Ancien Gods Sanctuary 41

La Genèse


Au Commencement, il n'y avait rien. Et puis deux Entités se mirent à exister.

L'Entité ne voyait que le Néant autour de lui et il se prit l'envie de vouloir le remplir. Alors il se mit à créer toutes sortes de choses : la lumière, les couleurs, les matières, les sons. Il apporta les étoiles et les planètes pour que le Néant n'ait plus l'air si vide. Puis il combina les matières pour créer des choses animées et des choses inertes. Il donna la parole à certaines des choses animées et les observa évoluer tout autour de lui. Il était si heureux qu'il continuait à créer, encore et toujours, si bien que ses créations s'éloignaient de plus en plus de lui pour peupler l'Univers.

Un jour, l'Entité finit par se rendre compte qu'il ne voyait plus ses premières créations. Il réalisa aussi que plus il créait, plus ses anciennes créations disparaissaient, comme absorbées par le Néant. Inquiet, il s'adressa aux plus anciennes créations qu'il trouva et elles lui dirent ceci :

« À l'autre bout de l'Univers se trouve le Destructeur. Tous ceux qui vont à lui cessent d'exister. »

L'Entité ne voulait pas que ses créations cessent d'exister, aussi se mit-il en quête du Destructeur. L'Entité parcourut la moitié de l'Univers et aperçut l'Obscurité qui venait à sa rencontre.

L'Entité ne voyait que le Néant autour de lui et cela lui convenait tout à fait. Mais toutes sortes de choses se mirent à apparaître au loin : de la lumière, des couleurs, des matières, des sons. Le Néant commença à se remplir d'étoiles et de planètes. Puis les choses animées et les choses inertes arrivèrent. Certaines des choses animées possédaient le don de parole et c'était une souffrance de les voir — et de les entendre ! — évoluer tout autour de lui. Il était si malheureux qu'il se mit à les détruire, encore et toujours, mais ces créations affluaient sans cesse, comme poussées par quelque force.

Un jour, l'Entité finit par se rendre compte qu'il voyait tout le temps des créations. Il réalisa aussi que plus il détruisait, plus les nouvelles créations apparaissaient, comme surgies du Néant. Inquiet, il s'adressa aux plus récentes qu'il trouva et elles lui dirent ceci :

« À l'autre bout de l'Univers se trouve le Créateur. Tous ceux qui existent viennent de lui. »

L'Entité ne voulait pas que ces créations continuent d'exister, aussi se mit-il en quête du Créateur. L'Entité parcourut la moitié de l'Univers et aperçut la Lumière qui venait à sa rencontre.


Les deux Entités se faisaient face. Il se voyaient pour la première fois et pourtant ils avaient l'impression de se connaître. Ils songèrent d'abord qu'ils étaient pareils, puis constatèrent qu'au contraire, ils étaient très différents.


Le Créateur réagit instinctivement, sans même y penser : en voyant quelque chose qui n'existait pas, il tenta de le créer, de lui donner forme. Le Destructeur se sentit menacé et répliqua en tentant d'anéantir cette chose qui existait. Les deux impulsions s'annulèrent.


Les deux Entités connurent un moment d'hésitation : c'était bien la première fois que quelque chose leur résistait. Intrigués — et quelque peu contrariés — ils recommencèrent, encore et encore. Comme rien ne se passait, ils augmentèrent leur puissance mais aucun ne parvenait à l'emporter sur l'autre. Ils étaient parfaitement opposés.


Le Créateur finit par prendre conscience de ce qui se passait autour d'eux : leurs attaques s'annulaient peut-être, mais elles affectaient l'Univers. Certaines zones étaient complètement détruites tandis que d'autres brûlaient tant elles étaient actives. L'équilibre de l'Univers était rompu et quelque chose de pire que le Néant menaçait de s'en emparer : le Chaos.


Le Créateur comprit que c'était dû à leur combat et qu'il lui appartenait d'y mettre fin. Au lieu de lancer une nouvelle attaque, il emprisonna la vague d'énergie provenant du Destructeur et fit :

« Arrête ! Regarde ce que nous sommes en train de faire ! »

Alors le Destructeur regarda autour de lui et fit le même constat que le Créateur. Cependant, cela ne parut pas l'émouvoir outre-mesure. Il eut l'équivalent d'un haussement d'épaule et reprit son attaque.


