Child of the Night 94

Partie Quatre-vingt-quatorze : Préparatifs et visite



L'an de grâce 1892
Le manoir Westenra, en dehors de Londres


Alors que la tempête faisait rage en mer...


« Arrête de bouger, Lucy. Je ne vais jamais pouvoir finir ce nœud si tu te retournes sans arrêt pour regarder. »

Mina se tenait derrière Lucy en essayant de faire un nœud symétrique dans la ceinture du tablier que son amie essayait. L'une des bonnes se retrouvait avec un tablier en moins à présent et la gouvernante n'était pas du tout ravie d'avoir à le remplacer. Elle avait dû rassurer un bon moment la jeune fille bouleversée que le prix du nouveau tablier ne serait pas déduit de ses gages.

« Là, fit Mina. C'est aussi bon que possible. On ne peut pas faire mieux avec des bandes fines — elles ont tendance à retomber. »

Lucy se tint sur le côté pour qu'elle puisse bien voir le nœud dans son miroir de plein pied. Elle se renfrogna.

« Les boucles tombent horriblement. Il va falloir que la couturière mette une ceinture plus large. »

Elle passa ses mains sur sa taille.

« Ce sera beaucoup plus flatteur.

- Ce n'est pas censé être flatteur. C'est censé être pratique, » fit Mina, amusée.


Toute demeure qui se respectait et qui pouvait se payer des aides régulières obligeait ses serviteurs à porter un certain type de vêtements et seules les familles les plus riches en amortissait le coup (bien que de temps en temps, les classes moyennes utilisaient les fêtes de Noël comme une occasion d'"offrir" à leurs employés le tissu pour faire les uniformes requis). Le tablier que Lucy essayait était typiquement fait pour protéger les uniformes. Il était aussi grand qu'elle, recouvrant complètement le devant de son corps de la nuque à l'ourlet, et il était en coton robuste.

Lucy continua de froncer les sourcils en observant l'habit.

« C'est très simple, n'est-ce pas ? Il a besoin d'être plus pimpant. Je demanderai à ce qu'on rajoute une rangée de dentelle au bord — non, deux rangées. Et la couturière pourrait descendre un peu la ligne du cou et rajouter un peu de dentelle belge que Père a rapportée de son voyage à Paris. Que dirais-tu d'un motif de fleurs et de vignes sur le corsage ?

- Je dirais que c'est stupide. Si tu veux vraiment soigner Jonathan...

- Oh, mais tu ne crois pas que ça l'AIDERAIT d'avoir quelque chose de joli et de joyeux à voir ? »


Elle tapota la main de Mina.

« Mis à part toi, ma chère. Tu es très jolie mais tu n'es pas très joyeuse ces derniers temps et je sais que tu vas t'agiter autour de lui. »

Elle baissa à nouveau les yeux sur le tablier et soupira.

« C'est vraiment impossible comme ça mais je suis sûre que la couturière va nous arranger ça en deux temps, trois mouvements. Je veux que ce soit prêt pour le retour de Jonathan, alors elle devra juste renoncer quelques temps à la tache ennuyeuse de repriser les vieux vêtements. Viens, Mina. Je veux montrer à Père de quoi j'ai l'air en infirmière. »

Mister Westenra passait en général une bonne partie de la journée dans son bureau et ce fut là que les filles allèrent en premier, mais il était vide. Le maître d'hôtel de la famille, Watkins, passait dans le couloir et Lucy l'arrêta.

« Watkins, où est Père ?

- Votre père est dans le grand salon, miss Lucy. Il... »

Fidèle à sa nature impatience, Lucy n'attendit pas la fin de l'explication mais s'était déjà dirigée vers le salon.

« Mais il reçoit un gentilhomme ! »


On l'ignora, bien sûr, alors que les deux jeunes femmes se dépêchaient, bien que Mina lui fit un léger sourire d'excuse. Quand il fut sûr que Lucy ne pourrait plus l'entendre, Watkins, marmonna :

« Gamine insolente ! Ça ne FAIT tout simplement pas ! »

Les jeunes filles bien élevées ne faisaient PAS irruption chez leurs parents, surtout quand il y avait un visiteur mâle qui ne leur avait pas été formellement présenté.

Lucy arriva dans le salon en babillant.

