Chapitre 31
En contemplant les rues couvertes de sang, bien que ce soit Ni Xinyan, il en eut le cœur ébranlé. Il craignait que son père avait vraiment fait une chose aussi indigne que s'enfuir. Cependant il restait convaincu que son père n'aurait jamais sacrifié la vie de tous les habitants de la ville juste pour lui.
Ni Xinyan était extrêmement abattu voire même un peu effrayé. Il avait peur que son père soit bel et bien ce genre de personne. Alors le moment venu, comment devrait-il réagir ?
D'un côté il y avait son pays et de l'autre il y avait son père.
Ni Xinyan était perdu et ne savait pas quoi faire.
Shen Jue nota l'air perdu de l'autre homme et soupira en silence.
« N'y pense pas trop pour le moment. »
Il regarda tout autour : il était devenu impossible de vivre dans cette ville. Avec tous ces gens morts, si personne ne s'occupait des corps, il y aurait un risque de maladie.
« Je ne sais pas quand la capitale va envoyer de l'aide mais il faut d'abord enterrer ces gens. »
Shen Jue s'approcha alors de l'homme avec qui Ni Xinyan avait parlé.
« Il y a quelque d'autre dans la ville ? »
Voyant que l'adolescent était avec Ni Xinyan, l'homme refusa carrément de le regarder alors il se remit debout et s'éloigna.
En voyant ça, Shen Jue dut retourner auprès de Ni Xinyan. L'homme baissa la tête et fit après un moment :
« Je veux consulter le livre de comptes. La cour a tardé à envoyer des renforts, il doit y avoir un problème. »
Ni Xinyan et Shen Jue se rendirent alors au palais officiel de la ville qui était aussi la résidence du roi de Ning. Il n'y avait pas de corps dans le bâtiment mais tout était retourné dans tous les sens. Ni Xinyan se rendit directement à l'étude qui était l'endroit le plus saccagé. Il marcha sur des parchemins par terre, s'approcha d'une étagère, tira le livre du milieu puis se dirigea de l'autre côté vers une peinture de paysage derrière le bureau. Il retira la peinture et l'une des briques du mur ressortait légèrement. Il la tira et dans l'ouverture se trouvait un coffret en brocart.
En voyant le coffret, le visage de Ni Xinyan changea visiblement d'expression. Quand il l'ouvrit et vit le talisman de tigre à l'intérieur, il fronça les sourcils.
« Non, ce n'est pas normal. »
Il sortit le talisman du coffret en brocart et lança un regard à Shen Jue.
« C'est le porte-bonheur de mon père, comment se serait-il enfui sans ça ? »
Sauf si le roi de Ning ne s'était pas enfui mais avait dû partir involontairement sans avoir le temps de prendre son talisman de tigre.
Ni Xinyan et Shen Jue eurent apparemment la même pensée. Ni Xinyan fourra le talisman dans son col, remit le mécanisme en l'état initial puis sortit de la pièce. Mais avant qu'ils ne puissent quitter la résidence, ils se firent encercler par un groupe de gens avec des épées. Ils étaient en loques, maigres et pâles, comme s'ils n'avaient pas mangé depuis des jours. Les regards posés sur les deux jeunes gens luisaient presque d'une lueur bleue.
Shen Jue reconnut dans la foule l'homme à qui ils avaient parlé plus tôt. Ce dernier désigna Ni Xinyan du doigt et cria :
« C'est lui, c'est le fils du traître. Nous allons les livrer aux gens de Yong, comme ça ils nous donneront à manger.
– Bonne idée, livrons-les aux gens de Yong. Son père nous a trahis, pourquoi on devrait bien traiter son fils ? Attrapez-les, attrapez-les tous ensemble !
– On y va ensemble, ils ne sont que deux ! »
Tout à coup, tout le monde se mit à hurler et se ruer vers eux. Bien que Ni Xinyan s'y connaisse en arts martiaux, il était néanmoins blessé et vraiment incapable de blesser gravement un groupe de gens du peuple. Il fallut pas longtemps pour qu'ils se retrouvent tous les deux ligotés et jetés dans une charrette.
Avec une bande de tissu blanc en brassière, les gens tirèrent la charrette hors de la ville et se dirigèrent vers la frontière avec Yong.
Après avoir marché une bonne partie de la journée, les gens s'arrêtèrent et agitèrent le linge blanc vers les portes lointaines. Après un moment, un groupe de soldats en sortit. Shen Jue était allongé dans la charrette, incapable de voir ce qui se passait. Alors il leva la tête et contempla le ciel. À côté de lui, Ni Xinyan restait étrangement silencieux.
Après quelques temps, quelqu'un qui semblait être le commandant s'avança vers la charrette et toisa les deux personnes qu'on fit descendre de là.
« Lequel est le prince héritier du roi Ning ? »
Les gens du peuple à côté pivotèrent et se dépêchèrent de répondre :
« C'est lui. »
Ils désignèrent Ni Xinyan.
Le commandant hocha la tête, jeta un coup d'œil sur Shen Jue avant de ramener son regard sur l'autre prisonnier.
