Ancient Gods Sanctuary 21

Chapitre Vingt-et-un : Au chevet


Vanien referma la porte derrière lui en tentant de faire le moins de bruit possible : le silence de mort qui régnait dans cette demeure semblait doté d'une conscience et d'une volonté propre, celle de ne pas être troublé. En contemplant sa vague silhouette reflétée dans le sol de marbre poli, puis les murs gris aux nombreuses arches, le chevalier de la terre soupira et regretta le fait qu'ils ne soient pas rentrés à Olympias. Au moins il aurait eu ses compagnons avec qui discuter. Ici... Silène et Murio étaient toujours sans connaissance, bien que leur état se soit nettement amélioré : ils avaient repris une apparence presque normale, encore un peu floue sur les bords mais c'était encourageant. Vanien venait de quitter leur chevet car, lassé de cette veille silencieuse de plusieurs heures, il aspirait à entendre le son d'une autre voix, même si c'était celle de sa maîtresse qui allait le menacer de mort pour avoir osé la déranger.


Le chevalier blond se dirigea tout de même un peu plus loin dans le couloir, en direction des appartements de Myst Nail. En effet, Shao Paï avait préféré ramener le dieu du mal chez lui plutôt qu'à Olympias. Elle ne s'en était pas expliquée et Vanien commençait à la connaître suffisamment pour savoir qu'il n'avait pas intérêt à lui demander ses raisons. Il avait simplement obéi lorsqu'elle l'avait chargé de veiller sur les deux chevaliers inconscient tandis qu'elle-même restait avec Myst Nail qui se trouvait dans le même état.


Vanien s'arrêta devant une porte massive et toqua timidement.

« Maîtresse ? murmura-t'il. Je peux entrer ? »

Il n'y eut pas de réponse mais le battant richement sculpté s'entrouvrit tout seul. Avec gratitude, le jeune homme entra dans la pièce. La première fois qu'il y avait accompagné sa maîtresse il y avait quelques heures de cela, il avait été surpris par l'austérité de cet endroit. Pas de décoration extravagante, des meubles simples et fonctionnels et une atmosphère sombre. Vanien se serait plutôt attendu à une avalanche de luxe de la part du roi des dieux antiques mais à présent qu'il y songeait, la demeure de sa maîtresse ne montrait guère plus de signes d'opulence, sauf si on les imaginait avant d'ouvrir une porte. C'était curieux mais peut-être que le luxe ne signifiait rien pour des êtres qui pouvaient tout avoir d'une simple pensée ?


Vanien interrompit ses pensées pour s'incliner devant la déesse de la destruction. Cette dernière était assise dans un fauteuil en face du lit de Myst Nail. Elle avait quitté ses vêtements de voyage pour une robe mauve simple et une longue écharpe verte émeraude qui recouvrait ses épaules. Il faisait un peu froid dans la pièce mais les dieux ne devaient certainement pas souffrir du froid. Shao Paï avait une mine soucieuse en observant le dieu du mal inconscient, bien que son état semblait connaître les mêmes améliorations que celui de ses chevaliers.

« Comment vont-ils, Vanien ? » demanda-t'elle soudain.

Le chevalier se réjouit un moment d'entendre une autre voix que la sienne dans ce lieu de silence.

« Ils sont plus nets, répondit-il d'une voix feutrée, mais ils n'ont toujours pas repris connaissance.

– Bien. »


Comme elle ne faisait pas mine de le congédier, Vanien s'enhardit et osa demander :

« Désirez-vous à boire ou à manger ? »

La déesse blonde secoua la tête.

« Je n'ai besoin de rien.

– Mmm... alors ça... ça ne vous dérange pas si je reste un peu ? Cet endroit me fait suffoquer. Comment ça se fait qu'il n'y ait pas une seule fenêtre ? »

Shao Paï soupira.

« Tu devrais pourtant te plaire ici, nous sommes dans ton élément. »

Interloqué, le chevalier cligna plusieurs fois des yeux.

« Euh, mon élément ? La terre ? Vous voulez dire que nous nous trouvons... »


Les mots lui manquèrent alors qu'il comprenait. La déesse hocha la tête.

