Chapitre Vingt-Neuf : La querelle (partie 3)
Trois jours plus tard, lors d'une soirée organisée par Arès, le dieu de la guerre, Shao Paï était à deux doigts d'étrangler Myst Nail. Loin de régler les choses, ce dernier avait laissé se répandre la rumeur qu'il avait quitté Hane Lath, et les dieux ne cessaient d'évoquer ce scandale à tout bout de champ. La version la plus courante était que la rupture avait eu lieu lors de la soirée de Mine Dias où on avait vu Hane Lath repartir seule au milieu de la soirée après une discussion privée avec son époux. Comme beaucoup de dieux se rappelaient avoir vu Shao Paï discuter avec elle peu avant, ce dernier s'était vu assaillir de questions jusqu'à ce qu'il décrète qu'il ne voulait plus voir un seul dieu antique.
Après maintes hésitations cependant, il avait accepté de se rendre à la soirée d'Arès mais uniquement parce que les dieux grecs y seraient majoritaires, qu'il devait montrer l'exemple d'intégration entre les deux clans divins et que Zeus serait présent, lui garantissant ainsi l'absence de Myst Nail qu'il avait également refusé de voir depuis la dernière fois, malgré l'insistance de ce dernier. Toutefois, Shao Paï avait rapidement regretté sa décision : la rupture entre les rois des dieux antiques étaient également le sujet général de conversation ce soir-là. Les dieux grecs semblaient se réjouir de ce malheur. C'en était écœurant.
Apollon, le dieu de la lumière, discutait justement de cela non loin de lui, dans un petit groupe de dieux constitués d'Aphrodite et de Poséidon. Il l'aperçut et l'interpella soudain :
« Ah, Shao Paï, toi qui es si proche de ces deux-là, tu en sais certainement plus que nous, non ? »
Shao Paï lança un regard mauvais au dieu blond.
« Je n'assouvirai pas ton appétit malsain pour les ragots, répliqua-t'il froidement.
– Aah, ne dis pas ça, lui sourit son interlocuteur. Ce n'est pas de la curiosité malsaine ! Je m'inquiète juste de la nouvelle dynamique de pouvoir chez vous autres. »
Pour le coup, Shao Paï se rapprocha du groupe, les sourcils froncés.
« Que veux-tu dire ? »
Toujours souriant, Apollon expliqua :
« Ben, Myst Nail restera votre roi, pas de doute là-dessus, mais qu'arrivera-t'il à Hane Lath ? Après tout, elle n'était reine que parce qu'elle était l'épouse de Myst Nail. Si maintenant il la quitte pour une autre femme, elle perdra son rang et une nouvelle reine des déesses antiques apparaîtra.
– Hane Lath restera la reine des déesses antiques, affirma fermement le dieu de la destruction.
– Mmm, pas sûr. Si Myst Nail a réellement quelqu'un d'autre en vue, ce serait plus naturel que sa nouvelle compagne devienne votre reine. Allez, tu sais forcément quelque chose, pas vrai ? Dis-nous tout. »
Shao Paï fit claquer sa langue avec agacement.
« Tu sais, même si j'étais au courant de quoi que ce soit, je ne le divulguerais pas. Cette histoire est privée et doit se régler en privé. »
Apollon fit la moue.
« Tu n'es pas drôle. Et puis il n'y a rien de privé concernant les dieux. Ce serait tellement ennuyeux sinon... »
Un sourire mauvais illumina le visage du dieu antique.
« Rien de privé, hein ? Alors si on parlait plutôt de cette gamine mortelle à qui tu aurais accordé le don de prophétie pour la punir de t'avoir repoussé ? »
Rouge d'embarras, le dieu de la lumière recula d'un pas tandis qu'à côté de lui Aphrodite éclatait franchement de rire et Poséidon souriait d'un air grivois.
« Eh ?! où est-ce que tu as entendu parler de ça ? ... Oh, je vois, toujours à traîner parmi les mortels... »
Shao Paï ne nia pas.
« J'aime avoir des informations de toutes les sources disponibles. Tu n'imagines pas à quel point les mortels peuvent se montrer fort utiles dans ce domaine. Alors, on continue à parler de ce qui devrait être privé ? »
En bougonnant, le dieu grec se retira, suivi par ses deux compagnons encore hilares.
Shao Paï monta les escaliers pour gagner un balcon qui surplombait la salle de réception. Il ne tirait qu'un mince plaisir de cette victoire. Il était bien plus préoccupé par l'ampleur que prenait ces rumeurs. Il avait fait exprès d'éviter Myst Nail depuis la confrontation avec Hane Lath dans l'espoir que cela calmerait les choses. Apparemment cela n'avait servi à rien. Les rumeurs avaient continué à circuler avec entrain même parmi les dieux grecs, et les spéculations faisaient rage. Il était presque tenu pour officiel que le couple divin s'était séparé. La seule chose que les dieux ignoraient en était la raison.
