Partie Trente-Sept : Mauvais pressentiment
L'an de grâce 1462
Château Draculea, Valachie
Ils étaient assis dans la bibliothèque, les deux femmes travaillant sur des morceaux de broderie, comme d'habitude, et Nicolae tenant un livre en regardant les pages. Seulement il ne tourna jamais une seule page, ses yeux ne bougèrent jamais. C'était silencieux jusqu'à ce que Beta pousse un profond soupir.
Nicolae ne sembla pas le remarquer et cela l'irrita. Il est d'habitude si attentif à mes besoins, songea-t-elle d'un air boudeur. Il me remarque à peine désormais. Elle soupira à nouveau, en insistant plus. Ce ne pouvait être qu'un appel pour attirer l'attention. Lena leva les yeux, son expression sardonique, mais Nicolae semblait inconscient. Enfin, Beta fit :
« Nicolae ? »
Il cilla et tourna vers elle un regard vague et distrait.
« Oui, ma sœur ?
– Nicolae, je te le demande encore une fois, qu'est-il arrivé au tapis d'entrée ? Les serviteurs l'ont lavé jusqu'à ce que les fils soient effilochés, mais il est toujours taché. Est-ce que Draculea et toi avez nettoyé les étables puis marché dessus avec vos bottes sales ?
– Non, Beta. Je te l'ai dit, on a renversé quelque chose dessus.
– Quelque chose ? Quoi, Nicolae ? A-t-on roulé dans le couloir un tonneau de vin qui fuyait ? »
Sa voix fut tranchante.
« Beta, ne me harcèle pas avec ça. »
Sa bouche s'ouvrit de surprise. Nicolae, hargneux avec elle ? Et bien sûr, il ne put le supporter. Contrit, il fit :
« Je suis désolé, Beta. Je ne voulais pas être dur, mais je suis inquiet.
– Et pourquoi serais-tu inquiet, Calugarul ? demanda Lena. Tu ne vas pas à la guerre. Tu restes ici, avec les femmes. »
Elle ressentit une satisfaction secrète en voyant l'air blessé dans ses yeux. Non, Nicolae n'irait pas se battre. C'était une idée stupide. C'était un érudit, pas un guerrier.
« Ah, mais bien sûr ! Tu t'inquiètes pour le prince. Oui, s'il mourrait, ce serait difficile pour toi, n'est-ce pas, bibliothécaire ? Il n'y en a pas beaucoup, des patrons aussi riches. »
Lena savait ce qui était arrivé au tapis pendant son absence. C'était son travail que de tout savoir. Bien que les serviteurs ne l'aiment pas, elle était experte en pots-de-vin et intimidations, et cela n'avait pas été trop dur d'apprendre tous les détails de la visite des ambassadeurs turcs.
Beta, ignorant comme toujours la détresse que les paroles de Lena avaient causée à son frère, se leva en disant avec mauvaise humeur :
« Toutes ces préparations pour la guerre sont assez épuisantes. Je crois que je vais faire une sieste.
– Oui, votre Altesse, fit Lena avec du sarcasme dans la voix. C'est vrai, vous avez à peine fermé les yeux la nuit dernière, tant vous vous inquiétiez. »
Beta avait dormi comme une souche avec la bouche ouverte et en produisant des sons grinçants qui ne convenaient guère à une dame.
Nicolae parut inquiet.
« Beta, si tu n'arrives pas à dormir, il faut que tu en parles à Simion. Il a un médicament qui peut t'aider à dormir. Tu ne dois pas être faible ou contrariée, de peur que tu ne conçoives et que l'enfant en souffre. »
Lena commença à dire quelque chose, mais elle changea d'avis et tira vicieusement sur une ligne de petites mailles qu'elle avait faites de travers. Draculea n'avait pas rendu 'visite' à Beta depuis presque un an mais on avait clairement spécifié à Lena qu'elle ne devait pas en parler.
Draculea venait toujours occasionnellement dans sa chambre ; on devait maintenir l'image d'un mariage normal. Quand il venait, il passait environ une demi-heure à boire du vin et peut-être discuter oisivement avec son épouse. Il ne la touchait pas, et elle l'encourageait pas à le faire. Alors que Beta était plus que contente de cet arrangement, Lena bouillonnait.
Deux ans. Deux années, et leur position n'était toujours pas assurée, tout ça à cause de ce jeune homme aux yeux de biche qui regardait Beta avec une inquiétude si pathétique. Si seulement il pouvait mourir, mais il était dans une forme écœurante.
