Partie Trente-Huit : Tragédie
L'an de grâce 1462
Château
Draculea, Valachie
Le lendemain matin, alors que le ciel sombre devenait gris perle à l'est, Nicolae observa Draculea tandis qu'on l'aidait à revêtir son armure.
Ensuite, avec réticence, il quitta son amant pour rejoindre la foule qui s'était réunie dans la chapelle. Draculea recevrait là une dernière bénédiction de l'évêque Alfred et du père Mircea, puis il dirait adieu aux membres de sa demeure et partirait, accompagné de leurs souhaits et leurs prières, les plus fervents provenant de Nicolae.
Paraissant un peu assommée, Beta se tenait devant l'autel avec les ecclésiastiques. En tant que princesse, elle avait la place d'honneur. Nicolae se glissa sur le côté, se tenant près du bénitier. Les officiers du prince attendaient en se tenant entre les bancs. Tous étaient solennels et silencieux.
Les portes de la chapelle s'ouvrirent et Draculea descendit le long de l'allée d’un pas mesuré, digne mais déterminé. Nicolae l'observa, ses yeux doux et émerveillés. Il avait déjà vu Draculea dans les protections de cuir qu'il portait pour s'entraîner avec ses hommes, mais le voir en armure de bataille était autre chose — cela inspirait de la crainte. Un Turc qui ne fuirait pas devant lui n'est certainement pas courageux, mais stupide.
Ne regardant ni à droite ni à gauche, Draculea se rendit à l'autel et s'agenouilla. C'était un hommage à sa force que de dire qu'il n'eut pas besoin d'aide pour s'agenouiller avec sa lourde armure. Après que l'évêque Alfred eut psalmodié une bénédiction solennelle et ait répandu un peu d'eau bénite sur lui, il se leva, à nouveau sans aide.
Faisant le signe de la croix, Alfred psalmodia :
« Va avec Dieu, mon fils. Tu combats pour Lui et tu vas triompher. »
Mircea imita le geste de l'évêque et son opinion. Il voulait aller lui aussi avec Vlad, non pas pour se battre mais pour administrer les derniers sacrements à ceux qui allaient sûrement tomber. Draculea le lui avait interdit en lui disant que sa place était au château Draculea pour s'occuper des besoins de son petit troupeau qui attendrait avec angoisse et crainte la fin de la bataille.
Beta s'avança à présent. Elle plaça délicatement sa main sur le métal froid qui recouvrait le bras de son époux, se mit sur la pointe des pieds et embrassa sa joue.
« Allez avec Dieu, mon époux. »
Après une pause, d'une voix légèrement plate, elle fit :
« Je vous aime. »
Draculea la regarda :
« Merci, Beta. Soyez assurée que je vous aime autant que vous m'aimez. »
Il se dirigea vers la porte et ses officiers commencèrent à remplir l'allée à sa suite, prêts à le suivre. Mais Draculea s'arrêta. Il fit demi-tour et marcha rapidement vers le devant de la chapelle, poussant de côté ceux qui ne bougeaient pas assez rapidement.
Nicolae avait fermé les yeux lorsque Draculea avait commencé à partir. Il baissa la tête, les larmes coulant sur ses joues, mais il resta silencieux. Il avait joint ses mains pour commencer déjà sa première prière quand il entendit des pas lourds approcher.
Une main sous son menton leva son visage et il ouvrit les yeux pour découvrir Draculea qui le regardait. Sans un mot, le prince se pencha et déposa un fervent baiser sur la bouche du jeune homme. Il écarta les cheveux de Nicolae de son front, puis ressuya gentiment une larme, tout en regardant profondément dans ses yeux.
Nicolae soupira et lui offrit un sourire tremblant en posant ses mains de chaque côté du visage de Draculea. Puis il se redressa et rendit son baiser. Vlad murmura uniquement pour son amant :
« Je reviendrai pour toi, mon petit, aie confiance en mon amour pour toi. Peu importe qui tentera de m'en empêcher, je reviendrai. »
Saisissant le menton de Nicu, il fit :
« Je le jure sur mon honneur. »
Il y avait un lourd silence dans la chapelle. Finalement, Draculea s'éloigna de Nicolae. Il lança un regard ironique à l'évêque confus puis il retourna dans l'allée sans autre hésitation. Quand il fut parti, Nicolae rejoignit le père Mircea et fit doucement :
« Père, entendrez-vous ma confession ?
– Bien sûr, Nicolae, fit-il d'une voix douce.
– Beta. »
Nicolae attrapa la main de sa sœur alors qu'elle commençait à partir.
« Confesse-toi aussi.
– Peut-être après, Nicolae. Je veux prendre mon petit-déjeuner.
– Ma sœur, je t'en prie. Nous ne savons pas ce que nous réserve ce jour et nos âmes doivent être propres. »
Quand elle se renfrogna, sa main se serra et il fit à voix basse :
« Je ne demande pas grand-chose, Beta. Fais-le pour moi, si ce n'est pour toi. »
Elle roula des yeux.
« Oh, très bien ! Laisse-moi y aller en premier dans ce cas. Cela ne prendra pas longtemps. »
Tandis que le prêtre et la
jeune femme entraient dans le confessionnal, Nicolae se tourna vers
Lena.
« Et vous après elle, Lena. »
La voix d'Abdul était froide.
« Pas moi, bibliothécaire. »
Nicolae parut bouleversé.
« Mais Lena, vous n’allez pas risquer de mourir sans vous être confessée.
