Ancient Gods Sanctuary 22

Chapitre Vingt-deux : Une idée controversée


En fin d'après-midi, Myst Nail toqua à la porte des appartements de Shao Paï. Vanien le fit entrer et le roi des dieux trouva la déesse en train de lire un manuscrit sur le canapé tandis que Dionysos était assis près d'une fenêtre et contemplait le ciel d'un air songeur. Pomone, la chevalière de Dionysos jouait doucement de la lyre, un air lent qui incitait à la méditation. Le dieu du mal fronça les sourcils devant cette cohabitation bien trop paisible à son goût mais il s'abstint de tout commentaire. Il ne voulait pas s'énerver comme tantôt, au point où il avait failli commettre l'irréparable. Cette sensation désagréable allait mettre longtemps à disparaître, il le craignait fort.


Shao Paï leva les yeux vers lui.

« Te voilà enfin, l'accueillit-elle. Alors, dis-moi tout. »

Le regard rubis de Myst Nail dériva vers le nouveau dieu qui s'était figé à son arrivée. L'homme roux était tendu, ce qui était fort compréhensible puisque c'était sa vie qui était en jeu. Malgré les dires rassurants de Shao Paï, Dionysos était encore terrifié par le dieu du mal.

« Parlons en privé, » proposa Myst Nail.

Cela n'aida pas le dieu de la vigne à se détendre, loin de là ! Shao Paï se leva sans discuter.

« Allons sur ma terrasse, » suggéra-t'elle.


Contrairement aux autres dieux qui se contentaient largement de la grande terrasse commune, Shao Paï s'était créé sa propre terrasse pour qu'elle puisse profiter de l'air pur sans avoir à subir la compagnie des siens si elle ne le désirait point. Myst Nail avait toléré cette exception.

« Un moment. »

Shao Paï se tourna vers l'entrée de la terrasse une fois qu'ils y furent.

« Et voilà, annonça-t'elle, j'ai insonorisé l'endroit. Dionysos ne pourra pas nous écouter. »

Myst Nail hocha la tête, satisfait de cette précaution.

« Eh bien, reprit la déesse en s'accoudant sur la rambarde, qu'as-tu décidé en ce qui le concerne ? »

Le roi des dieux soupira. La décision n'avait pas été simple à prendre. Heureusement que la présence du nouveau dieu ne s'était pas ébruitée, ce qui lui avait permis de réfléchir en paix durant des heures. S'il avait dû en plus gérer les inquiétudes des siens, cela n'aurait fait que compliquer sa tâche.


Le dieu du mal repoussa une mèche de ses longs cheveux noirs en arrière.

« Je ne vais pas le tuer, annonça-t'il pour commencer, tu avais entièrement raison à ce sujet.

– Évidemment que j'ai raison, le nargua-t'elle avec un petit sourire suffisant. Tu devrais m'écouter plus souvent. »

Myst Nail esquissa un léger sourire, rassuré de voir que l'atmosphère entre eux s'était détendue depuis leur confrontation de la journée. Shao Paï ne lui tiendrait pas rigueur de son accès de colère maintenant que c'était passé.

« Cependant, reprit-il, je ne sais vraiment pas quoi faire de lui. Il est hors de question de le laisser simplement partir : il s'est aventuré sur notre territoire, il doit être puni en conséquence.

– Et je suppose qu'avoir eu la peur de sa vie, ce n'est pas suffisant comme punition pour toi ? »

Myst Nail secoua la tête.

« Eh bien, cela ne fait que quelques semaines qu'il est apparu. Ce n'est guère assez long pour parler de vie. »

Shao Paï retint un soupir en songeant :

« Pourtant, je suis sûre qu'il n'oubliera jamais ce moment, même après dix mille ans ! »


La voix de Myst Nail la tira de ses pensées.

« Du coup, j'ai songé à l'échanger contre quelque chose, mais quoi ? Zeus n'a rien que je veuille. Et c'est là que je te demande conseil. »

Shao Paï cligna des yeux. Elle n'était pas opposée à l'idée du dieu du mal mais en effet, que demander à Zeus ? Des informations ? Ils en avaient déjà eues suffisamment.

« Hum... et qu'en pense Hane Lath ? demanda-t'elle dans le but de gagner du temps.

– Je ne lui ai pas demandé son avis. »

Cela sortit la déesse de sa réflexion.

« Tu aurais dû, lui répondit-elle avec un léger ton de reproche. C'est ton épouse, elle peut t'aider dans ce genre de situation.