Bizarrement, tout le monde n'était pas convaincu que Myst Nail s'était trouvé une autre amante, alors que cela aurait dû être la raison la plus évidente. Mais d'un autre côté le roi des dieux antiques n'avait pas la même réputation de coureur que Zeus. Pour bon nombre de dieux, la raison de la rupture serait un désaccord qui avait dégénéré. En tout cas Shao Paï pouvait être rassuré sur un point : personne ne le soupçonnait d'être à l'origine de cette séparation. Et tant qu'il parviendrait à éviter Myst Nail, il resterait insoupçonnable. Il se doutait bien qu'il ne pourrait pas éternellement continuer ainsi mais c'était toujours du temps de gagné et peut-être que Myst Nail allait finir par recouvrer la raison. On pouvait toujours rêver.
Quelqu'un s'accouda à la rambarde à côté de lui : c'était Zeus.
« Tu t'amuses bien ? » demanda le roi des dieux grecs.
À l'instar de Shao Paï, Zeus aimait changer d'apparence — mais pas de façon aussi spectaculaire que dans les mythes des mortels. Toutefois comme les autres dieux, ce changement n'était que temporaire et requérait pas mal d'énergie. Du coup Zeus ne le faisait que pour les soirées ou pour jouer un vilain tour. Son apparence normale était celle d'un homme assez grand, aux cheveux bruns et aux yeux gris. C'était également avec Myst Nail le seul dieu dont Shao Paï ne pouvait percevoir la véritable essence, ce qui faisait qu'il ne pouvait pas reconnaître Zeus quand ce dernier avait envie de changer son apparence. Malgré tout les deux dieux s'entendaient plutôt bien — selon les humeurs du moment.
« Ça pourrait être pire, soupira Shao Paï. Dis, tu ne pourrais pas dire à tes enfants d'arrêter de colporter des ragots sur nous ? »
Zeus eut un léger rire amusé.
« Pourquoi donc voudrais-je les priver d'un tel divertissement ? répliqua-t'il. Et puis, c'est amusant de voir le toujours si sérieux Myst Nail au cœur d'un scandale amoureux.
– Mouais, je ne sais pas pourquoi que je me suis fatigué à demander. C'est sûr que pour une fois qu'on ne parle pas de toi et de scandale...
– Mmm. En tout cas, il va bientôt y avoir du changement de votre côté, pas vrai ? »
Shao Paï grimaça.
« Non, tu ne vas pas t'y mettre aussi ! Je me refuse à parler de ça. »
Mais Zeus poursuivit tout de même :
« Le clivage entre ceux qui estiment qu'Hane Lath ne devrait pas être reine et ceux qui la soutiennent va créer des remous. Dans quel camp vas-tu te placer ? »
Shao Paï ferma les yeux.
« Je ne compte pas prendre parti.
– Tu ne vas pas avoir le choix, tu sais.
– Oh que si. J'ai bien l'intention d'aller voir ailleurs le temps que les choses se calment.
– Je vois. Et si ça ne se calme pas ?
– Hum... »
Zeus prit soudain un air très sérieux.
« Ce n'est pas la première fois que je te le dis mais sache que mon offre est toujours aussi sincère : joins-toi à nous. Deviens un dieu grec et je te promets que tu n'auras plus à te soucier de tout cela. »
Shao Paï secoua la tête. Effectivement Zeus lui avait déjà fait cette proposition à plusieurs reprises — notamment dès leur première rencontre ! — et il était difficile de savoir s'il était vraiment sérieux ou non. Shao Paï avait toujours pris ses offres sur le ton de la plaisanterie et ce soir ne serait pas une exception.
« Sûrement pas, ce serait bien trop compliqué. En plus il faudrait que je prenne un nom grec et je n'ai absolument aucune idée. »
Zeus eut un grand sourire.
« Facile, tu n'as qu'à en choisir un dans notre mythologie.
– Hein ? »
Zeus tapota son menton, pris dans son idée.
« Tu as certainement remarqué que dans les livres des mortels,il y est mentionné bien plus de dieux grecs qu'il n'en existe vraiment. »
Shao Paï avait en effet parcouru ces ouvrages mais, pour lui, cette abondance s'expliquait assez facilement :
« Oui, mais c'est parce que les mortels confondent les dieux et les chevaliers, sans parler de certaines de vos incarnations qui se sont fait remarquer.
– Ce n'est pas seulement ça. Comme tu le sais sans doute, j'ai inspiré la plupart de ces écrits. Il est vrai qu'Héra en a fait modifier beaucoup mais elle n'a pas touché aux différents protagonistes. Sache que dans ma grande générosité et dans l'espoir d'une union entre nos deux clans, j'ai prévu un rôle pour chacun des dieux antiques dans notre mythologie. »
C'était bien la première fois que Shao Paï en entendait parler. Il avait simplement cru avant que cette multitude de dieux était uniquement due à l'imagination trop fertile des mortels.
Sa curiosité le titillant, il demanda malgré lui en se penchant vers le roi des dieux grecs :
« Alors dis-moi, quel rôle as-tu prévu pour moi ? »
Zeus eut un sourire indéchiffrable avant de répondre :
« Cronos. »
Shao Paï fouilla dans ses souvenirs, puis grimaça.
« Oh, ton père... celui qui dévorait ses enfants parce qu'il craignait que l'un d'eux ne le détrône un jour. Sympathique. Ça prouve à quel point tu m'apprécies. »
Mais le dieu du ciel secoua la tête.