– Veille à ta propre âme, mon garçon, fit-elle hargneusement. Tu pourrais en avoir besoin avant la fin du jour.
– Lena, je vous en prie... »
Beta émergeait déjà du confessionnal, marmonnant dans un souffle les Je vous Salue Marie et les Notre père requis. Elle s'arrêta devant Nicolae en disant avec irritation :
« Satisfait ? »
Il soupira de soulagement.
« Merci, Beta. Tu pourrais peut-être convaincre Lena de faire de même ? »
Beta haussa les épaules.
« Je ne peux pas lui ordonner ses dévotions, Nicolae. »
Sans un autre mot, elle partit, suivant Lena qui avait déjà pris de l'avance. Il fronça les sourcils mais prit sa place dans le confessionnal. Le père Mircea fit :
« Bon, Nicolae, tu ne peux pas avoir grand-chose à te faire pardonner. Je t'ai déjà entendu hier. »
Nicolae prit son visage entre ses mains et garda le silence un long moment. Enfin, d'une voix étouffée et sans lever les yeux, il fit :
« Bénissez-moi, mon père, car j'ai péché. Je vous ai menti, ainsi qu'à Dieu. »
Mircea ferma les yeux. Il espérait juste que le jeune homme ne serait pas trop sévère en se châtiant.
« Raconte-moi, mon fils. »
Nicolae s'éclaircit la gorge.
« Je... Je n'ai pas fait de vraie confession depuis deux ans. J'ai partagé la communion avec encore des péchés sur ma conscience. »
Ne voulant pas entendre ce qui n'était rien d'autre que le jeune homme arrachant son propre cœur, mais sachant qu'il devait le faire, Mircea fit :
« Quels sont ces péchés, Nicolae ?
– J'ai désiré mon propre sexe, mon père. J'ai couché avec lui. J'ai forniqué de façon non naturelle pour l'Église. »
Sa voix tomba.
« Il est marié. Je lui ai fait commettre l'adultère.
– Nicolae, personne ne peut forcer un autre à déshonorer ses vœux de mariage. C'est un choix qui a été fait par cette personne et non par toi, mon fils. »
Il fit une pause.
« Peux-tu me dire le nom de cette personne ? »
Comme lors de sa première
confession il y avait si longtemps, lorsqu'il avait avoué au
père Mircea ses nouveaux désirs si confus, il fit :
« Non, mon père. Je ne peux que confesser mes propres péchés. Il doit prendre soin de sa propre âme.
– Nicolae, fit prudemment Mircea. Qui a été blessé par cette relation ? »
Silence.
« Si c'est ce que je pense, même la femme de l'homme que tu aimes n'a pas souffert. Et c'est de l'amour, n'est-ce pas, Nicolae ? Ce n'est pas qu'un simple désir bestial. Ton cœur est pris, pas seulement ton corps ?
– Oh, oui, mon père ! »
Sa voix était ferme.
« Alors sois en paix. Huit rosaires ce soir avant de te coucher. »
Il s'arrêta.
« En plus de tes prières usuelles. »
À nouveau, comme il l'avait déjà fait tant de fois, Mircea prononça les paroles d'absolution, souriant au soulagement et à la gratitude dans la voix du jeune homme. Il secoua la tête alors que Nicolae quitta directement le confessionnal pour s'agenouiller devant l'autel et commencer sa pénitence.
Mircea se rassit en songeant : l'évêque Alfred doit déjà avoir quitté l'église, sinon il serait déjà en train d'admonester le garçon. Pfu. Il n'a pas vraiment le droit de réprimander les autres, pas avec les cinq enfants bâtards qu'il entretient, sans compter leurs trois mères.
Mircea sourit. Je crois qu'il a dû s'étouffer dans sa barbe quand le prince a embrassé Nicolae. Les hommes embrassent des amis proches et des camarades, mais ce baiser... Non, c'était le baiser de séparation de deux amants. Mircea ferma les yeux et offrit ses propres prières. Il se peut que Vous me punissiez lors de mon jugement, Seigneur, mais je ne peux pas les condamner. Faites que Draculea revienne sain et sauf, Seigneur, parce que je crois que Nicolae ne survivra pas sans lui.

Bien que les forces de Draculea soient moins nombreuses que celles des Turcs, ils se battaient pour protéger leur pays, leurs maisons et ceux qu'ils aimaient, et ils étaient menés par un homme si féroce et puissant qu'ils ne pouvaient qu'être encouragés.
Draculea mena la première charge, chevauchant Lucifer. La grande bête avait été rétive alors qu'ils s'approchaient du champ de bataille, caracolant et soufflant avec empressement. Il savait qu'ils allaient à la guerre. Il était né et avait été élevé pour ça, et cela lui avait manqué durant la paix récente. Il tremblait d'excitation en attendant l'appel de la bataille. Draculea leva son épée, les trompettes retentirent, et le cheval bondit dans l'action.
L'énorme étalon noir se rua vers les lignes avancées des Turcs. En quelques secondes, il se cabrait et plongeait, hennissant de rage. Il se déchaîna avec ses dents et ses sabots recouverts d'acier. Des crânes furent écrasés, des morceaux de chair arrachés. Ce cheval seul pourrait revendiquer plus d'une douzaine de morts avant la fin du jour. Quant à son cavalier...
