Child of the Night 93

ATTENTION : Référence à de l'auto-mutilation — cela peut perturber certains lecteurs.


Partie Quatre-vingt-treize : Sacrifice



L'an de grâce 1892
À bord du Julyan, en route pour l'Angleterre


Jonathan n'avait jamais vraiment navigué avant. Il y avait eu un étang paisible près du presbytère où il avait passé tous ses étés et il avait passé de nombreuses heures oisives sur une barque, fournissant de temps en temps au garde-manger quelques poissons. Il avait à présent l'occasion de découvrir qu'il n'avait vraiment pas le pied marin.

Le temps était devenu mauvais — très mauvais. Ils affrontaient une tempête. On ne lui avait toujours pas permis de monter sur le pont mais d'après les roulis et tangages du bateau, on ne pouvait pas se tromper sur le temps. Jonathan dut agripper le bord de la couchette pour ne pas être éjecté par terre. Il pouvait sentir les vibrations à travers le bois à chaque coup de tonnerre.


Jonathan entendit le raclement de la clef dans la serrure et la porte s'ouvrit. S'il avait été un peu plus sûr de ses jambes et si Lukas avait été un peu plus lent, son anxiété grandissante à propos de l'orage aurait pu le pousser à tenter de s'échapper. Mais les choses étant ce qu'elles étaient, Lukas était dans la cabine et referma la porte avant qu'il ne puisse formuler son intention.

« Pour l'amour de Dieu, ne fermez pas la porte ! Si le navire coule, nous serons piégés.

- Si c'est la volonté de Dieu, qu'il en soit ainsi. »

Lukas portait une toile cirée autour de ses épaules pour se protéger de l'orage et il l'enleva pour la laisser tomber. L'eau commença à se rassembler aussitôt, coulant sur les planches brutes. Lukas mit la clef dans la poche et se dirigea vers la couchette. Il vacilla légèrement alors que le bateau roula et il posa une main sur la couchette pour rester debout.

« Croyez-moi, mister Harker, il serait plus dangereux de laisser la porte ouverte. »


Jonathan émit un son frustré.

« Je commence à croire que vous êtes un peu fou. »

Lukas ne s'en offusqua pas. Il haussa les épaules en faisant :

« Je suis sûr que les prophètes et les martyres étaient considérés comme fous de leur vivant. Rapprochez-vous du mur, mister Harker, pour que je puisse m'asseoir. »

Quand Jonathan hésita, Lukas fit :

« Il n'y a pas d'autre siège. Voudriez-vous me forcer à endurer la tempête debout ? »

Dit comme ça, étant comme il était, Jonathan ne put s'empêcher de penser qu'il n'était pas raisonnable. Il se rapprocha du mur et Lukas s'assit.

Lukas n'avait pas couvert sa tête lorsqu'il était sorti et ses cheveux était collés à sa tête en des écheveaux humides. Ils dégageaient une odeur particulière qui rappela à Jonathan l'épagneul du vicaire lorsqu'il revenait de ses ébats dans l'étang. Malgré la toile cirée, l'eau semblait avoir trouvé Lukas. L'espace que Jonathan pouvait libérer était très étroit et Lukas n'était pas petit. Jonathan se retrouva coincé contre le mur et chaque endroit qu'il touchait était humide. Jonathan se serait attendu à ce que Lukas soit frigorifié mais l'homme semblait irradier de la chaleur et Jonathan tenta avec peu de succès de gagner un peu d'espace entre eux.


« Inutile de vous inquiéter — le plus gros de la tempête est déjà passé. Elle nous a retardés mais nous devrions arriver en Angleterre dans l'après-midi. Vous vous sentez assez bien pour aller directement chez vos amis ou bien devrions-nous passer la nuit à Londres puis voyager le lendemain ?

- Je me sens suffisamment bien, » fit rapidement Jonathan.

À l'idée de passer une autre nuit avec Lukas, il se sentait oppressé.

« Tant mieux. »

Lukas l'étudia.