« Arrête ! reprit le Créateur en enfermant de nouveau l'énergie. Si nous continuons à nous battre, plus rien n'existera, y compris toi ! C'est vraiment ce que tu cherches ? »

Le Destructeur ne répondit pas et regarda ses deux attaques entourées d'énergie argentée.

« Pourquoi tu ne dis rien ? » demanda le Créateur.

Il comprit soudain ce qui posait problème :

« Tu ne sais pas parler. Tiens, voilà un corps que tu pourras occuper et avec lequel tu me parleras. »


Le Créateur fit apparaître sa création la plus aboutie : un corps humain, mais sans esprit afin que le Destructeur puisse s'y glisser. Toutefois ce dernier s'agita et détruisit le corps.

« Ce n'est pas grave, fit le Créateur, bien que cela l'ait blessé. Je t'en fais un autre. »

Mais ce corps connu le même sort que les deux précédents.

« Ce n'est pas grave, fit le Créateur, bien que cela l'ait blessé. Je t'en fais un autre. »

Mais ce corps connu le même sort que les deux précédents.

« On peut savoir ce qui ne tourne pas rond chez toi ?! » s'écria alors le Créateur, excédé.

Il n'avait encore jamais perdu patience, mais il n'avait encore jamais eu affaire au Destructeur.


« Nous devons pourtant trouver le moyen de communiquer, » se dit-il.

Il eut alors l'idée de créer un corps pour lui et de s'y glisser. Le Destructeur crut tout d'abord que c'était un nouveau corps pour lui et il voulut de nouveau le détruire, mais le Créateur l'en empêcha :

« Pas touche ! fit-il. Regarde plutôt comment je fais pour entrer dans ce corps. »

Le Créateur instilla son essence dans le corps qui fut enveloppé de lumière et devint tout argenté. Il ouvrit les yeux et sourit au Destructeur.

« Voilà. Maintenant, c'est à ton tour. »


Un nouveau corps apparut. Le Destructeur l'observa un moment, se tourna vers l'autre Entité qui continuait à lui sourire pour l'encourager, puis ramener son attention sur le corps proposé… avant de le détruire.

« Non mais tu te fiches de moi ou quoi ?! s'écria le Créateur, franchement vexé. Puisque tu refuses de me parler, je m'en vais ! »

Le Créateur quitta le corps pour redevenir lumière, avant de s'éloigner.



Le Créateur s'éloigna à grands pas, très agité. Au bout d'un moment, il se retourna. Comme rien ne se passait, il reprit sa marche. Étrangement, il voulait communiquer avec le Destructeur car depuis qu'il existait, il n'avait jamais rencontré quelqu'un comme lui, quelqu'un qu'il ne pouvait pas comprendre. Il connaissait parfaitement ses créations et elles ne pouvaient pas le surprendre. Le Destructeur, par contre, c'était une autre histoire.

Le Créateur se retourna une dernière fois et…

Le Destructeur attendit un moment puis il s'agita un peu. Comme l'autre Entité ne revenait toujours pas, il lâcha un soupir. Étrangement, il voulait que le Créateur revienne car depuis qu'il existait, il ne s'était jamais autant amusé. Il effleura délicatement le corps abandonné qui flottait en suspension dans l'air. Le Créateur avait eu l'air très fâché qu'il détruise les autres corps. Les autres créations n'avaient pas réagi de la sorte.

Le Destructeur fixa la corps une dernière fois et…


Le Destructeur avait pris possession du corps qui était devenu tout sombre et il avait suivi le Créateur. Ce dernier en resta sans voix un moment.

