait d'un très long voyage de trois mois qui aurait déjà été éprouvant pour un homme adulte, alors ne parlons pas d'un enfant fragile ! La nourriture passa très bien et il vida tous les bols, sous les regards amusés des servants. Après ça, comme son ancienne tunique portait les marques de son périple, les servants en apportèrent une autre qui appartenait à Tetsuō. Elle était verte brodée d'argent et naturellement un peu trop grande pour lui. Il retint un léger rire : sa première tenue à Kurojū avait été trop petite, et celle-ci était trop grande. Pour la coiffure, il dut insister pour que Chō et Kara lui fassent quelque chose de simple mais pour elles, la simplicité était déjà très complexe ! Il se retrouva avec le tiers supérieur des cheveux en chignon orné d'une épingle à cheveux dorée, le tiers du milieu en tresses et le tiers inférieur tombant librement dans son dos. Comme il ne voulait pas passer des heures à se battre pour une coiffure, il toléra ce style.
Mitsuhide se présenta peu de temps après. Les servant s'inclinèrent devant lui tandis qu'il prit place en face de Haruni. Chō lui servit aussitôt du thé.
« Tu as meilleure mine, » constata-t'il.
Si les servants s'effarèrent devant son ton amical, ils n'en montrèrent rien. Haruni acquiesça.
« J'avais bien besoin de repos et d'un repas chaud, reconnut-il.
– Tant mieux. Au fait, j'ai envoyé un messager-oiseau à Kurojū dès l'aube. Le temps qu'il arrive et que nous recevions une réponse, tu vas pouvoir réfléchir à ce que tu vas faire. »
Haruni soupira.
« Yatsu est passé tout à l'heure. »
Mitsuhide se tendit, attendant la suite.
« À cause de ce que tu m'as dit, je ne lui ai rien dit... pour l'instant. »
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Le seigneur relâcha son souffle.
« Il ne faut pas agir dans la précipitation. Qui sait comment il réagirait à la nouvelle ?
– Il doit savoir, décréta Haruni, c'est sûr. Par contre, il faut que je lui annonce la nouvelle en douceur.
– Mmm. Si tu lui apprends la vérité, Tetsuō devra aussi en être informé, ainsi que Teshime. »
Haruni lui lança un regard interrogateur, alors il s'expliqua :
« Yatsu et Tetsuō n'ont aucun secret l'un pour l'autre, ce serait dommage de commencer. Et du coup, il serait injuste que mon épouse soit la seule à ne pas être au courant.
– Tu as raison, c'est normal. »
Mitsuhide s'était attendu à plus de résistance, alors il en fut très surpris.
« Se serait-il assagi ? » se demanda-t'il.
Il connaissait bien son ami alors même si ce dernier avait un autre corps, son esprit pouvait toujours se montrer très obstiné.
« Dis-moi comment ça se passe ici depuis la fin de la guerre, » demanda soudain Haruni pour changer de sujet.
Les nouvelles étaient bonnes. Grâce à l'argent envoyé par l'Empereur, ils avaient pu acheter du grain aux régions voisines et ainsi affronter l'hiver sereinement. Concernant les Ours — les soldats de Yama — il était hors de question de séparer ceux qui avaient choisi de rester dans le corps militaire. Les trois commandants, Parto, Kitano et Tsumi, cogéraient la caserne et assistaient à tour de rôle aux conseils. À terme, il faudrait tout de même nommer l'un d'eux général, mais Mitsuhide ne parvenait pas à choisir lequel.
« Je n'y arriverais pas plus que toi, confia Haruni. Ils seraient tous les trois parfaits dans ce rôle. Laisse-les décider eux-mêmes, quitte à régler ça par un duel. »
Mitsuhide sourit, reconnaissant bien là la façon expéditive de faire de son ami.
« Et comment va Teshime ? »
La veille de leur séparation, Mitsuhide lui avait appris sa grossesse.
« Elle va bien. Je n'arrête pas de lui rappeler de se ménager. Pour l'instant, personne d'autre n'est au courant, pas même les garçons. »
La dame ayant fait des fausses couches par le passé, ils préféraient éviter que leur fils unique connaisse un nouveau chagrin.
« Quelles sont les dernières nouvelles de la capitale ? s'enquit Mitsuhide à son tour avec un sourire.
– Il y a un prince bâtard, » répliqua Haruni du tac-au-tac.
Le sourire de l'homme retomba.
« Haruni, ne parle pas de toi comme ça !
– Comment tu crois qu'ils m'appellent là-bas ? Personne n'est ravi qu'il reste un Hikari à la Cour. Le Conseil a même suggéré à l'Empereur de m'envoyer en exil. »
Cela indigna Mitsuhide pour bien des raisons :
« Incroyable. Ils ont laissé les Hikari arriver au pouvoir sans lever le petit doigt et là, ils réagissent enfin ?!