« Vous allez beaucoup mieux. Quand je vous ai vu la première fois, j'ai cru que vous alliez sûrement mourir. Dieu doit en effet avoir des projets pour vous. »

Jonathan remua inconfortablement.

« Parler du Seigneur vous met mal à l'aise ?

- Je suis chrétien mais mes croyances sont très personnelles.

- Tout comme les miennes. »


Lukas croisa les mains sur son ventre et regarda le mur. Le cœur de Jonathan fut lourd lorsqu'il comprit que l'intendant se préparait pour une discussion — ou plutôt un discours.

« Les croyances spirituelles de chaque homme ne sont pas formées que par sa propre vie mais par la vie de sa famille et la vie de ceux de sa communauté. Par extension, les vies de leurs ancêtres transmettent leur influence. Personne n'échappe à ceux qui sont déjà partis — sauf peut-être les orphelins, et même eux sont bénis ou maudits par l'influence de ceux qui se sont occupés d'eux. »

Il regarda Jonathan.

« Vous ne l'avez jamais ressenti, mister Harker ? N'y a-t-il pas eu des moments où vous avez senti quelque chose du passé vous atteindre ? »


Jonathan lui rendit son regard en se sentant consterné. Il savait que Lukas était l'intendant de l'église du petit village près du château Draculea. Une telle position était d'ordinaire occupée par un homme simple — un paysan avec peu d'éducation — quelqu'un qui ne songerait pas à grand-chose mis à part sa routine quotidienne. Il ne se serait jamais attendu à ce qu'un tel homme se mette à philosopher tout comme Lukas venait de le faire. Et le plus étrange, c'était que ce que disait Lukas sonnait juste.

N'avait-il pas eu l'impression de temps en temps qu'il y avait quelque chose en dehors de sa vie immédiate qui voulait l'atteindre — l'affecter ? Un souvenir flou apparut dans son esprit. J'étais très petit. Sûrement — je sais que Mère était toujours en vie. Il faisait nuit et j'étais à la fenêtre. Mère ne voulait pas que la fenêtre soit ouverte. Ça lui faisait peur. Avait-elle peur que je l'escalade ? J'étais agenouillé à la fenêtre en regardant dehors et quelqu'un me murmurait des choses. Je ne me souviens pas de ce qu'il disait mais... mais je me sentais si seul — et aimé en même temps. Comment est-ce possible ? Jonathan se rendit compte que Lukas le regardait en silence.

« J'ai déjà senti... quelque chose de similaire. »


Lukas hocha son accord.

« L'Histoire nous touche tous. Pour certains d'entre nous, le passé le plus distant nous tend la main. Jusqu'où pouvez-vous remonter dans votre arbre généalogique, mister Harker ?

- Je n'en suis pas sûr. Les Harker ne sont pas une grande famille. Je crois que mon père avait déjà songé à dresser notre arbre généalogique mais il ne voulait pas gaspiller de l'argent. La Bible familiale remonte à mon arrière-arrière-grand-père. »

Lukas grogna.

« Une famille jeune. Ma famille remonte jusqu'au treizième siècle.

- C'est... c'est impressionnant.

- Je suppose que oui. Mais mister Harker, dans mon pays les gens appartiennent à la terre et ils ne la quittent que rarement. Bien que mon pays ait connu des temps troublés, les gens sont restés. Mais la lignée s'est affaiblie à travers les siècles. Je suis le dernier. Je suis le dépositaire de tout ce qui s'est produit avant. »


Les yeux de Lukas brillaient de la même lueur que lorsqu'il parlait de protéger Jonathan. C'était déroutant. Lukas poursuivit :

« C'est une grande responsabilité, mister Harker — surtout quand tous ceux qui m'ont précédé n'ont rien fait — rien... »

Jonathan recula à cause de l'intonation vicieuse de Lukas sur ce dernier mot.

« ... pour obtenir réparation des... des atrocités qu'on nous a infligées.

- Je ne comprends pas, fit Jonathan. Ces crimes terribles, ils sont arrivés il y a fort longtemps ?

