Child of the Night 36

Partie Trente-Six : Désastre

L'an de grâce 1462
Château Draculea, Valachie



Cela faisait longtemps que Draculea n'avait pas chevauché Lucifer au crépuscule. Ces deux dernières années, il avait eu une très bonne raison de rester chez lui la nuit — Nicolae dans son lit. Même ce soir, il aurait préféré être avec son amant mais s'il ne le pouvait pas, ceci ferait l'affaire.

Lucifer appréciait l'exercice, bandant ses muscles puissants alors qu'il volait sur la route illuminée par la lune. Un ou deux paysans, sortis faire des courses, s'arrêtèrent pour regarder passer le prince. Avant, ces courses nocturnes avaient inspiré une terreur superstitieuse. Ils avaient murmuré que Draculea devait être en effet le fils du diable. Sur le dos de son étalon d'ébène qui tonnait à travers le pays, il paraissait alors vraiment démoniaque, mais maintenant... maintenant, l'aspect sombre et impressionnant d'autrefois avait disparu.


Soucieux du travail à accomplir le lendemain matin, Draculea ne resta pas longtemps dehors. La lune ne s'était pas trop élevée dans le ciel lorsqu'il regagna le château. Il descendit de cheval et conduisit Lucifer au palefrenier en chef alors que l'homme venait s'occuper de lui. Tandis qu'il prenait les rênes, le palefrenier fit :

« Je suis content que vous ayez décidé de le sortir ce soir, Domn. Les palefreniers et les garçons d'écurie tirent à la courte paille pour savoir qui va le faire travailler quand vous êtes trop occupé, et c'est le perdant qui s'y colle, pas le gagnant. »

Draculea sourit affectueusement en tapotant le cou large et chaud du cheval.

« C'est une bête pour un seul homme.

– Et en parlant de ça, mon seigneur, je souhaiterais que vous parliez au jeune Nicolae. C'est facile de faire travailler son cheval mais je jure que la bête boude lorsqu'il ne lui rend pas visite. »


Draculea avait offert à son amant un magnifique hongre blanc et il avait un caractère aussi doux que son maître. Le palefrenier poursuivit :

« On peut toujours deviner quand un nouveau livre est arrivé à la bibliothèque. Il est soit absent ou bien ne passe que quelques moments à caresser et dorloter Sucre. Il n'est pas venu dans les écuries depuis deux jours, mon seigneur. Demandez-lui s'il vous plaît de venir avant que son stupide animal ne meure de solitude. »

Draculea rit.

« Je le ferai. Quand je vais lui dire que son cheval se languit de lui, il va voler ici pour lui offrir des pommes et des morceaux de sucre. »


Il caressa une dernière fois Lucifer puis se rendit dans le château. Il jeta un coup d'œil sur le banquet mais n'entra pas. Les deux diplomates aînés étaient toujours à table, leurs têtes jointes. Il y aura plus d'un homme demain avec un mal de tête mais Stefan doit être au lit depuis longtemps maintenant, songea-t-il. Il va se préparer pour la réunion de demain comme je vais me préparer au combat.

En haut des escaliers, il hésita puis tourna dans un couloir adjacent et alla à la petite chambre qui avait été assignée à Nicolae il y avait si longtemps.

Il souleva la clenche mais la porte ne s'ouvrit pas. Il essaya à nouveau en se demandant si le bois avait travaillé à cause de l'humidité. Enfin, il tapa doucement. Il entendit la voix de Nicolae de l'autre côté.

« Qui est-ce ? »


Draculea fronça les sourcils. Il y avait une pointe de nervosité dans la voix du jeune homme qu'il n'avait pas entendue depuis un moment, et pourquoi avait-il verrouillé la porte ?

« Nicolae, laisse-moi entrer.

– Vlad... »

Le soulagement dans la voix de son amant était évident. Il entendit la barre se soulever à l'intérieur et la porte s'ouvrit. Nicolae se tint dans l'embrasure de la porte en le regardant. Il pouvait voir que le jeune homme tremblait légèrement du besoin de se jeter dans ses bras mais il regardait nerveusement dans le couloir. Draculea savait qu'il s'inquiétait que quelqu'un les voit et qu'il embarrasse ainsi le prince.


