Cent façons de tuer un prince charmant 43

Chapitre 43


Tout à coup, une main surgit du lit pour saisir fermement le bras de Yu Ci.

Ce dernier tressaillit, tourna la tête et vit que l'homme au lit avait repris connaissance.

Sang Xinghe était d'une beauté classique. Ses yeux étaient comme les rives des eaux limpides d'automne et ses yeux comme des pêches après les gelées d'Avril. Son nez était comme l'arête d'une montagne et ses lèvres comme une étoffe de soie. Bien qu'il soit parfait pour les cinq sens, il n'y avait absolument rien de féminin chez lui. Même si son visage était à présent livide et exsangue, les gens ne pouvaient néanmoins pas détacher leur regard de lui.

Dès que Sang Xinghe avait fait son apparition dans le monde de la cultivation, il était devenu célèbre non seulement à cause de son niveau mais aussi à cause de son apparence.

Son visage avait ému d'innombrables hommes et femmes, cependant bien que Sang Xinghe soit aimable, il se comportait de la même manière avec tout le monde. Si quelqu'un lui avouait ses sentiments, il se contentait de donner un refus poli. Jamais il n'aurait cru tomber un jour sur quelqu'un comme Yu Ci, un démon avec qui on ne pouvait pas raisonner.


« Ma blessure n'a rien à voir avec lui, ne le punis pas. »

Sang Xinghe avait repris conscience à un moment ou à un autre. La première chose qu'il fit, ce fut plaider en faveur de Shen Jue.

Quand Yu Ci vit qu'il s'était réveillé, il fut d'abord surpris et ravi. Mais quand il entendit les paroles de Sang Xinghe, son visage s'assombrit de nouveau. Ayant des traits féminins, quand son visage s'assombrissait, c'était encore plus effrayant que chez quelqu'un d'ordinaire.

« Tu plaides en sa faveur ? renifla Yu Ci de dérision. Il fait partie de mon Île des Dix Absolus, en quoi ça te regarde la façon dont je le punis ? »

Sang Xinghe ne recula pas :

« Si tu veux punir un innocent sous mes yeux, alors cela me regarde. »

Il marqua une pause.

« Bien entendu, si le maître de l'île souhaite punir quelqu'un, comment une personne impuissante comme moi pourrait-il l'en empêcher ? J'espère seulement que le maître de l'île voudra bien pardonner à l'impuissant que je suis de ne plus supporter la vue du sang. »


Sang Xinghe savait appuyer là où ça faisait mal chez Yu Ci. Yu Ci avait perdu son calme à l'époque et aboli la cultivation de Sang Xinghe. Après coup, il l'avait aussitôt regretté. Il lui était impossible de laisser Sang Xinghe sans la possibilité de pratiquer les arts martiaux. Après tout, cela faisait bien des années que Sang Xinghe faisait son chemin dans ce monde et il avait de nombreux ennemis. Yu Ci avait donc ramené Sang Xinghe sur l'Île des Dix Absolus pour cette raison. Bien entendu, il avait aussi ses propres intentions égoïstes.

Quand il entendit ces mots, le visage de Yu Ci se tordit de fureur. Après un moment, il étira ses lèvres vers le haut et eut un léger rire.

« D'accord, si tu ne veux pas que je le punisse, je ne le punirai pas. Tu peux me lâcher. »

Sang Xinghe libéra la main de Yu Ci et aussitôt, il entendit un crac.

« Yu Ci ! »

Les yeux de Sang Xinghe s'assombrirent. Il regarda Shen Jue qui se tordait déjà de douleur par terre puis lança un regard outré vers Yu Ci.

« Pourquoi tu es revenu sur ta parole ? »


Yu Ci sortit un mouchoir de sa manche et se ressuya tranquillement la main.

« S'il y a une chose que j'ai en horreur, c'est qu'on m'empêche de faire ce que je veux. Plus tu le défends, plus je le punirai lourdement mais ne t'en fais pas : comme c'est la première fois que tu intercèdes en sa faveur, je lui ai juste déboîté le poignet. Il s'en remettra. La prochaine fois, je lui couperai la main. »

Le mouchoir qui avait servi fut jeté par Yu Ci et tomba doucement sur le visage de Shen Jue.

Le jeune homme toucha sa main blessée et une lueur meurtrière passa dans ses yeux. Toutefois quand son visage se fit soulever par la pointe du pied de Yu Ci, ses yeux ne contenaient plus que des larmes.

Yu Ci contempla le larmoyant Shen Jue et demanda d'un ton gracieux :

« Ça fait mal ? »

Shen Jue réfléchit un moment puis acquiesça.

