Child of the Night 83

Partie Quatre-vingt-trois : Confrontation


L'an de grâce 1892
Asile de Seward, en dehors de Londres


« Renfield. »

L'homme fin dans son pyjama flottant d'interné se tenait devant la fenêtre du bureau du docteur Seward en se penchant très près. Seward songea à lui dire quelque chose à ce sujet, lui dire de ne pas la salir, mais il comprit que ce n'était pas nécessaire. Renfield s'était rendu plusieurs fois dans son bureau et il était toujours fasciné par la fenêtre mais il ne la touchait jamais. Il se tenait le nez à à peine un pouce du verre, ses mains étalées devant lui comme des étoiles pâles, même proches — mais il ne la touchait jamais.


Seward avait appris que, en dépit de son régime bizarre, Renfield était un homme fastidieux à souhait. Alors que les autres internés se complaisaient dans un environnement sordide à moins que le personnel ne nettoie leurs cellules ou les forcent à le faire, Renfield gardait son petit espace immaculé. Seward supposa qu'un moine médiéval n'aurait pas été mécontent de la chambre austère et récurée. Alors que beaucoup des malheureux de son sanatorium collectionnaient des morceaux pathétiques d'ordures pour 'décorer' leurs cellules, Renfield n'avait demandé qu'une seule petite chose — une croix à pendre devant sa fenêtre sans verre et barricadée. Seward avait détesté devoir lui refuser ça mais un objet en bois était hors de question — cela faisait une arme trop potentielle.


Renfield avait contourné cette interdiction de manière plutôt ingénieuse. Quand on lui refusa la croix, il demanda une bible et on exauça son souhait. Renfield avait soigneusement déchiré les pages, les avait roulées en tubes et les avait attachées avec de la ficelle. Il en avait fait plusieurs et ils étaient à présent reliés aux barreaux de sa fenêtre, se désintégrant lentement sous l'humidité du climat anglais.


Renfield pencha la tête en regardant les ténèbres qui s'épaississaient dehors et le docteur Seward lui parla à nouveau :

« Vous voudrez retourner bientôt dans votre chambre, Robert ?

- Bientôt mais pas encore, » fit faiblement Robert.

C'est inhabituel. Il n'aime pas être hors de sa chambre après le coucher du soleil. J'ai connu certains patients qui commençaient à considérer leur cellule comme chez eux, mais d'ordinaire pas si tôt après leur internement. Il est suffisamment content de rester dans les parties communes durant le jour mais quand la nuit tombe, il veut être dans sa cellule avec la porte soigneusement verrouillée.

« Vous devriez y aller.

- Non. Je veux voir la lune se lever. Je veux voir si ça va être comme je le sens.

- Je pourrais vous le dire. »

Renfield secoua la tête.

« Vous ne sauriez pas. Elle ne vous parlerait pas comme elle me parle. »

Un moment, il paraît aussi sain d'esprit qu'un gentilhomme invité pour un thé, puis le moment d'après il semble aussi fou que le chapelier d’Alice aux Pays des Merveilles.


« Qu'est-ce que la lune va vous dire ? »

Renfield lui tourna le dos en se renfrognant.

« Comment le saurais-je ? Savez-vous ce qu'un ami va vous dire quand il vous rend visite ? Je ne suis pas devin, vous savez. Je ne peux que deviner.

- Et que devinez-vous ? »

Il lança à Seward un regard en coin et il y avait une ruse déconcertante dans son expression.

« Oh, je ne peux pas vous le dire. C'est un secret.

- Dites-moi. »

Renfield secoua la tête et Seward prit une voix ferme et qui ne tolérerait pas d'absurdité. Il ne pouvait pas se permettre de perdre le contrôle dans cette relation mais il voulait donner à Renfield l'illusion que c'était un échange équivalent.

« Je sais garder des secrets, Renfield.

- Vraiment ? »

Il désigna le journal en cuir relié qui reposait sur le bord du bureau.

