Chapitre 30
Shen Jue marcha sur une grande distance avec Ni Xinyan sur le dos sans croiser la moindre personne, alors il dut trouver une grotte pour se reposer temporairement.
Ni Xinyan avait perdu connaissance plus tôt. Shen Jue le déposa soigneusement par terre et courut chercher du bois pour faire du feu. En cours de route, il tomba par hasard sur des plantes curatives.
Ni Xinyan semblait donc destiné à vivre.
Quand Shen Jue revint, il s'appliqua à soigner la blessure de l'autre homme. Il fallait retirer la flèche qui avait transpercé l'abdomen. Shen Jue fit d'abord rougir la lame de la dague avec le feu puis incisa la chair autour de la flèche.
La douleur réveilla Ni Xinyan. Il ouvrit les yeux avec du mal puis vit Shen Jue qui baissait la tête pour le soigner à la lueur des flammes dansantes. Le visage de Shen Jue était couvert de sang et il avait l'air terriblement sale. Ni Xinyan se rappela soudain que Shen Jue était un maniaque de la propreté : il fallait tout le temps qu'il se baigne mais là, il n'avait même plus le temps de se laver le visage. À cette idée, Ni Xinyan eut soudain un léger rire.
Shen Jue l'entendit rire et fit sans lever les yeux :
« Si tu es encore d'humeur à rire, c'est que ça ne doit pas faire si mal que ça. »
Après ça, il enfonça sa dague dans la chair. Ni Xinyan inspira brusquement et fit avec un rire jaune :
« Xiao Jue, sois plus gentil. Si tu commences à te montrer brutal, je crains fort que plus personne ne veuille te parler à l'avenir. »
Shen Jue prit un bâton épais à côté de lui et le mit directement dans la bouche de l'autre homme.
« Mords fort. »
Ni Xinyan devina ce qui allait se passer ensuite et il cligna des yeux avec lassitude. L'instant d'après, il serra soudain les poings des deux côtés de son corps et le bout de bois faillit se briser en deux sous ses dents.
Shen Jue retira soigneusement et rapidement la flèche de l'abdomen de Ni Xinyan. Dès qu'il jeta la flèche, il s'empressa de couvrir la plaie avec les herbes broyées puis déchira une longue bande de sa propre tunique pour faire un bandage bien serré pour la plaie sur l'abdomen de l'autre homme.
Pendant qu'il faisait cela, Ni Xinyan fronça seulement les sourcils tout en mordant le bout de bois, une tonne de sueur froide coulant sur son front. Quand Shen Jue s'arrêta, l'homme recracha le bâton et n'eut même pas la force de parler.
« Si tu passes la nuit, cela ne sera plus un problème, fit Shen Jue à voix basse. Alors tu dois t'accrocher. »
Ni Xinyan tourna la tête et contempla d'un air épuisé la lumière argentée à l'entrée de la grotte. En voyant ça, Shen Jue cessa de parler. Il savait que Ni Xinyan devait être dans un état d'esprit très compliqué en ce moment. Ce qui s'était produit la nuit précédente était clairement une trahison. Les soldats qui étaient morts avaient mangé, vécu et s'étaient entraînés avec Ni Xinyan. En une nuit il avait perdu tant de soldats, il était donc difficile de concevoir sa tristesse.
Cependant ce n'était que le commencement.
Tout en y songeant, Shen Jue se leva et sortit de la grotte. Après avoir soigné la plaie de Ni Xinyan, il ne pouvait plus ignorer la sensation poisseuse sur son corps. Il avait entendu le bruit de l'eau quand il était allé chercher du bois donc il devait y avoir une source d'eau non loin.
Shen Jue avait aussi pris une outre en prévision.
Quand il revint de son bain, Ni Xinyan était déjà assis. Il était à moitié adossé contre la paroi, assis à l'entrée de la grotte et il sourit en voyant l'adolescent revenir.
En voyant cette scène, Shen Jue se dit que Ni Xinyan avait une chance de tous les diables. Il s'approcha, ouvrit l'outre d'eau et la lui tendit.
« Bois un peu. »
Ni Xinyan voulut lever la main pour la prendre mais à mi-chemin, sa main se mit à trembler fortement. Du coup Shen Jue dut porter l'outre aux lèvres de l'autre homme et l'aider à boire. Bien que Ni Xinyan se retrouvait dans une situation désespérée, il conservait le maintien d'un noble fils. Il but proprement même s'il n'avait pas la force de boire lui-même.