« Maintenant, fit le Destructeur d'une voix profonde, c'est toi qui refuses de me parler. »

Cela n'aida pas le Créateur à trouver ses mots. Le Destructeur croisa les bras d'un air vexé :

« J'ai pourtant pris ce corps comme tu voulais, bien que je n'aime pas ça. Si tu refuse de me parler, je vais le détruire et m'en aller. »


Cela fit enfin réagir le Créateur :

« Attends, je veux te parler ! »

Afin de prouver sa bonne volonté, il se créa un nouveau corps et en prit possession. Bien que les deux corps aient été créés identiques, ils ne se ressemblaient plus du tout — l'un de lumière, l'autre de ténèbres — à cause des Entités qu'ils abritaient.


« Qui es-tu ? demanda le Créateur, très curieux.

– Je suis moi, répondit l'autre Entité.

– Mais tu as un nom ?

– Qu'est-ce que c'est ? »

Le Créateur l'observa un moment. Puisque le Destructeur ne faisait que détruire et qu'il parlait pour la première fois de son existence, pourquoi aurait-il eu besoin d'un nom ?

« Mes créations t'appellent le Destructeur, lui apprit-il.

– Peu importe, répondit l'intéressé en haussant les épaules.

– Et moi, je suis le Créateur.

– Tu es toi. »

Oui, les noms ne semblaient pas compter du tout pour le Destructeur.


« Pourquoi tu détruis mes créations ? demanda-t'il sérieusement.

– Pourquoi tu crées ? contra l'autre Entité.

– Parce que… »

Le Créateur se rendit compte qu'il ne s'était jamais posé la question.

« Parce que je ne voyais que le Néant au début, et j'ai eu envie de le remplir.

– Moi aussi, j'ai vu le Néant au début et c'était bien.

– Oh non, c'était si vide et si calme ! Comment peux-tu aimer le Néant ?

– Parce que c'était si vide et calme. Comment peux-tu ne pas aimer le Néant ? »

Le Créateur se rendit alors compte qu'ils étaient très différents.


« Nous allons avoir du mal à nous entendre, fit-il, nous sommes trop différents. Et pourtant, nous ne pouvons pas non plus nous battre. Tu as vu ce que cela a donné tout à l'heure, c'est bien trop dangereux pour l'Univers ! »

Le Destructeur haussa de nouveau les épaules, au grand effarement du Créateur.

« Tu ne peux pas te moquer du sort de l'Univers ! s'écria-t'il. Tu fais aussi partie de lui : s'il disparaît, tu disparais avec lui ! »

Nouveau haussement d'épaule.


« Même ton existence ne compte pas pour toi ? comprit alors le Créateur.

– Mon existence ne compte pour personne, répliqua le Destructeur d'un ton impassible.

– C'est faux ! Elle compte pour moi ! »

Les sourcils froncés de perplexité, le Destructeur fixa l'Entité droit dans les yeux, tentant de vérifier la véracité de ses propos. Ce qu'il vit parut le troubler.

« Pourquoi ? demanda-t'il. Tu as essayé de me détruire tout à l'heure…

– J'ai essayé de te créer ! rectifia le Créateur. C'est toi qui voulais me détruire.

– Si tu me crées, tu me détruis. »


Le Créateur soupira.

« Pardonne-moi, je ne le savais pas. Pour moi, c'est un réflexe de créer, je le fais sans y penser. »

Le Destructeur le dévisagea de nouveau, confus.

« Excuse-moi d'avoir tenté de te détruire, fit-il à son tour. C'est aussi un réflexe pour moi. »

Le Créateur lui sourit et il tenta timidement de l'imiter. Le résultat fut… mitigé.


« Bon, fit le Créateur avec satisfaction, cela ne résout toujours pas notre problème.

– Quel problème ? Nous devons simplement éviter de nous battre.

– Je ne parle pas de ça : il y a aussi le fait que tu détruis tout ce que je crée. »

Le Destructeur haussa les épaules. Le Créateur commençait à perdre patience devant son désintérêt total.

« Tu te moques bien de détruire, pas vrai ? l'accusa-t'il.

– C'est ce que je fais, tout comme toi tu crées.

– Sauf que ce que tu fais, c'est mal !

– C'est quoi, le mal ? »


Sur le coup, le Créateur ne sut que répondre. Il se ressaisit rapidement :

« Le mal, c'est le contraire du bien !

– C'est quoi, le bien ?

– Mmm, créer, c'est bien ; détruire, c'est mal !