– Au moins ils ont appris de leurs erreurs, relativisa le garçon. Il y en a un qui ferait bien de prendre exemple sur eux. »
Au regard interrogation de son ami, il précisa :
« L'Empereur.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Parce qu'il fait comme si rien ne s'était passé et personne ne le contredit.
– Sauf toi, j'imagine. »
Mitsuhide commençait à comprendre pourquoi le garçon avait une si piètre opinion de son père. Haruni était du genre à assumer ses erreurs, même les plus terribles, et à affronter la vérité.
Il secoua la tête en soupirant.
« Tu as raison de ne pas le laisser se complaire dans le déni, mais essaie d'agir un peu plus en douceur, tu veux ? Tu peux te montrer parfois... trop brusque dans tes propos.
– Trop brusque ? Et comment tu veux que je me montre patient avec ce type ?!
– Haruni, un peu de respect pour ton père, voyons !
– Ne te fatigue pas à le défendre ! Tiens, d'ailleurs, tu sais pourquoi tu n'as pas eu droit à une grande cérémonie de reconnaissance à Kurojū ? »
Mitsuhide retint un soupir.
« Je ne cherche pas la reconnaissance, tu le sais.
– Tu la mérites pourtant. Hé bien, figure-toi que l'Empereur s'est mis en tête que nous étions amants, c'est pour ça qu'il ne veut pas te voir à la Cour. »
Un servant devait se montrer discret en toutes circonstances mais là, c'était humainement impossible. Tous les servants présents retinrent des exclamations de stupeur devant cette accusation calomnieuse et inexplicable.
« … Et j'ai eu beau lui dire que non, il n'en démord pas, » acheva Haruni avec un air mauvais.
Étrangement, Mitsuhide ne partagea pas son outrage. Son visage prit un air las tandis qu'un petit rire s'échappa étrangement de ses lèvres.
« Ah, il s'est fié aux rumeurs, fit-il simplement.
– Quel genre d'Empereur prend des décisions en fonction des rumeurs ? Et qui refuse de se corriger même quand il tort ?!
– Tu es déçu par lui, n'est-ce pas ? » demanda Mitsuhide avec sagacité.
Ce commentaire prit le garçon au dépourvu.
« Tu... Ce n'est pas comme si j'attendais quoi que ce soit de lui ! » répliqua-t'il en tournant la tête sur le côté.
Haruni ne disait jamais de mensonge, sauf quand il se mentait aussi à lui-même.
« Et le Premier Prince ? reprit Mitsuhide. Que penses-tu de lui ?
– C'est encore un enfant, » fit négligemment Haruni.
Chiharu avait onze ans de plus que lui, mais Mitsuhide ne le reprit pas. Il était vrai qu'en terme d'expérience, Haruni le surpassait. Cela dit, cela dépendait des domaines.
« Mais il a bon cœur, nuança Haruni, et Kaname s'est bien occupée de son éducation.
– Tu penses qu'il fera un bon Empereur ?
– Mmm, il doit encore gagner en expérience et en maturité mais oui, je sais qu'il fera de son mieux.
– Il va avoir besoin de conseils et de soutien, » insinua le seigneur avec un sourire entendu.
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Haruni plissa ses yeux dorés dans sa direction.
« Qu'est-ce que tu essaies de me dire ?
– Oh, rien. Je veux seulement te faire prendre conscience de certaines possibilités. »
Devant le sourire innocent de son ami, le Second Prince soupira.
« Tu cherches encore à me convaincre de retourner là-bas.
– Je te fais voir les choses autrement. En tant que Second Prince, tu as des responsabilités...
– Que je n'ai jamais demandées !
– Tu crois que ton frère les a demandées ? Et lui doit devenir Empereur ! Quant à moi, ai-je demandé à régner sur Madare ? C'est notre naissance qui nous a imposé ces responsabilités. Chercher à les éviter et s'enfuir, c'est... »
Haruni attendit la fin de sa phrase, le visage fermé.
« C'est irresponsable et puéril.
– Tu ne crois pas que j'en ai déjà assez fait pour cet Empire ?! »
Le regard gris de Mitsuhide se teinta de chagrin.
« C'est exact, tu as fait tellement. Tu mérites de vivre en paix pour le restant de tes jours.
– Enfin un qui le reconnaît !
– Et je pense qu'à leur manière, l'Empereur et l'Impératrice veulent t'offrir cette paix en te laissant vivre une enfance joyeuse auprès de ta famille.
– Yatsu est ma famille !
– Bien sûr, mais tu n'as pas envie de connaître ta famille de sang ? »
À cette mention, Haruni prit un air renfrogné.
« J'en ai déjà vu suffisamment, merci !
– Même s'ils ne sont pas parfaits...
– Ce n'est pas ça le problème !