Draculea entra dans la pièce et prit Nicolae dans ses bras. Ne se souciant pas de la porte toujours ouverte derrière eux, il embrassa gentiment Nicolae. Quand ils se séparèrent, il fit :

« Pourquoi as-tu bloqué la porte ? »

Nicolae pressa son front contre l'épaule de Draculea.

« Je ne sais pas, Domn. »

Il marqua une pause, puis fit comme s'il venait d'y penser :

« Cette chambre me semble étrange. Si je ne peux pas avoir vos bras autour de moi, j'ai besoin d'autre chose pour me sentir en sécurité.

– Tu es en sécurité ici, Nicolae. »


Il repoussa les cheveux de Nicolae en arrière puis fronça les sourcils. Il y avait une coupure encore à vif près de la naissance de ses cheveux, les bords toujours ensanglantés. Il la toucha en disant :

« Mon cœur, qu'est-ce que c'est ?

– Oh. »

Nicolae leva la main pour toucher la plaie et Draculea attrapa son bras.

Soulevant la manche du jeune homme un peu plus haut, il examina les traces sombres sur son poignet.

« Et ceci. Tu es blessé, Nicolae. Comment est-ce arrivé ? »


Nicolae inspira profondément puis sourit.

« Je me suis montré stupide, Domn. Quand je suis allé voir Lucifer aujourd'hui, j'ai essayé de le sortir de sa stalle. J'aurais dû le savoir, à force. J'avais les rênes autour de ma main et... et il était capricieux. Il s'est cabré. J'ai eu de la chance que les rênes n'étaient pas trop enroulées, sinon j'aurais été tiré. En fait... »

Il toucha à nouveau sa tête.

« ... je me suis cogné contre le mur. Rien que de la stupidité et de la maladresse. »

Il se mordit les lèvres.

« Vous n'en voudrez pas à Lucifer ? »


Draculea resta très calme tandis qu'il se repassait les mots du palefrenier. Il me ment. Pourquoi ? Il ne ment que pour protéger les autres. Il n'avait pas encore lâché le bras de Nicolae et il étudia attentivement les meurtrissures en appuyant sur la peau décolorée. J'ai déjà vu de telles marques et elles n'étaient pas causées par une courroie. Elles avaient été faites par une prise brutale sur une peau tendre. Il leva les yeux vers Nicolae et fit calmement :

« Ce sont les seules blessures que tu as subies ? Tu n'as pas besoin de voir Simion ?

– Je... Non, Domn. Rien d'autre. Je ferai plus attention à l'avenir.

– Oui, mon amour, fais attention à toi. Je ne sais pas ce que je ferais si quelque chose t'arrivait. »


Il l'embrassa à nouveau.

« Je dois y aller.

– Oui. »

Nicolae le serra presque férocement avant de le lâcher.

« Vous devez être en forme pour demain. C'est un travail important que vous aurez à accomplir.

– Peut-être le plus important de ma vie, acquiesça le prince. »

Draculea retourna dans le couloir et se dirigea vers sa chambre. Quand il entendit se fermer la porte du jeune homme, il s'arrêta et songea : Il n'avait pas ces blessures plus tôt au dîner ; elles sont très récentes, pas plus d'une heure ou deux. À qui aurait-il pu se confier ?


Il ne savait pas où se trouvait actuellement Simion mais il connaissait un autre confident possible. Il trouva le père Mircea dans sa chambre, juste derrière la chapelle. Le prêtre le fit entrer avec un air sombre.

« J'espérais bien que vous viendriez cette nuit, prince. »

Draculea entra et s'assit sur une chaise.

« Nicolae a été blessé, prêtre. Il m'a raconté une belle histoire sur un cheval rétif alors qu'il n'est pas allé aux écuries depuis des jours. La seule raison pour laquelle il me mentirait, c'est pour protéger quelqu'un.