Une action directe physique était hors de question ; Lena était physiquement lâche. Elle avait déjà songé à un assassin. Après tout, elle avait extorqué un nombre substantiel de pièces d'argent et d'or aux commerçants qu'elle recommandait à Beta. Il serait facile de payer mais il y avait des risques. Elle savait que si son amant était tué, Draculea irait jusqu'à arracher les portes de l'Enfer pour retrouver le meurtrier. Et s'il trouvait le meurtrier, il ne le tuerait pas tout de suite. Les cachots du château Draculea étaient profonds, les salles de tortures bien équipées et un homme pouvait dire tout ce qu'il savait si on le persuadait bien. Il doit y avoir un moyen. La guerre fournit de nombreuses occasions.
Elle ne s'en faisait pas trop pour sa propre sécurité. Elle était confiante dans le fait que si les Turcs étaient victorieux, Beta serait épargnée. Les dames de haute naissance avec des parents riches étaient rançonnées, pas tuées, et Beta s'assurerait que Lena serait également protégée.
Lena se rendit compte qu'elle s'était perdue dans ses pensées et que Beta la regardait dans l'expectative.
« Ma Dame, je demande votre permission pour rester ici. Je souhaite terminer ce travail. »
Une autre dame n'aurait jamais permis cela à une autre servante mais Beta se contenta de hocher la tête et elle partit.
Nicolae se leva et commença à redresser avec agitation les livres déjà bien rangés, les bougeant à peine. Lena l'observa en prétendant faire une maille de temps en temps, réfléchissant au meilleur moyen de tourmenter le jeune homme. D'un ton faussement contrit, elle fit finalement :
« Je suis désolée, Nicolae. Je n'aurais pas dû te taquiner ainsi. »
Il se tourna vers elle, surpris mais plein d'espoir.
« C'est bon, Lena. »
Elle secoua la tête.
« Non, c'est si mal de ma part. Je sais pourquoi tu es si bouleversé. Tu crains ce qu'il pourrait advenir de Beta si les Turcs s'emparaient du château. »
Sa main tomba de l'étagère alors qu'il fit un pas vers elle.
« Lena, vous ne croyez pas qu'elle devrait être envoyée au loin ? Elle pourrait rester avec son frère, au château Varga.
– Oh, je ne pense pas, bibliothécaire. Le château Varga n'est pas assez éloigné pour que la sécurité y soit plus grande qu'ici, et il n'est pas aussi bien fortifié que le château Draculea. »
En plus, Beta déteste sa belle-sœur. Elle ne pourrait pas vivre sous le même toit qu'une femme qui a plus d'autorité sur sa demeure qu'elle.
« Elle est autant en sécurité ici que n'importe où en Valachie.
– Oui, je suppose, » acquiesça Nicolae.
Il parlait à Lena mais son air songeur indiquait qu'il pensait à voix haute.
« Les murs sont hauts et épais, et la rivière est derrière nous. Les portes sont lourdes et encore maintenant, les charpentiers et les forgerons travaillent dessus pour les fortifier. On apporte de plus en plus de réserves chaque heure, au cas où il y aurait un siège. Draculea a promis de laisser un bon nombre de ses meilleurs hommes ici quand il ira se battre. Nous serons certainement en sécurité.
– Nous ne pouvons que prier Dieu, »fit-elle en singeant la piété.
Maintenant, voyons voir si je peux insuffler un peu de peur dans ta douce existence, mon garçon.
« Bien que je crains que les Turcs ne soient implacables. J'ai entendu dire que le sultan était enragé. »
Au regard acéré de Nicolae, elle acquiesça et haussa les épaules.
« Oui, je sais ce qu'il s'est passé mais je n'en parlerai pas à Beta. Je n'aime pas avoir à gérer son l'hystérie. »
Elle mit sa broderie de côté et croisa ses mains sur ses genoux.
« Le second émissaire a survécu au voyage, mais il est mort avant qu'on l'amène au sultan. J'ai cru comprendre que le plus jeune, Rahazad, c'est ça ? Il vivra mais... avec des séquelles. Je présume que le sultan ordonnera à l'un de ses eunuques de l'étrangler, en signe de miséricorde. Ils ne tolèrent pas les faibles d'esprit. Ce fut un prix fort à payer pour leur fierté, et nos deux pays continueront à payer pour ça. »
En rajustant sa manche, Lena fit sur le ton de la conversation :
« Les Turcs sont très peu restés ici. Les as-tu beaucoup vus ? »
La voix de Nicolae devint tendue.