« Vous écrivez tout là-dedans et dans vos notes. Tous les secrets qu'on vous raconte ici. Et si quelqu'un le lisait — comme je l'ai fait ? »


Seward sentit toute couleur quitter son visage.

« Que voulez-vous dire ?

- Vous vous souvenez de la fois où nous discutions et que l'homme qui marche tout le temps a tenté de tuer la femme qui chante ? Vous m'avez laissé ici un moment pendant que vous alliez les voir.

- Mais j'ai dit aux gardiens de vous ramener dans votre chambre.

- Ils l'ont fait — mais pas tout de suite. »

Renfield marcha vers le bureau et passa un doigt sur le bord.

« Vous pouvez apprendre beaucoup d'un homme en examinant sa maison et son bureau. Vous passez tellement de temps ici que cet endroit est les deux pour vous, pas vrai ? »


Il garda son menton baissé mais leva les yeux vers Seward pour lui jeter un coup d'œil furtif.

« Vous êtes un homme confiant, docteur — cela me surprend beaucoup. J'aurais pensé qu'avec ce que vous voyez de la nature humaine ici, vous vous seriez beaucoup plus endurci.

- Nous ne sommes pas ici pour parler de moi, Robert.

- Qu'est-ce que vous utilisez le plus souvent — la cocaïne ou le laudanum ? »

Seward se sentit pâlir.

« Ce sont des médicaments légaux et j'ai le droit de les prescrire.

- Je n'ai jamais dit le contraire. Mon cher, cher — vous êtes tellement sur la défensive. On pourrait croire que je vous ai accusé de quelque chose, docteur. »

Maintenant, Seward sentait qu'il rougissait.

« Vous aimez jouer. »


Le changement dans Renfield fut soudain. Il recula et le regard hanté fut de retour dans ses yeux.

« Non ! Je... Je ne joue pas à ces jeux, pas le genre de jeux dont vous parlez — les jeux de l'esprit — la volonté. Non. »

Il ferma les yeux, son expression devenant rigide. Il murmura :

« Sinn jouait à ces jeux. J'ai toujours senti que quelque chose n'allait pas mais je ne savais pas... Mes pensées étaient si embrouillées. Mais quand je dors ici, il y a les rêves. »

Il gémit doucement.

« De tels rêves. Et je sais qu'ils sont vrais. Ils me montrent ce qu'il m'a fait... ce qu'il m'a fait faire. Des choses grossières et blessantes. »

Il déglutit difficilement.

« Des choses sexuelles. Je n'ai jamais voulu faire de mal à personne. Tout ce que je voulais c'était... c'était être tendre. »

Voici une partie de son problème. Il se sent si coupable qu'il est embrouillé.


« Robert, vous devez comprendre que cette personne ne vous a pas fait faire ces choses. Il vous a peut-être convaincu contre votre gré, mais il n'a pas pu vous forcer. »

Renfield rouvrit les yeux et son regard était morne.

« C'est ce que vous croyez. Docteur — n'avez-vous jamais rencontré quelqu'un qui avait une volonté plus forte que la vôtre ? »

Pendant une fraction de seconde, l'image de Lucy apparut dans l'esprit de Seward — ce doux sourire avec de l'acier derrière.

« Quelqu'un qui pourrait vous convaincre de tout faire — même au détriment de vos plus profondes restrictions ? »

Seward ne dit rien. Il savait que si Renfield avait lu son journal, il avait dû lire ce qu'il avait écrit à propos de Lucy — son désir abject qui l'incitait à continuer à la revoir même si c'était clair qu'elle ne le considérait que comme une distraction, quelqu'un pour la flatter et s'occuper d'elle jusqu'à ce qu'elle en prenne un autre.


Le sourire de Renfield était ironique et compatissant.