– C'est de ton aide dont j'ai besoin. »


La déesse de la destruction le fixa avec circonspection. Une fois encore, elle se demanda si Myst Nail avait réellement tout oublié. La façon dont il avait réagi quand elle s'était interposée pour sauver Dionysos... c'était comme s'il se rappelait. Mais Shao Paï avait bien trop peur pour lui poser la question : peur de se dévoiler, de perdre ce qu'elle avait actuellement, de reproduire les erreurs du passé, d'être prisonnière de leurs souvenirs... Tant de bonnes raisons de se taire, elle n'allait pas tout gâcher !


Myst Nail ne l'avait pas lâchée du regard.

« En plus, ajouta-t'il, tu connais Zeus mieux qu'aucun d'entre nous.

– Ce n'est pas comme si je l'avais voulu, se plaignit-elle.

– Hé bien, insista-t'il, tu as une idée ?

– Attends un peu, ça ne vient pas comme ça. »

Elle se mit à marcher, cela l'avait toujours aidée à réfléchir. Il fallait qu'elle trouve quelque chose qui satisfasse Myst Nail, que Zeus serait disposé à accorder et tant qu'à faire, qui puisse profiter à Shao Paï elle-même. Et si c'était là l'occasion d'amorcer une relation plus pacifique entre les deux clans ? Shao Paï repensa à la prestation de Dionysos devant les trois autres dieux : d'abord méfiants, ils s'étaient progressivement détendus en sa présence. Si la même chose pouvait se produire avec Zeus et Myst Nail... Shao Paï grimaça : elle pouvait toujours rêver, mais peut-être que cela valait la peine de prendre des risques.


La déesse aux longs cheveux noirs bouclés se tourna à nouveau vers Myst Nail qui avait patiemment observé son manège.

« Un dîner, » suggéra-t'elle.

L'expression du dieu du mal se troubla.

« Hein ?

– Pour récupérer son fils, Zeus devra venir dîner ici avec Héra. Tu les recevras avec Hane Lath.

– Et c'est l'idée que tu te fais d'une punition ? »

Shao Paï fit claquer sa langue avec agacement.

« Bien sûr ! Dionysos aura conscience qu'à cause de lui et de son imprudence, ses parents vont devoir se déplacer en personne pour le venir le chercher. Quant à Zeus, il prendra des risques en venant ici sur ton territoire, et le fait que ce soit lui qui vienne à ta rencontre et non le contraire établira dans l'esprit de tous que tu as un certain ascendant sur lui. »


Myst Nail hocha la tête, commençant à apprécier ce qui se cachait derrière cette idée. Pourtant quelque chose le chiffonnait encore.

« J'estime que nos compagnons ne sont pas encore prêts à voir les nouveaux dieux, » argua-t'il.

La déesse de la destruction agita une main.

« Oh, mais je pensais bien à un tête-à-tête, pas à un banquet général. Il vaut mieux commencer petit. »

La réponse de Shao Paï amena un froncement de sourcils.

« Tu voudrais organiser ça en cachette ? »

Elle secoua la tête.

« Ne me prête pas des intentions qui ne sont pas les miennes ! Tu en informeras les nôtres, bien entendu, mais ils ne seront pas invités, c'est tout. »


Myst Nail expira bruyamment.

« Je ne souhaite pas encore parler des nouveaux dieux aux autres, reconnut-il.

– Pourtant, répondit la déesse en écartant les bras, des incidents comme celui d'aujourd'hui risquent encore de se produire. J'ai réussi à convaincre Esté Fin, Das Mal et Lana Min de garder le secret mais tu les connais : leur silence ne durera pas bien longtemps. Tu préfères attendre que les rumeurs courent dans tous les sens ou bien tu vas enfin prendre tes responsabilités ? »

Le roi des dieux se renfrogna mais ne répliqua pas lorsqu'il se rendit compte que le ton de Shao Paï n'était ni moqueur ni défiant : elle ne faisait qu'énoncer les faits sans porter de jugement.


Il expira à nouveau, hésitant. Shao Paï fit la moue.

« Allons, tu ne croyais quand même pas qu'en nous gardant enfermés à Babelhu pour toujours, tu éviterais la rencontre avec les nouveaux dieux ? »

Elle avait lancé cela sur le ton de la plaisanterie mais tout amusement disparut de son visage lorsqu'elle réalisa :

« Oh non, je n'y crois pas. C'est vraiment ce que tu pensais ? »

Le silence du dieu du mal était suffisamment éloquent. Shao Paï leva les bras au ciel et secoua la tête d'un air désespéré.