« Non, pas beaucoup.
– Je suis plutôt surprise. J'ai entendu dire qu'ils étaient experts pour rechercher les plaisirs les plus physiques. Puisqu'il n’y avait pas de femmes dans le château, cela aurait été toi.
– Je suis resté dans ma chambre ou dans la bibliothèque. Il n'y avait aucune raison que je les rencontre.
– Non ? j'aurais pourtant cru que Draculea aurait voulu te montrer. Nous savons tous à quel point il est fier de sa... bibliothèque. »
Lena observa avec satisfaction le rouge monter aux joues de Nicolae. Il rend tout ça si facile, en prenant tout à cœur. Je me demande... Je crois que je peux suffisamment lui faire peur pour qu'il prenne la fuite, et il ne survivra pas longtemps sans la protection de Draculea. Je pourrais me libérer de lui.
« As-tu entendu les
dernières nouvelles ? »
Nicolae hocha la tête, paraissant inquiet.
« Ils n'ont pas attendu longtemps. Trois villages ont été attaqués avant que les soldats ne puissent venir à leur secours.
– Oui, eh bien, c'est la guerre. Les innocents et les sans défense souffrent... et souffrent... et souffrent. C'est déjà dur de penser qu'ils ont massacré les villageois, mais ce qu'ils leur ont fait avant... »
Elle secoua la tête en feignant la détresse.
« Des enfants plantés sur des pieux. Des bébés arrachés des bras de leurs mères, leurs cerveaux étalés sur le sol, puis les mères violées devant les petits corps. Tout cela sous les yeux des hommes capturés ou mourants. »
Nicolae se signa, songeant qu'il devrait augmenter ses prières pour tous ceux qui étaient morts avec le poids de leurs péchés. Sans l'extrême-onction, ils resteraient longtemps au Purgatoire.
« Les desseins de Dieu sont parfois rudes et durs à comprendre. Puisse-t-Il nous donner la force d'accepter Sa volonté.
– Peuh ! Il n'y a pas de compréhension à la guerre. Et en ce qui concerne Dieu, il me semble qu'il s'agit plus de la volonté et la folie des hommes. Si les femmes régnaient, nous aurions la paix. »
Elle fronça les sourcils.
« Nous aurions la paix maintenant si l'Église avait ordonné à Draculea de la chercher. Il a toujours obéi au Saint Père. Mais l'Église craint pour ses terres et ses revenus. Elle accepte de sacrifier ses fidèles pour conserver son royaume terrestre. Après tout... »
Sa voix était amèrement ironique.
« ... les fidèles peuvent toujours produire plus d'âmes pour l'Église.
– Lena, vous êtes en danger de blasphème ! » fit Nicolae en haletant.
Elle renifla.
« Il faudra que je me souvienne de le mentionner dans ma prochaine confession. »
Elle réfléchit.
« Tu devrais partir, bibliothécaire. Quitte le château. Tu seras peut-être plus en sécurité dans ton ancien monastère.
– Je ne peux pas. Je ne peux pas laisser Elizabeta seule pour le moment. Elle sera si inquiète quand le prince partira à la bataille. »
Hum. Tu lui transmettrais tes propres craintes, Calugarul.
« Peut-être que si elle venait avec moi...
– Tu sais bien que ce n'est pas possible. Elle doit encourager son peuple en montrant sa confiance en Draculea. »
En vérité, Beta
avait supplié qu'on la laisse se retirer à la Cour de
France ou peut-être d'Allemagne jusqu'à la fin du
conflit. L'opulence et l'aisance de l'une des Cours les plus
puissantes auraient bien convenu à Lena et elle. Draculea
l'avait froidement informée qu'il ne ferait pas savoir que sa
femme ne lui faisait pas assez confiance pour la protéger.
« Elle aimerait que tu sois en sécurité, bien qu'elle n'en parlera pas. Elle craint de t'offenser en semblant douter de ton courage, » poursuivit Lena.
Comme si elle s'inquiétait de quiconque à part elle et moi. Lena se rapprocha.
« Tu devrais partir. As-tu une idée de ce qui va t'arriver si le château est pris ? »
Il baissa les yeux.
« Je mourrai. Je crains la mort, mais mon âme appartient à Dieu.