« Ce n'était pas la version de départ, vois-tu. Cela fait partie des textes qu'Héra a changés, sans doute pour se venger de moi à travers le personnage de Cronos. »
Il soupira lourdement avant de reprendre :
« À l'origine c'est Rhéa, ma mère, qui dévorait ses enfants dès leur naissance. En fait elle ne voulait pas d'eux parce qu'ils risquaient de distraire l'attention de Cronos d'elle. Mais elle ne pouvait pas non plus renoncer à s'unir à lui alors le cycle sans fin recommençait. Quand mon père se rendit compte de ce qu'elle faisait, lui qui voulait tellement des enfants, il mit au point un plan. Il fit l'amour à Rhéa pendant neuf mois sans discontinuer, si bien qu'elle tomba d'épuisement au moment d'accoucher. Cronos put alors récupérer son premier fils, moi, mais il dut m'envoyer au loin pour que Rhéa ne s'aperçoive de rien. Il fit de même avec mes frères et sœurs. Quand je fus assez grand, je me suis porté à son secours et j'ai enfermé Rhéa dans le Tartare. Vu qu'elle était très puissante, elle aurait pu finir par s'échapper un jour et détruire l'univers en guise de vengeance alors pour éviter cela, Cronos s'est fait enfermer avec elle pour la calmer. Fin de l'histoire. »
Une sueur glacée avait coulé le long du dos de Shao Paï tout au long de ce récit. Il déglutit quand Zeus eut fini.
« C'est... tout à fait autre chose. Mais je ne comprends pas pourquoi Rhéa voyait ses propres enfants comme une menace. »
Le roi des dieux grecs prit une expression troublée et tragique.
« Elle aimait tant Cronos qu'elle ne supportait pas que qui que ce soit les sépare, même s'il s'agissait de leurs enfants, la concrétisation de leur amour. »
Un silence mortifié s'ensuivit. Shao Paï ne pouvait en croire ses oreilles.
« C'est trop tordu pour moi, déclara-t'il finalement. Je n'ai aucun envie d'appartenir à la même famille que des gens capables d'inventer une histoire pareille. »
Zeus sourit de façon énigmatique.
« Qui te parle d'invention ? »
Le dieu de la destruction tiqua et fixa Zeus droit dans les yeux. Ce dernier ne laissa rien paraître. Afin d'en savoir plus, Shao Paï demanda d'un ton circonspect :
« Dis-moi, juste par curiosité, qui as-tu prévu dans le rôle de Rhéa ? »
L'expression de Zeus redevint espiègle et taquine.
« Voyons voir... qui pourrait bien être amoureux de toi au point de vouloir tuer tes enfants ? »
Shao Paï retint un frisson.
« Il sait, » songea-t'il, frappé par cette certitude.
Zeus poursuivit en baissant les yeux vers l'entrée :
« Et au point de venir te chercher ici alors qu'il fait tout pour m'éviter d'ordinaire ? »
Les yeux de Shao Paï restèrent rivés sur lui jusqu'à ce qu'une clameur ne détourne son attention.
« Myst Nail ! » s'écrièrent quelques dieux grecs.
Aussitôt un malaise général s'installa. Les yeux virevoltèrent de Zeus à Myst Nail, et chacun se prépara mentalement à une catastrophe imminente. Les deux souverains s'étaient fait un point d'honneur à s'éviter lors des soirées organisées par les autres dieux. En fait ils ne s'étaient pas officiellement fait face depuis la bataille d'Olympias et tous les dieux avaient encore en mémoire leur combat titanesque. La croyance générale disait que si ces deux dieux se rencontraient à nouveau, alors cela voudrait dire que la fin du monde était proche.
Les mains de Shao Paï se crispèrent sur la rambarde tandis que le roi des dieux antiques fendait tranquillement la foule pour atteindre le pied des escaliers. Le bruit de ses bottes de cuir souple retentit comme le glas alors qu'il montait les marches dans un silence de mort, suivi par sa chevalière Silène qui cachait sa perplexité sous un masque d'indifférence glaciale comme à son habitude. Myst Nail finit par arriver devant Shao Paï et Zeus, et son visage arbora une expression légèrement irritée en les voyant ensemble. À l'inverse, Zeus semblait ravi.
« Sois le bienvenu, Myst Nail, l'accueillit-il d'un ton convivial. Permets-moi de t'offrir une coupe de vin en l'honneur de cette rencontre inattendue. »
Myst Nail croisa les bras, le visage fermé.
« Je ne reste pas, déclara-t'il. Je suis juste venu chercher Shao Paï. »
L'intéressé se hérissa.
« Moi, j'ai bien l'intention de rester, » argua-t'il.
Myst Nail haussa un sourcil.
« Tu préfères qu'on discute en public ? Libre à toi. Alors...
– Non, c'est bon ! » l'interrompit le dieu de la destruction.
Il soupira lourdement en se tournant vers Zeus.
« Je dois y aller. Bonne soirée. »
Le dieu du ciel agita la main dans sa direction.
« Pas de souci. Et n'oublie pas, si jamais tu changes d'avis, tu peux toujours devenir un dieu grec. Mon offre n'est pas limitée dans le temps. »
Bien évidemment, Zeus n'avait mentionné cela que dans l'unique but d'agacer Myst Nail et cela fonctionna mieux que prévu. Le dieu antique enlaça Shao Paï de derrière et le serra contre lui en un geste possessif.