« Nous nous trouvons sous terre, confirma-t'elle. Myst Nail s'est bâti une demeure souterraine sans aucun accès vers la surface. J'imagine qu'il ne voulait pas que des mortels s'y aventurent par mégarde. Ou bien il avait peut-être une autre raison… »

Les yeux mauves se posèrent sur le mur contre lequel était posée la tête du lit. Seul un mètre le séparait de… Shao Paï secoua la tête et enfonça cette pensée dans son esprit. Ce n’était pas le moment de se souvenir de ça.


Vanien fut soudain frappé par une idée : une demeure divine qui se trouvait sous terre, hors de portée des mortels, cela lui faisait forcément penser à...

« Les Enfers ? nous sommes aux Enfers, c'est ça ? Mais je croyais que c'était la demeure du divin Hadès... de maître Hadès, je veux dire.

– Arrête de penser comme un mortel, lui répéta sa maîtresse. Les dieux grecs n'ont qu'une seule demeure, celle d'Olympias. En plus, rien ni personne ne pourrait convaincre Hadès de vivre sous terre. Ce n'est absolument pas son genre.

– Oh. »

Le chevalier blond fronça les sourcils.

« Alors si je comprends bien, les Enfers se trouvent à Olympias ? »


Shao Paï le fixa un moment avant de demander :

« Dis, tu crois vraiment que les Enfers existent ? »

Vanien n'avait jamais eu à se poser la question.

« Bien sûr que oui, c'est là que vont les âmes des mortels à leur mort ! »

En voyant sa maîtresse secouer la tête, il commença à douter.

« Non ? Ce n'est pas comme ça que ça se passe ? Alors où vont les âmes des défunts ? »

Shao Paï prit un air indécis. Elle replaça l'écharpe de soie sur ses épaules.

« Tu sais, je crois que tu n'es pas encore prêt à l'entendre. Après tout, tu te considères encore un peu comme un mortel.

– Plus tant que ça, réalisa-t'il soudain. Les dieux, les chevaliers, les pouvoirs... je commence à m'y faire, dans le fond.

– Encore heureux, se plaignit la déesse. Ce n'est pas non plus comme si tu avais le choix !

– Ça ne me dérange pas, fit Vanien en haussant les épaules. Alors je pense que je suis prêt à savoir ce qui se passe après la mort.

– Bon, si tu es sûr... »


Avec un sourire amusé, la déesse répondit enfin :

« Après leur mort, les âmes des mortels... cessent d'exister. »

Vanien attendit une suite puis se rendit compte que ce serait tout.

« Hein ? s'écria-t'il. Ce n'est que ça ?!

– Bien sûr que ce n'est que ça. Qu'est-ce que tu croyais ? Seuls les dieux et leurs chevaliers sont immortels et peuvent renaître. Les mortels... quand ils meurent, c'est que leur temps est écoulé. Ils cessent tout bonnement d'exister. »

Vanien eut du mal à taire sa déception.

« Mais... mais... vous êtes sûre ? »

Shao Paï retint un soupir.

« N'oublie que tu t'adresses à une déesse.

– Justement, rétorqua Vanien, je me doute que les dieux ne s'intéressent pas à ce que deviennent les mortels après leur mort.

– Parce qu'ils cessent d'exister. C'est ça ce que ça veut dire, mourir.

– Je ne sais pas trop... »


Le chevalier de la terre prit un air pensif, presque rêveur.

« Imaginons... imaginons un peu que les mortels se réincarnent aussi...

– Non, ils ne le font pas, expliqua patiemment Shao Paï. S'ils le pouvaient, ce seraient des dieux.

– Oh, je ne parle pas d'une réincarnation comme la nôtre, bien sûr. Disons qu'ils changent d'apparence et qu'ils n'ont aucun souvenir de leur vie précédente... Si c'était le cas, vous les dieux ne pourriez pas vous en rendre compte, pas vrai ? »

Shao Paï prit un moment pour réfléchir aux propos de son chevalier.

« Tu dis qu'ils n'auraient pas la même apparence et qu'ils ne se souviendraient pas de qui ils étaient ? »

Vanien hocha la tête, fier de sa théorie.


« Cela veut dont dire que tous les mortels actuels auraient déjà vécu plusieurs vies auparavant, sans le savoir ? »

Nouveau hochement de tête.

« Qu'il n'y a donc aucune nouvelle vie possible, seulement des gens qui se réincarnent ? »

Hésitation. Vanien commençait à voir les limites de sa théorie.