Les officiers Turcs avaient tenté de minimiser le pouvoir et la présence de Draculea en répétant sans cesse à leurs hommes que les noms Fils du diable et Fils du Dragon n'étaient dus qu'à son appartenance à l'Ordre du Dragon. Mais ce géant dans son armure étincelante combattait comme un démon en tenant une énorme épée qui semblait trop grande même pour deux hommes.
Le seul moment où il fut presque blessé fut lorsqu'une masse d'arme chanceuse le fit tomber de selle. Il y eut un moment de danger alors qu'il tentait de se remettre debout mais ses hommes l'entourèrent pour le protéger jusqu'à ce qu'il soit sur pieds et qu'il ait retrouvé son épée. Quand son épée fut arrachée de ses mains, il prit la lance des mains d'un Turc et s'en servit pour embrocher un ennemi qui chargeait, le soulevant dans les airs, avant de récupérer son épée et de continuer le combat.
La bataille fit rage durant la matinée et l'après-midi, jusqu'au soir. Des milliers moururent et un nombre incalculable d'hommes furent blessés. Les Turcs envoyaient vague par vague leurs soldats dans le faible espoir de submerger les Valaques mais c'était comme des vagues se brisant sur les récifs. Les forces de Draculea ne faiblirent jamais et ne cédèrent jamais de terrain. Ils avancèrent, et le sol derrière eux était couvert de cadavres, de membres coupés et des cerveaux et entrailles des malheureux. Tant de sang fut répandu sur la terre qu'elle en devint flasque, et les hommes finirent par se battre dans de la boue brune écarlate.
Finalement les Turcs cédèrent et coururent. Quelques-un se rendirent. Ceux qui étaient morts à la bataille eurent plus de chance qu'eux. Il y avait plein de pieux robustes, et Draculea prouva à nouveau pourquoi on le connaissait sous le nom d'Empaleur. Le champ de bataille devint bientôt une terrifiante forêt de corps embrochés.
Finalement couvert de sang et de saleté, Draculea se dressa au milieu du carnage alors que ses hommes massacraient les ennemis restants. Il brandit son épée et cria :
« Dieu soit loué ! Je suis victorieux ! »
Puis il baissa doucement son arme en regardant un ciel qui semblait en feu et murmura :
« Nicolae... »
Un cavalier fut envoyé pour porter les bonnes nouvelles au château Draculea et ils commencèrent à rassembler les blessés pour le voyage de retour.

Simion faisait les cent pas dans la cour quand le messager arriva. Le jeune soldat glissa de sa monture tremblante et en sueur, et il tomba dans les bras de Simion. Il fit dans un souffle :
« Mon sieur, nous sommes victorieux ! »
Simion résista à l'envie de le secouer.
« Et le prince Draculea ?
– Il va bien. Notre seigneur n'est pas blessé et il est triomphant. Il va bientôt revenir. Mais monsieur, nous avons beaucoup d'autres hommes qui sont sévèrement blessés.
– Oui. Le danger est passé sinon je n'oserai pas quitter mon poste. Je vais chercher mon équipement et revenir tout de suite. »
Il confia le messager aux autres soldats de la cour et alla chercher ses remèdes.
Les Turcs savaient qu'ils seraient vaincus plusieurs heures avant la fin de la bataille. Ils préparèrent un plan insidieux pour se venger. Un archer franchit les lignes valaques et se dirigea vers le château Draculea en se glissant dans la forêt. Quand il atteignit les murs, il tira une flèche en visant par-dessus le mur du château. Les hommes que Draculea avait laissés pour protéger sa demeure furent sur le qui-vive, et leurs propres archers visèrent aussitôt l'endroit d'où provenait la flèche. Le Turc avait rempli sa mission, mais il mourut hérissé de flèches qui avaient atteint leur but.
Simion en fut informé avant de partir pour le champ de bataille. Refermant l'étui qui contenait ses herbes, ses outils et une bonne réserve de bandages, il se rua dans la cour. Lena était là lorsque la flèche portant le message était passée par-dessus le mur et elle se dirigea vers l'entrée, curieuse. Simion s'approcha de la flèche en tendant son sac à un garçon d'écurie pour qu'il le charge sur une charrette. Il fixa le parchemin attaché à la flèche puis le défit et l'ouvrit. Il lut le message.
Il commença par se renfrogner puis éclata d'un rire rude.
« Les imbéciles !
– Qu'est-ce que c'est ? »
Hardie, Lena s'avança vers lui. Il regarda la femme, surpris et irrité.
« Ce n'est rien d'autre qu'une manœuvre désespérée et futile pour nous blesser et nous faire paniquer. Cela dit que le prince est mort, tué dans la bataille. »
Il le froissa en boule.
« Il y a à peine une heure, on m'a assuré qu'il allait bien et qu'il était triomphant. Il n'y a pas à se tromper. »
Il jeta le parchemin à terre.
« N'en parlez à personne. Il vaut mieux que personne ne sache rien de cette tromperie jusqu'à ce que le prince soit de retour pour prouver que c'est un mensonge. »
La charrette passa les portes avec Simion assis derrière et déchirant un drap en bandes. Les yeux de Lena brillèrent tandis qu'elle les observait jusqu'à ce qu'ils soient hors de vue. Quand ils furent partis, elle se pencha et ramassa le parchemin, l'aplatissant et l'étudiant. Un lent sourire se dessina sur son visage fin. Oh, comme c'est triste. Je pense que Nicolae va le prendre très mal.