« Hors de question, Zeus, siffla-t'il. Shao Paï est à moi ! »
Un grand sourire illumina le visage du dieu grec.
« Je ne m'étais pas trompé, commenta-t'il, c'est une vraie Rhéa ! »
Dans un premier temps, Shao Paï avait été bien trop choqué pour réagir mais il se reprit très vite et tenta de s'extirper de l'étreinte de Myst Nail.
« Décidément, quelque chose ne tourne pas rond chez toi ! cracha-t'il. Lâche-moi tout de suite ! »
Le dieu du mal desserra les bras mais sans le relâcher totalement.
« Pourquoi tu te comportes ainsi ? se plaignit-il. Tu étais beaucoup moins farouche quand nous avons passé la nuit ensemble... »
Shao Paï connut un moment de blanc en fixant Myst Nail par-dessus son épaule.
« Il n'a pas pu dire ça ?! » songea-t'il.
Mais en entendant les murmures excités plus bas, il comprit que si.
« Tu... je... espèce de... »
Les mots se bloquèrent dans sa gorge tant il était furieux et outré. Zeus éclata soudain d'un rire ravi.
« Compris, les amoureux, fit-il. Je ne mettrai pas entre vous ! »
Shao Paï le fusilla du regard mais le dieu grec ne se départit pas de sa gaieté. Au final le dieu de la destruction ne savait pas lequel des deux il voulait étriper en premier. Cette indécision lui fut fatale. Myst Nail en profita pour l'entraîner vers la sortie, sous les regards éberlués des dieux présents, et le transporta ensuite dans la demeure de Shao Paï. Cette nuit-là, en quelques heures à peine, tout le reste d'Olympias fut au courant de la nouvelle. Shao Paï pouvait dire adieu à sa neutralité dans cette histoire.
Une fois chez lui, le dieu de la destruction retrouva l'usage de la parole mais il se contenta de lancer un regard noir à Myst Nail dans un premier temps. Cela ne parut pas déranger l'autre dieu qui lui rendait son regard. Myst Nail avait congédié Silène dès leur arrivée aussi les deux hommes étaient-ils seuls dans le salon. Quant aux chevaliers de Shao Paï, ils avaient également été renvoyés de la pièce.
Après un long silence glacial, le dieu de la destruction s'adossa contre un mur et fit d'un ton légèrement plus calme mais tout de même agressif :
« On peut savoir ce que tu m'as fait tout à l'heure ? »
Myst Nail était quant à lui assis sur un divan. Il ne donnait pas l'impression de regretter ses actions, comme si tout cela avait été parfaitement normal.
« Je suis venu te chercher parce que cela fait des jours que je cherche à te voir. On dirait presque que tu veux m'éviter. »
Shao Paï ne répliqua pas, en partie parce que c'était la vérité.
« Je ne parle pas de ça, éluda-t'il. Je parle de ta petite révélation en public. Tu ne te rends pas compte, mais maintenant tout le monde va être au courant !
– Et est-ce une mauvaise chose ? » demanda le dieu du mal d'un ton doux mais lourd de conséquence.
Shao Paï le fixa un moment avant de secouer la tête en signe d'exaspération.
« Ce n'est pas comme ça que cela devait se passer ! » répliqua-t'il simplement.
Myst Nail croisa les bras, renfrogné.
« Eh bien, tu n'as pas vraiment pris le temps de discuter avec moi de la façon dont tu voulais que les choses se passent. Tu étais bien trop occupé à m'éviter.
– N'importe quoi ! protesta ce dernier. Je t'ai dit ce que j'en pensais dès le matin. C'est toi qui n'en as fait qu'à ta tête !
– Ce que tu en pensais ? Ah oui, se souvint Myst Nail en haussant un sourcil, tu voulais qu'on fasse comme si rien ne s'était passé.
– Non ! mais en tout cas, je ne voulais pas que cela devienne public comme maintenant ! »
Myst Nail le fixa avec incrédulité.
« Si je comprends bien, résuma-t'il, tu voulais garder notre relation secrète, comme quelque chose de honteux, tandis que je serais resté officiellement marié à Hane Lath.
– Je...
– Mais bien sûr, nous aurions quand même pu nous amuser de temps en temps.
– En fait...
– Je ne te croyais pas comme ça. »
Cette affirmation dénuée d'émotion frappa plus durement qu'un reproche. Shao Paï ferma les yeux. Il était vrai que vu de l'extérieur, son attitude semblait répréhensible mais il avait d'excellentes raisons d'agir ainsi. C'est juste qu'il ne pouvait pas les révéler.
Plutôt que de continuer dans cette voie glissante, il tenta de détourner la conversation :
« En parlant d'Hane Lath, comment va-t'elle ? »
Myst Nail hésita un moment avant d'accepter la diversion.
« Elle a surmonté la plus grande partie du choc. Elle passe pas mal de temps avec Mari Kal et Mine Dias. Les femmes se soutiennent entre elles, tu en sais quelque chose.
– Mouais, ne m'en parle pas, » marmonna Shao Paï.
Pour avoir été une femme pendant longtemps, il se doutait bien de leurs sujets de conversation et cela ne l'aidait guère à se sentir mieux.
Myst Nail fronça soudain les sourcils.