– Je suppose que tu finiras par mourir... tôt ou tard. Mais comme je te l'ai dit, les Turcs désirent les hommes comme les femmes. La seule question est de savoir si les troupes te trouvent, vont-ils te livrer à leurs officiers ou bien vont-ils te garder pour eux ? S'ils te gardent, j'ai entendu dire que des prisonniers ont été pris plus de cent fois d'affilée. »
Elle sembla réfléchir.
« Ils finissent normalement par mourir tôt ou tard, bien que cela n'arrête pas forcément l'abus. »
Elle regarda Nicolae s'asseoir lourdement, pâle.
« Mais ne t'en fais pas. Les officiers ne laisseront sûrement pas un morceau de choix comme toi finir aux mains de la racaille. Oui, tu devras juste servir les officiers les plus hauts gradés, peut-être seulement une douzaine ou plus. Bien sûr, ils auront des goûts plus exotiques et seront plus durs à satisfaire. Quand ils se fatigueront de toi... »
Elle secoua la tête.
« Non, ils ne te tueront pas alors. Tu rapporteras un beau prix au marché des esclaves, surtout grâce à ton bon entraînement. Ou peut-être t'offriront-ils directement au Sultan ? Oh, quel honneur ce serait, Nicolae ! Bien qu'il risque fortement de te castrer. Il ne pourrait pas te laisser entrer dans son harem sinon. Mais un eunuque favorisé peut devenir très puissant. »
Nicolae bondit en couvrant sa bouche et se rua à la petite commode Dans ce cas, une commode est une petite armoire construire pour abriter un pot de chambre. (1) que Draculea lui avait fournie pour son confort. Il l'ouvrit d'un coup sec et vida son estomac dans le pot de faïence vernis qui se trouvait à l'intérieur. Par chance, on l'avait déjà vidé de ses déchets.
Lena le regarda, ravie.
« Oh, je suis désolée si je t'ai bouleversé, mais j’ai pensé que tu devais connaître la vérité. Tu dois être averti pour décider de la meilleure chose à faire. »
Elle rassembla son travail et quitta le jeune homme tremblant. Cela devrait suffire.

« Il est silencieux ces derniers temps, Simion. Quand je lui demande ce qui ne va pas, il se contente de me sourire et me parle d'autre chose. Quand j'ai essayé de le presser la nuit dernière... »
Il sourit avec presque de la réticence.
« Il m'a fait taire avec des baisers.
– Il vous connaît bien, Domn. Il ne s'est pas non plus confié à moi mais je pense que c'est juste une inquiétude naturelle. Il sait que la bataille de demain va être féroce. »
Les yeux de Simion étaient graves.
« Il ne veut pas penser que vous puissiez échouer. J'essaie de le rassurer. »
Draculea soupira.
« J'aimerais pouvoir apaiser ses craintes mais il y a toujours une chance que...
– Vous rentrerez triomphant, mon seigneur. »
La voix de Simion était ferme.
Draculea sourit en posant une main sur son épaule.
« Fidèle Simion qui ne veut pas admettre que je puisse échouer. Je t'en suis reconnaissant mais un prince doit voir le monde comme il est et connaître ses propres limites. Il se peut que je ne revienne pas. »
La voix de Simion se fit intense.
« Laissez-moi partir avec vous, Domn ! Laissez-moi combattre à vos côtés comme je l'ai déjà fait. »
La main de Draculea se raidit.
« Je le permettrais s'il n'y avait une seule chose. Cette fois, je dois laisser ce que j'ai de plus cher. J'ai besoin que tu restes avec Nicolae. »
Presque comme s'il venait d'y penser, il ajouta :
« ... et que tu veilles à la protection du château et de mon épouse. »
Simion ne manqua pas de remarquer dans quel ordre Draculea avait énoncé ses missions.
Draculea hésita.
« Simion, tu sais comment sont les Turcs et ce dont ils sont capables. Si le sultan entend parler de ce que Rahazad a tenté de faire, Nicolae... »
Il ferma brièvement les yeux. Quand il les rouvrit, ils étaient lugubres.
« Si j'échoue et qu'ils arrivent au château, tu devras... »
Draculea, l'homme le plus fort que Simion ait jamais connu, celui que le monde croyait incapable de ressentir autre chose de plus doux que de la rage, ne put finir sa phrase. Simion attrapa sa main et fit gentiment :
« Je comprends, maître. Nous aurons quelques heures devant nous. Pour me faire plaisir, il boira du vin si je suggère que cela lui calmera les nerfs. L'herbe que je lui ai donnée quand il était blessé le calmera au-delà du danger. Pas de douleur, pas de peur, seulement du sommeil. »
Il sortit à moitié le couteau qui pendait à sa ceinture.