– Peut-être, prince, mais plus vraisemblablement quelque chose cette fois.

– Et ce serait ? »


Mircea soupira.

« Je lui ai promis de ne pas venir vous en parler. Je ne peux pas vous le dire directement mais...

– Je vois, fit Draculea, lentement et délibérément. Nicolae s'est attaché à pas mal de gentilshommes de la cour.

– Oui, prince. Ils sont pour la plupart des jeunes hommes très raisonnables. »

Pas un courtisan.

« Il ne connaît pas encore très bien les nobles locaux, je crois. »

Mircea hocha la tête en disant :

« Oui, aucun d'entre eux n'est proche du garçon. »

Pas un de mes nobles.

« Il s'entend bien avec les serviteurs.

– Ils l'aiment tous et le respectent. »

Pas un serviteur. Ne reste que...

« J'ai songé à le présenter aux Turcs. »


Le visage de Mircea se durcit.

« Ce ne serait pas sage, mon seigneur. Leurs coutumes sont étranges, et le garçon est impressionnable. »

Draculea acquiesça. Il n'avait pas besoin d'en demander plus. Mahamoud et Ali étaient encore à table ; seul Rahazad manquait. Le prince se souvenait de lui. Plus particulièrement, il se rappelait de la façon dont les yeux de Rahazad s'étaient arrêtés sur les jeunes hommes de sa cour.

« Je vois. Oui, je vois très bien. »


En entendant le ton de la voix de Draculea, Mircea s'inquiéta.

« Nicolae ne souhaite pas mettre en danger tout accord que nous pourrions signer avec les Turcs.

– Cela lui ressemble bien. »

Draculea se leva.

« Ne craignez rien, prêtre. Les Turcs décideront eux-mêmes du cours des choses. D'après ce que j'ai vu cependant, je ne mettrai pas beaucoup d'espoir dans ces négociations. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je souhaite parler à Simion avant de dormir. »

Le lendemain matin, Nicolae quitta tôt sa chambre et se rendit à la cuisine pour prendre son petit-déjeuner. Il y avait quelques hommes ensommeillés qui préparaient la nourriture avec humeur. Cela changeait beaucoup de l'agitation chaleureuse et vivante d'ordinaire. Le matin était son moment préféré de la journée car le personnel de la cuisine le considérait comme une mascotte. Le cuisinier ou l'une des filles avait toujours une sucrerie pour lui, et il appréciait de voir cette activité efficace tandis qu'il mangeait son repas. Aujourd'hui, il rassembla rapidement quelques restes froids du repas de la veille au soir et il s'assit dans un coin pour manger.


Simion entra et s'assit à côté de lui, acceptant une part de nourriture. Il observa Nicolae et demanda nonchalamment :

« Tu vas bien, Nicolae ? Draculea m'a dit que tu t'étais disputé avec Lucifer hier.

– Je ne suis pas un cavalier, Simion. Je suppose que j'aurais dû le savoir depuis. »

Il soupira.

« Ils commencent les négociations aujourd'hui.

– Peut-être, si les Turcs se montrent raisonnables. »

Il vit l'inquiétude dans les yeux de Nicolae mais le jeune homme tâcha de paraître calme lorsqu'il parla :

« Qu'est-ce qui pourrait les bloquer ? Il n'y a sûrement pas d'obstacle ? »

– Espérons que non mais souviens-toi comme le manque de courtoisie des Turcs a ennuyé le prince. Rappelle-toi ce qu'il a dit. Il leur donne une chance de venir à lui humblement. S'ils ne le font pas... »


Il haussa les épaules.

« Il ne doit pas reculer. Tu peux certainement le comprendre ? »

Nicolae le comprenait. Si Draculea n'insistait pas sur le respect qu'on lui devait en tant que dirigeant, les autres pays verraient ça comme une faiblesse, et un pays avec un dirigeant faible était vulnérable. Ils n'auraient pas que les Turcs à craindre alors.

Simion poursuivit :

« Ils rencontreront d'abord Draculea dans la grande salle, avec la Cour qui assistera. Si tout va bien, ils iront dans un endroit plus privé pour commencer les vraies négociations. »

Il hésita.