– … ne méritent-ils pas une autre chance ? »
Haruni lâcha un soupir excédé. Mitsuhide l'avait toujours mieux compris que les autres et il savait comment lui faire voir les choses d'un point de vue différent et tout aussi valable. Et il n'avait pas tort : Haruni ne s'était guère montré tendre dans son jugement sur son père et sa vie au palais. Furieux et frustré de ne pas être mort comme prévu, comme il l'avait espéré, il avait reporté cette colère sur les gens autour de lui et avait rejeté en bloc sa nouvelle existence. Est-ce que l'Empereur s'était montré maladroit dans ses paroles ? Oui, à n'en pas douter. Était-ce une raison pour lui en vouloir à ce point ? Non, pas du tout. Et la pauvre Kaname qui l'avait veillé sans relâche pendant des semaines. Elle n'avait eu droit en remerciement qu'à des querelles incessantes. Et avec Chiharu, si heureux d'avoir un petit frère, Haruni s'était montré froid et distant. À bien y réfléchir, il avait honte de son comportement. Il s'était vraiment montré... puéril.
Il lâcha soudain un rire bref.
« Mitsuhide, fit-il affectueusement, il n'y a vraiment que toi qui sois capable de me montrer mes erreurs.
– Tu l'as fait pour moi aussi, » répondit le seigneur avec un sourire nostalgique.
Le garçon soupira.
« Bon, il va falloir que j'y retourne, pas vrai ? fit-il d'un ton fataliste.
– Je pense sincèrement que c'est à Kurojū que tu dois être. Ton histoire n'est pas encore achevée et il te reste tant de choses à accomplir !
– C'est épuisant, » avoua Haruni d'un ton las.
La gorge de Mitsuhide se serra.
« Tu n'as pas à faire ça seul, conseilla-t'il. Il y a plein de jeunes gens prometteurs à la Cour ou ailleurs. Tu sauras bien t'entourer et exploiter le potentiel de ces gens pour les pousser vers le meilleur d'eux-mêmes. Et ensemble, vous améliorerez notre Empire.
– Mmm. »
Ce n'était pourtant pas à la Cour qu'il risquait de se faire des amis ! Dans tous les cas, il savait qu'il pouvait toujours compter sur Mitsuhide. C'était déjà ça.
« Retourner dans cet horrible endroit, songea-t'il avec réticence. Je pense qu'il va falloir que j'impose mes conditions ou sinon, je ne tiendrai pas longtemps ! »
Il était venu à Madare justement pour échapper à sa vie imposée et à ce palais étouffant, mais voilà qu'il avait pris la décision d'y retourner. La vie réservait bien des surprises.
S'il y avait un point sur lequel Haruni restait déterminé, c'était au sujet de Yatsu. Il voulait lui apprendre la vérité, même si cela serait difficile et douloureux pour le garçon. Mitsuhide s'assura que Haruni avait bien réfléchi à la question avant de céder. L'annonce allait se faire pendant le thé de l'après-midi, le second jour de l'arrivée de Haruni. En effet, il s'était levé très tard la veille et en début de soirée, il avait eu de nouveau sommeil. C'était normal qu'il récupère de son voyage éprouvant. Mitsuhide avait annoncé sa présence dans le palais mais il n'y avait pas encore eu de réception officielle et de banquet car son Altesse n'était pas en visite officielle et devait se reposer. Haruni n'avait pas apprécié d'être dans un tel état de fatigue après “à peine trois mois de voyage”, mais son corps ne lui laissa pas le choix et fit valoir ses droits au sommeil. Cela dit, après une seconde longue nuit de repos, Haruni se sentait bien mieux.
Le thé eut lieu au pavillon bleu, là où la famille seigneuriale avait l'habitude de se réunir. Haruni se présenta, escorté d'un servant. Mitsuhide et Teshime étaient déjà présents, mais pas les garçons. Teshime salua le Second Prince très respectueusement. Si elle s'interrogeait sur sa présence et s'en étonnait, elle ne demanda rien, se fiant entièrement à son époux. Elle eut pourtant un regard perplexe en voyant Mitsuhide et Haruni interagir de manière naturelle et familière et un léger trouble l'envahit. Sinon, sa grossesse n'était pas encore visible sous ses épaisses couches de vêtements.
« Nous avons eu l'honneur de recevoir l'Impératrice il y a quelques mois et c'est maintenant le Second Prince qui nous honore de sa visite. Nous sommes vraiment chanceux, fit-elle avec un sourire gracieux.
– La chance n'a rien à voir dans tout ça, dame Teshime, » répondit Haruni.
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Avant qu'elle ne puisse poursuivre la conversation, les garçons arrivèrent ensemble. Cela rappela à Haruni que depuis le tout premier jour à Hanajū, Tetsuō s'était tout de suite occupé de Yatsu. Haruni lui était reconnaissant de soutenir son fils durant ces moments difficiles. Il était bien content que ces deux-là se soient rencontrés, soient devenus amis et puissent rester ensemble.
« J'ai eu tort de vouloir faire partir Yatsu à l'époque, se dit-il. Sa place est ici, à n'en pas douter. »
Il avait plus de doutes sur sa propre place à Kurojū, cela dit.