- Il y a quatre cent ans.

- Et vous pensez vous venger maintenant ? C'est de la folie ! Je ne sais pas ce qui peut être si horrible pour que votre famille porte ce fardeau durant des siècles, mais Lukas — tout ce que vous pourrez faire à présent est inutile. Le responsable a connu depuis longtemps le châtiment que Dieu lui réservait, et si vous voulez chercher ses descendants, ce ne serait rien de plus qu'une vendetta et c'est un péché.

- En effet, vous ne comprenez pas, mister Harker.

- Alors expliquez-moi. »


Il y eut un lourd silence.

« Je ne peux pas. Je ne peux pas mentionner une telle horreur devant quelqu'un d'aussi innocent que vous. Ma famille a été... souillée, mister Harker. Ils ont été sali d'une façon que vous pourriez à peine imaginer. Je l'ai su depuis ma plus tendre enfance et, à ma plus grande honte, je n'ai rien fait. Mais désormais... »

Il toucha la main de Jonathan.

« Maintenant, à travers vous... »

Jonathan retira vivement sa main.

« Non. »

Lukas sembla perplexe puis il vit le malaise et la crainte dans les yeux de Jonathan.

« Non ! »

Il leva la main pour protester.

« Non, mister Harker, vous ne devez pas penser ça de moi, jamais. Après ce qui est arrivé à mes ancêtres, je ne pourrais pas. J'ai juré de me détourner de la chair durant toute ma vie. Je me suis consacré à la pureté de mon corps, de mon âme et de mon esprit. C'est dur, oui, mais j’ai pris des mesures. »


Il se leva et tendit les mains vers son pantalon. Jonathan sentit la panique émerger en lui.

« Lukas, non !

- Mais je veux vous rassurer. »

Jonathan ferma les yeux alors que Lukas baissait son pantalon. Si je hurle à l'aide, m'entendront-ils malgré la tempête ? Et même s'ils m'entendent, est-ce qu'ils viendront ?

« Regardez, mister Harker. Regardez et vous comprendrez.

- Je vous jure, Lukas, que je vous ferai inculper.

- Regardez simplement et je vous laisserai tranquille. Je veux juste apaiser vos craintes. Je n'y prends aucun plaisir.

- Si je le fais, vous me laisserez seul ?

- Je monterai la garde dans le couloir pour le restant du voyage. »

Avec réticence, Jonathan ouvrit les yeux.

« Oh, Seigneur. »


Le pantalon et les sous-vêtements de Lukas étaient autour de ses genoux. Jonathan n'ignorait rien de l'anatomie d'un humain normal. Il avait vécu une bonne partie de sa vie dans une école pour garçons alors il avait vu ses camarades plus ou moins déshabillés. Il avait rarement vu d'autres hommes complètement nus mais il en avait vus suffisamment pour savoir vaguement à quoi ressemblait une partie génitale saine.

À en juger par la pilosité de l'homme et les poils sur ses bras, Jonathan se serait attendu à ce que Lukas ait beaucoup de poils pubiens mais ce n'était pas le cas. Les poils étaient fins et rares, comme ceux d'un garçon proche de la puberté, et au milieu de ça...

Il n'y avait pas de testicules, d'après ce qu'il pouvait voir, et le pénis n'était pas plus grand qu'un pouce. Jonathan savait parfaitement que certains hommes n'étaient pas bien équipés. S'il avait songé que c'était le cas, il ne se serait pas senti si horrifié. Mais cette taille n'était pas naturelle. L'organe n'était pas complètement formé — il n'y avait aucune trace du gland. La seule conclusion possible était qu'il avait été amputé. Une fois qu'il s'en fut rendu compte, il remarqua les cicatrices en-dessous. Sous la base du sexe mutilé, il y avait des morceaux de peau rose et brillante.