« Je ne suis pas sûr que Sinn n'ait pas été pire que Rock. Les tourments de Rock étaient physiques. Il ne m'a pas touché — pas mon vrai moi. Et je n'ai pas laissé Rock avoir ce qu'il voulait vraiment. »

Renfield fronça les sourcils en penchant la tête pour réfléchir.

« Du moins je ne lui ai pas donné ce qu'il demandait. Mais j'ai bien peur qu'il l'ait quand même eu.

- Que voulait Rock ?

- Ce n'était pas vraiment Rock. C'était le diable. Je vous l'ai déjà dit. Les autres sont juste ses serviteurs.

- Alors que voulait le diable ?

- Ce qu'il veut toujours — un innocent. Quelqu'un de pur et de bon à corrompre, à posséder et à soustraire à la lumière.

- Et vous n'étiez pas cet innocent ?

- Ne soyez pas stupide. »

Renfield semblait avoir à nouveau cessé de dériver et sa voix était cassante et pragmatique.

« J'ai su depuis longtemps ce que j'étais, docteur, et ce n'est pas innocent. Pas diabolique mais définitivement pas innocent. »


Il resta calme un moment puis demanda doucement :

« La lune s'est déjà levée ? »

Renfield était dos à la fenêtre. Seward regarda par-dessus son épaule et vit que le ciel s'était complètement obscurci et que la lune se montrait au-dessus des arbres voisins.

« Oui. »

Renfield inspira profondément pour se donner du courage et il se rendit à la fenêtre en regardant dehors. Fasciné, Seward observa Renfield regarder dans la nuit. Puis il tendit la main et cette fois il toucha la fenêtre en pressant ses paumes contre elle puis son front entre ses mains. Il y eut un petit crissement et Seward comprit que c'était le bruit des ongles de Renfield sur le verre. Il fallut un moment à Seward pour se rendre compte que Renfield parlait. Sa voix était presque inaudible, à peine plus qu'un souffle.

« Nonnonnonnonnon. Oh Seigneur, pourquoi êtes-vous aussi cruel ? Ne pouviez-vous pas lui épargner ça ? »


Renfield garda le silence un moment et Seward sentit ses cheveux se hérisser sur son cou alors que l'homme acquiesçait légèrement. Seward pouvait presque imaginer que s'il écoutait attentivement, il pourrait entendre une autre voix qui s'adressait au fou.

« Oui, oui, je vois. Je comprends. Il serait aimé, il serait chéri par-dessus tout et il mérite ça. Je serais content. Mais les autres là-bas... Il est en danger. Ils vont lui faire du mal. Il ne sait pas. »

Renfield redressa la tête en regardant dans les profondeurs obscures du ciel et il leva la voix.

« Quelqu'un doit l'aider. Quelqu'un doit le protéger. Il le faut. »

Sa voix fut soudain un cri perçant.

« Il le faut. »

Ses mains formèrent des poings et avant que Seward ne puisse réagir, il frappa le verre.


Il y avait peu de fenêtres en verre dans cet asile — la plupart des fenêtres n'avaient que des barreaux et des volets. Le verre avait été spécialement commandé, plus épais et solide que la plupart. Seward avait vu un homme grand tenter de se jeter par l'une des fenêtres fermées et à peine fissurer le verre. Le poing de Renfield s'enfonça dans le verre en répandant des éclats scintillants. Seward réagit aussitôt, craignant que Renfield n'utilise le verre brisé pour s'ouvrir les veines.

« Gardiens ! hurla-t-il alors qu'il contournait le bureau pour rejoindre Renfield. »

Renfield mit ses mains en arrière, le verre entaillant le dos de ses mains, et se prépara à frapper à nouveau. Seward l'attrapa par derrière en le saisissant par les bras.