« Votre Altesse, » le saluèrent les deux garçons, un peu intimidés.
Haruni leur sourit chaleureusement pour les mettre à l'aise, mais cela n'eut guère d'effet.
Pendant que les servants s'occupaient du thé, Haruni lança un regard significatif à Mitsuhide. Ce dernier se racla la gorge et prit la parole :
« J'ai une nouvelle assez stupéfiante à vous annoncer. Mais d'abord, vous devez tous jurer de n'en parler à personne d'autre. »
Intrigué, Tetsuō s'enquit :
« C'est si important que ça, Père ?
– Extrêmement important. C'est un secret des plus graves, » fit-il en hochant la tête.
Avec perplexité, les trois autres acceptèrent de garder ce secret. Satisfait, le seigneur se lança :
« Haruni est en fait Yama. »
Un grand silence suivit cette déclaration. Les regards se portèrent tour à tour sur le Second Prince, puis sur Mitsuhide. Yatsu avait pâli et la douleur se lisait sur son visage. Tetsuō, lui, observait plus attentivement son père, à l'affût de quelque chose. Teshime en resta bouche bée et fit tomber sa tasse. Une servante se précipita pour éponger le thé sur la table, mais personne n'y prêta attention.
Haruni inspira et prit la suite :
« Je sais que ça parait incroyable, et c'est une très longue histoire. Mais c'est la stricte vérité.
– Ce n'est pas possible ! réagit enfin Yatsu. Papa est m-mort ! »
Haruni le fixa tristement.
« C'est mon corps qui est mort. Mon âme... a intégré ce corps. Réintégré, » se corrigea-t-il.
Il devait s'y faire, c'était son corps dorénavant. Cela l'avait toujours été.
« C'est faux ! Je n'y crois pas ! » s'écria soudain Yatsu en se levant, les larmes aux yeux.
Il s'éloigna en courant. Haruni fit mine de se lever à son tour, mais Mitsuhide le retint à l'épaule.
« Laisse-lui du temps pour accepter la nouvelle.
– Mais je... »
Mitsuhide comprenait les sentiments de son ami, mais cela aurait été une mauvaise idée d'insister auprès de Yatsu.
« Rappelle-toi de ma réaction quand tu me l'as dit.
– Tu crois que j'ai réagi comment, moi ?! »
Mitsuhide soupira.
« Je t'avais dit que c'était une mauvaise idée de tout lui dévoiler.
– Je refuse de laisser mon fils dans l'ignorance et de lui mentir à chaque fois que je le verrai ! déclara Haruni d'un ton outré.
– Haruni... »
Tetsuō se leva soudain et annonça :
« Je vais parler à Yatsu.
– Merci Tetsuō, » fit Haruni avec un regard de gratitude.
Le garçon le fixa d'un air scrutateur encore un moment, puis s'inclina et quitta la table.
Yatsu était assis sur une pierre au bord d'un bassin où nageaient des carpes de toutes les couleurs. Les épaules affaissées, il était en train de pleurer. Sans un mot, Tetsuō le prit dans ses bras pour le consoler.
« C'est n'importe quoi cette histoire, pleurnicha le garçon.
– Je n'en suis pas si sûr, Yatsu. »
Tetsuō croisa des yeux violets outrés. Il lui sourit pour l'apaiser.
« Mon père y croit vraiment, en tout cas. Et cela expliquerait certaines choses.
– Quelles choses ?
– Mmm, je me suis toujours posé des questions sur sa réaction face au décès d'oncle Yama. Il s'est à peine coupé une mèche, n'a pas pleuré et s'est comporté normalement après. Je me serais attendu à ce qu'il s'effondre, mais non. S'il savait que ton père était toujours en vie, je comprends mieux.
– Mais c'est un petit garçon ! En plus, il a les yeux dorés comme les méchants que nos pères ont combattus !
– Je ne dis pas que j'ai tout compris, nuança l'autre garçon, mais... j'y crois, comme mon père. »
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Yatsu prit un air mortifié et ne dit plus un mot, se mâchouillant les lèvres un moment.
« Tu pourrais lui poser des questions auxquelles seul ton père aurait la réponse, suggéra Tetsuō. Ce serait un bon moyen de le tester. »
Toutefois, son ami n'avait pas l'air très enthousiaste.
« Yatsu ?
– Je… je voudrais que Papa soit en vie mais j'ai... j'ai peur. »
Tetsuō comprit son tourment : si Yatsu se mettait à espérer mais se rendait ensuite compte que c'était faux, ce serait mille fois plus douloureux.
« Personne ne peut t'obliger à y croire, fit-il en lui prenant la main. Mais quoi qu'il arrive, je resterai à tes côtés. Toujours. »
Yatsu acquiesça sans un mot et pressa la main de son ami.
Haruni avait conservé un silence triste et résigné depuis le départ brusque de Yatsu. Mitsuhide tenta de le rassurer, en vain. Il se tourna ensuite vers la seule personne qui ne s'était pas manifestée depuis la révélation : Teshime.