« Père, il faut que vous me donniez votre avis sur les modifications que j'ai prévues pour ce tablier. Je veux... Oh ! »

Elle s'arrêta net en fronçant joliment les sourcils.

« Vous avez un visiteur. Comme c'est négligé de la part de Watkins de ne pas m'avoir avertie. Je suis navrée d'avoir fait irruption. »


Mister Westenra et son invité étaient assis sur un petit canapé et les deux hommes se levèrent lorsque les filles entrèrent dans la pièce.

« Lucy, ma chère, tu sais que tu es toujours la bienvenue, mais vraiment, tu aurais dû te renseigner d'abord.

- Mais je l'ai FAIT, Père. J'ai demandé à Watkins où vous étiez et il m'a dirigée ici. Je suis sûre qu'il ne m'a pas dit un mot sur un invité. »

Tout en parlant, elle étudiait l'homme à côté de son père. Elle ne le connaissait pas depuis longtemps mais il était dur de l'oublier.

Alors qu'elle ne comptait pas Quincy Morris parmi les gens de sa propre génération, il était encore assez jeune — pas plus de trente ans — et très beau. Il était grand, plus de six pieds, et était bien bâti. Il avait les yeux sombres et quand il souriait, ils se plissaient aux coins d'un air charmant. Ses cheveux étaient noirs et épais, et bien qu'ils soient d'une longueur acceptable, ils n'étaient pas attachés convenablement mais tombaient naturellement.


Il était évident avant même qu'il ne dise un mot qu'il n'était pas Anglais. Quincy n'aurait pas pu renier ses origines même s'il l'avait voulu. Sinon, ses vêtements l'auraient trahi. Le costume était de toute évidence bien fait et décemment sobre, mais quelque chose disait qu'il avait été taillé plus pour le confort et le pratique que pour la mode. Mais il y avait trois choses qui trahissaient vraiment son origine — les bottes brillantes, l'étrange cordelette en guise de cravate et l'énorme couteau pendu dans un étui à sa ceinture.

Les yeux de Lucy s'écarquillèrent quand elle vit ce dernier accessoire — il n'avait encore jamais porté ça avant — et elle leva les yeux rapidement vers son visage. Ce qu'elle y vit calma toute appréhension momentanée. C'était la même vieille expression — celle qu'elle avait inspirée chez presque tous les hommes qu'elle avait rencontrés depuis qu'elle avait quitté l'école. Elle lui sourit.

« Et il n'a sûrement pas dit à quel point notre invité était fascinant. Bonjour, mister Morris. »


Elle se rendit à côté de son père en lui prenant le bras.

« Allons, ne soyez pas un ours mal léché. Nous avons été proprement présentés depuis longtemps alors vous n'allez pas nous demander de partir à Mina et moi, n'est-ce pas ? »

Mister Westenra soupira tristement.

« Il sera inutile d'espérer obtenir quoi que ce soit de sensé de sa part si je vous renvoie. »

Lucy tendit la main.

« Comme je suis ravie de vous revoir à nouveau, mister Morris. Et comme c'est mal de votre part de ne pas avoir présenté d'abord vos hommages à la maîtresse de maison.

- Je vous demande pardon, miss Westenra. Je n'étais pas sûr que ce soit correct. Au Texas, il y a des gens qui pourrait penser qu'une telle familiarité exige une bonne connaissance du fouet. »

Lucy gloussa en regardant Mina.

« Mina, n'a-t-il pas le plus délicieux des accents ? Et nous nous connaissons trop bien pour rester si formels ici. »


Elle pencha le menton et le regarda à travers ses cils (une manœuvre qui n'avait jamais manqué d'enchanter ses amis gentilshommes).

« En fait, je pense qu'il est grand temps que vous m'appeliez par mon prénom. »

Quincy rougit et Mina songea : Pauvre homme. Il n'a pas la moindre chance. L'usage familier de son prénom était un privilège que Lucy accordait plus facilement que la plupart des jeunes filles de son rang.

« Lucy...

- Oh, ne me gronde pas, Mina. Père n'est pas en train de le faire.

- Ce n'est pas parce que je ne pense pas que ce n'est pas vraiment correct, Lucy. »

Mina fut surprise d'entendre une vraie note de désapprobation dans la voix de mister Westenra. Cela ne dura pourtant pas longtemps.

« Mais je suppose que c'est bon. »

Lucy regarda de nouveau Morris.

« Et vous allez me laisser vous appeler Quincy, n'est-ce pas ?