« Hé bien...

– Quelle est la différence entre une nouvelle vie et une vie de réincarné alors ?

– Euh... aucune...

– Alors tu vois bien, s'il n'y a aucune différence, autant considérer que les mortels cessent d'exister à leur mort ! »

Interloqué, Vanien grimaça. Il avait vraiment cru à son argumentation, du moins jusqu'à ce que sa maîtresse ne vienne tout démolir.


« En plus, poursuivit-elle, le principe de mourir c'est justement de laisser place au nouveau. Sinon on n'aurait pas créé le temps. »

Cela attira l'attention du chevalier blond.

« Le temps a été créé aussi par les dieux ? s'ébahit-il.

– Tout a été créé, répondit la déesse.

– Mais vous avez dit qu'aucun dieu ne se souvenait de la Création du monde ! »

Avec une hésitation imperceptible, Shao Paï haussa les épaules.

« Ça ne veut pas dire qu'on ne s'en souvient pas. En tout cas, je peux te garantir que ta théorie de réincarnation ne tient pas pour les mortels. »


Vanien refusait d'en démordre.

« Ça reste quand même une possibilité ! plaida-t'il en désespoir de cause. Si on me disait qu'après ma mort je connaîtrais une nouvelle vie, ça me rassurerait quelque part.

– Quel intérêt de vivre une nouvelle vie si on perd tous ses souvenirs ? »

Cela fit froncer les sourcils de Vanien.

« Vous pensez donc que si on perd ses souvenirs, c'est comme si on était mort ? »

La déesse se tendit et garda le silence un moment. Son regard dériva vers le visage endormi de Myst Nail.

« Je ne sais pas, murmura-t'elle. Normalement si on oublie tout de son passé, on ne devrait plus être la même personne, et pourtant... »


Vanien n’en démordit pas, passionné :

« Même si nos souvenirs ont disparu, moi, je crois que notre personnalité doit rester la même !

– Mais qu'est-ce que la personnalité, si tu y réfléchis ? Est-ce que nous ne forgeons pas notre caractère au fil de nos expériences ? Personnellement, je crois que c'est tout notre vécu qui nous définit, et quand on a un autre vécu, on ne peut pas être tout à fait le même.

– Pas tout à fait le même, c'est vrai, concéda Vanien, mais n'y a-t'il pas certaines choses qui restent malgré tout ?

– À quoi penses-tu ? »

Le chevalier plissa la front.

« Je ne sais pas... Les liens familiaux... l'amitié... l'amour...

– Non, tout cela est également basé sur le vécu. La même personne rencontrée dans des circonstances différentes ne t'inspirera pas les mêmes sentiments.

– Alors les qualités personnelles, comme la bonté ou le courage ! »

Shao Paï haussa les épaules.

« Il y a beaucoup de braves gens. Ça ne veut pas dire qu'ils l'ont déjà été dans une autre vie. Dans tous les cas, on ne peut pas prouver ta théorie, alors elle ne sert à rien. »


Comme Vanien prenait un air vraiment déçu, la déesse s'enquit :

« Dis-moi, cette histoire a l'air de te tenir à cœur. Pourquoi donc ?

– Hé bien, c'est juste que... »

Le chevalier se gratta la tête, hésitant à poursuivre.

« Ces histoires d'amnésies... je ne peux que me sentir concerné, avoua-t'il. Moi et les autres, nous n'avons plus le souvenir d'être vos chevaliers, pourtant nous ne sommes pas devenus d'autres personnes pour autant ! »

Shao Paï hocha la tête, comprenant enfin où Vanien voulait en venir depuis le début.


« Je vois, mais ce n'est pas pareil dans votre cas. Vos souvenirs n'ont pas disparu, ils sont juste bloqués. Vous êtes toujours mes chevaliers, la preuve en est que vous avez retrouvé vos pouvoirs... enfin, la moitié d'entre vous, se rappela-t'elle en grimaçant.

– Comment pouvez-vous être certaine que nos souvenirs sont seulement bloqués ? Vous avez dit qu'aucun chevalier ne s'était encore retrouvé dans notre situation.

– C'est parce que je suis une déesse omnisciente, conclut-elle. Bon, il serait peut-être temps que tu retournes vérifier l'état de Murio et de Silène...

– Non ! » s'écria-t'il spontanément.