Elle roula à nouveau le parchemin, le rattacha à la flèche et se rendit dans le château. Le père Mircea avait convaincu Nicolae de retourner dans sa bibliothèque. Lena le trouva là. Il était assis à la plus grande table en regardant le mur.
Elle s'approcha de lui en prenant une expression anxieuse.
« Calugarul, regarde ! »
Elle lui montra la flèche.
« C'est venu de l'autre côté du mur du château il n'y a même pas cinq minutes. Je ne peux pas trouver Simion et quelqu'un doit voir ce dont il s'agit. S'il te plaît... »
Avec appréhension, Nicolae prit la flèche et défit le message. Il déroula le parchemin et lut. Lena le regarda avidement et fut satisfaite de voir la couleur disparaître de son visage et ses yeux s'écarquiller et prendre un air blessé.
« Ce sont de mauvaises nouvelles, bibliothécaire ? »
Incapable de parler, il tendit la page à Lena. Lena fit semblant de lire le message et s'écria :
« Non ! Oh, ma pauvre dame, si jeune et déjà veuve. Et toi, Nicolae. »
Sa voix se fit sournoise.
« Tu viens de perdre ton patron et ton protecteur. Laisse-moi te donner un conseil. Quand les Turcs prendront le château, choisis le plus puissant et offre-toi à lui, de peur que les soldats communs ne te réduisent en pièces dans leur passion. »
Elle lui lança un regard douloureux.
« Si seulement il y avait un moyen pour toi d'échapper à ce destin. Je dois aller voir Beta. »
Elle partit en réprimant un gloussement.
Nicolae resta un long moment sans bouger, regardant avec horreur le message qui avait brisé son monde.
« Vlad. »
Ce simple mot n’était qu’un murmure désolé et perdu. Je devrais être en train de pleurer mais je ne peux pas. Je n'ai pas de larmes, je suis vide.
Il songea à ce que Lena lui avait dit sur les Turcs et il frémit. Je pourrai vivre, mais dans ce cas, ce serait encore pire. Comment pourrais-je supporter qu'on me fasse ce que Vlad a fait, mais seulement avec du désir et de la haine, sans amour ? Non, il vaudrait mieux mourir. Il ferma les yeux. Je suis déjà mort, même si je respire encore. Pourquoi attendre ce qui va arriver et souffrir ? Il posa une feuille vierge de parchemin devant lui puis prit une plume, la trempa dans l'encre et écrivit. Quand il eut fini, il scella soigneusement le parchemin puis le plia et le mit dans sa chemise. Il prit le message fatal, quitta la bibliothèque puis hésita en levant les yeux vers les escaliers qui conduisaient à la chambre de Beta. Sa bouche se raidit un peu.
Nicolae se rendit à la chapelle et trouva le père Mircea assis sur l'un des bancs. Il s'assit à côté du vieil homme et fit :
« Mon père, je dois vous poser une question. C'est très important.
– Demande, Nicolae. Je répondrai si je le peux.
– Si quelqu'un est tué, qu'il s'est confessé avant et a fait sa pénitence, ira-t-il au Ciel ? »
Mircea hocha gentiment la tête.
« Assurément, Nicolae. »
Le jeune homme soupira, apparemment soulagé. Le père tapota le genoux de Nicolae.
« Tu n'as pas à avoir peur, mon garçon. Je ne crois pas que tu vas mourir aujourd'hui mais sinon, ton âme est propre.
– Et si quelqu'un se tue, mon père ? »
Mircea se renfrogna.
<<Le suicide est un péché mortel, Nicolae.
– Même... même si cette personne serait quand même morte autrement dans de grandes et terribles souffrances ?
– Oui, Nicolae, même dans ce cas. La mort n'est infligée que par Dieu seul. Un homme ne peut usurper ce pouvoir sans mettre son âme en danger. »
Il remarqua soudain que le jeune homme était devenue pâle.
« Pourquoi me demandes-tu ça ?
– Je suis désolé, mon père.
– Nicolae, qu'est-ce qui ne va pas ? »
Il remarqua le parchemin dans la main du jeune homme et le prit. Nicolae n'essaya ni de l'en empêcher, ni de l'aider. Le prêtre lut le message puis hoqueta en regardant son jeune ami.
Nicolae lui rendit son regard avec des yeux ternes et fit doucement :
« Je suis tellement désolé, mon père. »
Il attrapa soudain le prêtre, le soulevant tout en se levant.
« Mon garçon, que fais-tu ?
– Bénissez-moi, mon père, car j'ai péché. J'ai cédé au désespoir. »
Il conduisit de force au confessionnal le prêtre qui protestait. Mircea se débattit dans l'étreinte du jeune homme, mais Nicolae, bien qu'inexpérimenté, était déterminé et fort. Il poussa Mircea dans le confessionnal et referma rapidement la porte.
« J'ai prévu de tuer. »
Il prit la corde qui avait servi à lier le message à la flèche et l'utilisa pour relier les clenches des deux côtés du confessionnal. Mircea se jeta contre la porte mais ne parvint pas à la faire bouger.
« Mon amour est mort et je dois le suivre.
– Nicolae !
– Je ne vous ai pas fait mal, mon père ?
– Je... non. Mais Nicolae...
– Pouvez-vous me donner l'absolution ?
– Mon garçon, tu sais bien que non ! S'il te plaît, sois raisonnable. Ouvre la porte, et nous prierons ensemble.