- Lucy ! » haleta Mina.

À présent, elle ÉTAIT scandalisée. Une telle requête était à la limite de l'effronterie.


Quincy rougissait encore plus et il lança un regard désespéré au père de Lucy. Mister Westenra avait pris plus de couleurs et Mina avait le sentiment que Lucy allait en entendre parler plus tard — mais ce serait en privé. Mister Westenra était bien trop élevé pour punir sa fille en face d'un invité pour avoir manqué au décorum. Il fit d'un ton sec :

« Ce sera acceptable si mister Morris le souhaite. »

Quincy agita la tête.

« J'en serais honoré.

- Oh, ne vous en faites pas, Père. Nous allons garder les bons titres, n'est-ce pas, mister Quincy ? Père, puisque vous faites affaires avec mister Quincy, ne serait-il pas plus pratique et plus hospitalier de l'inviter à rester ici jusqu'à la fin de son séjour en Angleterre ? »

Son père haussa un sourcil mais fit :

« Inutile de me cajoler, ma chère. J'ai déjà l'intention d'inviter mister Morris à rester une semaine ou deux avec nous. Je pourrai le présenter à nos amis et veiller à ce qu'il ait les bonnes relations. Qu'en dites-vous, Quincy ? »


Il écarta les mains.

« Nous avons plein de chambres et j'apprécierais un peu de compagnie. Je suis sûr que Lucy et Mina aimeraient aussi. Les filles aiment avoir un autre jeune homme sous la main pour les cours de danse.

- Merci, monsieur. J'accepte votre aimable invitation.

- Bien. Vous pouvez dire à votre valet de faire vos valises et de les amener ici.

- J'ai bien peur de ne pas avoir de valet, monsieur. »

Il eut un sourire penaud.

« Mon 'Pa ne croit pas en eux. Il dit qu'un homme doit pouvoir s'habiller tout seul.

- C'est très démocratique. Je demanderai donc à MON valet de faire ce travail, alors.

- Merveilleux ! fit Lucy. Mister Quincy, vous pouvez commencer tout de suite vos devoirs d'invité en me disant ce que vous pensez de ce tablier. Je vous garantis que ce n'est pas mon accoutrement habituel mais nous avons un invalide qui va bientôt venir vivre ici. »


Elle étendit le bas du tablier.

« Avouez — j'ai l'air horrible, n'est-ce pas ?

- Miss Westenra, fit-il sincèrement, vous ressemblez à un ange de miséricorde.

- Comme c'est charmant. »

Elle passa un bras sous le sien en levant les yeux vers lui.

« Laissez-moi vous montrer notre jardin, mister Quincy. Je sais que je ne vous ai pas encore fait visiter et je suis très fière de nos roses.

- Oui, fit sèchement Mina. Les jardiniers font des merveilles avec. »

Quincy semblait si enchanté par Lucy qu'il ne remarqua le regard ennuyé qu'elle lança à Mina.

« Mais est-ce vraiment raisonnable, Lucy ? »


Elle indiqua une fenêtre. Le paysage dehors était très sombre, plus sombre que d'ordinaire à cette heure de la journée. Ils pouvaient voir les branches des arbres s'agiter presque brusquement.

« Il y a une tempête sur la mer. Vous pourriez être trempés.

- Je ne m'inquiète pas, fit Lucy d'un ton imprudent. Il y a des parapluies dans le couloir. »

Elle se rapprocha de Quincy en se blottissant à ses côtés.

« Et je suis sûre que mister Quincy en tiendra un pour me protéger. »

Non, songea Mina en se sentant un peu désolée pour Morris. Vraiment pas la moindre chance.

La tempête se déchaînait toujours sur le Célestine mais la mer derrière commençait à s'éclaircir un peu. Le navire était encore poussé par le reste de la force de la tempête. Si les estimations du second étaient correctes, ils allaient beaucoup trop vite. Il faudrait qu'ils abaissent les voiles et jettent l'ancre s'ils ne voulaient pas s'échouer. Les autres feraient mieux de terminer rapidement leur travail.

Une silhouette apparut sous la pluie en montant la petite volée de marches qui conduisaient à la passerelle.

« Capitaine, appela-t-il avec empressement, c'est fait ? C'est fini ?

- Oui. »

La voix était étrange.