« Tu es ce Ni Xinyan ? Où est ton père ? »
Ni Xinyan leva ses paupières et lança un regard indolent vers le commandant.
« Je ne sais pas. »
Le commandant plissa les yeux puis agita la main.
« Amenez-les à l'intérieur. »
Voyant que les soldats allaient s'en aller, les gens du peuple firent rapidement d'un ton flatteur :
« Soldats, ça fait des jours que nous n'avons rien mangé. Pourriez-vous...
– Oui, seigneurs les soldats, un peu de charité, hein ? Donnez-nous à manger en récompense. »
Le commandant s'arrêta et contempla les gens de Murong maigres et pâles sous ses yeux. Après un long moment, il ricana.
« Vous voulez à manger ? Allez réclamer auprès de votre roi de Yong, hein ? Je me montre déjà assez charitable en ne vous ôtant pas la vie. Dégagez ! »
Les gens du peuple n'auraient jamais cru que ceux de Yong ne leur donneraient rien du tout à manger. Ils échangèrent des regards et puis, sans qu'on sache qui fut le premier, ils s'agenouillèrent. Ils se mirent à genoux et posèrent la tête sur le sol plusieurs fois.
« Honorables seigneurs soldats, vous qui êtes un si grand peuple, nous vous prions de donner un peu de nourriture aux humbles personnes que nous sommes.
– Par pitié, seigneurs soldats ! »
Tout à coup, les soldats de Yong éclatèrent de rire.
« Bande de bons à rien, ah ha ! Si vous voulez tant que ça à manger, on peut s'arranger. Vous n'avez qu'à aboyer pour votre maître et en plus vous devez dire que votre roi de Ning n'est qu'un fils de chien. »
Quand Ni Xinyan entendit ces mots, il lança aussitôt un regard meurtrier au soldat qui avait parlé.
Mais ces gens du peuple s'étaient déjà exécutés. Non seulement ils aboyèrent mais ils crièrent également :
« Le roi de Ning n'est qu'un fils de chien. »
Le visage de Ni Xinyan prit une teinte bleue en entendant ça. Après un moment, il ferma les yeux.
Les gens du peuple qui avaient supplié et offert ce divertissement obtinrent finalement un sac de riz en récompense. Ils se remirent à genoux et louèrent joyeusement les gens de Yong. Pendant ce temps, les soldats de Yong rirent et se moquèrent, puis ils tirèrent la charrette dans la ville.
Peu après que Shen Jue et Ni Xinyan entrèrent dans la ville, ils furent séparés : Shen Jue fut jeté dans une cellule tandis que Ni Xinyan fut emmené seul ailleurs. Avant de s'en aller, il lança un regard significatif à Shen Jue et prononça quelques mots en silence.
Shen Jue put lire sur ses lèvres.
Ce qu'il disait, c'était —
« N'aie pas peur. »
Shen Jue resta sept jours dans la prison. Ce ne fut pas trop mal. Bien qu'il ne pouvait pas se laver, au moins il avait à manger. Le huitième jour, la porte de sa cellule s'ouvrit enfin et deux soldats se tenaient de l'autre côté.
« Viens par ici. »
Shen Jue se leva, épousseta la paille de son corps et suivit les soldats à l'extérieur. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu la lumière du soleil. Quand il sortit de la prison, ses yeux furent aveuglés par la forte lumière et il faillit en pleurer.
Quand il s'arrêta, le soldat derrière le poussa avec impatience.
« Marche ! »
Shen Jue poussa un long soupir, ignora les larmes au coin de ses yeux et n'eut pas d'autre choix que de suivre le second soldat en tête.
Ils emmenèrent Shen Jue dans une pièce avec de l'eau chaude et des vêtements propres. L'adolescent examina la situation et ne put s'empêcher de lancer un regard aux deux soldats mais ces derniers avaient déjà quitté la pièce pour se poster devant la porte.
Shen Jue prit le temps de réfléchir puis se déshabilla et s'immergea dans la baignoire. Dès qu'il finit de s'habiller après son bain, la porte s'ouvrit de nouveau.
C'était encore les deux soldats. Ils changèrent l'eau du bain et posèrent de nouveaux vêtements propres à côté avant de se retirer.
Shen Jue se pinça les lèvres avant de prendre un autre bain.
Cet après-midi-là, il prit cinq bains au total. Après ça plus personne ne vint changer l'eau mais les deux soldats précédents le firent sortir.
Cette fois ils l'emmenèrent dans une autre pièce mais restèrent à la porte sans entrer, laissant Shen Jue aller seul à l'intérieur.
Shen Jue s'arrêta au seuil de la porte et leur lança un regard hésitant.
« Il y a quelqu'un dans la pièce ? »
Les soldats conservèrent un visage indifférent.
« Entre, c'est tout. Pourquoi tu poses autant de questions ? »
Shen Jue se renfrogna mais n'avait pas d'autre choix que d'obéir alors il ouvrit la porte et entra.
Dès qu'il mit un pied à l'intérieur, il vit un épais tapis d'un noir d'encre.
En voyant le tapis noir, le regard de Shen Jue vacilla un peu. Il releva la tête et il y avait un paravent noir devant lui. Ses yeux ne voyaient que du noir, c'était un peu déprimant.