« Ce serait mieux que tu ne viennes pas y assister. »

Nicolae baissa les yeux, puis les leva vers Simion.

« Il me l'interdit ?

– Non, Nicolae, pas directement, mais les choses peuvent tourner... mal. Ce serait mieux que tu restes dans ta chambre ou dans la bibliothèque. »


Il posa sa main sur l'épaule du jeune homme.

« Je te le dis pour ton propre bien. La politique peut être violente, et toi... »

Il saisit le menton de Nicolae.

« Tu saignes pour le monde. S'il te plaît, reste éloigné.

– Je n'irai pas dans la grande salle, Simion.

– Bien. »

Il tapota la joue de Nicolae.

« Quoi qu'il arrive, cela ne durera pas longtemps. »

Il se leva.

« Je dois y aller, j'ai à parler au charpentier du château.

– Pourquoi, Simion ?

– Parce que notre seigneur m'a demandé de faire certains préparatifs. Ils ne seront peut-être pas nécessaire, mais ils doivent être disponibles. »


Après son repas, Nicolae se rendit dans sa chambre mais il pouvait entendre les autres habitants du château passer dans les couloirs, se dirigeant vers la grande salle. Sa curiosité finit par avoir le dernier mot.

Les étages supérieurs du château étaient déserts et il descendit à moitié les escaliers. De là où il était, il pouvait voir un peu la grande salle à travers l'entrée. J'ai dit à Simion que je n'irai pas dans la grande salle, et donc je n'y vais pas. Il leva la tête vers le ciel. Seigneur, pardonnez-moi pour jouer autant sur le sens de mes paroles.

Nicolae s'installa sur une marche et tendit le cou vers l'entrée en écoutant.

Draculea n'avait pas de trône officiel mais un riche fauteuil se dressait sous le dais au bout de la grande salle. Il était assis là, ses mains reposant aisément sur les bras du fauteuil. Simion se tenait à sa place habituelle, juste derrière son maître. Sa Cour et les nobles qui étaient restés au château après le banquet étaient alignés de chaque côté de la salle. La pièce était plus calme qu'on aurait pu croire avec une telle assemblée. Les hommes parlaient mais d'une voix étouffée. Tous connaissaient la directive que le prince avait donnée aux Turcs la veille au soir.

Nicolae, écoutant les murmures calmes provenant de la salle, n'entendit pas les Turcs s'approcher jusqu'à ce qu'ils commencent à descendre les escaliers. Entendant le bruit de leurs chaussons, il comprit qu'il s'était trompé en pensant que l'étage était désert. Il bondit rapidement en se pressant dos au mur pour les laisser passer.


Alors qu'ils passaient à côté de lui, Nicolae baissa humblement la tête. Les deux aînés en tête passèrent devant lui sans le remarquer, mais Rahazad s'arrêta devant lui.

« Petite pute. »

Les yeux sombres se posèrent sur Rahazad, se détournèrent, puis revinrent à son visage et Nicolae leva le menton.

« Toujours fier, à ce que je vois. Tu ne te serais pas enfui la nuit dernière si je n'avais pas laissé l'alcool m'émousser. »

Il se pencha plus près et Nicolae recula alors que son haleine chaude baigna son visage.

« Je ne suis pas ivre aujourd'hui, mon mignon.

– Rahazad ! »


Les autres avaient atteint le bas des escaliers et Mahamoud le fixait avec impatience.

« Oublie ton badinage. Nous avons des choses plus importantes à faire.

– Je viens, mon sieur. »

Quand il vit que les autres avaient tourné le dos vers la grande salle, il posa rapidement sa main sur le torse de Nicolae. Ses doigts trouvèrent un mamelon à travers le tissu fin et il le pinça vicieusement. Le visage de Nicolae se tordit de douleur mais il se mordit les lèvres, ne faisant aucun bruit et aucun geste.