Il ne voulait vraiment pas retraverser les couloirs sinistres et silencieux pour aller veiller de nouveau les deux autres chevaliers. Il chercha rapidement un nouveau sujet de conversation.

« Euh... je me demandais... comment ça se fait que Babelhu ait été détruit ? »

Shao Paï soupira avec une pointe d'agacement.

« Tu auras la réponse à ta question quand tes souvenirs te reviendront. »

Vanien n'allait pas se laisser congédier comme ça !

« S'il vous plaît ! la supplia-t'il. Racontez-moi cette histoire. Ça fera passer le temps... »


Cela déclencha surtout un nouveau soupir.

« J'ai vraiment l'impression d'être une mère qui doit endormir ses enfants, se plaignit la déesse. Je ne suis pas là pour vous materner ! »

Vanien songea aussitôt :

« Pas de danger qu'on vous confonde avec notre mère ! »

Effectivement, au vu des entraînements sauvages qu'elle leur avait imposés, aucun doute n'était possible. Quand sa maîtresse lui lança un regard noir, il prit l'air le plus innocent et implorant possible.

« Bon, céda-t'elle finalement, ce n'est pas comme si j'avais mieux à faire pour le moment... »


Le jeune homme rayonna de bonheur. Il s'assit en tailleur sur le sol, impatient d'entendre un nouveau récit du passé. Shao Paï se cala dans son fauteuil, cherchant par où commencer.

« C'était peu de temps avant l'apparition des dieux grecs, fit-elle. Les autres dieux antiques n'étaient pas encore au courant de leur présence, étant donné qu'ils ne quittaient jamais Babelhu. Myst Nail et Hane Lath avaient préféré ne rien leur dire afin de ne pas les inquiéter. Pourtant, ils n'eurent bientôt plus le choix... »


~*~


C'était une journée comme tant d'autres à Babelhu. Shao Paï ne pouvait que grincer des dents face au ballet incessant de jours parfaitement identiques aux précédents. Cette routine l'écœurait ; cela lui donnait l'impression d'être prisonnière sans aucune échappatoire en vue. Les autres dieux semblaient trouver cette monotonie rassurante, mais pas elle. Honnêtement, elle se demandait parfois si ce n'était pas comparable à son emprisonnement dans la boîte de Pandore, c'était dire à quel point la situation lui pesait.


Elle ne pouvait même plus compter sur quelques heures de liberté en dehors des murs du palais car depuis l'apparition des nouveaux dieux, Myst Nail lui avait formellement interdit toute sortie. Cela ne faisait aucune différence pour les autres, tenus dans le secret, seule Shao Paï avait été vraiment pénalisée. Et malgré tous ses efforts, la déesse de la destruction n'était pas parvenue à faire changer d'avis le roi des dieux. Alors il ne lui restait plus qu'un seul espoir : la réincarnation de son chevalier Éland qui lui fournirait un prétexte en or pour quitter Babelhu. Mais il lui fallait encore attendre...


Théoriquement cette nouvelle journée n'aurait dû se distinguer en rien des autres, excepté qu'une vive clameur s'éleva de la terrasse en fin de matinée. Des cris de panique et d'excitation attirèrent l'attention de la déesse de la destruction qui se trouvait non loin. Elle se précipita sur les lieux et découvrit que Das Mala, Esté Fin et Lana Min étaient responsables de toute cette agitation. Penchés sur la rambarde de la terrasse, leurs chevaliers inquiets derrière eux, ils fixaient le toit d'une des tourelles du palais, vivement paniqués.


Shao Paï, suivie de ses propres chevaliers, les rejoignit rapidement.

« Que se passe-t'il ? demanda-t'elle en suivant leur regard.

– Ces gens sont apparus d'un coup ! expliqua Das Mala. Tu crois que ce sont de nouveaux chevaliers ? »

Shao Paï repéra le duo d'intrus : un homme aux longs cheveux roux dont les yeux violets ne reflétaient que de la curiosité, et une femme au cheveux noirs et courts, au visage fermé. La déesse de la destruction se figea un instant.

« Ce ne sont pas de nouveaux chevaliers, répondit-elle d'un ton absent, du moins seulement l'un d'eux.

– Qu'est-ce que tu veux dire ? s'étonna Esté Fin, les sourcils froncés.

