Chapitre 78
Sa joue fut effleurée. Avant que Yu Qing ne puisse réagir, il entendit les paroles de l'autre —
« Bébé. »
Quoi ? Le duc l'appelait bébé ?
Bien que Yu Qing fit de son mieux pour garder son calme, il eut si peur des paroles de l'autre qu'il n'osa pas bouger. Naturellement, Shen Jue remarqua sa crispation. Il eut un sourire indifférent puis prit le verre de sang que Yu Qing fixait depuis un bon moment pour le mettre dans les mains du jeune homme.
« Ça contient de l'alcool. Tu peux y goûter mais n'en bois pas trop.
– Oh, » répondit Yu Qing d'un ton vague.
Il ne savait pas où poser les yeux alors finalement, il contempla le verre qu'il tenait.
Le duc s'était rendu compte qu'il avait voulu boire ce verre mais qu'il était trop gêné pour le prendre, alors il le lui avait donné spécialement ?
Xiao Wenshan assista subitement à cette démonstration d'affection et arbora un air émerveillé. Après un moment, elle se tapota le torse.
« Shen Jue, comme tu as été blessé récemment et que tu n'étais pas sorti depuis, je craignais que tu aies un peu changé. À présent, j'ai la confirmation que tu as bel et bien changé. Ton bébé a l'air vraiment charmant. Il est majeur ? C'est la première fois qu'il assiste à un gala ? D'où vient-il ?
– Il est majeur, ne t'en fais pas. Je ne m'intéresse pas aux mineurs. »
Shen Jue ne répondit qu'à la première question de la vampire puis il pencha la tête et baissa la voix pour faire à Yu Qing :
« Vas-y, bois. Ne tire pas simplement la langue pour lécher. »
À cause des actions de Yu Qing, beaucoup de regards se posèrent rapidement sur lui.
Ces nobles vivaient depuis fort longtemps, ils étaient tous des vieux de la vieille et se connaissaient tous. Yu Qing, en tant que nouveau visage ce soir-là, attirait déjà les regards rien qu'en lui-même et en plus, il agissait de manière si inconsciemment séductrice. Cela ne put que tenter certains de ces vieux de passer à l'action.
Quand Yu Qing entendit le duc, il baissa rapidement la tête.
« Je suis désolé. »
Shen Jue regarda un Yu Qing si humble et timide, et ressentit des émotions complexes en son for intérieur. Dans sa mémoire, avant qu'il ne découvre que Qiao Jiangyuan aimait Yu Qing, il n'avait que peu de souvenirs de Yu Qing en tant qu’esclave. À l'époque, son cœur n'était focalisé que sur Qiao Jiangyuan alors il ne se souciait guère de Yu Qing et des autres gens du manoir.
Ensuite, après sa faillite, il avait vu le Yu Qing noble et prétentieux, comme s'il était une beauté qui avait toujours été entretenue par de l'argent. Personne n'aurait pu croire qu'il avait été jeté à la rue plus jeune et qu'il avait survécu uniquement en mangeant dans les poubelles et en buvant du sang de rat.
Yu Qing avait alors un maintien naturel et distingué, rien à voir avec son tempérament actuel.
Est-ce qu'une personne pouvait changer autant ?
Shen Jue doutait que l'attitude actuelle de Yu Qing n'était que de la comédie.
Xiao Wenshan vit l'interaction entre les deux et elle eut un sourire gracieux.
« Shen Jue, tu ferais mieux de bien le garder à l'œil. Je vois pas mal de gens lorgner sur ton bébé ce soir.
– En, » répondit Shen Jue d'un ton mitigé.
Il força Yu Qing à s'asseoir.
« Assieds-toi, les enchères ne vont pas tarder à commencer. »
Peu de temps après qu'ils se soient installés, un serviteur vint apporter les plaques pour les enchères. Il voulut en donner une à Yu Qing mais ce dernier secoua aussitôt la tête pour refuser, expliquant qu'il ne comptait pas participer aux enchères. Shen Jue le regarda mais ne dit rien. Vu le tempérament du Yu Qing actuel, même s'il voulait quelque chose, on pouvait parier qu'il ne dirait rien.
Les enchères démarrèrent. Shen Jue ne fut guère intéressé par les premiers objets mis en vente. Heureusement, Xiao Wenshan fut attirée par plusieurs objets et ne lui adressa plus la parole. Par contre, le jeune homme à côté de lui remuait de temps en temps sur sa chaise, comme s'il ne pouvait pas se tenir tranquille.
Shen Jue dut tourner la tête vers lui et demanda à voix basse :
« Qu'est-ce qui ne va pas ? »
Yu Qing avait la tête baissée mais quand il entendit le duc s'adresser à lui, il la releva lentement. Ses yeux étaient inexplicablement larmoyants et son visage était même un peu rouge.