– Qui en a décidé ainsi ?

– Eh bien… »

Cela coulait pourtant de source ! Malgré tout, le Créateur était incapable de le lui faire comprendre.


Le Destructeur détourna les yeux pour contempler l'Univers.

« C'est toi qui as créé le bien et le mal, comme tu as créé tout le reste. Alors forcément, tu as décidé que ce que tu faisais était bien. Vu que je fais le contraire de toi, c'est mal. Mais moi, je peux dire aussi que ce que je fais est bien et dans ce cas, c'est toi qui fais le mal. »

Le Créateur en resta sans voix. Sans parler du fait que c'était la plus longue chose qu'ait dite l'autre Entité, sa logique était imparable.


La colère s'empara de lui.

« Vraiment, nous ne nous entendrons jamais ! Repartons chacun de notre côté. Tu peux bien détruire tout ce que tu veux, je continuerai à créer des milliards et des milliards de choses !

– Alors moi, je continuerai à détruire des milliards et des milliards de choses. »

Les deux Entités quittèrent les corps et partirent dans la direction d'où chacun venait. Les deux corps restèrent en suspension dans l'espace, privés de toute substance.


Fidèle à sa parole, le Créateur se remit à créer avec une ardeur renouvelée. Il se surpassa dans la quantité et la finesse de ses créations. Que ce soient les hommes, les animaux, les plantes, même les cailloux, il s'appliquait au moindre petit détail. Évidemment, il savait que ses créations allaient se faire détruire mais loin de le décourager, cela ne faisait que renforcer sa volonté de créer afin d'envoyer un message au Destructeur :

« Je ne céderai pas. »

Pourtant, il se surprenait souvent à regarder en direction de l'autre bout de l'Univers et à songer à sa Némésis. Même s'il était extrêmement agaçant avec sa manie de détruire à tout bout de champ, le Destructeur était la seule autre Entité de tout l'Univers. Ils étaient sur un pied d'égalité.

En désespoir de cause, le Créateur tenta de communiquer avec ses créations mais n'obtint pas le résultat escompté : les choses inertes ne réagissaient pas à sa présence (sans surprise) ; les plantes fleurissaient et s'épanouissaient à son contact ; les animaux accouraient à son appel mais restaient ensuite à distance respectueuse comme pour attendre des ordres jusqu'à ce qu'il les renvoie ; et les hommes…

Lui qui espérait pouvoir parler aux hommes comme il l'avait fait avec le Destructeur fut très déçu : quand il se manifestait sous sa vraie forme, les gens se prosternaient et psalmodiaient des louanges à son égard ; quand il investissait un corps de sa création, ils sentaient sa présence malgré tout et le vénéraient.

Alors finalement, le Créateur s'en retourna au lieu où il avait rencontré son contraire. Il vit les corps qu'ils avaient occupés et qui étaient restés dans l'état. Après maintes hésitations, il insuffla son essence dans l'un des corps, ouvrit les yeux, et…

Fidèle à sa parole, le Destructeur se remit à détruire avec une ardeur renouvelée. Et il avait fort à faire avec la quantité de créations qui venaient à lui. Que ce soient des hommes, des animaux, des plantes, même des cailloux, il s'appliquait à les anéantir jusqu'au moindre petit atome. Évidemment, il savait que les créations allaient continuer d'apparaître mais loin de le décourager, cela ne faisait que renforcer sa volonté de détruire afin d'envoyer un message au Créateur :

« Je ne céderai pas. »

Pourtant, il se surprenait souvent à regarder en direction de l'autre bout de l'Univers et à songer à sa Némésis. Même s'il était extrêmement agaçant avec sa manie de créer à tout bout de champ, le Créateur était la seule autre Entité de tout l'Univers. Ils étaient sur un pied d'égalité.

En désespoir de cause, le Destructeur tenta de communiquer avec les créations mais n'obtient pas le résultat escompté : les choses inertes ne réagissaient pas à sa présence (sans surprise) ; les plantes fanaient et se desséchaient à son contact ; les animaux le fuyaient mais dès qu'il les appelait, ils obéissaient avec résignation et attendaient qu'il les détruise ; et les hommes…

Lui qui espérait pouvoir parler aux hommes comme il l'avait fait avec le Créateur fut très déçu : quand il se manifestait sous sa vraie forme, les gens se cachaient le visage et se lamentaient tout en lançant des imprécations à son égard ; quand il s'emparait d'un corps déjà créé, ils sentaient sa présence malgré tout et le chassaient à coup de pierres.