– Je m'occupe d'eux, assura-t'elle. Reculez. »


En échangeant des regards perplexes, les trois dieux obéirent et leurs chevaliers en profitèrent pour se mettre devant leurs maîtres afin de les protéger. Les trois chevaliers de Shao Paï restèrent hésitants : techniquement ils devraient également protéger leur maîtresse mais ils ignoraient si leur intervention serait la bienvenue. De plus Shao Paï ne donnait pas l'impression de se préparer à un combat : elle était visiblement tendue mais pas agressive.


La déesse aux longs cheveux noirs bouclés tendit la main vers les deux inconnus.

« Viens, » fit-elle en fixant en particulier le jeune homme roux.

Ce dernier éclata d'un rire ravi et bondit vers elle, au grand dam de sa compagne qui le suivit avec hâte. L'homme atterrit délicatement sur la terrasse, ses yeux violets pétillants de gaieté.

« Salut ! fit-il énergiquement. Je suis Dionysos. Et toi ?

– Je suis Shao Paï, déesse de la destruction.

– Ah oui, les présentations... et moi, je suis le dieu de... ah, zut ! Père me l'a dit pourtant mais j'ai déjà oublié. Pomone ? fit-il en se tournant vers la femme qui l'accompagnait.

– Vous êtes le dieu de la vigne, de l'ivresse et de la transe, maître, » lui rappela-t'elle d'une voix très patiente.

Il lui lança un sourire chaleureux.

« Merci, il va vraiment falloir que je retienne ça ! »


Shao Paï ferma les yeux en entendant les murmures excités de ses compagnons derrière elle.

« Il a bien dit qu'il était un dieu ? fit Esté Fin avec incrédulité.

– Et c'est qui, ce Père ? » s'étonna Lana Min.

Myst Nail n'allait pas du tout apprécier cette intrusion, lui qui voulait cacher l'existence des nouveaux dieux.

« Shao Paï, reprit Dionysos en ramenant l'attention de la déesse sur lui, Père ne cesse de parler de toi ! J'étais vraiment impatient de faire ta connaissance.

– Et ton père ne t'a pas dit de rester loin de Babelhu ? » répliqua-t'elle en fronçant les sourcils avec sévérité.


Le jeune dieu se gratta la tête avec un sourire gêné mais quelque peu insouciant.

« Bah si, il nous l'a même répété plusieurs fois. Mais bon, j'avais juste envie de jeter un coup d'œil, c'est tout. Où est le mal ?

– Justement, songea Shao Paï avec angoisse, il arrive... »

Elle pouvait sentir l'arrivée imminente de Myst Nail rien qu'à la façon dont l'atmosphère s'alourdissait. Elle n'était pas la seule à le ressentir, vu l'air de malaise qu'arboraient les trois dieux derrière elle.

« Pars tout de suite, fit-elle à mi-voix au dieu roux, et ne reviens jamais ! »

Malheureusement Dionysos ne saisit pas la gravité de la situation. Sa chevalière par contre sembla plus réceptive mais elle ne pouvait guère agir contre la volonté de son maître.

« Pas question, protesta le jeune homme, je viens à peine d'arriver, ce serait dommage ! »


Shao Paï n'eut même pas le temps de jurer : Myst Nail arriva sur la terrasse, ses yeux rouges flamboyant de colère.

« Que se passe-t'il ici ? » demanda-t'il d'une voix tonnante.

Dionysos se rendit enfin compte du danger car son sourire débonnaire disparut et il se tint hésitant, mal assuré. La mort dans l'âme, Shao Paï se tourna vers le souverain des dieux. Tous les autres semblaient réduits au silence, aussi ce fut à elle de répondre.

« Ce n'est rien de grave, Myst Nail, fit-elle en feignant le détachement. Il est arrivé ici par accident et il allait justement repartir. »

Le nouveau dieu eut cette fois la sagesse de ne pas protester.


La fureur de Myst Nail ne se calma pas, bien au contraire.

« C'est un nouveau dieu ? nota-t'il. Il est venu nous espionner ?!

– Ne sois pas ridicule, répondit la déesse en secouant la tête. Zeus n'irait pas envoyer des espions.

– Ah non ? »

Le dieu du mal lui lança un regard soupçonneux.