« Bientôt, petite pute. Très bientôt. »

Il descendit rejoindre ses compagnons, et Nicolae se laissa retomber sur les escaliers, frottant sa douleur. Tandis qu'il les regardait disparaître dans la grande salle, il murmura :

« Ils portent leurs chapeau. Oh, Seigneur, pourquoi ne leur as-tu pas envoyé la sagesse cette nuit ? »

Les Turcs entrèrent dans la salle, et le peu de conversation qu'il y avait mourut. Ils marchèrent jusqu'au centre de la salle, leur allure lente et calme. Leurs têtes étaient hautes et leurs dos droits. Ils vinrent avec toute la fierté de leur nation et de leur race, et toute leur arrogance.

Quand ils se tinrent devant Draculea, ils s'inclinèrent et Mahamoud fit :

« Mes salutations, prince Draculea. Le sultan de Turquie vous envoie ses respects et est prêt à discuter des moyens de conserver la paix entre nos deux grandes nations. »


Il n'y eut pas de réponse. Draculea les regarda, un doigt tapotant lentement le bras du fauteuil. Son regard passa lentement sur Mahamoud et Ali, s'arrêtant de manière significative sur leurs chapeaux avec leurs petits pompons indigos et brillants. Quand il regarda Rahazad cependant, ses yeux restèrent fixés sur le visage du jeune homme.

Rahazad lui rendit son regard. À sa façon, il est aussi beau que cet esclave mais il est si pâle, son expression est si froide et dure. Allah, si je ne voyais pas sa poitrine se soulever pour respirer, je jurerais que c'est une statue de marbre avec des yeux de saphir. Je pense que Mahamoud l'a mal jugé. Nous aurions dû enlever nos fez.


Draculea leva la main à son visage, se penchant pour poser son front sur ses doigts. Puis il baissa les mains et fit calmement.

« Gentilshommes, je vois que vous avez jugez approprié d'ignorer ma directive. »

Ainsi, cela ne se ramène qu'à un bluff, songea Mahamoud.

« Prince Draculea, comme je vous l'ai dit, nous portons ces chapeaux pour honorer nos pères. Vous ne voudriez sûrement pas nous demander de leur manquer de respect ?

– Non, bien sûr que non. Je ne peux qu'admirer votre détermination à tenir votre résolution. Si c'est si important pour vous, plus important que montrer un respect correct au souverain avec qui vous êtes venus négocier... »

Il fit un geste.

« ... alors je me sens l'envie de vous aider à suivre votre précieuse coutume. »

Rahazad se mit à suer tandis que plusieurs hommes de main robustes surgirent de la foule pour entourer les Turcs.


Le prince fit un autre geste. Lorsqu'il se leva de son fauteuil et descendit les quelques marches, Simion prit un plateau couvert d'un linge sur une table voisine et le lui apporta. Pendant ce temps, les soldats de Draculea avaient silencieusement entouré les quelques hommes que les Turcs avaient emmenés avec eux. Quand les émissaires furent saisis, les soldats turcs se retrouvèrent avec des épées sur la gorge. Tout ce qu'ils purent faire, ce fut regarder la scène avec les autres.

Ali et Rahazad commencèrent à se débattre, mais Mahamoud se tint calme, bien que toute couleur ait disparu de son visage en le laissant aussi pâle. Il comprit qu'il avait fait une erreur mais il était trop tard pour revenir en arrière.

« Réfléchissez, prince Draculea. Une si petite chose vaut-elle une guerre ?

– Mahamoud, je pense que dans votre propre cour, on ne dirait pas qu'une telle offense est une petite chose. J'ai entendu dire que votre propre sultan avait fait couper le pied d'un homme car il avait osé marcher sur son ombre. »


Sa voix était calme.

« Il n'y aura pas de négociations. J'ai eu tort de les accepter alors qu'il est clair que votre seigneur souhaite prendre tout ce qu'il pourra. Vous allez retourner chez votre sultan pour le lui dire mais d'abord... »

Il souleva le linge du plateau.