« C'est encore plus grave que ce je pensais, marmonna-t'elle. Je ne comprends absolument pas ton attitude ! »


Cela fit réagir l'autre dieu.

« Je voulais seulement que les nôtres soient en sécurité ! protesta-t'il.

– Mais les nouveaux dieux ne sont pas dangereux.

– C'est toi qui dis ça ?! s'ébahit-il. Rappelle-moi un peu qui a parlé des nouveaux dieux en premier ? Et qu'as-tu dit à leur sujet ? "Ils vont mettre à bas notre règne," me semble-t'il. Et maintenant tu prends leur défense ?! C'est plutôt ton attitude que je ne comprends pas ! »

Shao Paï grimaça. Effectivement, Myst Nail n'avait pas tort mais...

« Eh bien, je me suis trompée, reconnut-elle avec exaspération. Oui, j'avoue que j'ai eu tort en ce qui concerne les intentions des nouveaux dieux. Je n'aurais jamais dû faire confiance aveuglément aux textes des mortels. Satisfait ? »


Myst Nail ne dit rien mais il semblait en effet apprécier la confession. Cependant Shao Paï n'avait pas encore fini de se défendre :

« Mais j'ai au moins le mérite de reconnaître mon erreur et de changer d'avis. Alors ce serait bien que tu en fasses autant ! »

Le roi des dieux plissa les yeux mais ne semblait pas enclin à changer tout de suite d'opinion sur les nouveaux dieux. Tout espoir n'était pas encore perdu car il fit :

« D'accord pour le dîner. Je vais prévenir Hane Lath pour qu'elle prépare tout pour ce soir. »

Shao Paï eut à peine le temps de se réjouir qu'il rajouta :

« Même si les nôtres n'y seront pas, j'aimerais que toi, tu y assistes. »


Elle fronça les sourcils.

« Je n'ai guère ma place à un dîner entre souverains des dieux. »

Myst Nail la fixa un moment avant de répondre :

« Tu y as ta place plus que tu ne le crois... »

Sans qu'elle n'ait eu le temps de répliquer, il enchaîna :

« De tout façon, Dionysos sera également présent alors il ne faudrait pas que nous soyons en minorité. De plus je ne reconnais pas la souveraineté de Zeus et d'Héra.

– Oui, mais...

– C'est curieux, nota-t'il, il me semblait pourtant que tu ne voulais pas que je rencontre Zeus seul et là, cela ne te gêne plus que nous passions une soirée ensemble ? Tu n'as plus peur que je ne sois "pas capable de garder mon calme très longtemps avec lui" ? D'après toi, il est "tout à fait le genre de personne qui m'énerve". »


Shao Paï grimaça.

« C'est mesquin de me renvoyer mes propres mots, » se plaignit-elle.

Myst Nail se contenta de hausser les épaules.

« Alors évite de dire de telles choses si tu ne veux pas que je te les renvoie. »

Shao Paï ne pouvait même pas protester. Myst Nail avait marqué un point : il aurait très certainement du mal à rester serein tout le temps d'une soirée devant les pitreries de Zeus. Si Shao Paï tenait à éviter une catastrophe, elle ferait bien en effet d'assister au dîner afin de se tenir prête à intervenir en cas d'urgence. Ce n'était sûrement pas Hane Lath qui pourrait résister face à la fureur du dieu du mal.


« Entendu, je sera là, » céda-t'elle tout en songeant aux ennuis que cela allait lui apporter.

Tout d'abord Hane Lath n'allait guère apprécier la présence de Shao Paï lors d'une soirée aussi importante. La déesse de la musique semblait craindre son influence sur Myst Nail et par conséquent son statut de plus en plus élevé parmi les dieux. Si cela ne tenait qu'à Hane Lath, Shao Paï serait toujours une paria, crainte et rejetée, voire même encore emprisonnée dans la boîte de Pandore.


Ensuite, il y avait Zeus et son cabotinage. S'il se comportait un tant soit peu comme durant leur tête-à-tête, s'il osait affirmer devant Myst Nail que Shao Paï était de leur côté, même elle serait impuissante à empêcher le déferlement de rage meurtrière que cela provoquerait chez le dieu du mal.