« Tu m'as l'air bien sûr de toi en ce qui concerne les intentions de ce fourbe de Zeus ! »

Shao Paï se retint de lever les yeux au ciel. Myst Nail s'était forgé sa propre opinion du roi des nouveaux dieux et elle n'était guère flatteuse.

« Je t'interdis d'insulter mon père ! s'énerva soudain Dionysos. Pour qui tu te prends ?! »


Le temps se figea un instant puis Myst Nail rassembla son pouvoir en une sphère sombre entourée d'éclairs rubis. Au moment où il allait la projeter sur cet insolent, Shao Paï s'interposa entre les deux.

« Non, s'écria-t'elle, ne le tue pas ! »

Myst Nail interrompit son geste, le visage figé dans un rictus furieux. Il était tendu à l'extrême mais parvint tout de même à arrêter son attaque au prix d'un immense effort. Les grands yeux sombres de Shao Paï étaient écarquillés. Elle était effrayée par ce qui avait failli se reproduire mais elle se tenait résolument devant Dionysos, prête à le protéger de Myst Nail si nécessaire. Le danger n'était pas encore passé.


« Écarte-toi, » ordonna le dieu du mal entre ses dents.

Elle secoua la tête sans le quitter des yeux. Il se renfrogna davantage.

« Écarte-toi ! » répéta-t'il.

Elle redressa le menton avec résolution. Le dieu inspira profondément pour se calmer.

« Tu es prête à défendre un ennemi ? l'accusa-t'il.

– Il n'est pas venu en ennemi, répliqua Shao Paï. Laisse-le repartir, je t'en prie.

– Pour qu'il raconte à Zeus tout ce qu'il a découvert ici ?

– Il n'a rien vu ! En tout cas, rien que Zeus ne sache déjà.

– Peu importe, c'est une question de principes ! explosa Myst Nail. Zeus et sa progéniture peuvent bien se balader dans le monde, cela m'est égal, mais Babelhu... Ici, c'est notre territoire et je ne tolérerai pas qu'un seul de ces nouveaux dieux y mette les pieds. Celui-là, fit-il en désignant Dionysos d'un coup de menton, va servir d'exemple pour les autres ! »


Tandis que le dieu roux rentrait la tête dans les épaules, terrorisé, Shao Paï persévéra :

« Tu ne vas pas en faire un exemple, tu vas en faire un déclencheur ! Si tu le tues, cela fournira une excellente raison aux nouveaux dieux pour nous attaquer et...

– Soit ! la coupa-t'il avec une lueur sanguinaire dans le regard. Qu'ils viennent nous faire la guerre, je les massacrerai tous jusqu'au dernier ! »

Sa férocité était telle que même les trois autres dieux présents se serrèrent les uns contre les autres, effrayés par cet aspect de leur souverain qu'ils ne connaissaient pas.


Quant à Shao Paï, elle baissa les bras et ses yeux fixèrent l'autre dieu avec consternation.

« Comment oses-tu dire ça ? » murmura-t'elle.

Myst Nail écarquilla soudain les yeux et parut reprendre ses esprits. Son regard quitta Shao Paï pour se poser sur le groupe apeuré d'Esté Fin, Lana Min et Das Mala, puis sur Dionysos qui semblait avoir perdu toute sa fougue. Même les chevaliers semblaient choqués, quoiqu'ils dissimulaient leurs sentiments du mieux qu'ils le pouvaient.


Le dieu du mal soupira et dissipa son pouvoir. L'atmosphère redevient respirable pour tout le monde. Il ramena son regard sur Shao Paï.

« Entendu, fit-il, je ne vais pas le tuer. »

La déesse de la destruction ferma les yeux et son visage exprima le soulagement. Cependant, Myst Nail n'avait pas fini :

« Tu vas le garder avec toi en attendant que je décide de son sort. Son... intrusion ne doit pas rester impunie. »

Shao Paï cligna des yeux.

« Euh... comment tu veux que je l'empêche de partir ? demanda-t'elle. C'est un dieu, il peut se matérialiser ailleurs quand il veut. »

Mais Myst Nail s'était déjà détourné d'elle.

« Trouve un moyen, » répondit-il en s'éloignant.


Il passa à côté des trois autres dieux qui reculèrent légèrement. Même s'il ne dit rien, il nota leur réaction et se rembrunit.

« Dis, reprit Shao Paï, mettons qu'il s'enfuie de Babelhu, j'ai le droit d'aller à sa poursuite ?

