Chapitre 44
Quand Sang Xinghe contourna le paravent pour s'approcher du lit, il vit une légère silhouette qui se dessinait derrière la tenture.
Il eut une inspiration hachée, serra les dents et se retourna. Il se récita plusieurs fois les sutras bouddhistes dans la tête tout en haïssant encore plus le responsable de tout ceci, Yu Ci.
Comment pouvait-il exister un salaud pareil dans ce monde ?
La dernière fois, il avait failli faire quelque chose d'horrible à ce jeune homme mais heureusement il s'était fait assommer par le chandelier.
Sang Xinghe avait repéré le chandelier à temps mais n'avait pas esquivé.
L'autre personne était innocente, c'était Yu Ci qui était abominable.
Il ne devait pas faire une chose pareille à l'autre jeune homme.
Cependant Sang Xinghe eut beau se réciter les sutras dans sa tête, il se mit à faire de plus en plus attention au jeune homme sur le lit. Il parvenait même à l'entendre très clairement tirer sur la soie.
Afin d'éviter que Sang Xinghe se fasse de nouveau assommer, le gardien gauche avait fait clouer tous les objets dangereux sur place, comme les chandeliers. On ne pouvait plus du tout les soulever. Il était donc impossible pour Sang Xinghe de demander à Shen Jue de l'assommer à nouveau.
Sang Xinghe ferma les yeux, ses doigts s'enfoncèrent jusqu'au sang dans ses paumes mais cela ne servit à rien. Son esprit devint de plus en plus chaotique tandis que son corps devint de plus en plus sensible. Ce genre de souffrance lui donnait l'impression d'être dans monde dual de glace et de feu, avec la glace au-dessus de sa nuque et le feu en dessous.
Après un long moment, il finit par haleter à voix basse puis se tourna avec difficulté et se dirigea vers le lit.
Il souleva doucement la tenture du lit et quand il vit la scène qui s'offrit à lui, il faillit suffoquer.
Afin de provoquer les choses entre eux deux, le gardien gauche avait délibérément revêtu Shen Jue d'une tenue qui ne couvrait pas grand-chose. Comme disait le proverbe, les choses les plus tentantes étaient souvent celles qu'on n'avait pas besoin de dévoiler.
Shen Jue lança un regard à Sang Xinghe, se tourna et mordit la soie douce qui enserrait son poignet. Le problème, c'était qu'il était affaibli, le corps mou des pieds à la tête. Après avoir mordillé son lien un bout de temps, il n'était pas parvenu à le ronger. Au contraire, à force de se contorsionner, son corps fin était encore plus exposé.
Il était tendu à l'extrême comme un arc sublime.
Pendant que Shen Jue se débattait pour ronger la soie douce, son visage fut soudain tourné de l'autre côté par une grosse main.
« Désolé, lui parvint la voix de Sang Xinghe d'en haut. Je vais t'offenser. »
Cependant après une première manche, Sang Xinghe put sentir la nouvelle énergie interne dans son corps. Il fut ébahi par la spécificité des corps de Soie Céleste et ne put s'empêcher de se montrer plus tendre. Il défit même les liens de soie autour des mains et des pieds du jeune homme. Dès que Shen Jue fut libéré, il se mit à frapper Sang Xinghe de toutes ses forces. En voyant sa réaction, Sang Xinghe n'eut pas d'autre choix que de le lâcher et de reculer pour esquiver.
Profitant de la retraite de Sang Xinghe, Shen Jue descendit rapidement du lit mais dès qu'il mit un pied à terre, il tomba faiblement au sol. Avant même de pouvoir faire un pas de plus, il se fit enlacer par derrière et ramener dans le lit par l'autre homme.
La bougie brûla jusqu'au bout et il ne resta qu'un peu de cire rouge. Son parfum se répandit dans toute la chambre.