« Qu'en penses-tu ? » lui demanda-t'il avec sollicitude.
Les yeux verts de son épouse se posèrent sur lui, effarés mais intrigués.
« Tu le savais depuis longtemps ? s'enquit-elle.
– Yama... Haruni me l'a dit la veille de mon départ au front.
– C'est pour ça que tu l'avais fait arrêter ? » comprit-elle alors.
Il acquiesça en baissant les yeux, se rappelant de ce dur moment. Elle porta une main à sa bouche, réalisant bien des choses à présent.
« Oh, Mitsuhide, fit-elle en posant son autre main sur le bras de son époux. Je suis désolée pour toi. »
Il déglutit, mais ne dit rien.
Haruni sortit de son mutisme et s'inclina légèrement devant Teshime.
« Pardon de vous causer encore des soucis, dame Teshime, surtout dans votre état. »
Elle rougit un peu.
« Oh, Mitsuhide vous l'a dit ?
– Peu avant son départ. »
Pour Teshime, c'était bien là une preuve supplémentaire de la véracité de cette histoire incroyable. Jamais Mitsuhide ne se serait confié sur un sujet aussi important à un autre que Yama.
« C'est réellement une histoire incroyable, votre Altesse, fit-elle au garçon. J'imagine que cela doit être encore plus difficile pour vous. »
Haruni inclina la tête, touché par sa compassion.
« Je n'ai pas d'autre choix que de m'y faire, répondit-il avec un peu d'amertume. Je me fais plus de souci pour Yatsu actuellement. »
Les garçons revinrent sur ce. Haruni eut un pincement au cœur en constatant qu son fils avait pleuré.
« J'aurais peut-être dû écouter Mitsuhide, songea-t'il avec culpabilité. Mais c'est trop tard pour revenir en arrière. »
Yatsu s'arrêta en le voyant et son regard, même s'il n'était pas hostile, convoyait une certaine circonspection. Il cherchait son père en lui, la moindre ressemblance. Haruni prit un air tristement résigné : physiquement parlant, il n'y avait rien de commun entre 'Yama' et lui.
« Yatsu, commença Mitsuhide, je me doute que c'est un choc énorme pour toi. Tu devrais prendre du temps pour...
– Je n'y crois pas, répliqua le garçon sans quitter Haruni des yeux. Pas encore.
– Ah, mais tu...
– Prouvez-moi que vous êtes mon père, » lança le garçon à Haruni.
La surprise se lut sur le visage du concerné.
« Te prouver ? Mais comment ? »
Yatsu secoua la tête et sa réponse fut implacable :
« Si vous êtes vraiment mon père, vous saurez comment.
– Hum... »
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Haruni réfléchit. Il devait trouver quelque chose que seul Yama savait ou pouvait faire, mais ce n'était pas si simple.
« Je peux peut-être te jouer ta chanson favorite avec ma flûte ? » suggéra-t'il.
Mitsuhide prit un air gêné.
« Hum, le problème, c'est que ta flûte n'est plus à Hanajū.
– Ah bon ? fit-il en se tournant vers son ami, momentanément distrait. Que s'est-il passé ?
– Le... Firal Kikuchi est parti avec. »
Haruni plissa le front, perplexe, tandis que Yatsu grogna doucement à ce rappel désagréable.
« Pourquoi Kikuchi aurait-il pris ma flûte ? »
Mitsuhide dut soigneusement peser ses mots.
« Je pense qu'il a voulu garder un souvenir de toi. De Yama.
– Ça n'a aucun sens.
– Il a aussi pris une tenue à toi, ajouta Mitsuhide.
– Quoi ?! Mais pourquoi ? s'écria Haruni, consterné.
– Hé bien, il s'était attaché à toi durant son séjour.
– Ce n'est pas une raison ! »
Le seigneur de Madare eut soudain un léger rire. Interloqué, Haruni le fixa, de même que les autres.
« Désolé, c'est juste que je viens enfin de réaliser pourquoi tu as toujours été aveugle sur certaines choses : c'est parce que tu n'es encore qu'un enfant !
– De quelles choses tu parles ? se hérissa Haruni, un brin vexé.
– Tu comprendras quand tu seras plus grand, répondit-il avec un sourire taquin.
– Moi, je sais pourquoi, intervint Yatsu d'un ton fâché. C'est parce qu'il voulait me voler mon père. »
Haruni fixa son fils avec stupeur tandis que Mitsuhide rit de nouveau.
« Bravo Yatsu, le félicita-t'il. Tu es très mûr dans ce domaine.
– Me voler ? C'est absurde, » s'entêta Haruni.
Le seigneur secoua la tête : rien ne changerait l'ignorance et l'incompréhension de Haruni dans ce domaine, sauf le temps.
« Passons. Mais si cela t'embête à ce point, le général Kenryū m'a assuré qu'il pourrait récupérer les deux objets. »
Haruni y songea un moment.