« Je le suivrai, rapidement et proprement.
– Merci, Simion. »
Il prit l'autre homme dans ses bras.
« Je peux maintenant aller me battre l'esprit en paix. »
Simion osa rendre son étreinte
et songea à ce qu'il ne pouvait pas dire. Par amour pour
vous, mon prince, et par amour pour Nicolae, je ferai n'importe quoi.
Je ne peux pas l'envier alors qu'il représente tellement pour
vous. Je sais que vous m'appréciez autant que votre nature
vous le permet et j'en suis content. Je peux trouver suffisamment de
plaisir avec d'autres mais mon cœur et mon âme vous
appartiendront à jamais.
Draculea le relâcha.
« Je dois partir à l'aube. Encore une nuit. Je veux au moins avoir encore une nuit avec mon amour.
– Oui, mon seigneur. Aimez-le bien. Peu importe le sommeil que vous perdrez. Être avec lui vous donnera des forces. »

Draculea soupa avec les officiers qui l'accompagneraient, ne mangeant que parce qu'il savait qu'il ne devait pas montrer de faiblesse. Beta était assise à sa droite et Nicolae à sa gauche. Beta mangea bien mais Nicolae joua seulement avec la nourriture dans son assiette. Le jeune homme s'excusa très tôt et Draculea ne resta pas plus longtemps.
Il ouvrit la porte de sa chambre pour la trouver illuminée par de nombreuses bougies avec un feu énergique crépitant dans la cheminée. Nicolae était penché sur une baignoire au milieu de la chambre. Ses pieds étaient nus et il avait retiré sa chemise. Il mit de côté le seau qu'il venait de vider puis plongea ses mains dans l'eau.
« C'est une température agréable, Domn. »
Il leva la main, l'essuyant sur son torse, et la lumière se refléta sur sa peau mouillée. Il tendit la main.
« Venez, maître. Laissez-moi vous servir ce soir. »
Draculea referma la porte et le rejoignit. Il se tint immobile alors que Nicolae commença à le déshabiller. Nicolae retira la chemise de Draculea avec des doigts juste un peu tremblants, puis se mit à genoux devant le prince. Draculea posa ses mains sur les épaules de Nicolae et leva un pied, puis l'autre, laissant son amant retirer ses bottes.
Avec les mains de Draculea toujours sur ses épaules, Nicolae défit lentement les lanières des braies de son amant puis les baissa. Draculea les retira et fut nu. Nicolae leva les yeux vers lui, et sa voix se fit taquine.
« Mon seigneur, que dois-je faire pour vous convaincre de mettre des sous-vêtements ? »
Ses mains glissèrent le long des cuisses de Draculea.
« Voudriez-vous prouver ce que les Turcs disent, que vous êtes un sauvage ? »
La prise de Draculea sur les épaules du jeune homme se resserra et il le mit debout, se pressant contre lui.
« J'ai l'impression d'être un sauvage avec toi, un païen qui ne songe qu'à son propre plaisir.
– Ce n'est pas tout à fait vrai, mon prince. »
Draculea frémit alors que Nicolae fit courir ses mains sur ses côtes, les effleurant.
« Vous pensez à moi. Vous pensez toujours à moi. »
Il recula gentiment.
« S'il vous plaît, Domn, autrement l'eau va refroidir. »
Draculea entra dans l'eau et laissa glisser ses mains le long du torse de Nicolae. Ses doigts s'arrêtèrent sur les mamelons cuivrés du jeune homme et il frotta doucement.
« Rejoins-moi. »
Nicolae porta les mains de son amant à ses lèvres en les embrassant tour à tour.
« Pas ce soir, Domn. »
Il adoucit son refus avec une promesse.
« À votre retour. »
Draculea s'assit dans l'eau fumante. Nicolae s'agenouilla à côté de la baignoire. Joignant ses mains, il versa l'eau chaude sur Draculea, puis prit le savon. Il sourit en le frottant dans ses mains, créant une écume épaisse et odorante.
« Domn, vous souvenez-vous de notre voyage depuis le château Varga. Vous souvenez-vous...
– La source ? oui, Nicolae, je m'en souviens. Comment pourrais-je oublier ? »
Les mains de Nicolae se déplacèrent sur le corps de Draculea, caressant plus qu'elles ne lavaient.