« C'est fini — pour lui, en tout cas. »

L'homme qui montait les escaliers représentait le pire cauchemar du second. Il était étrangement pâle, si pâle que sa peau semblait presque lumineuse, et ses cheveux noirs étaient plaqués sur ses épaules. Cela aurait pu être un corps noyé rejeté des profondeurs, couvert de varech. Mais alors que le temps passé livré à l'impitoyable mer pouvait expliquer la silhouette légèrement déformée, cela ne pouvait pas expliquer la lueur rouge de ses yeux.


Il aurait bien crié mais la peur lui coupa le souffle. Les autres hommes qui suivirent paraissaient plus humains, bien que deux d'entre eux arborent les mêmes yeux brillants, mais tous paraissaient menaçants.

« Je n'ai rien fait ! fit l'homme d'une voix rendue aiguë par la terreur. Je n'ai pas quitté la barre.

- Tu te défends avant même d'être accusé. Si tu clames ton innocence, alors tu dois savoir qu'on a tenté de nous faire du mal. Qu'as-tu fait pour l'empêcher ?

- Je vous en prie, ne me tuez pas.

- Au moins, tu es assez intelligent pour ne pas protester plus. Combien de temps avant que nous atteignions la terre ?

- Je... Je n'en suis pas sûr, mais bientôt. Très bientôt. Je suis sûr qu'on aurait déjà pu voir la terre à l'heure qu'il est, s'il n'y avait pas eu la tempête. Je peux vous amener à bon port si vous me laissiez juste vivre. »


Draculea se rapprocha.

« Je peux te sentir mentir même avec cette tempête, humain. Tu n'as jamais eu l'intention de nous amener à destination, et si on te laisse nous conduire au port de ton choix, il y aura probablement plus de gens de ton espèce pour nous accueillir. Je ne doute pas que mes enfants et moi-même pourrions nous occuper d'eux mais je ne veux pas risquer la vie de mes serviteurs mortels si je peux l'éviter. Je préférerais plutôt prendre le risque de débarquer sans guide.

- Il se peut que nous n'ayons pas vraiment le choix, mon seigneur, fit Simion. Écoutez. »

Draculea se tourna pour faire face à la même direction que le vent qui poussait le bateau. Il y avait un nouveau son à peine audible par-dessus la colère de la tempête.

« Des vagues qui frappent le rivage ? »

Simion acquiesça.

« Nous devons être tout proche, Domn.

- Regardez ! »


Rill pointa le doigt. De faibles taches de lumière étaient à peine visibles sous la pluie.

« Si nous sommes assez près pour voir les lumières des maisons même sous ce déluge... »

Draculea regarda à nouveau le second.

« Alors nous n'avons plus besoin de toi. »

Il se dirigea vers le marin apeuré puis recula avec un sifflement de colère quand il vit le rosaire que l'homme tenait.

Simion vit tout de suite le problème. Il s'avança en tirant son couteau de sa ceinture. Le second commença à tenter de se libérer des cordes dont il s'était servies pour s'attacher à la barre en babillant :

« Pitié ! Je n'ai fait de mal à personne, pitié.

- As-tu eu pitié de l'homme qui veillait sur mon maître ? Aurais-tu eu pitié de lui, de moi ou même de celui qui m'est le plus cher au monde ? Tu OSES demander pitié maintenant ? »


Le couteau s'abattit et le second hurla. Le rosaire tomba de doigts engourdis quand Simion déchira les tendons dans le dos de la main de l'homme. Simion donna un coup de pied au rosaire et il glissa pour disparaître dans les ombres humides qui recouvraient le pont. Alors que Simion rengainait son couteau, le second le regarda avec une surprise muette et angoissée.

« Non, je ne vais pas te tuer. »

Il fit un pas de côté et la dernière chose qu'entendit le marin alors que Draculea s'approchait de lui fut :

« Ce n'est pas mon droit. »

Quincy Morris s'assit à côté de Lucy Westenra au dîner. La jeune fille ne cessa de discuter brillamment tout au long du repas et le temps que les desserts soient servis, Quincy était un peu plus qu'étourdi. Il se rendit compte avec surprise que Lucy était délibérément en train de le charmer.