Alors finalement, le Destructeur s'en retourna au lieu où il avait rencontré son contraire. Il vit les corps qu'ils avaient occupés et qui étaient restés dans l'état. Après maintes hésitations, il insuffla son essence dans l'un des corps, ouvrit les yeux, et…


Les deux Entités se firent face de nouveau. Cette fois, elles ne s'attaquèrent pas mais s'observèrent en silence un long moment. Chacune avait compris qu'elle ne pouvait plus ignorer l'autre à présent qu'elles s'étaient rencontrées. Cette fois, ce fut le Destructeur qui parla le premier :

« Tes créations se sont améliorées. Cela devient de plus en plus difficile de les détruire. »

Le Créateur se rembrunit à ce rappel mais préféra se concentrer sur la première phrase qui était un compliment.

« Tes méthodes de destruction se sont améliorées. Cela devient de plus en plus difficile de créer à un rythme suffisant.

– Nous allons donc nous trouver dans une impasse. »

Le Créateur était d'accord avec ce constat.


« Nous avons essayé de nous battre, puis de nous ignorer, résuma-t'il. Que nous reste-t'il ?

– Arrête de créer, suggéra le Destructeur.

– Arrête de détruire, » répliqua le Créateur.

Étrangement, le Destructeur y réfléchit sérieusement.

« Si tu ne crées plus rien, fit-il, je n'aurai plus rien à détruire. Mais es-tu vraiment capable de t'empêcher de créer ?

– Si tu ne détruis plus rien, je n'aurai plus besoin de créer. Mais es-tu vraiment capable de t'empêcher de détruire ? »

Les deux Entités se fixèrent droit dans les yeux et leur réponse fut identique :

« Si tu le fais, je le fais. »


Le Créateur fut le premier à respecter ce serment et cessa aussitôt de créer. Hélas, le Destructeur devait achever son œuvre.

« Tu es vraiment obligé de détruire mes dernières créations ? demanda le Créateur d'un ton peiné.

– Tu les as créées donc tu as de l'avance sur moi. Pour que nous soyons à égalité, je dois les détruire. »

En voyant l'air triste de l'autre Entité, il s'enquit :

« Tu sens lorsque je les détruis ?

– Oui, c'est comme une partie de moi qui disparaît. Et il n'y a qu'en créant que je comble ce vide.

– Moi, il n'y a qu'en détruisant que je remplis le vide qui me constitue. »


Pour faire le moins de peine possible au Créateur, le Destructeur détruisit d'un coup tout ce qu'il restait dans l'Univers. Des mondes furent engloutis, des soleils s'éteignirent et tout disparut en un instant. Le Créateur versa deux larmes argentées qui coulèrent doucement le long de ses joues. Voyant cela, le Destructeur se pencha vers lui et recueillit ces perles du bout d'un doigt. Elles se solidifièrent et il les contempla un moment, figé.


Le silence emplit de nouveau l'Univers et le Néant revint. Il se passa une éternité, peut-être plus. Au début, le Destructeur était heureux de revoir le Néant, de sentir à nouveau ce calme et ce vide tout autour de lui mais très vite, ses yeux rougeoyants se détournèrent du Néant pour revenir au Créateur. Ce dernier ne disait rien mais il n'était guère heureux. Il semblait… résigné. Les perles argentées parurent plus lourdes dans sa main tout à coup.


Le Destructeur se rendit compte que le Néant n'était plus aussi agréable qu'autrefois. Il se rendit compte d'autre chose :

« J'ai chaud, » déclara-t'il d'un coup.

Surpris par sa voix, le Créateur le fixa.

« Moi, j'ai froid, fit-il.

– C'est peut-être à cause de ces corps que tu as créés. Nous ne devrions pas rester dedans. Quittons-les et redevenons comme avant.