« Quand nous avions fini, tu t'étais allongé dans l'herbe et tu aurais dormi là, à la belle étoile. »
Il tendit la main pour toucher la joue de Nicolae.
« Tu étais encore tellement timide pourtant tu m'as invité à m'allonger avec toi. Je regrette de ne pas l'avoir fait.
– Non, mon amour. Les choses ont progressé comme elles le devaient. Vous ne devez pas avoir de regrets, tout comme je n'en ai pas. »
Il rinça le savon. Quand Draculea sortit de la baignoire, dégoulinant, il enveloppa le prince dans un grand linge épais et le sécha. Puis, souriant avec malice, il prit le bout du linge et conduisit Draculea au lit, toujours enveloppé. Il tourna subitement, faisant tourner Draculea comme s'ils étaient en train de danser, puis le lâcha pour qu'il tombe sur le dos sur le lit. Puis il se jeta sur son amant.
Nicolae était sur lui, s'appuyant sur ses bras pour qu'il puisse le voir, et son expression se fit sérieuse.
« Combien de temps serez-vous parti ? »
Draculea tendit les mains pour tenir sa taille.
« Je ne sais pas, Nicolae. Il ne me faudra pas plus de quelques heures pour atteindre le champ de bataille et alors... »
Il haussa les épaules.
« Qui peut dire ? »
Ses mains se serrèrent un peu, ses pouces caressant l'abdomen de Nicolae.
« Leurs forces sont grandes. Cela peut prendre la journée. Il se peut que je ne revienne pas avant la tombée de la nuit. »
Aucun des deux ne voulait admettre ce à quoi ils pensaient, qu'il pourrait ne pas revenir. Nicolae s'installa à nouveau contre lui, posant sa tête sur l'épaule de Draculea.
« Je veux vous faire l'amour, Vlad. Mais plus tard, avant que vous ne partiez... me prendrez-vous dans vos bras ? Quand je suis dans vos bras, je me sens en sécurité. Rien dans ce monde ne peut m'atteindre. »
Draculea attrapa ses cheveux, penchant la tête de Nicolae en arrière pour qu'il puisse atteindre ses lèvres.
« Bien sûr, Nicolae. Je te tiendrai toujours quand tu as peur. »
Il embrassa le jeune homme, puis laissa sa bouche descendre le long de sa gorge. Il s'arrêta là un moment, ses lèvres contre la peau chaude, sentant le pouls fort de son sang. Il savait qu'avec un mot ou une caresse, il pouvait accélérer ce pouls jusqu'à un rythme tonitruant ou bien le calmer en une pulsation paisible. Il se sentit humble devant le pouvoir que ce jeune homme lui avait accordé.
Doucement et gentiment, il commença à caresser Nicolae. Nicolae répondit à chacun de ses baisers et de ses caresses. Ils se tournèrent sur le côté, Nicolae bougea jusqu'à ce que sa tête soit vers le pied du lit et ils se repurent l'un de l'autre. Quand Draculea tira son essence de Nicolae, il s'éloigna en dépit des protestations du jeune homme car le prince n'avait pas encore atteint l'orgasme.
Il allongea Nicolae sur son ventre et il huila et détendit soigneusement son passage arrière, recherchant le petit endroit qui faisait crier et arquer le jeune homme. Enfin, Draculea le monta, s'enfonçant dans la chair consentante. Il pleura presque en entendant Nicolae murmurer :
« Je suis complet. »
Il prit Nicolae doucement et tendrement. Quand le jeune homme aurait voulu se cabrer pour accélérer leur union, Draculea appuya sur ses hanches, le maintenant fermement, et continua ses coups réguliers. Il toucha encore et encore l'endroit du plaisir enfoncé si profond en son amant. Quand Nicolae gémit et trembla de besoin, il les roula à nouveau sur le côté. Puis il prit le sexe rigide et pleurant de Nicolae dans sa main graissée et le caressa jusqu'à son orgasme. Il ne perdit son contrôle que lorsqu'il sentit le flot chaud du sperme du jeune homme, et il finit en trois coups durs, comme des coups de poignards.
Quand ce fut fini, Draculea tint Nicolae comme promis. Il parvint même à dormir, sa tête sur le torse de Nicolae, alors que le battement régulier du cœur de son amant le berçait. Sans bouger, Nicolae resta éveillé en regardant le plafond ombragé et il pria.
Notes du chapitre :
(1) Dans ce cas, une commode est une petite armoire construire pour abriter un pot de chambre.
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