Après ça, Shen Jue présenta quelques baies sauvages.
« Je les ai trouvées, mange. Demain, je tâcherai d'attraper des lapins sauvages. »
Ni Xinyan contempla les fruits minuscules dans la paume de l'adolescent. il haussa un sourcil.
« Je ne mangerai pas ça. »
Tout en le fixant du regard, Shen Jue saisit soudain le menton de l'autre homme et lui mit de force les fruits dans la bouche un par un. Ni Xinyan voulut se débattre mais il n'avait plus de force. Il ne put que lancer un regard impuissant à Shen Jue.
« J'en ai déjà mangé, tu n'as pas à t'en faire pour moi, » fit Shen Jue après avoir fini de le nourrir.
Ni Xinyan se lécha les lèvres et émit un léger son d'assentiment.
En pleine nuit, Ni Xinyan eut tout de même une légère fièvre. Shen Jue put à peine dormir. Il courut chercher de l'eau pour éponger le corps de l'autre homme et le couvrit de toute la paille qu'il avait ramassée.
Les poussées de fièvre se calmèrent progressivement tandis que le ciel s'éclaircissait avec l'aube.
Shen Jue poussa un soupir de soulagement et s'allongea à côté de Ni Xinyan pour sombrer dans un sommeil profond.
Quand il se réveilla, l'autre homme dormait encore.
Shen Jue sortit se laver le visage puis partit en quête de nourriture.
Ils mangèrent et dormirent ainsi plusieurs jours avant que Ni Xinyan puisse se lever et marcher, quoique encore avec du mal. Dès que l'homme fut en état de partir, il était prêt à retourner au campement mais il n'avait aucun sens de l'orientation. Quant à Shen Jue, il savait se repérer dans le palais mais en était incapable en dehors. Après avoir marché pendant longtemps, ils eurent seulement l'impression que le paysage devenait de plus en plus étranger.
Ni Xinyan s'accroupit et leva la tête vers le ciel lointain, son visage pâle exprimant la plus grande confusion.
À côté de lui se tenait Shen Jue dont le coin des lèvres frémissait. Il comprenait à présent pourquoi le roi de Ning avait attendu trois mois en vain sans revoir son fils.
Dans les vies précédentes, Ni Xinyan avait probablement survécu seul. En plus de ses blessures, s'il s'était fié à son sens de l'orientation, ce n'était guère surprenant qu'il ne trouva jamais sa destination.
Cela faisait à présent quinze jours entiers et ils n'avaient pas vu âme qui vive. Heureusement qu'on était en été et que les vêtements lavés le soir étaient secs au matin, sinon Shen Jue n'aurait pas pu supporter cette situation.
« Que faire maintenant ? » demanda Ni Xinyan en se tournant vers Shen Jue.
L'adolescent resta silencieux un moment puis sortit une dague de sa ceinture.
« Quelle que soit la direction indiquée par la pointe de la dague, nous la suivrons.
– C'est ridicule, et si ça nous emmène à l'opposé ? argua Ni Xinyan.
– Tu as une autre suggestion ? rétorqua Shen Jue avec un regard glacial.
– ... »
Après un moment, il secoua faiblement la tête.
Shen Jue lança la dague en l'air.
Après qu'elle ait atterri, ils restèrent tous les deux sans rien dire car la dague avait plongé droit dans le sol.
Ni Xinyan toussota légèrement.
« Et si je m'en occupais, hein ? »
Il retira une de ses bottes et la lança dans l'air. Le bout de la botte pointa dans la direction d'où ils venaient.
Ni Xinyan : « ... »
Shen Jue : « ... »
Bien que Ni Xinyan ait grandi dans les campements militaires, il restait un noble pour le meilleur et pour le pire. Il n'avait jamais eu à chercher son chemin. Quant à Shen Jue qui était un immortel, en général il volait pour voyager dont il n'avait jamais prêté attention à ce qui se passait au niveau du sol.