– Nous ne pouvions pas nous parler avant, » signala le Créateur.


Cela perturba le Destructeur bien plus qu'il l'aurait cru.

« Faisons comme avant, persista-t'il.

– Comme tu veux, » soupira l'autre.

Les deux Entités se glissèrent hors des corps qui perdirent leurs couleurs. En les détruisant, le Destructeur ressentit une bouffée de regret pour la première fois. Mais l'attrait du Néant était un peu plus fort et le Destructeur étira son essence tout autour de lui avec bonheur.


Cependant, il avait encore chaud. Il se dit que c'était parce qu'il se trouvait trop près du Créateur et qu'il devait donc s'éloigner. Il voulut lui communiquer son intention mais ils ne pouvaient plus parler. Frustré, le Destructeur s'éloigna en sentant le regard morne de l'autre Entité. Son départ se transforma presque en fuite.


Il parcourut ainsi le Néant tel qu'il était au Commencement. Au départ ravi, il se mit à regretter les couleurs et les sons qui le remplissaient autrefois. Le Créateur faisait de si jolis choses… Et c'était agréable de lui parler… Le Destructeur sentit la chaleur s'intensifier au point qu'il suffoquait presque. Il ne pensait plus qu'au Créateur, il voulait le revoir, il ne voulait plus être seul !


D'une pensée, il revint auprès de l'autre Entité et le trouva immobile, sa lumière plus terne. Il ne réagit même pas à la présence du Destructeur. Ce dernier s'agita tout autour de lui, osant même effleurer sa lumière… pas de réaction. Il tenta de le provoquer en agitant son pouvoir autour… pas de réaction. Il aurait aimé lui parler mais il avait détruit leurs corps.


Inquiet, le Destructeur pouvait sentir le froid glacial qui émanait du Créateur, tandis que lui-même irradiait une chaleur épouvantable. Instinctivement, il se rapprocha du Créateur et déploya son essence autour de lui, comme pour s'enrouler. Il soupira d'aise en sentant le froid contre sa chaleur. Il se pressa davantage contre lui, ne laissant aucun espace entre eux.


Le Créateur réagit enfin et le premier instant de surprise passé, modela de la chair autour d'eux. Ils se retrouvèrent dans une étreinte intime, leurs lèvres scellées. Le Destructeur fut ravi d'avoir de nouveau un corps, il pouvait toucher l'autre Entité et sentir ses bras autour de lui. Il accueillit le corps glacé en lui, apaisant sa chaleur. Le Créateur, lui, voulait profiter de sa chaleur et emboîta leurs corps d'une façon à laquelle il n'aurait jamais songé mais qui lui sembla ensuite très naturelle. Il chercha à atteindre le noyau de chaleur dans le corps du Destructeur, se pressant de plus en plus contre lui… Quand il l'atteignit, le corps du Destructeur libéra une vague de chaleur qui se répandit dans tout l'Univers.


Ils restèrent sans bouger un moment, puis le Créateur murmura à l'oreille de l'autre Entité :

« Tu es revenu.

– Pourquoi ne serais-je pas revenu ?

– Parce que le Néant est de nouveau là. C'est si vide et si calme.

– C'est trop vide et trop calme, » murmura le Destructeur.


Le Créateur se redressa en écarquillant les yeux.

« Tu as changé d'avis ?

– C'est de ta faute. Tu m'as fait voir que l'Univers n'est pas fait pour être vide et calme, » avoua le Destructeur en fermant les yeux.

Avec un doux sourire, le Créateur pressa de nouveau leurs lèvres ensemble.

« Je peux créer de nouveau alors ? demanda-t'il ensuite.

– Crée. Crée autant que tu veux. Quant à moi…

– Détruis. Détruis autant que tu veux. »


Le Destructeur afficha une expression de surprise sur son visage d'ordinaire inexpressif. Le Créateur lui sourit tendrement.

« Il n'y a ni bien ni mal dans ce que nous sommes, poursuivit-il. Je ne peux pas t'interdire de détruire alors que c'est dans ta nature.

– Mais… ça te fais de la peine quand je détruis…

– Sauf que si tu ne détruisais pas, l'Univers serait vite rempli de mes Créations.