« Mon seigneur, je... je ne me sens pas bien. Je peux sortir ? »
Quand il dit cela, sa voix fut très faible car il semblait avoir peur que les gens autour ne l'entende. Mais comme il ne parla pas fort et que le commissaire-priseur présentait un objet de l'autre côté, Shen Jue ne put comprendre clairement ce qu'avait dit Yu Qing.
« Quoi ? »
Yu Qing se mordit les lèvres avec gêne puis se rapprocha simplement de l'oreille de Shen Jue pour répéter.
Étant si proche, Yu Qing pouvait sentir un léger parfum émaner du corps de l'autre homme. Cela ne semblait pas venir de ses vêtements mais carrément de sa peau. Il y avait également la douce odeur du sang. Yu Qing ne put s'empêcher d'inspirer légèrement.
À cause de ça, son corps réagit de manière encore plus intense.
Shen Jue s'écarta légèrement sur le côté puis se radossa contre la chaise. Il avait clairement entendu cette fois alors il examina attentivement le jeune homme. Il se rendit compte ce faisant que Yu Qing faisait une drôle de tête. On aurait dit... de la drogue.
Ses yeux se posèrent sur le verre qu'il avait tendu à Yu Qing tout à l'heure. Ce verre était déjà sur la table avant qu'ils n'arrivent mais pendant qu'ils discutaient avec Xiao Wenshan, beaucoup de gens avaient pu passer à côté de leur table, il n'avait pas fait attention.
Se pouvait-il que son verre ait été drogué ?
Shen Jue regarda le commissaire-priseur qui était encore en train d'animer les enchères. Il y avait encore un bon moment avant que la bague ne soit présentée, cependant Yu Qing ne se sentait pas bien du tout. Il ne pouvait pas garder le jeune homme ici ni même le laisser retourner seul à la voiture. Il était prêt à parier que dès que Yu Qing serait hors de sa vue, il y aurait aussitôt un noble sans vergogne prêt à attacher le jeune homme au lit.
Mais celui qui avait osé utiliser de la drogue sous son nez était vraiment audacieux.
Shen Jue se leva directement. Il prit dans une main le verre dont Yu Qing venait juste de boire tout en aidant le jeune homme à se lever de l'autre.
« Rentrons. »
Yu Qing avait déjà un peu de mal à se tenir debout mais il fit de son mieux pour se maîtriser.
Xiao Wenshan vit Shen Jue se lever si brusquement et elle en fut surprise.
« Où tu vas ?
– Il n'y a rien qui me plaît ici, alors je préfère rentrer. Transmets à la famille Wei de ma part que je leur verserai directement de l'argent sur leur compte plus tard. »
Shen Jue était si proche de Yu Qing qu'il ne put que se rendre compte que l'autre tremblait. Alors il passa un bras autour de ses épaules et quitta la salle.
Quand Yu Qing se fit ainsi enlacer, son corps se raidit mais il se détendit aussitôt.
La lumière dans la salle des ventes était vraiment tamisée. Yu Qing ne put retenir un regard vers l'homme à ses côtés. Son profil était comme une peinture à l'huile, dense et impétueux, très féroce, et même les longs cils étaient droits et pas du tout recourbés. Quand il baissait les yeux vers les gens, ces cils étaient comme les ailes d'un machaon un papillon (1) qui s'abaissaient. Les ailes étaient actuellement bien droites et dominantes, et la lumière tombaient doucement sur son visage. À cause de la pénombre, l'impression de distance chez l'autre homme semblait avoir énormément diminué.
À cause de leur proximité, Yu Qing vit aussi plusieurs petites plaies dans le cou de l'autre homme, causées par ses morsures l'autre jour.
Shen Jue n'avait rien remarqué mais lui avait bien vu que de nombreuses personnes avaient noté les marques de dents sur le cou du duc et que ces gens lui avaient toujours lancé un regard avant de ramener leur regard sur le duc.
Ces nobles se demandaient sûrement qui avait bien pu boire le sang de Shen Jue.
Est-ce qu'ils le soupçonnaient ?
Pendant que Yu Qing pensait à tout cela, ils avaient déjà quitté le bâtiment. Shen Jue ouvrit la porte arrière de la voiture et installa Yu Qing à l'intérieur avant de prendre place à son tour. Le chauffeur et le garde du corps parurent un peu surpris de les voir revenir si vite.
« Mon seigneur, les enchères sont déjà terminées ?
– Non, conduis-nous au bordel le plus proche. »
Après que Shen Jue ait calmement demandé cela, il lança un regard à Yu Qing qui était recroquevillé sur le côté.
« Tu peux encore tenir le coup ? »
Au mot bordel, Yu Qing leva aussitôt la tête. Il avait voulu cacher la réaction de son corps, pourtant le duc s'en était aperçu ?
« Non, je ne veux pas aller dans un bordel ! » fit-il aussitôt en secouant la tête.