Et pour finir, tout cela allait franchement à l'encontre de ce qu'elle s'était promis à sa libération, à savoir ne plus se mêler des affaires des siens. Mais pour être honnête, elle aurait dû se douter qu'elle ne pourrait jamais tenir cette résolution, et ce dès le moment où elle avait prononcé ces mots. Elle avait dit cela parce qu'elle était encore sous le choc de son emprisonnement d'un siècle mais il était évident qu'elle serait revenue sur cette décision tôt ou tard. Et là, elle se sentait légèrement coupable d'avoir cru aveuglément aux prophéties des mortels sur les nouveaux dieux et d'avoir ainsi semé la graine de la discorde entre les deux clans. Elle devait désormais faire tout son possible pour apaiser les tensions qu'elle avait générées, et cela commencerait peut-être par ce dîner.


Myst Nail ignorait totalement l'ampleur des doutes qui taraudaient la déesse de la destruction et qui l'avaient poussée à accepter sa demande. Il se réjouit simplement de la voir se comporter de manière raisonnable — à savoir d'aller dans son sens.

« Excellent, fit-il d'un ton nettement plus détendu. Il reste un dernier problème : comment allons-nous transmettre notre invitation à Zeus ?

– Ce n'est guère un problème, soupira la déesse. On n'a qu'à lui envoyer la chevalière de Dionysos. Elle doit bien savoir où il se trouve. »


Les deux dieux se tournèrent vers l'intérieur et Myst Nail tiqua en voyant un Dionysos pas très discret qui tendait l'oreille pour entendre leur conversation, à moitié dissimulé derrière l'ouverture qui menait à la terrasse. Mais l'insonorisation mise en place par Shao Paï était bien trop efficace alors le jeune homme épiait en tentant visiblement de déchiffrer l'expression de leurs visages. Derrière lui, sa chevalière le fixait avec inquiétude.

« Bon, fit Shao Paï en secouant la tête devant un tel comportement, allons le rassurer sur son sort.

– Avons-nous déjà été aussi jeunes et... ridicules ? s'enquit Myst Nail en plissant le front.

– Que veux-tu que j'en sache ? Et si c'est le cas, heureusement pour nous qu'on ne s'en souvient plus !

– Mmh... »


Sur ce, les deux dieux regagnèrent le salon. Dionysos s'écarta vivement de l'ouverture pour les laisser passer et tâcha de rester immobile, en vain. Il se balançait d'un pied à l'autre, comme un enfant pris en faute qui attendait avec crainte la punition que ses parents lui réservaient. D'une certaine façon, c'était exactement ce qu'il se passait. Myst Nail fixa le dieu roux de ses yeux rubis implacables et ne dit rien pendant presque une minute entière, ce qui aggrava la nervosité du jeune dieu de la vigne. Finalement, il se décida à l'informer de son sort :

« Dionysos, commença-t'il avec sévérité, tu as osé t'aventurer sur notre domaine sans permission. Ton intrusion ne restera pas sans conséquence. »


Le dieu se décomposa et sa chevalière se tendit, prête à donner sa vie pour son maître si nécessaire.

« Cependant je ne te tuerai pas, poursuivit le roi des dieux, mais sache que Zeus sera informé de ce que tu as fait et qu'il devra venir en personne ici pour te récupérer. »

L'incompréhension se lut sur le visage de l'intéressé.

« À cette occasion, je convie Zeus et son épouse à un repas afin que nous fassions officiellement connaissance. Ce sont eux qui décideront par la suite de ton châtiment. »

Dionysos sentit sans pleinement le comprendre qu'il n'était pas entièrement tiré d'affaires. Myst Nail se tourna vers la déesse aux cheveux noirs à ses côtés.

« Je te laisse régler les détails avec lui. Je dois lancer les préparatifs pour ce soir.

– Entendu. »


Dionysos attendit prudemment que l'autre dieu soit sorti pour retrouver sa langue. Il se rapprocha de Shao Paï, complètement perdu.

« Je ne comprends pas, avoua-t'il, je suis puni ou pas ? »

La déesse le fixa un moment avant que son regard noir ne s'adoucisse.

« Disons juste que ta bêtise va peut-être marquer le début d'un rapprochement, si tout se passe bien.

– Hein ? »

La déesse de la destruction se tourna vers Pomone et son attitude se fit impérieuse, comme toujours avec les chevaliers.

« Tu iras prévenir Zeus, lui fit-elle. Il doit se présenter ce soir à Babelhu accompagné d'Héra s'il veut récupérer son fils. »


Le visage de la chevalière se durcit.

« Vous n'avez aucun ordre à me donner ! En plus je refuse de laisser mon maître seul avec vous. Qui me dit que vous n'allez pas en profiter pour le tuer ? »

Cela fit rire Shao Paï, un rire méprisant et moqueur.