« Tu devrais aller lui parler, lui conseilla-t'il. Tu ne dois pas couper les ponts ainsi.
– Lui parler ? répéta Shao Paï avec incrédulité. Et pour lui dire quoi ? En plus je suis sans doute la dernière personne qu'elle veut voir pour le moment ! »
Le dieu aux yeux rouges secoua la tête.
« En te cachant ainsi, tu donnes l'impression d'avoir fait quelque chose de mal...
– Mais j'ai fait quelque chose de mal, figure-toi !
– ... et pour ce qui est du choc, dis-toi qu'Hane Lath est bien plus solide que ce que tu crois.
– Humph, c'est bien typique des hommes, ça, » songea Shao Paï.
Pour avoir été la confidente de l'autre déesse pendant des millénaires, il savait précisément quelles étaient ses pires craintes. Perdre Myst Nail était en haut de la liste. Shao Paï baissa la tête et s'appuya davantage contre le mur de pierre.
« Je ne voulais pas être le responsable de ton malheur, Hane Lath, s'excusa-t'il mentalement. J'ai tout fait pour que ce jour n'arrive jamais... le jour où tu pleurerais encore par ma faute... »
Il ferma les yeux, tourmentés par ses souvenirs et par le présent.
Il les rouvrit aussitôt en sentant une main sur sa joue. Myst Nail s'était levé pour le rejoindre et il se pencha vers lui, posant un bras sur le mur au-dessus de la tête du dieu de la destruction. Il l'embrassa, sagement au départ, puis le baiser se fit de plus en plus pressant tandis que sa main descendit le long du visage du dieu de la destruction, passa sur son torse, glissa sur le ventre pour s'arrêter plus bas. Shao Paï émit une protestation étouffée dans leur baiser. Myst Nail s'écarta légèrement, le souffle court, les yeux luisant de désir.
« J'ai envie de toi, murmura-t'il d'une voix rauque. Maintenant. »
Shao Paï le repoussa rudement mais ne parvint pas à le faire trop reculer.
« Calme tes ardeurs, répliqua-t'il froidement. Es-tu un mortel pour être ainsi l'esclave de tes pulsions ? »
Un éclair de colère passa dans les yeux rouges mais cela n'arrêta pas Myst Nail.
« De simples pulsions sexuelles peuvent se calmer aisément, expliqua-t'il. Après tout ce n'est qu'une réaction physique. Mais ce que je ressens en ce moment... »
Il saisit la main de Shao Paï et la porta à son cœur.
« Les pulsions de mon cœur ne peuvent être apaisées d'une simple pensée. Mon cœur te désire, Shao Paï. Il a besoin de te faire savoir qu'il ne bat que pour toi.
– C'est Zeus qui t'a soufflé ces répliques mièvres ? » marmonna le dieu brun.
Pour une fois, Myst Nail ne s'offusqua pas de la comparaison avec le roi des dieux grecs. Il se pencha pour embrasser à nouveau son amant, le pressant contre le mur. Shao Paï tenta de résister aussi longtemps que possible mais vint le moment inévitable où il céda : ses mains empoignèrent les cheveux noirs de l'autre dieu et il lui rendit son baiser avec ardeur. Myst Nail grogna de satisfaction et lui abandonna le contrôle. Bien que Shao Paï venait de le critiquer sévèrement sur le fait d'être l'esclave de ses passions, il semblait partager cette faiblesse lui aussi.
Dans le couloir juste devant le salon, les chevaliers discutaient de façon agitée. Silène avait prévenu Murio qui était venu aussitôt, et les chevaliers de Shao Paï s'étaient également rassemblés.
« Tu es bien sûre qu'il a dit ça ? » s'ébahit Alinda en fixant la chevalière blonde avec incrédulité.
Silène avait relaté à ses collègues la révélation de son maître à la soirée d'Arès. De ce fait, au fur et à mesure que la rumeur se répandait à Olympias et au-delà, d'autres chevaliers cherchaient à les contacter mentalement afin de vérifier la véracité de cette information, que ce soit sur ordre de leurs maîtres ou de leur propre chef. D'un commun accord, les chevaliers des deux dieux concernés avaient décidé de bloquer tout contact mental. Sans instruction de la part de leurs maîtres, seul le silence s'imposait.
Silène semblait encore sous le choc.
« Sûre et certaine, répondit-elle. Nos maîtres sont amants et c'est ce qui a provoqué la rupture avec maîtresse Hane Lath.
– On n'a rien vu venir, se désola Ménestan. Comment avons-nous pu être aveugles à ce point ? »
Vanien secoua la tête, ne trouvant rien à redire. Quant à Murio, il avait l'air grave. Il leva soudain les yeux pour chercher Éland du regard ; ce dernier était adossé contre un mur, les bras croisés et les sourcils froncés.
« Qu'en penses-tu, Éland ? » demanda le chevalier de Myst Nail.
Les autres chevaliers se tournèrent également vers lui, quêtant un ordre afin de les rassurer sur ce qu'ils avaient à faire.
Éland inspira et ne les déçut pas :
« Il ne sert à rien de se tourmenter pour ce qui s'est déjà produit. Nous devons plutôt œuvrer afin d'anticiper les désirs de nos maîtres ainsi que les événements à venir. »
Il regarda chacun d'eux droit dans les yeux, le visage ferme et assuré.