« Arrêtez, Robert ! »


Renfield hurlait toujours. Seward et les gardiens parvinrent à lui mettre la camisole de force bien qu'il les combattit avec une force surprenante. Quand il fut restreint, les gardiens se préparèrent à le ramener dans sa cellule. Il avait alors sombré dans l'incohérence mais juste avant qu'on l'emmène, ses yeux se fixèrent sur Seward et il fit :

« Docteur... docteur, le diable ne va-t-il pas protéger ce qui est à lui ? Ne protégerait-il pas son bien ? »

Les gardes l'emmenèrent et sa voix s'éleva à nouveau en un cri.

« Dites-moi qu'il va le faire ! Pour l'amour du ciel, dites-moi qu'il va le faire... »

Château Draculea


Jonathan se déplaça dans la bibliothèque à pas hésitants. Il s'arrêta juste sur le pas de la porte en regardant autour de lui avec curiosité. Il ne pouvait pas voir grand-chose. Bien que cela ne pouvait pas se comparer à la grande salle, la pièce était pourtant vaste et il n'y avait que quelques bougies d'allumées, surtout près de la porte. La plus grande partie de la pièce était dans l'ombre et il ne pouvait qu'en distinguer des impressions vagues.

Il pouvait dire d'après la résonance de ses pas que la pièce était haute d'au moins deux étages mais l'espace au-dessus de sa tête était si sombre qu'il aurait pu tout aussi bien regarder un ciel nocturne. Mais il y avait quelque chose de différent à propos de cette pièce par rapport aux autres grandes pièces qu'il avait explorées dans le château. Cet endroit donnait une impression de vie et d'usage. Il n'y avait pas d'humidité, pas d'odeur de poussière ou de moisissure. Il pouvait sentir l'odeur plutôt agréable de la fumée de bois, de cire d'abeille, de cuir et l'odeur indéfinissable et légèrement renfermée des vieux livres.


Il n'avait pas souvent connu ce genre d'atmosphère puisque le bureau de son père était plutôt aseptisé — strictement un endroit pour des affaires froides, pas pour la relaxation, l'amusement ou la contemplation. Mais il reconnut pourtant l'aura de cette pièce et la trouva étrangement réconfortante. Il se rendit compte qu'il ne s'était jamais autant senti chez lui quelque part — pas depuis la mort de sa mère.

Il regarda autour de lui en tâchant de distinguer les détails. D'après ce qu'il pouvait voir, les murs étaient recouverts d'étagères bien au-dessus de sa tête — peut-être jusqu'au plafond. Toutes les étagères semblaient être remplies de livres de toutes tailles et de piles nettes de papiers. Il fit un pas de plus dans la pièce puis encore un autre en laissant la porte se refermer. Il pouvait distinguer la silhouette de meubles devant lui. Cela ne ressemblait pas à une chaise ou un canapé. Curieux, Jonathan se retourna et prit une bougie d'une applique près de la porte puis il se dirigea vers cet objet.


C'était une table apparemment utilisée comme bureau. Jonathan en étudia le contenu en tendant la main pour toucher un objet ci et là. Il y avait plusieurs plumes sur le côté, près d'elles un petit couteau qui devait servir à aiguiser les pointes. Jonathan se souvint que sa mère lui avait dit que sa propre grand-mère avait une excellente écriture en utilisant une plume blanc-neige des plus élégantes et Jonathan sourit à cette antiquité pittoresque. Il ouvrit une petite boîte en bois délicatement sculptée et découvrit du sable pour sécher l'encre. Non loin il y avait une lourde bouteille d'encre polie. La lumière vacillante de la bougie se refléta doucement dessus et Jonathan la souleva pour mieux regarder. Il se rendit compte sans surprise que c'était en or — probablement en or pur voire plaqué, à en juger par son poids. Il la reposa rapidement mais prudemment. Ce ne serait pas bien qu'on le surprenne à toucher les objets de valeur de son hôte.


Il remarqua qu'une mare de cire liquide tremblait au bord de la bougie et recula rapidement avant qu'elle n'éclabousse le bureau. Il heurta quelqu'un — un corps solide et froid et il se retourna, surpris.

Rock le regarda avec un petit sourire secret sur les lèvres.