Yu Ci eut un sourire satisfait.

« Brave garçon. Tu peux y aller. Va voir le gardien gauche pour qu'il te fasse soigner. »

Shen Jue acquiesça et se releva lentement. Sans même jeter un regard à Sang Xinghe, il fit demi-tour et se retira.


* * *


Le gardien gauche et les autres attendaient tous à l'extérieur du Pavillon de l'Eau Changeante. Le gardien gauche vit que Shen Jue se tenait la main. Une lueur passa dans ses yeux et il fit signe au docteur à côté de lui. Il s'avérait que le docteur était encore là, ce qui leur évita bien des soucis.

Pressé de faire soigner sa main, Shen Jue s'assit sur les marches à l'entrée du Pavillon et tendit sa main au médecin pour qu'il l'aide.

Le gardien gauche se tenait près de Shen Jue et fut un peu amusé de voir le jeune homme tendre la main aussi aimablement.

En apparence, ce corps de Soie Céleste avait l'air incapable de faire du mal à une mouche et il était très bien élevé, mais en fait il recelait pleins de pensées et de ruses dans son cœur. Le plus amusant était qu'il croyait arriver à dissimuler ces pensées aux autres. C'était vraiment trop drôle.


« La prochaine fois, tu ferais bien de mieux mentir, conseilla le gardien gauche. Aujourd'hui le maître a fait preuve de clémence. La prochaine fois que tu es surpris en plein mensonge, ce n'est pas certain que tu puisses garder la vie sauve. »

La tête de Shen Jue se baissa, comme s'il ne voulait pas entendre ça.

Le gardien gauche eut un sourire impuissant puis contempla la lune lointaine, les mains croisées derrière son dos.

Le clair de lune était si brillant cette nuit. Il était dommage qu'il ait dû courir dans tous les sens. Dire que tout était la faute de ce corps de Soie Céleste désobéissant. Sans lui, il n'aurait pas eu tous ces soucis ce soir. À cette pensée, le gardien gauche ne put retenir un regard en direction de Shen Jue.

Il arrivait vraiment à bien jouer la comédie, là.


Le docteur termina son auscultation et fit à Shen Jue :

« Ce n'est pas très grave. Je peux te remettre ton poignet en place mais ça va faire mal. Il va falloir faire avec. »

Les larmes dans les yeux de Shen Jue avaient séché depuis longtemps. Il fit un signe de tête au docteur.

L'instant d'après, le visage de Shen Jue se plissa de douleur comme un pain à la vapeur.

C'était un pain à la vapeur tout ridé.

Dans l'incapacité de crier, il ne put que serrer les dents. Il ne parvint pas à contrôler les réactions de son corps et les larmes coulèrent de nouveau à cause de la douleur.

Ce corps était bien plus faible que dans le monde précédent. Bien qu'il puisse cultiver, il ne supportait pas la douleur. Rien qu'un poignet déboîté qu'on remettait en place et il pleurait déjà.

Shen Jue était bien content d'être actuellement muet, sinon il aurait certainement crié de douleur et en aurait perdu la face.


Quand le médecin eut fini de le soigner, il lâcha la main de Shen Jue. Il avait l'habitude de voir les gens réagir de plein de manières différentes à la douleur alors quand il vit les larmes silencieuses du jeune homme, il n'en fut pas surpris. Pour être honnête, il préférait ce genre de patient. Des patients comme le maître de l'île ou Sang Xinghe, qui ne montraient rien sur leur visage même quand ils avaient mal, c'était plutôt ennuyeux.

Non seulement il ne se faisait pas payer mais ne plus il ne pouvait pas voir le patient réagir, c'était vraiment déprimant.

Le gardien gauche se rendit également compte que Shen Jue pleurait. Il garda le silence un moment puis le saisit par le col et le releva.

« Inutile de pleurer maintenant, c'est trop tard. Tu vas dormir dans la réserve à bois ce soir. On verra si je te libère demain. »

Il fit signe à un homme près de lui et Shen Jue se retrouva de nouveau ligoté dans le style des cinq fleurs puis jeté dans la réserve à bois.


* * *


Shen Jue fut ainsi enfermé dans la réserve pendant un jour et une nuit avant d'être libéré.

Le Pavillon de l'Eau Changeante était déjà froid comme ça. Après un jour et un nuit passés sur le sol glacial, il eut de la fièvre. Au moment de sa libération, il était brûlant.

Quand Yu Ci apprit qu'il était malade, il haussa un sourcil.