– Soyez béni, mon père, mais cela ne servira à rien. Vous pouvez prier pour l'âme de mon amour. Priez pour Beta. Elle s'est confessée ce matin seulement, et elle ne passera pas trop de temps au Purgatoire. »
Mircea cria d'horreur, mais Nicolae continua avec un calme presque effrayant.
« Je ne peux pas aider Lena. Elle a refusé de se confesser, et je ne peux pas la sauver des Turcs sans risquer son âme. Essayez de la protéger. Et... priez pour moi ? Qui sait, Dieu me pardonnera peut-être... un jour. »
Il remonta l'allée d'un pas ferme en ignorant les injonctions du prêtre.
Nicolae se rendit d'abord dans la chambre de Simion. La plupart de ses stocks de médicaments avaient disparu mais il repéra des choses précieuses. L'une d'elles était la potion pour dormir.
Il se rendit ensuite à la chambre d'Elizabeta. Lena fronça les sourcils en songeant : Pfu. Je ne sais pas si le fait qu'il reste ici fait de lui un brave ou un lâche. Elle lança un regard d'avertissement à Nicolae mais le jeune homme secoua la tête, lui disant silencieusement qu'il ne parlerait à Beta du message.
Beta triait une petite pile de dentelles. Elle jeta un coup d'œil absent à Nicolae et fit :
« Tu as des nouvelles, mon frère ?
– Non, Beta. »
Elle leva les yeux vers lui, curieuse. Sa voix, toujours douce quand il lui parlait, était particulièrement tendre.
« Je veux juste passer un peu de temps avec toi.
– Oui, eh bien, je suis plutôt occupée. »
Nicolae s'avança vers la table où se trouvait la carafe de vin et les verres.
« Prends juste un verre de vin avec moi ? Je crains que mes nerfs craquent un peu. Cela me fera tellement de bien si Lena et toi vous joigniez à moi.
– Oh, très bien. »
En leur tournant le dos, il servit deux verres de vin puis jeta un coup d'œil aux deux femmes. Lena avait rejoint Beta et s'était penchée vers elle, leurs têtes jointes alors qu'elles débattaient des mérites d'un coupon de dentelle de Venise. Il sortit le bout de parchemin de sa manche. Il versa une petite dose de poudre dans un verre puis vida le reste dans l'autre verre. Les soulevant, il remua doucement le liquide pourpre puis l'apporta aux femmes.
Il tendit un verre à Lena et l'autre à Beta. Quand Beta lui lança un regard interrogateur, il fit :
« Il n'y en avait que pour deux verres. Je ne devrais pas boire de vin. Je me suis un peu relâché ces derniers temps. »
Les deux femmes burent. Lena termina son verre en deux gorgées rapides puis le posa sur le côté. Beta sirota le sien plus délicatement. Nicolae la regarda avec un peu d'appréhension. Elle ne but que la moitié du verre avant le mettre de côté. Il fronça les sourcils. Serait-ce suffisant ? Et il fallait que cela soit bientôt sinon quelqu'un allait certainement libérer le père Mircea et apprendre ses plans.
Rapidement, Lena se mit à bailler ouvertement.
« Ma dame, je crois que je dois me reposer. Je me sens inexplicablement fatiguée.
– Oui, Lena. »
Beta bailla plus délicatement, en cachant sa bouche.
« Tu peux prendre le lit. Nicolae, tu dois partir.
– Pas encore, ma sœur. »
Il regarda Lena s'allonger sur le lit. Elle commença à ronfler presque tout de suite.
« Laisse-moi rester encore quelques instants. Comment te sens-tu ? »
Beta cilla, paraissant un peu hébétée.
« En vérité, Nicolae, je me sens bizarre. Ma tête tourne.
– La chambre est trop chaude et trop renfermée. Tu as besoin d'air frais, Beta. Tu n'as pas fait d'exercice depuis longtemps. »
Il prit ses mains, la mettant debout.
« Viens, je vais marcher avec toi. »
Elle gémit.
« Je ne veux pas. Lâche-moi, Nicolae, et laisse-moi dormir avec Lena.
– Bientôt, ma sœur. Mais viens avec moi juste un petit peu. S'il te plaît ?
– Oh, très bien ! » grommela-t-elle.
Il la conduisit dans le couloir.
Quand elle voulut se diriger vers les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée, il la pressa dans l'autre direction.
« Non, Beta. Ce ne serait pas sûr d'aller dans la cour. Nous irons sur le toit du palais. Là-bas, tu seras en sécurité.
– Pfu ! Je vais plutôt attraper un rhume.
– Non, Beta. Je te le promets. »
Il dut l'aider à monter les escaliers car elle vacillait à présent.
« Nicolae, je crois que je devrais retourner dans ma chambre. Je... J'ai comme des vertiges.
– Bientôt, Beta, bientôt. Viens près du mur. La brise y est fraîche et rafraîchissante, et la vue est magnifique. »
Il la porta à moitié près du petit mur qui bordait le toit.
« Tu vois, Beta ? Les montagnes se dressent tout autour et la forêt semble ne pas avoir de fin. Peux-tu sentir la présence de Dieu devant une telle beauté ?
– Oui, j'en suis sûre. Je veux mon lit, Nicolae. »
Elle poussa un petit cri de surprise lorsque Nicolae la prit dans ses bras. Avant, c'était toujours elle qui offrait l'intimité physique. Nicolae acceptait humblement toutes les embrassades absentes ou les caresses qu'elle jugeait bon de lui donner. Elle leva les yeux vers lui et fut alarmée par son expression. C'était une expression si gentille mais douloureuse, et il y avait une lueur étrange dans ses yeux.