« D'abord, je vais m'assurer que vous ne risquerez plus jamais offenser vos pères en perdant vos chapeaux. »

Sur le plateau, il y avait un marteau à tête large et plate, et une douzaines de pointes. Elles étaient fines — environ la longueur du pouce d'un homme, pointues et brillantes. Draculea prit le marteau et l'une des pointes, et se dirigea vers Mahamoud.

Le vieil homme ne dit rien alors que Draculea pressa le bout de la première pointe sur le fez, près du bord. Il ferma les yeux, murmurant une prière à son dieu tandis que Draculea leva haut le marteau.

Il se passait quelque chose. Il n'y avait pas de bruit inhabituel dans la salle mais Nicolae pouvait le sentir. Les quelques gens qu'il pouvait voir au fond de la salle regardaient tous fixement le devant de la salle en se dandinant, mal à l'aise. Qu'est-ce qu'il leur fait ? La justice est si dure. Va-t-il les faire battre ? Le plus âgé pourrait ne pas y survivre. Il pourrait couper leurs oreilles à cause de leurs chapeaux...

Il y eut un bruit sourd puis un cri vacillant en provenance de la salle. Nicolae grimaça. Il les fait battre, alors. Il y eut un autre bruit sourd et un cri plus faible. Le troisième et le quatrième coups furent suivis par de faibles gémissements.


Il y eut une pause et une autre voix, une voix d'ancien, s'éleva, bredouillant en turc et dans sa propre langue. Il ne put qu'en comprendre une partie.

« Non ! je vous en supplie, sire ! Merhamet. Luften, Prens, merhamet ! Je vous en prie, Prince, ayez pitié ! (1) »

Il y eut à nouveau ce bruit sourd et un cri. Quelque chose à propos du son fit grincer des dents Nicolae. Ce n'était pas le son de la chair, comme un poing frappant la chair, ce n'était pas non plus un craquement, comme un coup porté avec une main ouverte. Ils utilisent des massues ? Il y eut à nouveau trois coups de plus, suivis par des cris et des grognements. Il a décrété que la punition consisterait en quatre coups par personne ? C'est étonnamment miséricordieux. Mais... mais les cris. J'aurais cru de que des hommes si fiers ne crieraient pas aussi facilement.


Tandis qu'il songeait à cela, il y eut un autre cri venant de la salle. Il n'y avait pas eu de coups avant et ce cri était différent des autres. Ce n'était pas de la douleur mais de la panique, et c'était un cri vigoureux et robuste. C'était un cri de terreur. Une simple correction ne pouvait certainement pas inspirer une telle crainte ? Mon prince, que faites-vous donc ?

Mahamoud pendait mollement dans les bras des soldats qui le tenaient. Il était déjà mort. Son âge, songea Draculea. Ali se porte mieux. Il n'a même pas encore perdu connaissance. Les têtes des deux hommes étaient retombées mais leurs fez restaient bien en place.

Le sang se répandait lentement sur le sol en filets épais. La main gauche de Draculea, celle qui tenait les pointes, était recouverte de sang presque jusqu'à son poignet, et son visage était éclaboussé de petites gouttes. Les blessures avaient tendance à pulvériser du sang quand les pointes perçaient d'abord la peau. Les blessures à la tête saignent toujours beaucoup.


Il porta son attention sur Rahazad. Le jeune homme avait regardé ses compagnons avec horreur, incapable de croire ce qui se passait. Quelques moments avant, ils avaient été des invités honorés. Comment les choses avaient-elles pu changer si vite ? Quand il vit que Draculea avait fixé son attention sur lui, il hurla de terreur.

Draculea fit sèchement :

« Par les Saints ! Si c'est un exemple des combattants du sultan, alors nous n'avons rien à craindre. »

Il s'approcha du Turc qui se débattait et grogna :

« Tu as fait tes choix, accepte maintenant les conséquences comme un homme au lieu d'un chien sans noyau Draculea lui dit qu'il se comporte comme s'il n'avait pas de couilles. (2). »

Il restait quatre pointes sur le plateau et il prit l'un des éclats brillants.