Quand les effets de l'aphrodisiaque se dissipèrent chez Sang Xinghe, le ciel commençait déjà à pâlir à l'horizon. L'homme roula sur le côté et se leva du lit. Il contempla les vêtements qui jonchaient le sol et une lueur de honte apparut dans ses yeux. Il se dirigea vers l'armoire, prit une tunique pour l'enfiler puis choisit une autre tunique de couleur claire.
Il prit la tenue et regagna le lit. Il poussa un léger soupir puis tira la tenture.
La personne au lit dormait encore. Bien que le masque couvrait son visage, Sang Xanghe savait qu'il avait pleuré car les larmes se voyaient de son menton à son cou. Sang Xinghe recouvrit le jeune homme de la tunique et eut de nouveau un soupir inaudible.
Il avait dépassé les limites la veille, au bout du compte.
L'autre personne ne pouvait pas parler et ne pouvait même pas faire de bruit en pleurant. Le temps que Sang Xinghe s'en rende compte, les larmes avaient déjà inondé la moitié de l'oreiller.
Sang Xinghe s'était toujours vanté d'être posé mais à présent, il comprenait que les hommes étaient tous pratiquement les mêmes au lit et même s'ils éprouvaient de la tendresse, ils ne s'en montraient pas plus doux pour autant. Sang Xinghe était à la fois honteux et abattu en ce moment, voir même légèrement dégoûté.
Quelle était la différence entre son comportement actuel et celui de monstres comme Yu Ci ?
Autrefois, Sang Xinghe méprisait plus que tout les gens qui pratiquaient avec un corps de Soie Céleste mais il était devenu à présent ce genre de personne. Cette prise de conscience l'écœura non seulement de lui-même mais aussi de Shen Jue alité.
Pourquoi existait-il dans ce monde une race aussi diabolique et dépravée que les corps de Soie Céleste ?
Une fois, Sang Xinghe avait pourchassé et tué un célèbre cultivateur démoniaque. Quand ce démon avait fui, il n'avait pas oublié d'emmener son corps de Soie Céleste avec et avait couché plusieurs fois avec lui en route. À l'époque, cela avait rendu Sang Xinghe si malade qu'il aurait voulu vomir. Quand le cultivateur démoniaque fut sur le point de se faire tuer, il songeait toujours à son corps de Soie Céleste et demanda à Sang Xinghe de le tuer aussi.
« S'il n'est pas avec moi sur la route des Sources Jaunes L'Autre Monde. (1), je refuse d'aller en Enfer, ah ! »
Certains disaient que le corps de Soie Céleste était une fleur qui fleurissait au lit, une fleur extrêmement sublime.
Sang Xinghe comprenait désormais à quel point ces paroles étaient bien vraies.
Au milieu de la nuit précédente, le plus gros de l'aphrodisiaque avait déjà commencé à se dissiper. Avec un peu de volonté, il aurait pu se contrôler mais il ne s'était pas contrôlé. Il ne s'était même pas du tout retenu. La nuit dernière, il s'était comporté comme tous les hommes vils de ce monde emportés par leurs désirs. Sang Xinghe se dit avec auto-dérision que peut-être il n'avait jamais été différent des autres hommes et que c'était le corps de Soie Céleste à présent allongé qui lui avait montré sa véritable nature.
Yu Ci lança un regard mauvais au gardien gauche.
« C'est fait ?
– C'est fait, répondit le gardien gauche en inclinant la tête.
– Comment va-t'il ? » poursuivit Yu Ci.
Le gardien gauche réfléchit un moment.
« Si le maître veut parler du noble Sang, cet homme va on ne peut mieux. J'ai pu voir que le noble Sang est actuellement aussi vif et ardent qu'un tigre ou un dragon, mais son visage fait peur à voir. »
Yu Ci renifla de mépris.
« Ce genre de personne décente est comme ça. Après quelques nuits, on verra s'il est toujours rempli de morale et d'éthique. »
Après ça, il n'avait plus envie de jaser avec le gardien gauche alors il agita la main d'un air négligent.
« Tu peux disposer. »
Le gardien gauche émit un son négatif et ne partit pas.