« Petite, répliqua-t'elle, si je voulais tuer Dionysos, je le ferai devant toi. Ce n'est pas comme si tu étais en mesure de m'en empêcher. »

Elle haussa un sourcil tandis que Pomone ravalait sa colère : effectivement la chevalière avait bien conscience qu'elle ne serait pas de taille contre une déesse. Tout ce qu'elle serait en mesure de faire, ce serait de servir de bouclier humain à son maître dans l'espoir de lui faire gagner du temps afin qu'il puisse s'échapper.


« Pomone ! intervint fermement Dionysos. Fais ce qu'elle te dit.

– Maître ! gémit la chevalière en se tournant vers lui. Votre sécurité passe avant tout ! »

Shao Paï lâcha un soupir excédé.

« Décidément, je vais finir par croire que toutes les femmes chevaliers sont des têtes de mule, » fit-elle en lançant un regard significatif vers Alinda, sa propre chevalière rebelle et entêtée.

La concernée se hérissa mais ne répliqua pas. Il semblait vraiment que la mort d'Éland lui ait quelque peu servi de leçon.

« Pomone, reprit Dionysos avec un soupçon d'impatience dans la voix. Va.

– Je n'ai pas besoin de vous quitter ! s'écria la jeune femme aux cheveux courts. Je... »


Elle se tourna à nouveau vers Shao Paï mais son attitude était moins agressive, seulement circonspecte.

« Vous désirez seulement que maître Zeus reçoive votre message, n'est-ce pas ? Je n'ai pas spécialement à le lui délivrer en personne ?

– Bien sûr que non, peu m'importe, » répliqua la déesse qui commençait sérieusement à perdre patience.

Rassérénée, la chevalière hocha la tête.

« Alors je vais contacter mentalement Héraklès, l'un ses chevaliers. Il transmettra aussitôt le message à son maître. »

Shao Paï fronça les sourcils. Un contact mental ? Entre chevaliers ? C'était bien la première fois qu'elle entendait parler de ça !


« Une minute, fit-elle, tu veux dire que tu peux communiquer mentalement avec les autres chevaliers ? »

La jeune femme aux cheveux noirs acquiesça, bien qu'elle soit surprise par la question.

« Tous les chevaliers ? insista Shao Paï. Même les nôtres ? »

Pomone prit un air troublé.

« Hé bien... je n'ai jamais essayé de contacter l'un de vos chevaliers alors je ne saurais dire... »

La déesse de la destruction se tourna alors vers ses propres chevaliers qui paraissaient aussi surpris qu'elle par cette révélation. Mais cela pouvait également être de la comédie...


« Vous pouvez le faire vous aussi ? leur demanda-t'elle. Vous pouvez parler mentalement aux autres chevaliers ? »

Les trois concernés échangèrent des regards, puis Vanien se risqua à répondre :

« Nous pouvons effectivement communiquer avec les nôtres mais nous n'avons pas encore eu l'occasion d'essayer avec les nouveaux chevaliers. »

Interloquée, Shao Paï retint sa colère.

« Tiens donc, et vous n'avez jamais songé à m'en parler ? »

Vanien dut sentir la menace car il grimaça et se mit sur la défensive.

« Eh bien... vous ne nous avez jamais posé la question et puis... on l'a toujours fait et on croyait que vous étiez au courant !

– Vous l'avez toujours fait ? tiqua la déesse. Comment ça ?

– Eh bien... quand vous nous donnez un message à transmettre à un autre dieu, par exemple. Ou bien quand vous nous demandez où se trouve un dieu. Ou encore...

– D'accord, d'accord, » le coupa-t'elle.


Évidemment, elle était légèrement fautive : elle donnait des ordres à ses chevaliers sans jamais se soucier de la façon dont ils les exécutaient.

« Et les autres dieux, s'inquiéta-t'elle, vous savez s'ils sont au courant de votre capacité ? »

Elle n'apprécierait guère d'être la dernière informée !

« Je n'en ai aucune idée, maîtresse. Désirez-vous que je demande à d'autres chevaliers ?

– Non, soupira-t'elle, je réglerai cette affaire plus tard. En attendant... »

Elle se concentra à nouveau sur Pomone.