« Nous ne parlerons pas de cette situation à aucun chevalier tant que nos maîtres n'auront pas publiquement annoncé leur relation.
– Et ce qui s'est passé tout à l'heure ? intervint Silène. Ce n'est pas suffisamment public pour toi ?
– Nos deux maîtres, insista Éland. À ce que nous sachions actuellement, seul votre maître veut rendre les choses connues. Nous attendrons que notre maître nous fasse part de ses intentions. »
Le visage de la chevalière se déforma de colère.
« Qu'est-ce que tu insinues ? Espèce de... »
Murio dut retenir sa fougueuse collègue.
« Du calme, Silène, fit-il. Ce n'est certainement pas le moment de nous battre !
– Surtout que nous allons sans doute devoir bientôt tous cohabiter, intervint Vanien en soupirant. Ça va drôlement nous changer ! »
Sa remarque détendit légèrement l'atmosphère. Alinda battit des mains.
« Comme ça, je ne serai plus la seule femme ! renchérit-elle, toute joyeuse.
- C'est bien pour cela, répéta Éland, qu'il nous faut agir de concert. »
Il se tourna en particulier vers ses trois compagnons.
« Nous allons certainement devoir nous préparer à un déménagement sous peu.
– Comment ça ? fit Ménestan d'un ton surpris.
– Maintenant que maître Myst Nail a quitté son épouse, maîtresse Hane Lath n'est plus la reine des déesses antiques. Elle devra donc quitter la demeure royale d'Olympias et il y a de fortes chances pour que nous y emménagions. »
Dans le silence incrédule qui s'ensuivit, Murio eut un sourire ironique.
« Ton ambition se dévoile au grand jour, Éland, fit-il.
– Cela n'a rien à voir, nia ce dernier sans aucun émoi. En tant que roi des dieux antiques, votre maître ne peut pas vivre ici.
– Dans ce cas, pourquoi est-ce que ton maître ne resterait pas chez lui ? » intervint Silène avec hargne.
Contrairement à Murio, Silène était partisane de la reine actuelle et elle voyait d'un très mauvais œil la situation présente. Elle en blâmait Shao Paï même si, en tant que chevalière, elle ne pouvait pas exprimer ouvertement son ressentiment envers le dieu de la destruction. Éland ne releva pas.
« Ce dont nous pouvons être sûrs, c'est que les prochains jours seront mouvementés, reprit-il, alors j'attends de chacun de vous une obéissance et une efficacité irréprochables. »
Les trois chevaliers de Shao Paï hochèrent la tête. Silène fit une drôle de tête et s'approcha de son collègue pour lui murmurer :
« Dis, tu ne vas tout de même pas le laisser nous commander ? »
Mais Murio haussa les épaules.
« Tant que notre maître est heureux... »
Silène fronça les sourcils et se mordit les lèvres, contrariée.
Shao Paï retint un soupir et repoussa une mèche brune de son front. À ses côtés, Myst Nail ne cessait de l'observer, allongé sur le ventre et un bras replié pour soutenir sa tête. Après avoir fait l'amour dans le salon, les deux dieux avaient eu besoin d'un bain qui s'était également terminé par des ébats. Pour finir, ils se trouvaient à présent dans le lit de Shao Paï. Le silence régnait depuis un moment déjà.
« Laisse tomber, fit soudain le dieu de la destruction sans se tourner vers son amant. Tu ne pourras pas lire dans mes pensées. »
C'était l'impression que donnait Myst Nail et il soupira en roulant sur le côté.
« Tu es une véritable énigme pour moi, avoua-t'il dans un souffle. Tu l'as toujours été.
– Tant mieux. »
Le silence retomba de nouveau.
Myst Nail s'étira avant de se redresser.
« Bon, il est temps de discuter de ce que nous allons faire, proposa-t'il.
– Je t'ai déjà dit ce que j'en pensais, rappela Shao Paï d'un air grave.
– Oui, et je t'ai dit que ce n'était pas acceptable.
– Ta manière de me piéger n'est pas acceptable non plus. »
Perplexe, Myst Nail fixa son amant.
« Je n'ai pas fait cela dans le but de te piéger, » fit-il.
Shao Paï soupira avant de lui lancer un regard acéré.
« Pourtant ça y ressemble beaucoup, nota le dieu de la destruction. Tu romps avec Hane Lath, tu annonces en public que nous avons couché ensemble... »
Myst Nail commença à comprendre.
« Avec Hane Lath, tenta-t'il de se justifier, je voulais juste faire les choses bien. Quant à ce soir... Zeus m'a tellement énervé que ça m'a échappé. »
Bien que ce soit la pure vérité, Shao Paï ne parut pas le croire. Il se leva du lit et fit apparaître de nouveaux vêtements sur lui. Il se tourna ensuite vers l'autre dieu d'un air déterminé.
« J'en ai assez de toutes ces discussions, déclara-t'il. Je ne veux pas d'une relation publique avec toi, un point c'est tout. Tu peux en penser ce que tu veux, ça m'est égal. »
Myst Nail ne répondit rien.