« Tu dormiras bientôt, Beta.
– Nicolae...
– Je sais que tu aurais voulu que Lena vienne avec toi mais elle n'a pas voulu se confesser. Je ne pouvais pas la condamner à rencontrer Dieu avec ses péchés noircissant encore son âme. »
Il bougea rapidement, grimpant sur le mur et la portant avec lui.
« Seigneur, Nicolae ! »
Sa panique combattit l'étrange lourdeur qui pesait sur ses membres et qui pourtant lui faisait tourner la tête.
« Qu'as-tu fait ? Que fais-tu ?
– Chut, ma sœur, tout va bien. J'ai parlé au père Mircea. Tu es innocente, et ton âme ira droit à Dieu. Parleras-tu en ma faveur quand tu seras au paradis ? »
Elle le frappa faiblement.
« Nicolae, pourquoi fais-tu ça ?
– Je reste le seul qui puisse veiller à ce que tu ne souffres pas aux mains des envahisseurs.
– Ils vont me rançonner, idiot ! »
Il secoua tristement la tête.
« Draculea est mort.
– Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? Je ne l'aimais pas. »
Il y eut un moment de silence, à part le vent qui soufflait autour des deux jeunes gens perchés sur le mur, haut au-dessus de la rivière empressée. Enfin, Nicolae fit doucement :
« Ma pauvre fille. Le chagrin t'a rendue folle. N'aie pas peur, Beta. Je serai fort pour nous deux. »
Alors que la jeune femme commençait à se débattre plus, Nicolae leva les yeux au ciel et murmura :
« Père, nous arrivons. »
Il murmura en fermant les yeux :
« Vlad, j'arrive. »
Et il fit un pas en arrière...

Simion rencontra Draculea à mi-chemin. Le prince chevauchait à la tête d'une armée à peine diminuée. Les bien-portants aidaient les blessés à marcher tandis que ceux qui ne pouvaient pas marcher étaient massés dans des charrettes craquantes. Draculea fit :
« Bien, tu as eu mon message. Tu n'as pas besoin d'aller plus loin au champ de bataille. Nous avons amenés tous ceux qui survivraient, et on pourra mieux s'occuper d'eux au château ou au village. »
Il sourit.
« Comment Nicolae a-t-il reçu la nouvelle ? »
Simion parut déconcerté.
« Mon seigneur, je ne lui en ai pas parlé. Je me suis dépêché pour soigner les blessés. Mais songez à sa joie lorsque vous vous tiendrez devant lui. »
Draculea sourit en imaginant le visage du jeune homme à nouveau humide, mais cette fois avec des larmes de joie.
« Oui. Dépêchons-nous. »
Simion monta dans une des voitures et commença à traiter des blessures. Draculea fit trotter à côté un Lucifer étrangement calme. Le grand cheval avait subi quelques petites blessures mais ses sabots, couverts de sang coagulés et de cervelle, prouvaient qu'il avait donné plus de coups qu'il n'en avait reçus.
Tout en travaillant, Simion fit :
« Ces chiens ont tenté une dernière intrigue pour instiller la peur dans nos cœurs, Domn. Ils ont envoyé une flèche par-dessus les murs avec un message mensonger annonçant votre mort. Je l'ai laissé tassé à terre comme l'ordure que c'était, mais vous voudrez peut-être le conserver en souvenir.
– Tu as dit à tout le monde que c'était faux ?
– Personne d'autre ne l'avait lu, alors ce n'était pas la peine. »
Il fronça les sourcils en serrant un bandage.
« Bon, personne d'important. Abdul était là, mais je lui ai clairement dit que c'était un faux.
– Lena ? »
Draculea se renfrogna en sentant une pointe de malaise.
« Si elle peut faire du mal, cette femme trouvera un moyen. Si elle a effrayé Nicolae... »
Sa voix mourut et une alarme se déclencha dans sa tête.
« Simion, si le garçon ne sait pas que j'ai vaincu et qu'il lise cette saleté... »
Simion se figea en songeant à la même chose.
« Non, mon seigneur, sûrement pas. J'ai quitté le château il y a à peine une heure.
– Beaucoup de choses peuvent arriver en une heure. »
Draculea enfonça ses éperons dans les côtes de Lucifer et, malgré sa fatigue de la bataille, le grand cheval se mit au galop.
Simion réclama un cheval d'un des officiers et suivit Draculea. Bien que le cheval ne soit pas de taille contre l'étalon de Draculea, il était plus frais et Simion parvint à le talonner alors qu'ils arrivaient au château.
Draculea sut que quelque chose n'allait pas à la seconde où il franchit les portes. Il y avait à la fois de l'agitation et une étrange quiétude sur le château. Il ne fut pas accueilli par les hourras qui auraient été de circonstances. Les hommes qui gardaient les portes détournèrent les yeux.
Il descendit de Lucifer et bondit vers le château. Un groupe de servantes se blottissaient près de la porte, se tenant l'une contre l'autre et pleurant. Quand elle le virent, leurs lamentations augmentèrent. Draculea fit un pas vers elles en espérant trouver la signification de cette étrange atmosphère, mais il hésita et baissa les yeux.
Le tapis d'entrée, celui qui avait été taché par le sang des Turcs, était maintenant gorgé d'eau. L'eau atteignait presque la porte et les traces humides s'affinaient vers la grande salle.