– L'Univers est infini, objecta le Destructeur.

– Je peux remplir l'infini, répondit le Créateur avec assurance. Voilà pourquoi ce que tu fais est nécessaire. »


Le Destructeur se réjouit intérieurement mais il s'en voulait de faire souffrir le Créateur, malgré les dires de l'autre.

« Et si nous unissions nos forces pour cela ? proposa-t'il soudain.

– Tu ne sais pas créer, répondit le Créateur en lui lançant un regard perplexe.

– Et tu ne sais pas détruire. Voilà pourquoi je suggère que les nouvelles créations aient une part de toi et une part de moi. »

Devant l'air confus du Créateur, le Destructeur poursuivit son idée :

« Au lieu que tes créations vivent pour toujours jusqu'à ce que je les détruise, nos créations se détruiront d'elles-mêmes.

– Mais si elles se détruisent aussitôt créées, à quoi bon ? » protesta le Créateur.


Le Destructeur réfléchit, imité par le Créateur. Ils arrivèrent à la même conclusion :

« Il faut créer un décompte pour chaque création. À la fin de ce décompte, elles se détruiront.

– Comment faire pour les choses inertes ? argua le Destructeur. Elles ne peuvent pas compter.

– Alors je vais créer quelque chose qui va compter à leur place... à la place de toute la Création.

– Ce compte apportera la destruction, je dois le créer aussi. »

Ce fut ainsi que les deux Entités créèrent ensemble le temps. Pour la première fois depuis le commencement, le temps remplit l'Univers de son décompte régulier. Le temps déterminait automatiquement la fin d'une création.


Après cela, ils firent un essai : ce fut une fleur. La tige poussa, s'étira, donna une fleur superbe, se fana puis tomba en poussière. Le Créateur poussa un soupir peiné.

« Ça fait quand même mal ? s'inquiéta le Destructeur.

– Un peu moins, » reconnut le Créateur.

Le sourire revint sur son visage lorsqu'il vit une autre tige s'élever à la place de la première. Elle poussa, s'étira, donna une fleur superbe, se fana puis tomba en poussière. Le Créateur poussa un soupir peiné.

« Ça fait encore mal ? s'inquiéta le Destructeur.

– Un peu moins, reconnut le Créateur. Je vais finir par m'y habituer. »

Mais il continua à soupirer pour les millions de plantes qui suivirent.


« Rien ne change ! » constata le Destructeur, dépité.

Il voulait parler de la réaction de l'autre Entité, mais ce dernier le comprit autrement :

« Tu as raison ! Chaque plante ne devrait pas ressembler exactement à la précédente, sinon quel serait l'intérêt ? Essayons ! »

Il modifia ainsi la création, et la nouvelle plante qui apparut était légèrement différente. Lorsqu'elle fleurit, les pétales n'avaient pas la même teinte ni le même nombre. Le cycle reprit, et le Créateur cessa peu à peu à ses soupirs pour faire place à un air serein.

« C'est parce que la destruction laisse place à une nouvelle fleur, expliqua-t'il. Sera-t'elle plus ou moins jolie que la précédente, là est la question. Mais elle n'aurait pas pu exister si la précédente n'avait pas fané. Cela donne un sens à la destruction. »

Le Destructeur s'en réjouit.


Ils créèrent ainsi des plantes par milliards. Pour les choses inertes, ils ne prévirent pas de remplacement mais leur accordèrent une durée de vie plus longue. Pour les animaux et les humains, les choses étaient différentes. En effet ils devaient tuer pour se nourrir. Il arrivait même que des humains se tuent entre eux pour diverses raisons qui échappaient aux deux Entités.

« Ces humains ont une part de moi en eux, fit le Destructeur. Je n'ai quasiment pas besoin d'intervenir pour les détruire.

– Alors pour que les choses soient justes, il faut qu'ils aient une part de moi en eux et puissent donner naissance à d'autres vies. »

Ils convinrent donc d'une méthode différente : il y aurait d'un côté les mâles, de l'autre les femelles, et ils pourraient procréer plusieurs êtres ensemble.