- Non ! » répliqua-t'il fermement en quittant la terrasse.

Shao Paï fit la moue.

« Pff, c'est facile pour lui de donner des ordres, » marmonna-t'elle.

Elle se tourna vers Dionysos qui ne s'était pas encore remis de la scène qui venait de se dérouler : il était pâle et figé, regardant fixement l'ouverture où Myst Nail avait disparu. Les trois autres dieux étaient dans le même état. Shao Paï ne pouvait guère les critiquer, ils avaient échappé de justesse à la catastrophe. Si Myst Nail avait perdu le contrôle, alors cela aurait été désastreux... comme la dernière fois.


La déesse fronça les sourcils en songeant :

« Il s'était si bien tenu jusqu'à présent... C'est curieux qu'il se laisse envahir comme ça par la rage, c'est bien trop rapide. Je crois que l'arrivée des nouveaux dieux l'a ébranlé bien plus que je ne le pensais. Mais se mettre en colère ne résoudra pas le problème ! »

Elle soupira puis se concentra sur la tâche qui lui était dévolue.

« Dionysos, fit-il, est-ce que tu me promets de ne pas chercher à t'échapper ? »

Cela fit réagit la chevalière du nouveau dieu :

« Il est hors de question que mon maître reste ici si sa vie est menacée ! »


Cela eut pour effet de réveiller les chevaliers de Shao Paï.

« Comment oses-tu parler à notre maîtresse sur ce ton ?! s'énerva Alinda. Tu n'es même pas digne de lui adresser la parole ! »

Si Ménestan et Vanien furent surpris par la verve de la jeune femme à défendre l'honneur de leur maîtresse, ils n'en laissèrent rien paraître et toisèrent la chevalière de Dionysos d'un air menaçant. Shao Paï secoua la tête mais décida d'ignorer les agissements des chevaliers pour se concentrer sur le nouveau dieu qui arborait un air de doute.


« Myst Nail a dit qu'il ne te tuera pas, lui rappela-t'elle, et il tiendra parole. S'il le faut, je l'y obligerai. Alors tant que tu es ici, tu es sous ma protection, je te le promets. Mais si tu décides de partir et que Myst Nail se lance à ta poursuite, je ne pourrai plus rien faire pour t'aider. »

Cela sembla convaincre le dieu roux.

« D'accord, accepta-t'il en provoquant un cri d'indignation chez sa chevalière. J'accepte, mais surtout parce que je ne veux pas que tu aies des ennuis par ma faute. »

Shao Paï eut un sourire forcé.

« Ne t'en fais pas pour ça, fit-elle avec un soupir, je ne t'ai pas attendu pour avoir des ennuis. Mais merci quand même de t'en inquiéter. »


Sentant que le danger était passé, les trois dieux spectateurs s'approchèrent timidement de la déesse de la destruction.

« Euh, Shao Paï ? se hasarda Das Mala. C'est quoi cette histoire de nouveaux dieux ? »

La déesse grimaça. Évidemment, Myst Nail était parti sans donner une seule explication. Du coup il la laissait gérer tout ce bazar !

« En fait, » commença-t'elle avant de s'arrêter.

Elle songea brièvement à les envoyer demander des explications à Hane Lath mais se ravisa aussitôt : la déesse de la musique semblait aussi biaisée que son époux en ce qui concernait les nouveaux dieux. Ce ne serait donc pas une bonne idée de lui laisser le soin de présenter la situation : elle se ferait une joie de répandre son aversion parmi ses compagnons, ce qui rendrait la situation encore plus tendue !


Cependant Shao Paï ne se sentait pas non plus la force d'informer les autres dieux. Elle lança un regard en coin à Dionysos qui débattait fermement avec sa chevalière sur le bien-fondé de sa décision, et un sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'une idée germait dans son esprit. Voilà qui réglerait deux de ses problèmes immédiats.

« Et si nous allions tous dans mes appartements ? suggéra-t'elle joyeusement. Je vais laisser le soin à Dionysos de tout vous expliquer et il se fera une joie de répondre à toutes vos questions. »

Le dieu en question prit un air confus mais il n'était guère en position de refuser.