Il n'était pas habitué à ça. Quincy avait grandi à la frontière américaine. Les femmes restaient toujours les mêmes partout dans le monde, supposa-t-il, mais les femmes avec qui il avait grandi tendaient à être plus pratiques et directes. Le nombre de femmes pour les hommes était encore très bas et même les filles simples pouvaient avoir un certain nombre de prétendants. Il n'y avait pas vraiment beaucoup de vieilles filles au Texas — les femmes y étaient trop peu nombreuses.


Le fait était qu'on avait envoyé Quincy à l'étranger plus ou moins pour se trouver une épouse. Sa mère avait décidé qu'il était temps que Quincy s'installe et perpétue la lignée de Morris. Puisqu'aucune des filles locales ne lui avaient tapé dans l'œil, il pourrait peut-être en trouver une dans l'Est, en Grande-Bretagne ou en Europe. Il avait reçu l'ordre strict de revenir avec une fiancée.

Quincy avait vraiment l'intention d'obéir. Après tout, c'était ce que les hommes de son âge et dans sa position FAISAIENT — ils se trouvaient une épouse et avaient des enfants — et c'était que ce Quincy allait faire. Il ne pouvait sérieusement pas dire à sa mère que l'idée de partager son lit avec la plus belle des femmes ne l'enthousiasmait pas du tout. Sa mère ne comprendrait jamais qu'un derrière rembourré ne pourrait jamais l'exciter comme pouvait le faire un derrière musclé.


Il n'y avait tout simplement pas eu assez de filles dans les environs alors que Quincy grandissait. Ce n'était pas rare pour lui d'avoir passé des mois sans voir une fille de son âge. Mais il y avait plein d'autres hommes — et étant donné le manque de femmes, ce n'était pas surprenant que certains d'entre eux partagent le même intérêt pour leur propre sexe que Quincy. Mais aucun d'entre eux, même ceux qui ne s'intéressaient pas du tout aux femmes, ne se montraient ouverts sur leurs préférences pour les hommes. Il était beaucoup plus sûr et plus confortable de conserver les apparences.

Quincy devait juste épouser et mettre une femme enceinte — il ne devait pas en tirer du plaisir. Il avait l'intention de se trouver une fille agréable et convenable, de l'épouser, de fonder une famille et de continuer à satisfaire ses désirs charnels avec la même discrétion que jusqu'à présent. Il songea que Lucy Westenra remplirait ce rôle à merveille. Elle venait d'une famille respectable, une dont la richesse les mettait sur le même niveau que les Morris. Elle était intelligente et parlait bien. Sa mère adorerait présenter une telle fille à son cercle d'amies à la maison. Et elle était si jolie et aguichante que personne ne s'étonnerait si Quincy demandait sa main après l'avoir connue depuis si peu de temps.


Un autre avantage était que Quincy sentait que Lucy serait satisfaite avec les démonstrations les plus courtoises de romance. Alors qu'elle souhaitait sans doute que ses prétendants lui fassent l'amour avec des cadeaux, des flatteries, des déclarations fleuries et des baisers occasionnels, elle préférerait sûrement éviter les aspects plus terre-à-terre. Elle serait du genre à, selon la vieille plaisanterie, 'fermer les yeux et penser à l'Angleterre'. Quincy songea que tant que son époux se montrait discret, la traitait avec respect et veillait à ce qu'elle ait tout le luxe désiré, Lucy se contenterait de regarder ailleurs.


En d'autres mots, elle serait la femme parfaite pour Quincy. Il avait décidé de la demander en mariage après l'avoir rencontrée pour la première fois. Puis il avait observé un peu et avait écouté les ragots des serviteurs et s'était rendu compte qu'il n'était pas le seul en course. Lucy avait manipulé ce docteur de l'esprit — Seward — depuis un moment déjà. Il était évident même pour un étranger comme Morris qu'elle ne l'épouserait jamais. Elle n'était pas faite pour être l'épouse d'un médecin. Ce noble — le seigneur Arthur Holmwood — était un rival beaucoup plus sérieux. Il avait l'argent et la position d'offrir à Lucy tout le luxe et le prestige qu'elle voudrait. Pourtant, Quincy se disait que tout n'était pas perdu. On n'avait pas annoncé officiellement leurs fiançailles. S'il pouvait convaincre Lucy qu'au Texas, elle ne serait pas juste une jeune dame parmi plusieurs mais qu'elle serait la reine d'un ensemble sociable étendu... Et bien, il valait mieux être un gros poisson dans un petit étang, et il pourrait utiliser ça à son avantage.