Rahazad cria à nouveau et se débattit. Son fez tomba à terre et il regarda le prince avec un espoir fou mais l'un des soldats le ramassa et le remit sur sa tête. Il secoua la tête si violemment que l'homme attrapa ses oreilles pour le maintenir tranquille.

Draculea s'avança et posa le bout de la pointe contre le doux feutre rouge du fez, du côté gauche du bord. Il regarda le Turcs dans les yeux et fit :

« Transmets ce message à ton maître : on ne se moquera pas de moi. »

Il se pencha plus près et sa voix se réduisit à un sifflement.

« Et je ne tolérerai pas que l'on prenne ce qui est à moi. »


À travers son voile de terreur, Rahazad comprit soudain qui était le protecteur du beau bibliothécaire. Alors que Draculea leva le marteau haut au-dessus de sa tête, il s'écria :

« Pardonnez-moi ! Je ne savais pas ! »

Le marteau s'abattit. Draculea mit toute sa force dans ce coup, toute la puissance d'un bras rendu fort par le maniement des armes à la guerre. Quand on raconta l'histoire plus tard, des témoins jureraient avoir vu des étincelles voler lorsque le marteau frappa la pointe.

Il y eut un craquement assourdi et du sang pulvérisa à nouveau le visage de Draculea. Il le lécha de ses lèvres d'un air absent alors qu'il frappa une seconde fois, enfonçant la pointe encore plus fermement. Les cris du Turc firent blêmir même les soldats les plus endurcis. Draculea prit une autre pointe et la plaça à droite du bord, puis l'enfonça en deux coups rapides. Les témoins ne manquèrent pas de remarquer les coups supplémentaires. Rahazad payait pour plus que l'impolitesse et la fierté.


Draculea fixa rapidement les deux dernières pointes puis recula en lâchant le marteau. Il cogna contre la pierre et rebondit. Simion se mit rapidement de côté, évitant à peine l'instrument sanglant.

« Leurs montures sont-elles prêtes ?

– Oui, Domn. Elles attendent dehors, à la porte principale, avec des provisions pour les aider sur leur chemin, répondit Simion.

– Laissons-les retourner à leur maître. Envoie des hommes avec eux jusqu'à la frontière. Je ne voudrais pas qu'ils soient retardés en chemin. Envoie des cavaliers rapides à toutes mes forces en leur disant de se préparer. Je crois que la réponse du sultan ne sera pas bien longue à venir. »

Il baissa les yeux sur ses mains couvertes de sang et fronça les sourcils.

« Et fais apporter une bassine. Cette diplomatie est bien salissante. »

Les cris s'étaient éteints, laissant Nicolae et en sueur. Il se leva rapidement lorsqu'il remarqua une agitation dans la salle. Quelqu'un allait sortir. Nicolae recouvrit sa bouche et gémit en voyant transporter le corps sans vie de Mahamoud. Un soldat portait ses bras et un autre ses jambes. Sa tête touchait presque le sol mais le fez restait en place.

Ali fut porté dehors, puis Rahazad. Tous les deux bougeaient faiblement lorsqu'on les transporta à la porte. Simion sortit de la salle, déterminé à veiller à ce qu'on remette les émissaires sur la route et que les messagers soient suffisamment motivés. Il s'arrêta en levant la tête.


Nicolae se trouvait à la moitié des escaliers, regardant les Turcs. Il vacillait légèrement. Avec un rapide juron, Simion se dépêcha de monter et prit le bras du jeune homme avant qu'il ne tombe.

« Nicolae ! Tu avais dit que tu ne viendrais pas ici. »

La voix du jeune homme était faible.

« J'ai dit que je n'irais pas dans la grande salle, Simion. »

Il s'adossa au mur en se tenant le ventre.

« Que Dieu me punisse de t'avoir menti en te renseignant mal.

– Assieds-toi avant de tomber. »

Simion l'aida à s'asseoir à nouveau sur les marches.

« Reste ici. N'essaie pas de bouger avant que je revienne et ne parle à personne. »

Nicolae hocha faiblement la tête et Simion se dépêcha d'accomplir ses tâches assignées.