« La flûte, j'aimerais bien. C'est un cadeau de... quelqu'un que je ne verrai plus. La tenue par contre, peu importe.
– Hum, la tenue était un de mes cadeaux, rappela Mitsuhide.
– Oui, mais toi, je te verrai encore. Alors c'est moins important. »
Un tic agita la joue gauche de Mitsuhide, mais il ne dit rien. Yatsu, qui n'avait pas perdu une miette de l'échange, se tourna vers Tetsuō et lui lança un regard signifiant “je comprends ce que tu voulais dire”. Tetsuō répondit par un léger sourire. L'incroyable vérité faisait peu à peu son chemin dans l'esprit du garçon.
Haruni se reconcentra sur son fils.
« Yatsu, je ne peux pas te convaincre d'un coup que je suis ton père, déclara-t'il. Je te demande de me laisser le temps de te le prouver étape par étape. Qu'en dis-tu ? »
Le regard qu'il porta sur lui était rempli de sincérité, d'amour et d'espoir. Yatsu sentit de nouveau ses certitudes vaciller. Il déglutit.
« Je... je suppose que je peux faire ça.
– Merci, fit Haruni avec un soulagement évident. Oh sinon, je peux toujours dire à quel âge tu as cessé de mouiller ton lit, mais ce serait embarrassant pour toi... »
Yatsu se sentir rougir d'embarras.
« P... Papa !!! » s'exclama-t'il inconsciemment d'un ton agacé.
Son cri provoqua un silence stupéfait. Haruni s'était figé, les yeux écarquillés et remplis d'espoir. Yatsu posa les deux mains sur sa bouche traîtresse. Mais il était indéniable que ce genre de taquinerie ressemblait énormément à Yama. Toute l'attitude du Second Prince faisait penser à Yama. C'était troublant. Yatsu détourna les yeux pour regarder Tetsuō et fit :
« C'est l'heure de notre leçon. Allons-y.
– Tu as raison. »
Les deux garçons s'éloignèrent du pavillon dans le silence.
Le reste de l'après-midi, Haruni le passa à flâner dans le palais. Mitsuhide devait gérer les affaires de la province et cela aurait été très étrange que le Second Prince y participe. Teshime proposa de lui tenir compagnie mais il déclina poliment : la dame devait se reposer avec sa grossesse. Il parcourut donc les lieux familiers, suivi par le servant Shiju. Sa présence s'était largement fait connaître dans le palais car les gens ne manifestaient qu'une légère surprise en le voyant avant de se prosterner. Cela agaça quelque peu le garçon et il finit par se réfugier dans ses appartements, sauf que ce n'étaient plus ses appartements. Il pouvait voir une pile de documents sur le bureau mais n'osait pas y toucher car c'était à Yama, pas à lui. Il se sentit comme un fantôme qui hantait sa demeure après sa mort, voyant tout mais incapable de toucher ou de parler.
Haruni se dit qu'il n'y avait vraiment rien d'agréable dans cette situation.
« Mitsuhide a dit que ma place n'était pas ici, se rappela-t'il, et il a à moitié raison. Ici, c'était la place de Yama. En tant que Haruni, je n'ai plus rien à faire à Hanajū. »
Le problème était qu'il ne se sentait pas non plus à sa place à Kurojū.
Pourtant, il allait bien devoir y retourner.
« Il va falloir que je discute sérieusement avec l'Empereur. »
Cela promettait encore des cris et des querelles. Mais s'il voulait imposer son point de vue et tâcher de rendre sa vie le plus supportable possible, il n'avait pas le choix. Il était hors de question de s'écraser et de s'oublier. Autant ne pas vivre dans ce cas !
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Le soir, un grand banquet eut lieu pour sa venue. Mitsuhide ne l'avait pas organisé dès le premier soir à cause de l'état de fatigue du Second Prince mais là, il ne pouvait plus y couper. Haruni put revoir d'anciennes connaissances, comme les membres du conseil ou ses trois commandants. Cependant, il devait rester distant avec eux, ce qui lui faisait très bizarre. Il se rendit compte qu'en dépit de tout, il avait bien fait de révéler la vérité à Yatsu. Jamais il n'aurait pu faire semblant de ne pas connaître son fils.
Après le banquet, Mitsuhide l'invita discrètement à prendre le thé dans ses appartements. Pour Haruni, ce fut comme retrouver leur ancienne routine, malgré les nombreux changements. Autour d'un bon thé, Mitsuhide l'interrogea sur ses impressions de revenir à Hanajū et compatit avec son sentiment d'étrangeté.
« Bon, le temps que mon messager-oiseau se rende à la capitale et que le général Kenryū revienne ici te chercher, cela te laisse un bon mois pour te détendre ici, fit-il pour le réconforter.
– Mmm, j'y ai réfléchi et j'ai une autre idée, nuança le garçon.
– Haruni, tu as dit que tu rentrerais à Kurojū ! » s'inquiéta aussitôt Mitsuhide.