~*~


Deux heures plus tard, Dal Mala, Lana Min et Esté Fin sortirent des appartements de Shao Paï avec le sourire. Dionysos s'était montré charmant et drôle, et les avait entièrement rassuré au sujet des nouveaux dieux. Il avait répondu de bonne grâce à leurs questions, même les plus insolites, et la crainte avait peu à peu cédé la place à l'excitation. Shao Paï dut tout de même intervenir pour calmer leur enthousiasme grandissant car les trois dieux voulaient aller de ce pas avertir leurs compagnons de cet incroyable événement.


« Myst Nail n'appréciera guère que la nouvelle se répande, » les prévint-elle.

Elle usait injustement de la terreur récente inspirée par le dieu du mal pour les faire taire mais c'était là le moyen le plus rapide.

« Je pense qu'il voudra lui-même en informer les autres. En attendant, je vous demande de garder le secret. Est-ce que je peux compter sur vous ? »

Les trois dieux acquiescèrent en chœur avant de partir avec des murmures excités. Nul doute qu'ils allaient prolonger la conversation entre eux.


Shao Paï se laissa tomber sur le canapé en soupirant tandis que ses chevaliers débarrassaient la table des plats et boissons qui avaient été servis aux invités. Assis sur un fauteuil en face d'elle, Dionysos la fixait en souriant. Elle finit par le remarquer et lui lança un regard appuyé.

« Quoi ? demanda-t'elle.

– Tu es exactement comme Père l'avait dit, » expliqua le dieu roux en hochant la tête.

Shao Paï se retint de se masser la tempe.

« Ah, Zeus t'a parlé de moi ? en déduisit-elle.

– Oh, il est intarissable sur ton sujet ! Tu lui as fait une forte impression. Et il avait bien raison : tu es de notre côté. »


Le regard sombre de la déesse se durcit soudain et en un éclair, elle avait bondi pour empoigner Dionysos par le cou tandis que son autre main pressait contre la gorge du dieu apeuré une dague acérée qu'elle venait de créer. La scène avait basculé si vite que Pomone, la chevalière du nouveau dieu, n'eut même pas le temps de réagir. Quand elle se rendit compte du danger que courait son maître, elle se mit en positon d'attaque. Les chevaliers de Shao Paï lâchèrent aussitôt les plats qu'ils tenaient pour s'interposer devant les deux dieux.

« Ne t'avise plus jamais de dire ça, siffla la déesse. Je ne suis pas de votre côté, tu m'entends ?

– Mais pourtant, protesta faiblement Dionysos, Père dit que...

– Ton père est un fou, inconscient des dangers qui l'entourent et incapable de savoir à quel moment se taire. Et toi... tu es bien son fils ! »


Elle relâcha légèrement sa prise, mais pas suffisamment pour que son prisonnier se sente à l'aise.

« Pour l'instant, poursuivit-elle avec sévérité, je ne pense pas que vous représentiez une menace pour les miens mais si jamais il s'avère que je me trompe, sache que je vous tuerai tous de mes propres mains. Myst Nail n'aura rien à faire. Est-ce bien compris ? »

Incapable de détourner les yeux, le dieu roux hocha frénétiquement la tête. Shao Paï plissa les yeux et l'examina un moment avant de le libérer totalement. Elle fit disparaître la dague.

« Parfait, conclut-elle. Je suis ravie que les choses soient claires entre nous. »

Beaucoup moins enthousiaste, Dionysos se massa la gorge nerveusement.


Le regard de la déesse se porta sur les plats tombés à terre et elle fit claquer sa langue.

« Alinda, Ménestan, Vanien, les réprimanda-t'elle. Il me semble que vous deviez ranger ! »

Rappelés à l'ordre, les trois chevaliers s'attelèrent aussitôt à la tâche, se désintéressant totalement de la chevalière de Dionysos. Cette dernière en profita pour se rapprocher de son maître, soulage de constater qu'il était indemne et que Shao Paï s'en était éloignée pour regagner le canapé. Pomone se pencha vers son maître afin de lui murmurer d'un ton pressant :

« Maître, je vous en prie, quittons cet endroit ! »

Mais Dionysos secoua la tête.

« J'ai donné ma parole, Pomone. Je ne partirai pas.

– Mais... »

Un regard sévère de la part de son maître fit taire la chevalière qui déglutit. Quant à Shao Paï, elle fit mine d'ignorer cet échange et se resservit du vin. La journée allait être longue jusqu'à ce que Myst Nail prenne sa décision.






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