Beaucoup de nobles passèrent par l'entrée alors qu'ils partaient. Ils étaient tous pressés de regagner leurs propres demeures et de commencer les préparatifs. Les temps à venir s'annonçaient difficiles, et ils avaient tous beaucoup de choses à faire avant la réponse inévitable du sultan.

Quelques courtisans virent Nicolae et s'arrêtèrent pour lui parler. Le jeune homme secoua simplement et respectueusement la tête et ils ne le pressèrent pas. Tous savaient que ce qui venait de se passer était dû en partie au fait que Rahazad avait pourchassé de manière inconsidérée le bibliothécaire, mais personne ne blâmait Nicolae. Sa dévotion envers Draculea n'était pas remise en question ; il n'aurait jamais encouragé le Turc. Tous connaissaient sa nature gentille et étaient convaincus qu'il n'aurait pas non plus cherché à se venger, même pour une offense très grave. Non, d'après eux, les Turcs avaient récolté leur sort à cause de leur propre arrogance et leur mauvaise estimation du désir de Draculea d'avoir la paix sans confrontation.


Quand Simion revint, il trouva le jeune homme en train de regarder fixement un épais filet de sang qui allait de la grande salle à la porte principale. Quand il toucha l'épaule de Nicolae, ce dernier ne leva pas les yeux. D'une voix morne, Nicolae fit :

« Le tapis de l'entrée va être fichu. Beta sera tellement furieuse.

– Viens, mon ami. »

Simion le mit sur pieds et l'aida à monter les escaliers, le tenant fermement quand il trébuchait. Alors que Nicolae aurait tourné sur le côté pour emprunter le couloir qui menait à sa petite chambre, il le conduisit plutôt à la chambre qu'il partageait avec Draculea, sachant qu'il aurait besoin du réconfort d'un environnement familier et bien-aimé.


Une fois là, il fit allonger le jeune homme docile et lui apporta une coupe de vin ainsi qu'un linge froid. Après que Nicolae ait bu, Simion s'assit au bord du lit, posa la tête du jeune homme sur ses genoux et ressuya gentiment son visage.

« Tu n'aurais pas dû voir ça, Nicolae. Quand ton maître ou moi te demandons quelque chose, nous avons nos raisons.

– Oui, Simion. Je suis désolé. »

Il ferma les yeux.

« Oh, je suis de tout cœur désolé. »

Il y eut un moment de silence, puis Simion fit :

« Tu comprends qu'il devait faire ça ?

– Je sais qu'il devait faire quelque chose. Je ne suis plus aussi ignorant qu'à mon arrivée au château Draculea, Simion. Je sais qu'il ne pouvait pas laisser passer un tel affront sans en pâtir et sans que notre pays en pâtisse aux yeux du monde. Mais Simion... »


Il déglutit.

« Oh, c'est une terrifiante leçon qu'il leur a donnée.

– Notre maître est un homme dur, mais c'est ce dont notre nation a besoin sur le trône. Un homme gentil ne garderait pas longtemps la couronne, et les Turcs seraient sans merci s'il les laissait sans opposant. Draculea a passé sa vie entière à jouer au jeu du pouvoir, tout comme son père, son grand-père et de nombreuses générations avant lui. Il est né et a été élevé pour ça, et nous devons nous fier à ses décisions. »

Nicolae se retourna, jetant ses bras autour de Simion et enfouissant sa tête dans l'estomac de l'homme. Il avait reposé ainsi de nombreuses fois avec Draculea mais c'était différent cette fois. Il avait alors caressé son amant ; là, il n'était qu'un enfant à la recherche de réconfort. Simion le savait et le traita comme tel, le caressant pour le réconforter. Le jeune homme murmura :

« Nous allons avoir la guerre. »

Simion soupira. Il regarda dans le vague, comme s'il voyait déjà le carnage à venir.

« Oui, acquiesça-t-il tristement. Nous allons avoir la guerre. »



Notes du chapitre :
(1) Je vous en prie, Prince, ayez pitié !
(2) Draculea lui dit qu'il se comporte comme s'il n'avait pas de couilles.






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