Ressentant une terreur sans nom, Draculea les suivit à travers la grande salle jusqu'aux portes de la chapelle. Là, il hésita. Il n'avait ressenti aucune crainte quand il avait fait face aux Turcs, mais à présent il sentait son cœur enfler de terreur. Il ouvrit violemment les portes et entra dans la chapelle.
Sur le devant, l'évêque Alfred, deux servantes de Beta et le père Mircea en pleurs levèrent les yeux vers lui. Étendue sur un catafalque devant l'autel se tenait Beta, ou plutôt ce qui avait été autrefois Beta. Draculea s'avança lentement. Elle était trempée, ses longs cheveux cascadant sur la marche qui menait à l'autel, ses vêtements ruisselants. Son visage était défiguré par une dernière grimace irascible et Draculea songea distraitement que si elle devait reposer ainsi, ceux qui auraient à la préparer auraient bien du mal à rendre son visage à nouveau plaisant.
En s'approchant, il fit :
« Comment ? Que faisait-elle près de la rivière ? Elle la détestait. »
Le père Mircea sembla sur le point de parler mais l'évêque Alfred fit avec force :
« Vous devez être fort, prince. Votre pauvre épouse a été horriblement assassinée. Mais soyez en paix. Mircea m'a dit qu'elle s'était confessée peu de temps avant et une victime de meurtre ne porte aucune trace de ses péchés. »
Ses yeux se durcirent.
« Mais celui qui l'a tuée s'est suicidé. »
Presque devant à présent, Draculea aperçut quelque chose de petit et de sombre recroquevillé sur le côté, et son regard fut attiré là. Il tituba, frappé et blessé comme aucun ennemi ne l'avait jamais fait.
Les cheveux noirs couvraient son visage, mais Draculea ne pouvait pas le confondre. Il connaissait chaque courbe de ce corps, chaque creux et angle, et chaque pouce de peau.
« Non. »
C'était un murmure.
Simion qui l'avait suivi recula d'horreur. Il tendit la main pour prendre le bras de Draculea et lui offrir son soutien et son réconfort. L'autre homme le repoussa et avança en chancelant vers la silhouette immobile. Quand Mircea tenta de l'arrêter, il repoussa le prêtre avec autant d'effort qu'un homme chassant une mouche. Il s'agenouilla devant le corps immobile puis tendit une main tremblante pour pousser les cheveux en arrière.
Draculea expérimenta une curieuse succession de souvenirs. Des images du visage de son bien aimé dans diverses situations lui apparurent. Il se souvint de son air paniqué lorsqu'il avait fui au château Varga, la souffrance silencieuse après l'attaque de son père, la totale dévotion lorsqu'il priait, la tendresse alors qu'il tenait l'enfant d'une servante. Il se souvint de la brève colère lorsqu'il avait déclaré son intention d'avoir son mot à dire dans sa vie, le sourire quand il faisait une simple blague, l'inquiétude quand Vlad était revenu de son entraînement en soignant des bleus. Il se souvint de ce visage brûlant de passion, rayonnant vers lui ou tourné, rouge et en sueur, pour le regarder par-dessus son épaule alors que leurs corps s'unissaient. Mais ce dont il se souvenait le plus, c'était à quoi il ressemblait après avoir fait l'amour, quand le sommeil s'emparait de lui et qu'il reposait paisiblement dans les bras de Draculea.
C'était cette expression en ce moment, fatigué, paisible et très jeune. Cependant, il était plus pâle que Draculea l'avait jamais vu et il y avait des ombres lavandes sous ses yeux qui disaient qu'il ne se réveillerait pas frais de ce sommeil. Draculea toucha gentiment sa joue et retira brusquement sa main de la chair froide et humide.
« Nicolae. »
Quand sa main tomba, elle toucha quelque chose et Draculea prit la feuille de parchemin. Elle était mouillée elle aussi, et l'encre avait bavé, tachant le papier de noir, mais il pouvait encore reconnaître l'écriture élégante et précise de Nicolae. Mon prince est mort. Tout est perdu sans lui. Puisse Dieu nous réunir au ciel.
« Oh, seigneur, non ! »
Draculea prit le corps mou dans ses bras, le berçant contre sa poitrine. Il tint Nicolae comme il l'avait déjà fait de nombreuse fois, mais il n'y eut aucune réponse. Simion dut retenir un cri de douleur lorsque le prince passa désespérément les bras du jeune homme autour de son propre cou mais qu'ils retombèrent.
Regardant la scène avec dégoût, l'évêque Alfred décida qu'il était temps de rappeler au prince ses devoirs. Après tout, ce garçon n'avait été qu'un jouet et l'épouse du prince reposait ici.
« Il a mis fin à ses jours. Son âme ne peut être sauvée. Il est condamné. C'est la loi de Dieu. »
L'évêque sursauta lorsque Draculea jeta sa tête en arrière et hurla son déni alors même qu'il déposait gentiment le corps. Il bondit sur ses pieds et se déchaîna. Le bénitier bascula, la lourde pierre éclata sur le sol et l'eau bénite inonda le sol. Avant que l'évêque n'ait pu réagir, Draculea s'était tourné vers lui.
Pointant Alfred du doigt, les yeux illuminés d'une lueur bleue pâle comme la chandelle d'une âme qui s'éteint, il hurla :
« Est-ce là ma récompense pour avoir défendu l'église de Dieu ?
– Sacrilège ! »hoqueta Alfred.