Il craignait les idées insensées que pouvait avoir son ami.
« Ne t'inquiète pas, le rassura ce dernier, je n'ai pas changé d'avis. Mais que dirais-tu d'être celui qui me ramène ? »
Le visage de Mitsuhide resta neutre, ses yeux gris perplexes.
« Dans quel but ?
– L'Empereur refuse de te recevoir comme tu le mérites, mais si tu lui ramènes son fils, il ne pourras pas se dérober cette fois. »
Mitsuhide soupira. C'était typique de Yama d'adopter des tactiques agressives qui ne laissaient aucune chance à son opposant. Il serait difficile de lui faire comprendre toutes les raisons pour lesquelles c'était une très mauvaise idée. Heureusement, il avait une excellente raison de refuser :
« Navré, mais je ne peux pas m'absenter de Madare. »
Au regard interrogateur du garçon, il expliqua :
« Je préfère rester tout le temps de la grossesse de Teshime. S'il arrivait quelque chose durant mon absence, je m'en voudrais éternellement.
– Ah, je comprends, » fit Haruni d'un ton déçu.
Le seigneur le fixa avec affection et amusement.
« Tu tiens vraiment à ce que j'ai une grande cérémonie, pas vrai ?
– Tu as fait pareil pour moi, il me semble. »
À la première victoire des troupes de Yama contre le seigneur de Hebi, Mitsuhide lui avait organisé en surprise une grande parade dans la ville dès son retour ainsi qu'un banquet.
« C'est juste, reconnut Mitsuhide en se souvenant à son tour.
– Je ne renoncerai pas, insista Haruni. Il faut bien que ça te serve à quelque chose d'avoir un allié à la capitale, non ?
– Ça peut s'avérer utile, je ne dis pas, » répondit-il avec un sourire aux lèvres.
Haruni fut amusé à son tour et du coup, sa situation lui semblait un peu moins terrible.
Il soupira tout de même.
« Un mois ici, récapitula-t'il. Avec de la chance, cela me permettra de me rapprocher à nouveau de Yatsu.
– Au fond de lui, je pense qu'il connaît la vérité, le rassura son ami. Il a seulement du mal à l'admettre.
– Je connais ça, fit Haruni d'un ton compréhensif. Et ça peut prendre très longtemps pour accepter une telle vérité.
– Seulement quand on est têtu comme toi.
– Je ne suis pas têtu ! se défendit aussitôt le garçon. C'est juste que je ne me laisse pas facilement influencer. »
Mitsuhide décida sagement de ne pas insister.
Durant les jours qui suivirent, Yatsu se montra de plus en plus à l'aise avec Haruni et commença à accepter le fait qu'il soit son père. Ce fut progressif, il y avait encore de la réticence et la crainte d'être cruellement déçu, alors Haruni se montra patient. Il ne le pressa pas, laissant plutôt à Yatsu le soin de définir leur relation. Il y eut des jours où le garçon se comportait normalement avec lui, et d'autres où il était plus méfiant. Haruni accepta ces revirements sans sourciller. Tetsuō restait souvent avec eux pour servir de soutien moral à son ami, mais il n'hésitait pas non plus à participer aux conversations. Il avait deux ans de plus que Haruni, ce qui permit à ce dernier de voir comment un enfant de son âge était censé se comporter. Et sa conclusion fut que ce n'était clairement pas pour lui !
Yatsu avait énormément de questions, des plus sérieuses aux plus incongrues, et Haruni lui répondit volontiers.
« Alors tu es devenu un petit garçon comme moi ?
– En fait, cela correspond à mon âge réel. J'ai vingt-cinq ans.
– Mais tu avais quel âge quand tu m'as trouvé ?
– Huit ans. »
Yatsu en resta bouche bée.
« Je me souviens à peine de cet âge, murmura-t'il, et toi, tu m'as élevé ?! Ce n'est pas possible ! »
Sentant un nouveau rejet poindre, Haruni s'empressa d'expliquer :
« J'avais un corps adulte, je croyais être un adulte, alors je me suis comporté en conséquence.
– Alors maintenant que tu as un corps d'enfant, tu vas te comporter comme un enfant ? »
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Haruni sourit, amusé par la question naïve.
« Non, je n'y arriverai pas, même si j'essayais.
– Pourquoi pas ?
– Je n'ai jamais été un enfant. »
Yatsu lui tapota alors la main.
« Pauvre Papa, » fit-il d'un ton rempli de compassion.
Il sourit soudain et déclara :
« En tout cas, moi, je suis content que tu sois un enfant ! »
Cela surprit Haruni.
« Ah bon ? Pourquoi ?
– Parce que ça veut dire que tu vas vivre encore trèèèèès longtemps et qu'on pourra se voir trèèèèès longtemps ! »
Haruni n'avait pas réfléchi aussi loin. Un humain pouvait vivre entre cent quarante et cent quatre-vingts ans. En tant que Vite, il ne lui serait resté que trente ou quarante ans à vivre en temps normal. Du coup, il avait renoncé à l'idée de voir son fils grandir et devenir adulte. Mais désormais, vu qu'ils n'avaient que sept ans d'écart, non seulement il verrait la majorité de son fils mais il passerait encore de nombreuses années avec lui.