Shen Jue ralentit et contourna lentement le paravent. Dès qu'il l'atteignit, la porte derrière lui se referma et il tourna automatiquement la tête. À ce moment, son cou se fit soudain étrangler.
Un souffle brûlant chatouilla ses oreilles et l'autre personne serra son cou avec force. Malgré tout sa voix fut très tendre.
« Tu as tellement changé, j'ai failli ne pas te reconnaître. »
Le regard de Shen Jue se modifia soudain quand il entendit la voix de l'autre personne.
C'était Murong Xiu.
« Pourquoi tu ne me regardes pas ? Se pourrait-il que je ne sois pas beau à voir ? »
L'homme eut un rire grave et lécha lentement le lobe d'oreille de Shen Jue.
Le corps de l'adolescent se raidit. Il tourna la nuque et fit avec du mal :
« Vous me serrez... le cou, comment puis-je... vous regarder ? »
Dès qu'il eut dit cela, Murong Xiu le lâcha.
Shen Jue put alors se retourner. Bien qu'il savait déjà que l'autre personne était Murong Xiu, il eut tout de même un choc en le voyant.
Murong Xiu était encore plus beau que dans la vie précédente.
Il portait une robe de brocart entièrement noire, avec ses cheveux noirs et ses sourcils épais ainsi qu'une paire d'yeux de phénix qui semblait luire d'une étrange lueur. Le plus frappant était ses lèvres aussi rouges que le sang. L'homme eut un léger rire et dévisagea Shen Jue, son visage comme sorti tout droit d'un tableau, mais ses sourcils étaient remplis d'hostilité et le sourire sur son visage était plus bizarre et séducteur, comme un fantôme à la peau peinte Un fantôme hideux mais qui peint sur sa peau une belle apparence qui a l'air réelle. (1) vêtu de la plus magnifique peau et faisant les choses les plus maléfiques.
Murong Xiu tendit la main pour caresser le visage de Shen Jue d'un air nostalgique.
« Cela fait si longtemps que je ne t'avais pas vu, je t'ai manqué ?
– Votre Altesse, lui fit doucement Shen Jue. Cet esclave a oublié de dire au revoir à votre Altesse la dernière fois. J'espère que votre Altesse ne m'en tient pas rigueur. »
Murong Xiu se mit à rire subitement, ses lèvres rouges s'étirèrent vers le haut et ses doigts blancs et fins pincèrent gentiment le lobe d'oreille de l'adolescent.
« Évidemment que je t'en tiens rigueur, c'est pour ça que je suis venu en personne. Au fait, je t'ai fait venir aujourd'hui pour que tu voies un cadeau. Viens jeter un coup d'œil, d'accord ? »
Dès qu'il eut fini de parler, Murong Xiu lâcha Shen Jue, se tourna et s'avança dans la pièce.
Shen Jue le vit se rendre derrière le paravent et après un moment, il le suivit.
Il y avait quelqu'un allongé dans le lit derrière le paravent. Murong Xiu s'avança à côté du lit et contempla tendrement la personne allongée comme s'il observait l'œuvre dont il était le plus satisfait.
Avant que Shen Jue ne s'approche, il avait déjà pu voir la personne au lit.
Il s'arrêta net.
Murong Xiu se tourna à moitié pour rendre plus visible le visage de l'homme au lit.
« Regarde, n'est-il pas splendide ? »
La personne allongée était Ni Xinyan et son visage était couvert d'entailles. Le sang coulait constamment de ses blessures et avait imprégné l'oreiller. Il avait les yeux fermés comme s'il avait perdu connaissance depuis un bon bout de temps.
Murong Xiu vit Shen Jue regarder Ni Xinyan et soudain son expression changea pour devenir sombre.
« Tu es bouleversé ? »
Ses paroles contenaient une note meurtrière, comme si au cas où la réponse de Shen Jue ne lui conviendrait pas, il le tuerait aussitôt.
Shen Jue le regarda et répondit calmement :
« Je ne suis pas bouleversé. »
Murong Xiu le contempla avec scepticisme.
« Vraiment ?
– Oui, » assura l'adolescent.
Murong Xiu éclata soudain de rire. Il lança un regard moqueur à Ni Xinyan sur le lit.
« Que faire ? J'ai gagné. Je t'avais dit que c'était la personne la plus ingrate au monde. Tu ne m'as pas cru et tu as perdu. À présent je ne le laisserai plus partir. »
Sur le lit, Ni Xinyan ouvrit les yeux. Il tourna la tête pour voir Shen Jue. Aucune émotion ne transparaissait dans son regard.
La parole à l'auteur :
Au milieu des insultes, le Beau Murong est en ligne.
Note de Karura :
Le Beau Murong a noirci de chez noirci, comme le prouve sa garde-robe et ses goûts en matière de décoration ! Et apparemment, Ni Xinyan et lui ont fait un pari en utilisant Shen Jue ? Intéressant...
Notes du chapitre :
(1) Un fantôme hideux mais qui peint sur sa peau une belle apparence qui a l'air réelle.
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