« Je savais que vous ne pourriez pas résister longtemps à cette pièce.

- Je ne voulais pas déranger...

- Oh, vous ne dérangez pas — déranger signifie que celui à qui vous parlez est ennuyé par votre présence. Ce n'est pas mon cas alors vous ne dérangez pas. Par contre, je pense que vous êtes entré sans permission. Le prince ne vous a-t-il pas demandé de ne pas venir ici ? »

Jonathan se sentit rougir.

« Oui, vous avez raison. Je n'aurais pas dû entrer. Je n'en avais pas l'intention, vraiment. La porte était ouverte et j'allais juste la refermer, mais pourtant... »

Il leva les mains, impuissant.

« Pas besoin de m'expliquer. Personnellement, je ne comprends pas pourquoi il vous refuse cet endroit. Après tout c'est votre pièce. »


Jonathan avait toujours trouvé Rock un peu étrange depuis le moment où il avait rencontré ce jeune homme morose, mais il s'était toujours montré sensé avant.

« Je vous demande pardon ?

- C'est votre pièce. Il l'a faite pour vous.

- Je ne comprends pas. »

Ses yeux dérivèrent vers les murs de livres.

« Cela a dû prendre des générations pour réunir une telle collection. Le prince ne savait pas que j'allais venir un mois avant.

- Oh, il vous a attendu depuis plus longtemps que ça. Il vous a attendu pendant... des générations. »

Ce qu'il dit est complètement absurde.

« Je ne devrais vraiment pas être ici. »

Il commença à dépasser Rock pour atteindre la porte.

Rock leva un bras pour bloquer Jonathan.

« Pas encore. Vous n'avez pas vu l'attraction principale de cet endroit. Il faut vraiment que vous le voyez — c'est une véritable œuvre d'art. Sinn dit que ça aurait sa place dans n'importe quel musée d'Europe et Sinn s'y connaît en la matière. »


Jonathan le regarda, son corps commençant à se tendre, et le sourire de Rock s'élargit.

« Cela ne prendra qu'un moment — c'est juste de l'autre côté de la pièce. Et je vous jure, c'est une expérience inoubliable. »

Il prit la manche de Jonathan.

« Venez. »

Jonathan s'était raidi mais il laissa Rock le conduire plus loin dans la pièce en pensant qu'il valait mieux se prêter à ses caprices.

Ils arrivèrent près d'une cheminée et Rock désigna une grande peinture qui était accrochée au-dessus. Jonathan plissa les yeux mais tout ce qu'il pouvait voir à la faible lumière de la bougie, c'était qu'il s'agissait d'un portrait de plein pied. Rock l'étudiait, quelque chose d'étrangement avide sur son visage. Jonathan le regarda et fit poliment :

« Oui, c'est très joli. »

Rock renifla.

« J'oubliais que les humains ont la vue basse. Donnez-moi cette bougie. »


Il prit impatiemment la chandelle. Un peu de cire chaude tomba sur le dos de la main de Jonathan et il haleta légèrement à la piqûre en portant rapidement la main à sa bouche pour la sucer. Alors qu'il s'occupait de sa petite blessure, Rock utilisa la bougie pour allumer une petite lampe à huile sur la tablette de la cheminée. Un lumière douce et dorée envahit les environs.

« Là — ça devrait suffire à présent. Regardez maintenant. »

Jonathan leva les yeux vers le tableau. C'était apparemment une antiquité et fait par un véritable artiste, pas juste un peintre. Même le style était vaguement familier. Jonathan sentait que s'il avait le temps de l'étudier, il pourrait retrouver le nom de l'artiste. Le sujet était assis à une table et Jonathan se rendit compte avec une pointe d'émotion que c'était la même table qui se trouvait derrière lui. Elle était presque identique, jusqu'aux objets répandus sur sa surface. Le sens historique était presque suffisant pour inspirer un respect mêlé de crainte — savoir qu'il allait voir le portrait de quelqu'un qui avait vraiment utilisé cette table, travaillé dessus, peut-être rêvé dessus, tant d'années auparavant alors qu'elle était encore neuve. Il leva encore plus les yeux, son intérêt piqué.