« Bon, tu vas dire à Héraklès de transmettre le message suivant à Zeus : ton idiot de fils s'est perdu chez nous. Si tu veux le revoir vivant, viens ce soir avec Héra. Myst Nail et Hane Lath vous recevront à dîner. Je compte sur toi pour bien te tenir. »


La mine un peu déconfite, Pomone obéit néanmoins et resta un moment immobile, les yeux dans le vague. Shao Paï ne la quitta pas du regard, cherchant le moindre signe trahissant la communication mentale, comme si elle pourrait la capter. À présent qu'elle était au courant de ce pouvoir des chevaliers, certaines choses prenaient tout leur sens. Zeus, par exemple, était certainement passé par ses chevaliers pour savoir où se trouver Shao Paï la première fois qu'ils se sont rencontrés. Et c'était en voulant éviter qu'elle ne le découvre qu'il avait mis fin à leur jeu de questions-réponses durant leur tête-à-tête. Mais pourquoi ne voulait-il pas qu'elle l'apprenne ? Es-ce qu'il espérait conserver cet avantage sur eux, au cas où ? Shao Paï fronça les sourcils. Le comportement de Zeus n'était pas clair malgré ses dires, et elle aurait bien voulu l'avoir devant elle afin de pouvoir l'interroger en détail. Elle n'en aurait guère l'occasion durant la soirée mais peut-être plus tard...


La voix de Pomone la tira de ses réflexions.

« Maître Zeus accepte votre invitation avec joie, » répéta-t'elle en grimaçant inconsciemment.

Visiblement elle n'appréciait pas que Zeus prenne tout cela à la légère alors que la vie de son maître était menacée.

« Il est ravi de vous revoir, poursuivit-elle sur le même ton désabusé, et vous remercie d'avoir pris soin de son fils. »

Shao Paï poussa un lourd soupir : encore une fois, Zeus interprétait les choses à sa façon.

« Maître, continua la chevalière en se tournant vers le dieu roux, votre père vous fait dire qu'il n'est pas content que vous ayez désobéi à ses ordres et que vous devrez vous attendre à recevoir une sévère punition. »

Le dieu de la vigne rentra la tête dans les épaules.

« Je commence sérieusement à regretter d'être venu, maugréa-t'il.

– C'est seulement maintenant que tu le regrettes ?! » songea la déesse de la destruction en secouant la tête.

Apparemment, le fils pouvait être aussi terrible que le père !


~*~


En fin d'après-midi, il fallut que Myst Nail fasse sa grande annonce devant les autres dieux. Shao Paï ne l'envia guère : il allait être pressé de questions sur les nouveaux dieux et, lui qui n'aimait pas parler trop longtemps, il lui faudrait parler plus que d'ordinaire.

« C'est comme ça quand on est roi, songea-t'elle sans compassion. Ce n'est pas tout de prendre les décisions, il faut aussi parfois en répondre devant les autres ! »

Elle laissa Dionysos sous la garde de Ménestan et Vanien pour rejoindre la grande salle avec Alinda.


Comme à son habitude, elle se tint un peu en retrait mais fut tout de même remarquée par les trois seuls autres dieux qui étaient au courant de la présent d'un nouveau dieu à Babelhu. Lana Min articula sans parler pour demander :

« Myst Nail va parler de lui ? »

Shao Paï acquiesça et l'autre déesse se tourna avec empressement vers ses deux compères. La déesse de la destruction roula des yeux devant leur enthousiasme juvénile et s'adossa confortablement contre un mur de pierre recouvert d'une riche tapisserie.


Au fond de la salle, Myst Nail et Hane Lath avaient déjà pris place sur leurs trônes et ils attendaient que tout le monde soit arrivé. Quand il estima que le moment était venu, Myst Nail se leva et le silence se fit. Le roi des dieux prit un instant pour contempler les visages dans l'assemblée avant de se lancer :

« Mes amis, il y a des années, nous avons choisi de rester à Babelhu sans plus nous soucier du monde des mortels. Malheureusement un événement récent va remettre en cause une partie de nos convictions. Sachez tout d'abord qu'il y a encore beaucoup de choses que j'ignore et que je ne serai sans doute pas en mesure de répondre à toutes vos questions. Cependant je vais faire de mon mieux »

Le regard rubis se voila un bref moment avant de reprendre de la vigueur.

« Il y a quelques jours, de nouveaux dieux sont apparus en ce monde. »


Il ne put en dire plus : l'étonnement fut plus fort que le respect que les dieux avaient habituellement envers leur souverain. Les exclamations jaillirent de toute part et les questions ne tardèrent pas à se faire entendre. Shao Paï grimaça : l'effet provoqué par la nouvelle était plus important que prévu.

« Je vous en prie ! fit Myst Nail en levant les mains et en essayant de se faire entendre. S'il vous plaît, laissez-moi poursuivre ! »

Mais il dut encore attendre une bonne dizaine de minutes avant que le calme ne revienne, et seulement parce que les dieux attendaient à présent des réponses de sa part.