« Et maintenant, sors de chez moi, poursuivit l'autre dieu. Va voir Hane Lath, raccommode-toi avec elle et peut-être que je finirai par te pardonner pour ce que tu as détruit en quelques jours. »
Troublé, le dieu du mal chercha son regard. Les yeux gris de Shao Paï ne fléchirent pas. Myst Nail comprit que ce n'était pas le moment de discuter. Il se leva à son tour.
« Je m'en vais, fit-il en s'habillant, mais uniquement pour te laisser le temps de réfléchir à tout cela.
– C'est déjà tout réfléchi, » répliqua aussitôt son amant.
Myst Nail secoua la tête.
« Quoi qu'il arrive, je n'ai aucune intention de me remettre avec Hane Lath. Elle n'est pas un objet que l'on peut jeter ou ramasser à sa guise. »
Alors qu'il quittait la chambre, Shao Paï marmonna :
« Tu n'es qu'un imbécile. »
Dans le couloir, Myst Nail fit face à l'attroupement de chevaliers qui lui lancèrent aussitôt des regards expectatifs. Il fronça les sourcils.
« Nous partons, » annonça-t'il pour ses chevaliers.
Des murmures de surprise émanèrent des quatre chevaliers de Shao Paï.
« Mais je croyais, commença Alinda à voix basse.
– Chut, » lui souffla Ménestan.
Le dieu les ignora royalement et se dirigea vers la sortie, suivi rapidement par ses chevaliers tout aussi confus que les autres. Là, il se transporta dans sa propre demeure et réclama aussitôt du vin à ses chevaliers. Il s'enferma ensuite dans une humeur sombre qui promettait de durer longtemps. Silène et Murio ne purent que l'observer, impuissants, mais Silène sentit sa fureur grandir contre le dieu de la destruction.
Shao Paï, quant à lui, n'avait pas bougé de sa chambre, plongé dans ses pensées.
« Maître... »
La voix d'Éland ne parvint pas à dissiper l'atmosphère pesante de la pièce. Il était le seul chevalier à avoir osé entrer après le départ de Myst Nail. Shao Paï lui lança un regard sombre et Éland, pressentant le danger, s'agenouilla mais ne détourna pas le regard.
« Qu'est-ce que tu veux ? marmonna le dieu de la destruction.
– Y a-t'il quoi que ce soit que je puisse faire pour vous ? »
L'offre était sincère, comme toujours avec Éland. Il ne questionnerait pas son maître sur ce qui s'était passé mais il tentait d'alléger son humeur sombre. Cela dit, Shao Paï ne s'était jamais reposé sur ses chevaliers en presque vingt mille ans, il n'allait certainement pas commencer aujourd'hui !
Le dieu se détourna de lui.
« Je veux juste qu'on me laisse tranquille, » répliqua-t'il.
Éland inclina la tête, son inquiétude toujours visible.
« Il en sera fait selon votre volonté, » s'inclina-t'il.
Il ressortit sans un autre mot. Shao Paï se replongea dans ses sombres pensées. Un dieu possédait des pouvoirs inimaginables mais il était tout de même limité. Par exemple il ne pouvait pas remonter dans le temps. Cela aurait pourtant été fort utile en ce moment et le dieu de la destruction enragea devant son impuissance, goûtant un moment à ce que les mortels ressentaient en permanence.
Comme Zeus l'avait pressenti, des clans commencèrent à se former parmi les dieux antiques une fois que tout le monde fut au courant de la vraie raison derrière la rupture de leurs souverains. Il y avait d'un côté les fidèles d'Hane Lath et l'autre ceux de Shao Paï. Les deux camps se livrait une bataille acharnée. En quelques jours les pires rumeurs circulèrent : certains accusaient le dieu de la destruction d'avoir séduit Myst Nail dans l'unique but d'obtenir le pouvoir, d'autres arguaient que Shao Paï avait toujours été plus puissant qu'Hane Lath et que c'était elle qui avait usurpé une place qui ne lui avait jamais appartenu. Le camp de Shao Paï manquait cependant de vigueur car le principal intéressé refusait d'apparaître en public et s'était coupé même de ses partisans, contrairement à Hane Lath qui recevait activement ses amis. Dans de telles conditions, la victoire des rumeurs était assurée pour la déesse de la musique. Quant à Shao Paï, soit il se moquait que sa réputation se ternisse si rapidement, soit il ne voulait pas assister à cela.
« Dans tous les cas, déclara fermement Hane Lath, c'est un imbécile. »
Elle se trouvait avec Myst Nail dans leur demeure d'Olympias... non, ce n'était plus leur demeure, Hane Lath avait dû regagner son ancienne demeure en dehors du domaine divin. Elle refusait de se créer une demeure à Olympias, se disant qu'elle attendrait de voir comment évoluait la situation. Sans doute qu'au fond d'elle, elle espérait toujours que Myst Nail réalise son erreur et la reprenne. Justement, son espoir était alimenté par le fait que Myst Nail demandait souvent à la rencontrer — jamais en public bien entendu, afin d'éviter d'attiser de nouvelles rumeurs au milieu d'une situation déjà bien assez explosive comme ça. Le dieu du mal avait en effet besoin de parler à quelqu'un, étant donné que Shao Paï se refusait fermement à avoir une conversation sensée avec lui. Hane Lath n'avait pas repoussé son ancien compagnon car sa rancœur envers lui était rapidement passée.