« Maître, vous avez ordonné d'administrer l'aphrodisiaque au noble Sang toutes les nuits. Ne pourrait-on pas ralentir ? Par exemple, une nuit sur deux, ou sur trois ? Ce corps de Soie Céleste a connu sa première étreinte charnelle, il est encore incapable de sortir du lit. »
Quand il était allé récupérer Shen Jue ce matin, il avait été choqué. Jamais il n'aurait cru que Sang Xinghe qui donnait l'impression d'être un gentilhomme raffiné ne serait guère différent d'un loup affamé depuis plus de vingt ans. La veille au soir, il lui avait présenté un jeune homme savoureux et quand il l'avait récupéré, il n'avait presque plus un pouce de chair intacte sur le corps. C'était à se demander combien de fois ils l'avaient fait durant la nuit.
Quand Yu Ci entendit parler le gardien gauche, il plissa les yeux.
« Tu éprouves de la pitié pour ce corps de Soie Céleste ? »
Le gardien gauche secoua vivement la tête.
« Bien sûr que non, je pense juste que le fait de droguer le noble Sang tous les jours risque de nuire à sa santé, ah. Après tout il n'a que peu d'énergie interne. »
Les lèvres de Yu Ci frémirent.
« D'accord, on va faire comme tu as dit. Mais n'oublie de surveiller de près pour moi, si jamais... »
Il ne termina pas sa phrase mais le gardien gauche avait déjà compris ce qu'il voulait dire.
« Maître, soyez tranquille. Ce subordonné tuera Shen Jue avant que cela ne se produise, » assura le gardien gauche.
Mais en lui-même il se demandait comment pouvait-on juger précisément les choses du cœur ?
Quand deux personnes restaient ensemble nuit et jour et couchaient ensemble, même s'ils avaient un cœur de pierre, ils finiraient bien par éprouver quelque chose l'un pour l'autre, non ?
Quand le gardien gauche prit congé, Yu Ci jeta par terre la coupe qu'il tenait.
Il contempla les morceaux de porcelaine et grinça des dents amèrement.
Il avait tout d'abord cru qu'il se moquerait bien que Sang Xinghe couche avec quelqu'un d'autre mais quand il entendit les paroles du gardien gauche et que ce fichu nabot de Shen Jue ne pouvait même pas encore sortir du lit, cela l'avait bouleversé. Il n'avait pas besoin de faire des efforts pour l'imaginer, il savait que la bataille avait dû être féroce la nuit dernière et il craignait désormais que Sang Xinghe se soit entiché de ce corps de Soie Céleste.
Mais il était le seul responsable de cela. S'il tuait Shen Jue maintenant, ce serait un affront envers lui-même, comme s'il était du genre à ne même pas pouvoir tolérer un corps de Soie Céleste.
Et qu'était un corps de Soie Céleste ?
Ce n'était qu'une arme qui servait à stocker l'énergie interne alors il n'avait aucune raison d'être jaloux d'une arme.
Yu Ci tâcha de se consoler ainsi mais il était de si mauvaise humeur qu'il ne put supporter d'entendre des chants ou de voir des danses. Quand il vit le gardien gauche, il fut encore plus écœuré. Yu Ci était comme un gros lion sauvage et était rempli de colère en voyant qui que ce soit. Il tempêta sur l'île un moment puis finalement ne put s'empêcher de se rendre au Pavillon de l'Eau Changeante.
Il arriva tard la nuit sans prévenir. Comme le gardien gauche avait constaté qu'il était de mauvaise humeur quand il l'avait vu, il n'avait pas osé lui dire que Shen Jue avait été envoyé de nouveau au Pavillon cette nuit.
Ainsi au moment où Yu Ci arriva, Shen Jue était allongé sur le lit de Sang Xinghe.
La parole à l'auteur :
Yu Ci : Je porte un chapeau vert C'est pour dire qu'il est cocu. (2) !
Notes du chapitre :
(1) L'Autre Monde.
(2) C'est pour dire qu'il est cocu.
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