« Je vais vous dire le peu que nous avons découvert sur eux, poursuivit Myst Nail. Ils sont au nombre de douze avec une vingtaine de chevaliers...

– Quoi ? Ils ont aussi des chevaliers ?! » s'écria Thin Far de sa grosse voix.

Cela créa un nouveau remous qui mit également plusieurs minutes à s'apaiser.

« Oui, reprit Myst Nail, ils ont bien des chevaliers tout comme nous. Leur chef se nomme Zeus et il est déjà entré en contact avec Hane Lath et Shao Paï. »

Derrière son époux, la déesse de la musique se retint de tiquer. Le premier contact avec Zeus lui laissait encore un très mauvais souvenir.


Myst Nail reprit :

« Pour l'instant, nous ne savons pas grand-chose de leurs intentions envers nous. Ils ne se sont pas montrés hostiles mais nous devons rester prudents.

– Alors quoi ? s'exclama Bel Then. On va rester à attendre ici bien gentiment jusqu'à ce qu'ils décident de nous attaquer ? On devrait plutôt frapper les premiers ! »

D'autres belliqueux acquiescèrent de tout cœur.

« Ce monde est à nous ! renchérit Mari Kal. Il n'y a pas de place pour d'autres dieux ! »

Cela attira l'attention de Shao Paï : elle n'y avait pas songé mais et si l'arrivée des nouveaux dieux réveillait un peu l'intérêt des siens pour le monde des mortels ? Dans le fond, il n'y avait rien de tel qu'un peu de concurrence pour raviver les flammes de la passion.


Mais fidèle à lui-même, Myst Nail s'empressa d'éteindre les prémices de ce brasier.

« Le monde des mortels ne nous concerne plus, rappela-t'il sévèrement. Peu importe ce qu'en feront ces nouveaux dieux, du moment qu'ils nous laissent tranquilles. »

Avec intérêt, Shao Paï constata que de nombreux dieux semblait en désaccord avec ce que venait de dire leur roi. Elle nota mentalement le nom des concernés : sans aller jusqu'à la sédition, cela pouvait toujours être utile de savoir qui était en faveur d'une plus grande implication dans le monde extérieur. Cela pouvait être des alliés potentiels pour elle.

« Quoi qu'il en soit, reprit le dieu du mal, Hane Lath et moi allons recevoir ici-même les deux dirigeants de ces nouveaux dieux ce soir. Je vous demande de refréner votre curiosité et de rester dans vos appartements pour la soirée. Bien évidemment, aussitôt qu'ils seront partis, nous vous ferons part de ce que nous aurons appris sur eux. »


Pour le coup, il y eut un grand tollé. Entre ceux qui craignaient une menace éventuelle, ceux qui souhaitaient déclencher immédiatement les hostilités et les simples curieux, les avis étaient plus que partagés. Shao Paï observa toute cette agitation avec amusement, bien contente de ne pas être celle qui devait gérer tout ça. Lorsqu'elle croisa le regard clairement dépassé de Myst Nail, elle comprit qu'il espérait de l'aide de sa part mais elle se contenta de secouer la tête et de lui chuchoter :

« Débrouille-toi. »

Elle voulait bien s'impliquer dans les affaires des siens à condition que ce soient des circonstances exceptionnelles. Autrement il ne fallait pas exagérer. Myst Nail fronça les sourcils mais ne dit rien, pas même lorsque la déesse de la destruction quitta la salle d'un pas joyeux.


~*~


Lorsqu'on toqua à la porte de ses appartements une heure plus tard, Shao Paï s'attendait à voir Myst Nail venu la réprimander pour son absence de soutien, aussi fut-elle très surprise de découvrir qu'il s'agissait d'Hane Lath. Accompagnée comme toujours de son chevalier roux, elle semblait très contrariée. À peine était-elle entrée qu'elle attaqua directement :

« Il paraît que c'est toi qui a eu l'idée de ce repas. Bravo, quelle merveilleuse idée que voilà ! »

L'ironie était à peine masquée. La déesse de la musique eut un soudain mouvement de recul lorsqu'elle prit finalement conscience de la présence de Dionysos, assis près de la fenêtre. Rhyll s'avança aussitôt pour protéger sa maîtresse d'une éventuelle attaque, tout en foudroyant du regard Pomone, la chevalière du dieu de la vigne qui semblait tout aussi prête à en découdre que son homologue.


« Qu'est-ce qu'il fait là ?! » demanda la reine des déesses d'un ton qui se voulait froid mais qui masquait difficilement une panique naissante.