Lukas reprit :

« Fut une époque, on offrait ceci aux enfants de chœur avec la plus belle voix afin qu'ils restent purs et qu'ils puissent prier et louer le Seigneur par leurs chants. Mais ils ne le font plus — plus ouvertement, en tout cas. Et bien que j'ai prié le Seigneur de toute mon âme, il n'a pas choisi de m'accorder ce talent. Pourtant, je souhaitais rester loin des désirs de la chair et j'ai demandé à ce qu'ils me retirent les parties du corps qui pourraient me mener au péché. Ils n'ont pas compris. Même le bon prêtre a tenté de me dire que Dieu préférerait que je me marie et que j'ai des enfants, pour apporter dans ce monde plus d'âmes pour Le servir. J'ai tenté de lui dire que ma lignée était souillée — que ce serait mieux pour tout le monde si elle se finissait avec moi, mais il ne m'a pas écouté. Ils ne voulaient pas m'aider, alors... »

Jonathan savait ce qui allait suivre. Il sentit la nausée s'emparer de lui.

« Arrêtez, Lukas, je vous en prie.

- ... alors j'ai dû le faire moi-même. Je suis allé dans les bois et j'ai pris le couteau le plus aiguisé de la cuisine de ma mère. J'ai d'abord coupé mes testicules pour que mon sperme ne puisse jamais produire d'enfants. Pour que notre sombre passé ne soit pas transmis à une autre génération. »

Sa voix fut légèrement étonnée alors qu'il toucha les cicatrices.
« Cela n'a pas fait aussi mal que prévu mais il y avait énormément de sang. »


La gorge de Jonathan se serra pour protester contre les images que ces mots évoquaient. Il se pencha rapidement et éclaboussa le sol de son vomis. Il sentit une main dans ses cheveux alors que Lukas fit :

« Pauvre garçon — la tempête vous a rendu malade. »

Jonathan recula sous le contact en se plaquant contre le mur et en ressuyant sa bouche d'une main tremblante.

« Je me suis presque arrêté là mais même à mon jeune âge, je savais que ce n'était pas juste la capacité d'engendrer des enfants que je voulais éviter. J'avais déjà connu l'éveil de la chair. Je m'étais déjà réveillé avec la preuve de ma nature sexuelle qui tachait mes draps et cela devait cesser. »

Il toucha le bout pathétique qui pendait à son aine.

« Je m'en suis laissé suffisamment pour uriner. Il y eut encore plus de sang ensuite qu'après la premier incision. »


Il leva des yeux blancs et curieux sur l'homme pâle devant lui.

« J'ai cru que j'allais mourir alors et cela ne pouvait pas être permis. Les accidents sont innocents mais j'avais fait ça de ma propre main et quand ils m'auraient trouvé, ils auraient pu penser que j'avais commis le péché mortel de suicide. Je me suis rendu sur la route avant de m'évanouir et on m'a retrouvé. »

Il haussa les épaules et remit son pantalon.

« J'ai survécu. »

Lukas se renfrogna.

« Ce ne fut pas aussi radical que je l’avais espéré. J'ai encore des pensées troublantes par moment. »

Il baissa la tête.

« Je suppose que tout homme mortel ne peut pas entièrement réchapper aux besoins qu'Ève nous a apportés, mais au moins je sais maintenant que je ne peux plus agir à cause d'eux. »


Il sourit à Jonathan en refermant son pantalon.

« Je ne pourrais pas vous blesser de cette manière, mister Harker, même si je le désirais. Je n'en ai plus les moyens physiques. »

Il sourit.

« Alors vous voyez, vous n'avez rien à craindre de moi. Je vais juste nettoyer ça avant de prendre ma place dehors. »

Il quitta la pièce. Bien que Jonathan ait rêvé de liberté, il aurait cette fois fermé lui-même la porte à clef s'il avait pu le faire de l'intérieur.

« Rien à craindre... » murmura-t-il.

Rien à craindre d'un fou qui croyait que se castrer lui-même pourrait sauver son âme.

Jonathan n'avait pas prié régulièrement depuis que sa mère ne s'était plus assise sur son lit et l'avait écouté chantonner "Maintenant, je me couche pour dormir..." mais il se mit à prier.







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