« C'est plus compliqué que ça, » fit Myst Nail en prenant une gorgée de vin.
En quelques jours cela semblait être devenue sa boisson favorite. Il ne s'autorisait pas à s'enivrer mais on ne le voyait plus sans un verre à la main. Hane Lath s'inquiétait mais ne pouvait rien dire à ce sujet.
« Arrête de prendre sa défense, s'irrita-t'elle. Il te laisse gérer la situation tout seul alors il ne mérite vraiment pas ta sympathie ! »
Le dieu du mal secoua la tête.
« Je ne veux pas qu'il soit mêlé à tout ça, c'est à moi d'arranger les choses.
– Pff, il y est mêlé jusqu'au cou ! On ne fait pas ce qu'il a fait puis espérer que les gens vous laissent tranquilles ! »
Myst Nail soupira.
« Tu sais, tu m'aiderais vraiment si tu pouvais dire à tes amis de cesser de répandre ces rumeurs ridicules sur lui. »
Hane Lath repoussa une mèche de ses longs cheveux noirs, affectant l'ignorance.
« J'ignore totalement de quoi tu parles. Mes amis, comme tu dis, prennent des initiatives sans me consulter à l'avance, vois-tu. Je ne suis donc pas responsable de ce qui peut bien se raconter. »
Myst Nail semblait tout sauf convaincu.
Hane Lath poursuivit sur sa lancée :
« De toute façon, en se terrant de la sorte, Shao Paï se désigne lui-même comme le méchant de l'histoire. S'il n'a rien à se reprocher, pourquoi ne se montre-t'il pas au grand jour ? Voilà ce que pensent les dieux et je n'ai rien à voir avec cela. »
Le dieu du mal marmonna quelque chose. Force lui était de reconnaître qu'Hane Lath n'avait pas complètement tort. Il aurait bien tenté de faire entendre raison à son amant cependant...
« Tu l'as revu depuis ? » demanda Hane Lath, tout en connaissant pertinemment la réponse.
Le visage sombre, Myst Nail secoua la tête. La déesse se radossa dans son canapé en soupirant. Elle avait cru que de voir Myst Nail malheureux en amour la réconforterait un peu mais en fait c'était tout le contraire.
« Je vais aller le voir, décida-t'elle subitement.
– Quoi ? » s'ébahit le dieu du mal en levant rapidement la tête.
Elle décroisa ses jambes, prenant un air déterminé.
« Je dois tirer les choses au clair avec lui. Il peut se cacher des autres dieux mais je ne le laisserai pas se cacher de moi. »
Myst Nail paraissait clairement inquiet.
« Hane Lath... c'est une très mauvaise idée. »
Son ancienne compagne prit un air condescendant.
« Ne t'en fais pas, je ne serai pas trop cruelle avec lui. C'est juste qu'il me doit de nombreuses explications et je pense que cela lui fera également du bien... après coup. »
Le dieu du mal semblait partagé : ses yeux rouges vacillèrent. Il avait également conseillé à Shao Paï de ne pas couper les ponts avec son amie, toutefois c'était avant que la situation ne prenne une telle ampleur. Qui pouvait dire dans quel état se trouvait le dieu de la destruction après avoir ruminé dans son coin pendant des jours ? Il avait forcément entendu les rumeurs contre lui et se doutait qu'Hane Lath en était l'instigatrice. Comment réagirait-il en la voyant devant lui ? Et même sans ça, parler avec Hane Lath n'allait-il pas le monter contre Myst Nail, vu la sympathie qu'il avait toujours ressentie pour la déesse de la musique ?
Finalement le roi des dieux antiques secoua la tête.
« Hors de question, c'est beaucoup trop dangereux. »
Hane Lath fut parcourue par une bouffée de colère.
« Oh, songea-t'elle, tu as peur que je fasse mal à ton petit chéri ? »
Le ton était cinglant mais elle maîtrisa son visage pour qu'il ne trahisse rien de ses pensées. Sa rancœur couvait sans doute encore, finalement.
« Tu n'as plus le pouvoir de m'interdire quoi que ce soit, tu te rappelles ? fit-elle à voix haute. Je peux faire tout ce qui me chante et j'ai bien l'intention d'avoir cette conversation avec lui. Tu ne crois pas que ça pourrait débloquer la situation actuelle ? »
Mais le dieu du mal ne mordit pas à l'appât.
« Non, fit-il en secouant plus fermement la tête. Je pense que cela ne ferait que le braquer davantage contre moi.
– Tu as peut-être raison, concéda la déesse en plissant les yeux. Après tout tu le connais mieux que moi... »
Malgré ses paroles soumises, elle n'avait absolument pas l'intention de renoncer à cette discussion avec Shao Paï. Il y avait certaines questions qu'elle devait lui poser et certaines choses qu'elle gardait sur le cœur et qui devaient être dites pour qu'elle puisse commencer à se sentir mieux. Quant à Shao Paï, eh bien, il était grand-temps pour lui de cesser de se comporter comme un gamin boudeur et qu'il prenne ses responsabilités. Après tout, tout cela était de sa faute donc il devait en assumer les conséquences. Hane Lath serra les poings. Rien ni personne n'empêcherait cette conversation d'avoir lieu.
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