« Car nous avons pu constater que c'est plus agréable d'être à deux, » fit le Créateur.


Le Destructeur fut tenté d'approuver mais quelque chose ne lui plaisait pas :

« Pourquoi devraient-ils faire comme nous pour se reproduire ?

– Parce que c'est très agréable et que je veux partager ça avec nos créations. »

Le Destructeur songeait que justement, parce que c'était très agréable, cela ne devait rester qu'entre eux. Le Créateur l'embrassa pour le rassurer.

« Allons, ce ne sera jamais comparable avec nous. »

Le Destructeur fut apaisé.


Finalement, l'Univers se remplit de nouveau et tout allait bien. Mais le Créateur cherchait sans cesse à créer de façon plus aboutie, plus parfaite. Le Destructeur l'observa pendant des millions d'années puis finit par lui demander quel était son but.

« Je veux créer des êtres comme nous, révéla le Créateur.

– Pourquoi ?

– Pour savoir si j'en suis capable.

– Tu n'es pas heureux avec moi ?

– Bien sûr que si. Mais je ne peux pas m'empêcher de le faire, tout comme tu ne peux pas t'empêcher de détruire. »

Le Destructeur songea que ce n'était plus tout à fait vrai et que cette remarque était fort injuste. Cependant, il ne dit rien à ce sujet.


Après maints essais, le Créateur parvint à ses fins : l'être qu'il créa ressemblait à un humain mais son essence n'était pas liée à son corps et pouvait habiter d'autres corps, comme le faisaient les deux Entités. Il pouvait également manipuler les énergies et créer... mais en se servant du pouvoir du Créateur. Ce dernier ne fut pas peu fier de son œuvre.

« Je vais l'appeler… un dieu, décida-t'il en souriant.

– Alors c'est ce que nous sommes ? s'enquit le Destructeur. Des dieux ?

– Non, soupira-t'il, il n'est pas tout à fait comme nous, mais c'est ce que je peux faire de plus proche. D'ailleurs, je me dis que ce serait risqué de créer un autre comme nous. Rappelle-toi le mal que nous avons eu à nous entendre ! »

Le Destructeur sourit, rassuré que l'autre Entité renonce à son projet. Jamais il n'aurait accepté de le partager avec un autre.


« Que vas-tu faire de ce dieu ? demanda-t'il.

– En créer d'autres comme lui, pour commencer, et puis… »

Il marqua une pause, incertain de la réaction de son compagnon.

« Et puis ?

– Je me disais que… ce serait amusant de nous mêler à eux en nous faisant passer pour des dieux ! »

Le Destructeur garda un très long silence. Plusieurs cycles de reproduction s'écoulèrent avant qu'il ne reprenne la parole.

« Amusant… »

Ce mot était rempli de dédain.


Le Créateur ne se laissa pas décourager pour si peu :

« Oui, les dieux vont servir d'intermédiaires entre nous et nos créations — parce que tu as vu ce que ça donne si nous tentons d'entrer directement en contact avec eux. Si nous nous faisons passer pour des dieux, nous pourrons profiter de la Création de plus près. Ce serait formidable ! »

Il était bien le seul à être enthousiaste.


« Tu n'es pas heureux avec moi ? demanda le Destructeur.

– Bien sûr que si ! Mais cela n'empêche pas que nous nous amusions un peu ! »

Clairement, ils n'avaient pas la même définition de l'amusement. Le Destructeur regarda son compagnon dans les yeux et se rendit compte qu'il y tenait vraiment. Il avait compris depuis longtemps qu'ils étaient différents sur bien des points : tandis que lui se satisfaisait pleinement de leur situation actuelle, le Créateur était constamment à la recherche de nouveautés et de changement. Bien sûr, il n'allait pas obliger le Destructeur à accepter contre son gré mais il prendrait alors un air résigné et triste auquel le Destructeur ne pouvait résister. Il valait mieux capituler tout de suite.

« Entendu.

– Merci ! Tu vas voir, tu ne le regretteras pas ! »


C'est ainsi que, en bloquant une grande partie de leurs souvenirs, Shao Paï et Myst Nail se mêlèrent aux premiers dieux.






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