« Il est mort ? »

Le gardien gauche réfléchit un moment.

« Pas encore mais si on le laisse comme ça quelques jours, je crains fort qu'il ne puisse pas survivre. »

Yu Ci prit un air écœuré.

« Qui m'a fichu un corps de Soie Céleste aussi faible ? Il faut le nourrir et il ne donne rien en retour. »

Il renifla froidement.

« Laisse-le médecin s'en charger et tant pis s'il n'arrive pas à le guérir. »


Le gardien gauche acquiesça puis fit :

« Et pour le Pavillon de l'Eau Changeante ? »

Yu Ci se gratta le nez et fit d'un ton hésitant :

« Il n'y a pas d'urgence de ce côté-là. Il est encore tout agité alors mieux vaut le laisser se calmer d'abord. »

Depuis que Sang Xinghe l'avait vu punir le jeune homme, il avait refusé de le regarder depuis des jours. Alors le fait de donner à nouveau un aphrodisiaque à Sang Xinghe dans ces conditions, cela risquait de le fâcher pour de bon. En plus Sang Xinghe n'avait pas encore totalement récupéré pour ce genre d'activité.


* * *


L'attente dura quinze jours.

Quand le gardien gauche aborda de nouveau le sujet, Yu Ci avait pratiquement oublié l'existence de Shen Jue.

« Maître, dois-je bientôt organiser une autre session au Palais de l'Eau Changeante ? demanda le gardien gauche.

– Fais donc, » répondit Yu Ci.

Le gardien gauche hésita puis lança un regard prudent à Yu Ci.

« C'est Shen Jue qui l'a servi la dernière fois. Dois-je changer de personne cette fois ? »

Yu Ci y réfléchit puis rejeta la proposition.

« Inutile de changer. Sang Xinghe ne l'a-t'il pas bien protégé la dernière fois ? Voyons un peu s'il va percer à jour ce fichu nabot qui ne sait que mentir. »

Il lança un regard au gardien gauche.

« Attache-le au lit et donne lui un décontractant musculaire. »


Le gardien gauche émit un son d'assentiment puis se prépara à partir. Au dernier moment, il se tourna en arrière.

« Maître, à qui dois-je le donner ? »

Le regard de Yu Ci se fit soudain peu amical.

« Imbécile, fiche le camp. »

Le gardien gauche ficha rapidement le camp et ce ne fut qu'en sortant qu'il rendit compte qu'il avait vraiment été stupide à l'instant.

Si on donnait un décontractant musculaire au noble Sang, comment ferait-il pour manifester son vent puissant ?


Cette nuit, le gardien gauche administra donc à Shen Jue un décontractant musculaire puis l'attacha au lit avec des liens en soie. Comme le masque avait été brisé la dernière fois, le gardien gauche opta spécialement pour un masque en cuivre avec une petite serrure à l'arrière. Il fallait une clef pour l'ouvrir.

Avant de partir, il en profita pour presser les points d'acupuncture de Sang Xinghe qui avait été immobilisé.

« Noble Sang, appréciez bien. »

Le gardien gauche eut un léger sourire puis quitta la pièce dans un souffle de vent. Il n'oublia pas de refermer la porte derrière lui.

Une fois que ce fut fait, il soupira.

C'était vraiment triste que le prestigieux gardien gauche de l'Île des Dix Absolus se retrouvait à présent à jouer les proxénètes.


* * *


Cela faisait déjà un moment que Sang Xinghe avait été drogué et les effets commençaient à se faire sentir. Quand il fut de nouveau libre de ses mouvements, il voulut sortir de la chambre mais non seulement la porte était fermée à clef, les fenêtres aussi. Il fit les cent pas dans la pièce, anxieux, mais son regard se tournait involontairement vers le centre de la chambre.

Il y avait quelqu'un là-bas.

Sang Xinghe le savait.

Toutefois il ne pouvait pas se comporter comme une bête.

Le maître avait dit une fois qu'un homme de cœur faisait ce qu'il fallait et non ce qu'il ne fallait pas. Se conduire ainsi serait comme piller une maison en feu Profiter du malheur de quelqu'un. (1).

Sang Xinghe serra les poings et eut envie de boire de l'eau froide. Il se rendit compte qu'il n'y avait la moindre eau froide dans la pièce. L'eau de la bouilloire était brûlante, tout comme son souffle.

Ses mains tremblèrent légèrement et il reposa subitement la tasse.

Sang Xinghe inspira plusieurs fois puis se dirigea finalement vers le centre de la pièce.


Notes du chapitre :
(1) Profiter du malheur de quelqu'un.






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