Il leur fallut encore dix jours pour voir finalement du monde ; ils arrivèrent dans un petit village. Avant d'entrer, ils prirent soin de retirer leurs armures pour ne garder que leur couche inférieure de vêtements. Ni Xinyan prétexta qu'ils avaient eu affaire à des bandits en route, qu'ils avaient pu en réchapper avec du mal mais qu'ils s'étaient ensuite perdus et qu'ils étaient bien contents d'être arrivés ici. Il échangea son pendentif en jade contre de la nourriture et des vêtements. Il se renseigna ensuite et apprit à sa grande surprise qu'ils avaient en fait pénétré sur le territoire de Yong.
Ni Xinyan tendit à Shen Jue un pain farci et baissa la voix :
« Nous partirons après manger. »
L'adolescent acquiesça.
Avant de partir, Ni Xinyan échangea la perle sur son guan contre un âne afin qu'ils n'aient pas à marcher tout le temps. Cependant l'âne était assez âgé et ne pouvait pas les porter tous les deux ensemble, ils durent donc alterner.
Après encore un mois et demi, les deux jeunes gens arrivèrent enfin à la frontière de l'état de Murong. Ni Xinyan examina de loin les portes fermées de la ville et se renfrogna légèrement.
« J'ai l'impression que quelque chose ne va pas.
– Il n'y a pas de gardes devant les portes ni même sur les remparts, fit Shen Jue. C'était vraiment très étrange. »
Ni Xinyan se pinça les lèvres et s'avança dans un long silence. Quand ils arrivèrent aux portes de la ville, personne ne les interpella. Une bouffée d'inquiétude naquit dans le cœur de Ni Xinyan. Il posa les mains sur les portes de la ville, inspira un grand coup et poussa de toutes ses forces.
Dès qu'il entrouvrit les portes, il fut assailli par une forte odeur de sang.
Ses pupilles se dilatèrent aussitôt et il ne vit que des cadavres.
Derrière lui, Shen Jue plissa le front en voyant la scène. Cela ne faisait pas encore trois mois et seul le roi de Ning devait mourir en principe. Pourtant il y avait maintenant des cadavres dans toute la ville comme si plus aucun être vivant ne s'y trouvait.
Ni Xinyan s'assombrit et s'avança. Au fur et à mesure qu'il voyait les cadavres, son visage prit un air de plus en plus hideux. Il n'y avait pas que des soldats, on voyait aussi des femmes et des enfants gisant par terre. Tous les visages arboraient une expression d'épouvante.
Ni Xinyan s'accroupit près du corps d'un jeune enfant. Il regarda le hochet qui gisait à côté. Sa respiration s'accéléra. Le coin de ses yeux devint peu à peu rouge. Après un moment, il prit le hochet poussiéreux et le remit dans les mains de l'enfant.
On entendit soudain des bruits de pas tout proches.
Ni Xinyan leva aussitôt la tête et vit une silhouette au détour d'une rue. Il la pourchassa aussitôt.
« Qui es-tu ? »
L'homme vit Ni Xinyan le rejoindre et il se mit à s'enfuir en courant avec panique. Il ne fallut cependant pas longtemps à Ni Xinyan pour le saisir par l'épaule. Les mains de Ni Xinyan s'abattirent fermement sur l'épaule de l'homme et il fit d'un ton sec :
« Je suis le prince de Ning, qui es-tu ? »
L'homme poussa un cri quand Ni Xinyan donna son nom de famille. Il se tourna à demi et le désigna du doigt, les yeux exorbités :
« Traîtres ! Vous n'êtes tous que des traîtres ! »
Ni Xinyan resta stupéfait par l'accusation de l'autre homme. Il ne put que le lâcher tandis que l'autre jurait toujours avec férocité et sa salive atterrit presque sur le visage de Ni Xinyan.
« Ce sont les gens comme vous qui ont entraîné la mort des gens du peuple ! Nous vous respections tant, pourquoi avoir commis une trahison ?
– Tra... hison ? répéta Ni Xinyan avec incrédulité. Tu dis que nous avons trahi ?
– Oui, toi et ce soi-disant roi de Ning, vous avez trahi le pays et vous avez encore le front de revenir ? »
L'homme gémit puis tomba aussitôt à terre et se lamenta amèrement.
« Nos maisons ont été détruites par votre faute, parce que nous avons trop fait confiance à la famille Ni. Vous qui avez causé ce putain de malheur, un jour vous en répondrez devant le Ciel. »
Ni Xinyan s'accroupit à côté de lui d'un l'air grave.