Quincy laissa le bavardage de Lucy lui passer par-dessus la tête en l'observant avec une expression soigneusement charmée et commença à estimer le temps qu'il devrait attendre et s'il devait parler d'abord à Lucy ou bien à son père.

« Je comprends pourquoi vous voulez que Rill retourne dans sa boîte — il ne peut pas nager — mais je ne comprends pas pourquoi -je- devrais être enfermé aussi, grogna Sinn.

- Parce que débarquer à terre sera suffisamment dur sans que je m'inquiète pour toi, coupa Draculea. Ma patience atteint ses limites, Sinn.

- Oh, très bien. »

Le vampire français marmonna sous sa barbe mais il s'installa dans l'une des caisses de rechange.

Les couvercles avaient été endommagés sur les trois premières caisses et ils avaient décidé que la présence de loquets brisés pourrait encourager ceux qui découvriraient le bateau à les ouvrir. Une fois Sinn en place, Salazar cloua le couvercle en utilisant bien plus de clous que nécessaire.


Simion tenait la main de Rill.

« Tu comprends pourquoi c'est nécessaire, Rill ?

- Oui, fit Rill. Parce que le navire peut couler avant de s'échouer et si ça arrive, la caisse va flotter jusqu'à la côte, comme un bateau.

- Si nous coulons, je veillerai à ce que ça arrive. Si nous nous échouons, Salazar, le prince et moi-même irons à terre et nous irons dans un endroit sûr. Puis je reviendrai pour Sinn et toi aussi vite que possible. Cela ne devrait pas durer plus d'un jour. Si le bateau n'est pas découvert, Salazar et moi engagerons quelques hommes discrets pour nous aider. S'il EST découvert... »

Il tapota sa poche.

« ... j'ai une lettre prouvant que je suis le représentant du prince en Angleterre et que j'ai le droit de récupérer la marchandise de ce bateau. Ne t'en fais pas.

- Je ne m'en ferai pas, fit Rill d'un ton placide. Tu prends toujours soin de moi. »

Il embrassa Simion et s'allongea dans sa caisse en lançant à son amant un dernier sourire alors que Salazar refermait le couvercle et commençait à le clouer.


Draculea observa l'inquiétude sur le visage de son ami et posa une main sur son épaule.

« Je suis désolé que cela doive se passer ainsi, Simion.

- Il n'y a pas d'autre choix, Domn. Si on retrouve l'un de nous sur le bateau, les autorités voudront savoir ce qui est arrivé à l'équipage. Bien que vous puissiez vous débrouiller sans votre caisses, les autres n'en sont pas capables et nous ne pouvons pas être sûrs à cent pourcent de trouver un endroit où s'abriter avant l'aube. Non, c'est mieux ainsi. Je pense que nous allons bientôt toucher terre. Salazar, vous et moi pourrons débarquer en sécurité. D'après ce que j'ai entendu de ces vauriens, nous devrions débarquer près de l'une des propriétés que vous avez achetées. »

Le navire n'avait cessé de bouger depuis le début de la tempête mais il y avait désormais quelque chose de différent. Au lieu du roulis habituel, le navire fit une embardée et il y eut un grincement. Les planches vibrèrent sous leurs pieds. Simion et Draculea échangèrent un regard et avant que l'un d'eux ne puisse parler, cela recommença.


« Il semble que notre débarquement est imminent, fit Draculea. Salazar, ils sont en sécurité ? »

Le tzigane laissa tomber le marteau et tapota le couvercle du cercueil de fortune de Rill.

« Serré et sûr, mon seigneur. J'ai pris des précautions supplémentaires. Même si l'eau atteignait le bord, ils resteraient au sec dans leurs nids jusqu'à ce que nous puissions les récupérer. »

Le navire trembla et bondit à nouveau alors que les trois hommes grimpaient à l'échelle et ils durent bien se tenir aux barreaux pour éviter de retomber dans la cale, mais ils atteignirent le pont. Ils se rendirent à la proue du navire et ils pouvaient à présent voir la terre. La côte était clairement visible à travers la pluie qui l'avait cachée avant. Ils pouvaient distinguer l'écume des vagues sur le sable à même pas une centaine de yards.