Shen Jue le fixa comme un enfant déraisonnable.
« Je vais te trouver une femme correcte ou un homme, fit-il avant de marquer une pause. Si tu t'inquiètes pour le prix, c'est bon. C'est moi qui t'ai fait venir ce soir alors j'ai ma part de responsabilité pour ton état actuel. Ne t'en fais pas pour l'argent, c'est moi qui paierai tout. »
Le visage de Yu Qing devint pâle. Il ouvrit la bouche mais avant de pouvoir prononcer le moindre mot, Shen Jue avait déjà tourné la tête.
« En route, vite.
– Non, n'allons pas là, » parvint enfin à dire Yu Qing.
Cependant, ses paroles n'eurent aucun poids. Le chauffeur fit la sourde oreille. Il y avait trois autres personnes dans la voiture et aucune d'elle ne se souciait de ce qu'il pensait. Yu Qing resta assis. Bien que son corps soit brûlant, son cœur était glacé.
C'était la première fois qu'il était si furieux de ses origines. S'il n'était pas un semi-vampire, s'il était... s'il était aussi un noble, alors tout le monde serait obligé d'écouter ce qu'il avait à dire, son opinion.
Le chauffeur roula vite et trouva bientôt une maison close haut de gamme qui était encore ouverte.
Shen Jue jeta un coup d'œil puis sortit son porte-feuille de sa poche pour le lancer à Yu Qing.
« Descends. Au fait, tu as besoin que je vienne te récupérer demain ? »
Yu Qing contempla le porte-feuille qui était tombé sur ses genoux puis, après un long moment, il le prit. Il garda la tête baissée, comme s'il ne voulait pas que les gens voient son visage.
« N... non. »
Il ouvrit la porte avec des mains tremblantes et faillit tomber quand il sortit. Heureusement, il se raccrocha à la portière.
Il inspira profondément et la main qui ne tenait pas le porte-feuille se serra en un poing. Il fit demi-tour pour s'avancer vers l'établissement. Le gardien à l'entrée haussa les sourcils en le voyant.
« Monsieur, vous venez pour vous amuser ? Veuillez entrer. »
Il tendit un masque à Yu Qing.
Cet homme était apparemment un gros fumeur. Quand il ouvrait la bouche, une odeur lourde de cigarette en sortait, ce qui fit encore plus pâlir Yu Qing qui était déjà bien assez pâle comme ça. Il fixa l'autre homme puis entra d'un pas lourd dans la maison de plaisir.
Après avoir vu Yu Qing entrer, Shen Jue fit au garde du corps dans la voiture :
« Tu descends aussi. Suis-le. »
Le garde en resta ébahi.
« Mon seigneur, là où est allé Yu Qing... je dois le suivre ?
– Oui, assure-toi que personne ne tente quelque chose sur lui, » fit Shen Jue d'un ton calme.
En entendant ça, le garde du corps se dit que le duc n'avait pas tort alors il sortit rapidement de la voiture.
Il ne resta donc plus que Shen Jue et le chauffeur dans le véhicule. Shen Jue consulta l'heure sur sa montre-gousset. Il était à présent une heure trente du matin. Si Yu Qing était assez rapide et zappait les préliminaires, il devrait pouvoir sortir de là avant deux heures du matin. Il espérait que Yu Qing n'allait pas trop se perdre dans la luxure là-dedans.
Demander à Yu Qing d'aller dans un bordel pour résoudre son problème physique avait été la meilleure solution à laquelle Shen Jue avait pu penser. Il lui était impossible de demander à quelqu'un d'autre d'aider Yu Qing car cela pourrait engendrer des complications émotionnelles. C'était nettement plus simple d'aller dans une maison de plaisir : il suffisait de payer en échange de ce service. En plus, dans ce genre de maison close haut de gamme, les invités portaient tous des masques donc l'anonymat était très bien respecté.
Cependant, quelqu'un pouvait toujours reconnaître sa voiture, alors Shen Jue ordonna au chauffeur :
« Va te garer plus loin.
– À vos ordres, » fit l'homme.
La parole à l'auteur :
Charmant petit esclave : Tu crois que je ne suis qu'un pauvre semi-vampire sans le moindre sentiment ? Je te jure, si le Ciel m'accorde la fortune et le pouvoir, que je ferai en sorte que tu sois incapable de me quitter, comme je suis incapable de te quitter en ce moment. Et même si le Ciel ne fait rien, nous finirons quand même au lit avec moi au-dessus !
Seigneur despotique : Tous tes gages de ce mois sont confisqués.
Charmant petit esclave : J'ai eu tort, ça ira si je te laisse me grimper dessus ?
Note de Karura : Comme toujours, l'auteur parvient à nous rendre un peu plus sympathique le futur méchant.
Notes du chapitre :
(1) Un papillon.
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