« Sois plus clair, qui a trahi ? Que s'est-il passé ici ? Pourquoi tant de gens sont morts ? »
L'homme lui jeta un regard haineux puis saisit soudain une pierre à côté de lui et l'abattit sur Ni Xinyan. Shen Jue vit cela et appela avec angoisse le nom de Ni Xinyan. Cependant ce dernier n'esquiva pas et laissa l'autre homme le blesser à la tête jusqu'au sang.
Le sang coula le long de sa tempe. Ni Xinyan se contenta de le ressuyer de sa main puis il fit à l'autre homme :
« Bon, tu vas pouvoir me répondre correctement maintenant ? »
L'homme n'aurait jamais cru qu'il arriverait à blesser Ni Xinyan. Une ombre de panique parcourut son visage. Après un moment, il jeta la pierre qu'il tenait et fit d'une voix tremblante :
« C'est déjà devenu un enfer sur Terre. Il y a un mois, la nourriture à commencé à manquer en ville. Les gens ordinaires comme moi avons pris de la nourriture de chez nous pour l'envoyer à l'armée. Ma famille a quasiment donné toute la nourriture qu'elle avait. On se disait que tant que les soldats étaient bien nourris, ils remporteraient sûrement cette bataille et pourraient ensuite résister jusqu'à l'arrivée des renforts de la capitale.
« Mais il y a sept jours, le roi de Ning a déserté avec sa garde personnelle. Ils nous ont laissés ici, nous les gens du peuple. Comme les autres soldats n'avaient plus personne pour les diriger, ils se sont fait battre par l'armée de Yong comme un rien. En trois jours seulement, les portes de la ville furent enfoncées. Après que les soldats de Yong soient entrés, ils ont exigé qu'on leur remette le roi de Ning mais ce dernier était déjà parti alors ils se sont mis à tous nous massacrer à vue. J'ai réussi à me cacher dans la cave et c'est comme ça que j'ai survécu.
« J'avais trop faim aujourd'hui alors j'ai quitté la cave pour me trouver à manger. »
L'homme finit ainsi son récit et lança un nouveau regard haineux à Ni Xinyan.
« Si le roi de Ning n'avait pas voulu sauver simplement sa peau, nous aurions certainement pu résister jusqu'à l'arrivée des renforts de la capitale ! »
Ni Xinyan ouvrit la bouche mais resta sans voix un bon moment. Il contempla l'homme devant lui, les yeux rouges. Après un long moment, il parvint à articuler :
« Tu racontes n'importe quoi, mon père n'est pas ce genre d'homme ! »
Derrière lui, Shen Jue observait la scène sans rien dire.
Le Murong Xiu rené avait bel et bien changé certaines choses. Le héros qui s'était sacrifié pour son peuple dans la vie précédente était à présent devenu un traître et un lâche aux yeux des gens.
Ni Xinyan inspira un grand coup et se leva. Il serra les dents, ressuya le sang sur son visage et persista à dire :
« Je ne crois pas un mot de ce que tu dis, mon père ne s'est pas enfui. »
Il se tourna et sentit un choc dans le dos : l'homme lui avait de nouveau lancé une pierre.
« Tu es comme ton père, tu n'es qu'un beau parleur. Dégage ! » cria l'homme.
Les pas de Ni Xinyan s'arrêtèrent et il cligna plusieurs fois des yeux pour en chasser les larmes.
Shen Jue l'observa et après un moment, il le rejoignit et prit sa main.
« N'écoute pas ce qu'il a dit, tu dois avoir foi en ton père. »
Ni Xinyan se força à sourire mais c'était terriblement hideux.
Il murmura à Shen Jue :
« Mais s'il dit la vérité, que vais-je faire ? »
La parole à l'auteur :
Ni Xinyan : Je comprends à présent que plus on a de scènes, plus on se fait abuser.
Beau Murong : Mmph, tu as enfin compris. Mais ce n'est que le début.
Note de Karura :
Je crois que certains commencent à plaindre le régent ! N'est-ce pas mignon quand Shen Jue tente de le réconforter ?
Quant à Murong Xiu, il a passé six ans sans son Shen Jue. Il fallait bien qu'il s'occupe !
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