Le bateau bondit à nouveau en jetant les trois hommes contre la lisse — puis il s'immobilisa. La force des vagues faiblissait et elles ne suffisaient plus à ébranler la charpente du navire. Il était bel et bien logé contre le fond de l'océan. Il aurait fallu une marée particulièrement forte pour le déloger et ce n'était même pas certain.

Simion désigna un essaim de lumières.

« Cela ressemble à un village. Il devrait y avoir une auberge où nous pourrons enquêter. »

Draculea ne répondit pas et Simion se tourna pour le regarder. Le vampire regardait dans une autre direction, vers un plus petit amas de lumières. Cela ressemblait plus à un grand bâtiment.

« Maître ? »

Les traits de Draculea avaient repris leur forme mortelle et il paraissait à présent songeur. Ses yeux se plissèrent de concentration puis s'écarquillèrent. Il regarda Simion et fit :

«  Renfield. »


Simion fronça les sourcils.

« Vous en êtes sûr ?

- Oui. Nous sommes liés depuis que je l'ai aidé à guérir après les tortures de Rock. La connexion n'est pas aussi forte qu'entre toi et moi, mais je peux le sentir. »

Il ferma les yeux et se concentra.

« Il m'appelle.

- Vous irez le voir, mon seigneur ? »

Draculea ouvrit les yeux.

« Jonathan va bientôt arriver en Angleterre. »

Il ne poursuivit pas mais Simion savait ce qu'il allait dire. Quand Jonathan arriverait, Draculea tournerait toute son attention et ses efforts pour faire la cour à son amour réincarné.

« Rill le veut, Domn. Et moi aussi. Il a besoin de nous et vous l'avez placé sous votre protection. »


Draculea soupira.

« J'ai honte que tu doives me rappeler mes devoirs, mon vieil ami. Tu auras ton petit commis, mais je ne peux pas te promettre que ce sera tout de suite.

- Je comprends, mon seigneur. Il y a des priorités.

- Salazar et toi, vous pouvez descendre la barque et vous rendre sur la côte ?

- Nous y arriverons facilement.

- Bien. Je n'ai pas envie d'attendre. »

Draculea recula d'un pas et écarta les bras. Simion avait une petite idée sur ce qui allait se passer. Il avait déjà vu Draculea se transformer mais cela ne manquait jamais de le fasciner et il s'arrêta pour voir.

La pluie s'était un peu calmée et une brume commença à se former autour de Draculea. Elle s'épaissit jusqu'à ce qu'ils soit complètement obscurci, recouvert par un brouillard gris clair. Simion s'attendait à ce que le brouillard se déplace au-dessus de l'eau vers la terre, mais il commença à se dissiper. Une silhouette apparut progressivement — mais ce n'était pas ce que Simion attendait. La silhouette était grande mais bossue et alors qu'il regardait, elle s'accroupit encore plus jusqu'à ce qu'elle semble être à quatre pattes.


Puis les dernières volutes disparurent et la lune sortit de derrière les nuages. Une créature de la taille de Draculea apparut. Elle était recouverte d'une épaisse fourrure grise et les membres étaient formés pour qu'elle puisse courir plus vite à quatre pattes qu'à deux. Les mâchoires s'ouvrirent et des lèvres noires se retroussèrent pour montrer des rangées de longues dents pointues, faites pour déchirer. De larges oreilles pointues se plaquèrent contre un crâne allongé. La créature qui se tenait devant Simion était clairement plus loup qu'homme et pendant un moment, il prit peur.

Puis il regarda dans les grands yeux dorés de la créature. Peu importait la forme extérieure, l'âme — l'ESPRIT — qui lui rendait son regard était celui de l'homme qu'il avait aimé et servi pendant des siècles. Draculea rejeta sa tête en arrière et hurla, un cri sauvage et à vous glacer le sang. Des muscles puissants se bandèrent dans ses cuisses et il bondit par-dessus la lisse. Simion regarda de l'autre côté et vit que la créature nager avec aisance, son corps robuste fendant les vagues. En quelques instants, elle atteignit la côte.


La figure qui trotta sur le sable avait encore plus changé. Elle ressemblait à un magnifique spécimen d'un loup des bois. Il s'arrêta un moment en lançant un regard au bateau, puis aboya une fois, se tourna et disparut dans les ombres pour se diriger vers les lumières que Draculea avait désignées.

Satisfait que son maître soit arrivé en sécurité, Simion se tourna pour aider Salazar à descendre le bateau, prêt à commencer sa propre mission.







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