L'émotion l'envahit soudain et incapable de se contenir, il serra Yatsu dans ses bras. Ce dernier poussa un cri de surprise, mais sans se débattre.
« Merci Yatsu, lui murmura-t'il à l'oreille.
– P-pourquoi ?
– Tu es le premier à me donner une vraie raison de me réjouir de cette vie : même si nous ne sommes pas toujours ensemble, au moins je te verrai grandir. »
Yatsu ne dit rien mais le serra à son tour, le tout sous l'œil attendri de Tetsuō. Après cela, Yatsu accepta enfin la vérité.
« Alors ta maman, c'est la belle dame qui est venue l'an dernier ? demanda-t'il une autre fois.
– Non, expliqua Haruni avec un pointe de regret familier, ma... mère était la concubine de l'Empereur. Un peu comme sa seconde épouse, ajouta-t'il en voyant l'incompréhension sur le visage du garçon.
– Oh, et elle ressemble à quoi ? Elle est gentille ?
– Elle est morte, » répliqua-t'il un peu sèchement.
Les yeux violets de Yatsu s'emplirent de larmes.
« Toi aussi, tu as perdu ta maman ! » s'écria-t'il en le prenant dans ses bras pour le consoler.
Yatsu pensait que leurs situations étaient similaires, alors que c'était tout le contraire : Haruni avait tué sa mère et n'hésiterait pas à le refaire. Il n'éprouvait aucun attachement envers Kinohime — et cela avait été plus que réciproque !
« Heureusement qu'il te reste ton papa ! Il est comment ? »
Là aussi, leurs situations n'étaient pas les mêmes. Haruni tenta d'adoucir un peu le portrait de l'Empereur, même si c'était difficile de ne pas laisser paraître ses vrais sentiments envers cet homme.
« Il... Il a les cheveux et les yeux noirs. Il est un peu plus petit que Mitsuhide. Il est... gentil, je pense. Il a déjà un fils plus âgé et...
– Tu as un grand frère ? Il est comment ? »
La curiosité de Yatsu pour sa famille semblait sans limites.
« Il s'appelle Chiharu et il a neuf ans de plus que moi.
– Vous vous entendez bien ?
– On... apprend à se connaître, » fit-il en haussant les épaules.
Le flot de questions se poursuivit encore un moment.
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« Tu dois leur manquer, » déclara finalement Yatsu.
Haruni fit une grimace.
« Je pense qu'ils n'ont pas apprécié mon départ, reconnut-il.
– Faut pas partir comme ça, fit alors vivement le garçon. Tu as voulu partir d'ici mais ce n'était pas bien pour oncle Mitsuhide. Faut arrêter de faire ça. »
Haruni soupira devant la réprimande de son fils, bien plus efficace que toutes les paroles venant de n'importe qui d'autre.
« Tu as raison, Yatsu. Je vais arrêter.
– Et tu rentres bientôt ? »
Haruni le fixa avec surprise, prêt à répondre “Mais je suis déjà là !”, quand il comprit ce que Yatsu voulait dire : rentrer à Kurojū, comme si c'était désormais chez lui là-bas. Ce n'était pas du tout encore acquis pour lui.
« Dès que quelqu'un de la capitale viendra me chercher, je pense. Mitsuhide refuse de me laisser partir sans escorte.
– C'est normal, c'est dangereux sur la route !
– Ça s'est bien passé à l'aller, je ne vois pas pourquoi le retour serait différent. »
Yatsu reconnut bien là l'entêtement de son père. Mais autre chose le dérangeait :
« Je ne te verrai plus jamais une fois que tu seras parti. »
Cela fit aussitôt réagir Haruni :
« Pourquoi tu dis ça ?
– C'est loin, la capitale. »
En voyant l'air triste de son fils, Haruni s'empressa de le rassurer :
« Aucune importance ! Je te promets de venir aussi souvent que possible et un jour, tu viendras à Kurojū. »
Bien qu'il n'avait aucune certitude quant à la faisabilité de tout ça, il se jura de tout faire pour y parvenir.
En tout cas, cela fonctionna avec Yatsu car ses grands yeux se remplirent d'espoir.
« C'est vrai ?
– Tu sais que je ne mens jamais. »
Entièrement convaincu, le garçon se jeta dans ses bras. Haruni lui caressa les cheveux.
« En attendant, on s'écrira très souvent, d'accord ?
– Mais tu ne sais pas lire et écrire, nota le garçon.
– Je suis en train d'apprendre. Sinon, je peux toujours t'écrire dans la langue des Vites. »
Yatsu acquiesça. Les lettres ne remplaceraient pas la présence mais au moins, ils resteraient en contact.
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