Draculea lui lança regard menaçant et l'ecclésiastique recula en levant sa croix pour se défendre. Il y avait une lueur malsaine dans les yeux de Draculea, une lueur qui provoquait une peur plus que physique. Regardant l'évêque figé, Draculea rugit :
« Je renonce à Dieu ! S'il peut damner quelqu'un d'aussi innocent et bon que mon Nicolae, je renonce à cet être haineux. Je me relèverai de ma propre mort pour le venger avec tous les pouvoirs des ténèbres ! »
Il avait lâché son épée lorsqu'il avait repéré Nicolae; mais il la reprit. Il courut vers l'autel et planta la lame dans la croix taillée dans le mur de pierre. Si grande était la force de son chagrin et de sa rage que la lame s'enfonça dans la pierre d'environ un tiers de sa longueur. Il la laissa vibrante.
Tandis qu'il se retournait, les témoins poussèrent un cri d'horreur. Mircea et Alfred se signèrent instinctivement et tous les autres s'enfuirent, sauf Simion. Du sang jaillit de la pierre comme si Draculea avait enfoncé sa lame dans de la chair vivante. Le sang coula le long du mur et commença à se rassembler en une flaque pourpre. Soudain, bien que le ciel ait été clair, le tonnerre éclata au-dessus de leurs têtes.
Agrippant le calice de la communion sur l'autel, Draculea le tint sous le flot sinistre, le laissant se remplir avec le liquide cramoisi. Il leva haut le calice et cria :
« Le sang est la vie, et il sera à moi ! »
Puis il jeta sa tête en arrière et vida le calice.
Il y eut un autre coup de tonnerre, comme si le ciel lui-même allait se déchirer. Le sang de la croix coula plus fort, inondant jusqu'au corps de Beta, faiblissant à peine lorsqu'il rencontra l'eau qui avait coulé de ses habits. Des larmes de sang se mirent à couler des yeux de la Madone et de toutes les autres petites icônes et gravures. Les murs mêmes du château Draculea tremblèrent et grognèrent. L'évêque Alfred s'enfuit, babillant de peur et se signant tout en courant. Plus jamais on ne le persuaderait de s'approcher à moins d'une journée de cheval du château Draculea.
Tandis que l'évêque se ruait hors de la chapelle, Draculea hurla et le calice tomba de ses mains. Il déchira son armure, se coupant les mains alors qu'il la retirait de son corps en ouvrant les fermoirs qui la maintenaient en place. Son corps tout entier semblait en feu, comme s'il brûlait de l'intérieur. Simion frémit en voyant que les yeux de son maître n'étaient plus d'un bleu glacé mais d'un rouge sang.
Draculea se tourna et tituba vers Nicolae. Il se laissa tomber à terre et reprit le jeune homme mort dans ses bras. En caressant gentiment le visage pâle, il murmura :
« Tu vois ce que j'ai fait, Nicu ? Je me suis damné pour toi. À présent tu dois revenir. Je sais que ce sera dur, mon petit. Tu erres dans le froid et le noir et ce ne sera pas facile pour toi de retrouver le chemin du retour, mais tu dois essayer. Tout ce que tu as à faire, c'est revenir dans ce monde. »
Draculea pouvait se sentir faiblir.
« Reviens simplement dans ce royaume terrestre, Nicolae, et je te retrouverai, je te le jure. Je t'attendrai, Nicolae, peu importe le temps que cela te prendra pour revenir chez toi. »
Les ténèbres s'épaississaient. Il posa ses lèvres sur la bouche froide de Nicolae. Quand il se rassit, le sang formait une tâche brillante sur les lèvres pâles du jeune homme.
« Mais tu dois revenir. »
Alors qu'il sombrait dans l'inconscience, Draculea murmura :
« Nous nous appartenons l'un à l'autre. »
Simion s'approcha lentement d'eux. Il toucha le dos de Draculea, puis sa gorge. Finalement, il mit sa main sur le visage de Draculea en couvrant sa bouche et ses narines. Il regarda Mircea d'un air dévasté et gémit :
« Il est mort ! »
Mircea qui ne cessait de se signer, un geste dont il semblait à peine se rendre compte, murmura :
« Non, Simion, je doute qu'il soit vraiment mort.
– Que voulez-vous dire, prêtre ?
– Je dois veiller à l'enterrement de ces deux pauvres créatures. Beta reposera dans la crypte des Draculea. Nicolae... »
Il ferma les yeux en signe de douleur.
« Il ne peut pas être inhumé dans une terre consacrée, mais je ne le jetterai pas dans la nature. Je veillerai à ce qu'il soit placé là où il pourra reposer avec un peu de dignité. »
Mircea grimaça.
« En supposant qu'il puisse se reposer. Puis je quitterai cet endroit. »
Lorsque Mircea bougea pour
commencer ses tâches, Simion l'attrapa par le bras et fit
férocement :
« Dites-moi ce que vous voulez dire par là ! Mon seigneur est mort ! Il ne respire pas, son cœur ne bat pas. Je vous le dis, il est mort ! »
Mircea retira gentiment la main de Simion.
« Et je te le dis, Simion, bien qu'il ne soit pas vivant, il n'est pas mort. »
Quand Simion voulut protester contre cette absurdité, il regarda le visage douloureux du prêtre et se tut. Avant de partir, Mircea fit tristement :
« On ne se moque pas impunément de Dieu. Tu pense vraiment qu'Il laisserait Draculea s'échapper aussi facilement ? »
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