Les cheveux sombres flottant sur les épaules lui firent d'abord penser que c'était le portrait d'une jeune femme mais il y regarda à deux fois. La bouche large était ferme et les traits finement coupés strictement masculins. Les cheveux tombaient sur le front et Jonathan pouvait imaginer une de ces longues mains d'érudit les remettant distraitement en place. Les yeux était grands et sombre, légèrement en amande. L'expression était chaleureuse et vivante, comme si le sujet regardait au-delà de l'image vers quelqu'un d'important pour lui. Le portrait était bien éclairé mais pourtant Jonathan avait l'impression qu'il était un peu trouble. Il se renfrogna en l'étudiant intensément. Soudain quelque chose se mit en place.

Ce fut comme si un voile s'était retiré pour laisser une image claire et indéniable. Jonathan se figea, son cœur battant soudainement dans sa poitrine, sa tête légère. C'est moi. Ça ne me ressemble pas simplement, c'est moi ! Ça ne pourrait pas être plus ressemblant que si j'avais moi-même posé. Seigneur, c'est presque comme la photographie que j'ai prise. Je pense que c'est même mieux car ça contient un peu de vie...


Une main se referma sur son bras, le tirant de sa contemplation hébétée.

« Oui, tu te reconnais, n'est-ce pas ? »

Il y avait une sombre satisfaction dans la voix de Rock.

Jonathan murmura :

« Ma famille ne vient même pas de cette région — mes ancêtres sont tous Anglais. Mon père ne m'a jamais permis d'oublier ça. C'est impossible.

- Et pourtant c'est là. Tu n'as toujours pas compris, pas vrai ? Ce qui est impossible ailleurs n'est pas aussi improbable ici, Nicu. »

La tête de Jonathan pivota pour fixer Rock.

« Comment m'avez-vous appelé ? »

Le sourire de Rock s'élargit d'une oreille à l'autre.

« Je crois que le bon nom est Nicolae mais le surnom, le nom d'amant, est Nicu, pas vrai ? »


Jonathan recula.

« C'est comme ça que m'appelait ma mère. Elle est la seule à l'avoir jamais fait. »

Rock secouait la tête.

« Non, pas la seule — même pas la première. Tu ne te souviens pas de quelqu'un d'autre ? Essaie. Réfléchis très, très fort. Une voix qui murmure dans le noir ou qui appelle de très loin... »

Jonathan frémit alors qu'un bref souvenir lui revint à l'esprit. Il était très petit, agenouillé dans sa chambre sombre devant une fenêtre ouverte et une brise caressait ses joues comme des doigts froids et il entendait... J'ai vraiment entendu ? Maman était là et elle n'a rien entendu, mais alors pourquoi avait-elle si peur ? Quelqu'un m'appelait et il semblait si triste.


Il sentit à nouveau une caresse froide sur son visage mais cela n'avait rien de gentil. Une main dure agrippa sa joue en le poussant dos contre la cheminée.

« Je ne t'ai jamais rencontré lors de ta première existence sur terre — si c'était bien la première fois. Pour ce que j'en sais, ce diable et toi vous pouvez bien avoir dansé depuis l'aube des temps et continuer jusqu'à l'Armageddon. Je m'en fiche. Tu es ici maintenant. »

Le contact de Rock s'adoucit jusqu'à ce qu'il caresse le visage de Jonathan et sa voix était presque songeuse.

« Et tu es magnifique. En oubliant toutes ces absurdités sur le sort et le destin, je peux voir pourquoi il te veut. »

Jonathan avait été alarmé mais en regardant dans les yeux de Rock, il connut une bouffée de peur véritable.

« Vous êtes fou. »

Rock acquiesça aimablement.

« En effet. »







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