Loin de s'inquiéter, Shao Paï haussa les épaules.

« Myst Nail m'a chargé de le surveiller jusqu'au dîner, répondit-elle.

– Et tu le laisses comme ça ? Libre ?!

– C'est aussi un dieu, je te signale. Je ne peux pas vraiment l'enchaîner... ou l'enfermer, » ajouta-t'elle en lançant un regard ironique à l'autre déesse.

Hane Lath comprit l'allusion à la boîte de Pandore et se raidit.


Un silence pesant envahit alors la pièce et il sembla durer bien plus longtemps qu'en réalité. Finalement la déesse de la musique se mordit les lèvres et détourna le regard. De toute évidence elle était venue dans l'intention de passer ses nerfs sur Shao Paï puisqu'elle n'avait pas pu le faire sur son époux mais la présence inattendue de Dionysos l'avait coupée dans son élan. Du coup, elle ne savait plus que faire.


Finalement, elle se recomposa une expression digne et glacée avant de se tourner à nouveau vers la déesse de la destruction qui s'était rassise sur le canapé, bien à l'aise.

« Quoi qu'il en soit, je te prierai dorénavant de ne plus te mêler des affaires de souverains, déclara-t'elle d'un ton insultant. Ta présence ici n'est que... tolérée, alors n'abuse pas de mon hospitalité. »

Shao Paï eut un sourire dénué de toute chaleur.

« Je connais bien ton hospitalité, Hane Lath, et sois sûre que je n'ai nullement l'intention d'en abuser. Et si cela te déplaît tant que je me mêle des affaires de souverains, va donc dire à ton époux de cesser de venir chercher mes conseils. »

Hane Lath écarquilla les yeux et manqua de s'étouffer d'indignation.


Elle voulut répliquer mais Shao Paï la devança :

« Je ne te retiens pas plus longtemps, j'imagine que tu as encore de nombreux préparatifs pour recevoir nos invités. Myst Nail n'apprécierait sûrement pas que sa reine n'ait pas fourni tous les efforts nécessaires pour donner une excellente image des nôtres. »

La déesse de la musique ravala ses paroles mais son regard était assassin. Shao Paï la nargua encore de son sourire, jusqu'à ce que l'autre déesse s'en aille brusquement sans même la saluer. La porte se referma lourdement derrière Hane Lath et son chevalier, et seulement à ce moment Shao Paï laissa son sourire retomber.


Il y eut une nouvelle période de silence. Les chevaliers de Shao Paï connaissaient suffisamment leur maîtresse savoir qu'il valait mieux ne pas lui adresser la parole dans ces moments-là. Malheureusement Dionysos n'en avait pas conscience, lui. Il se leva de sa place favorite pour s'asseoir à côté d'elle.

« Ça va ? » demanda-t'il avec sollicitude.

Les chevaliers cessèrent de respirer, persuadés que leur maîtresse allait se déchaîner contre l'opportun, mais elle se contenta d'inspirer profondément et de se caler davantage dans le canapé.


Elle ferma les yeux, pencha la tête en arrière et marmonna :

« Je vais tuer Myst Nail. Ensuite, je tuerai Zeus. Puis je m'occuperai à nouveau de Myst Nail.

– Hum, tu... tu ne le penses pas vraiment, hein ? » hasarda Dionysos, un peu pâle subitement.

Il espérait que Shao Paï n'était pas sérieuse mais il craignait que ce ne soit bien le cas. Il était parfois... souvent difficile de savoir sur quel pied danser avec elle. La déesse de la destruction lui lança un regard noir.

« Je vais peut-être commencer par toi, » fit-elle.

Là, Dionysos espérait vraiment qu'elle ne soit pas sérieuse.


« Mais non, mais non, répondit-il avec un sourire crispé. C'est la fatigue qui parle.

– Un dieu n'est jamais fatigué, rectifia-t'elle.

– Alors la lassitude. Hum, Pomone, joue-nous encore un peu de musique, je te prie. »

La chevalière s'abstint de tout commentaire et obéit à son maître. Les notes s'envolèrent dans la pièce, légères et apaisantes, et à la grande surprise des chevaliers de Shao Paï, leur maîtresse parut réceptive à la musique et ne dit plus rien, écoutant la douce mélodie tandis que ses yeux restaient clos. D'un regard, les trois chevaliers prirent la décision commune d'apprendre eux aussi à jouer d'un instrument. Tout ce qui pouvait calmer l'humeur explosive de leur maîtresse était bon à prendre !






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