Chapitre 165 : Un grand démon

Assistant à cette scène, un démon noble assis au second rang ne put s’empêcher de dire à son ami :

« Moi, je dis que c’est vraiment un puissant démon, non ? Son comportement, c’est exactement quelqu’un qui protège sa nourriture. »

Après un long moment, son ami répondit à voix basse :

« Je crois avoir deviné. J’imagine que c’est en fini de Tunard cette fois. »

L’autre démon noble s’approcha de lui comme un conspirateur et fit à voix basse :

« Tu as deviné quoi ?

– Cet humain est certainement sa Majesté Tesul. J’ai entendu dire que sa Majesté Tesul gardait un petit démon à ses côtés ces derniers temps.

– Mais l’homme dans ses bras est clairement humain. En plus, sa Majesté Tesul a un peu près le même âge que notre souverain, alors il est impossible qu’il ait une apparence aussi jeune.

– Tu ne crois pas que c’est pour mieux s’amuser avec son petit amant démon qu’ils se font passer pour des humains ? Et pour sa Majesté, ce n’est rien de changer d’apparence comme ça.

– Tu n’as pas tort, mais j’y pense tout à coup : l’âge de sa Majesté Eymer, son apparence et sa maîtrise de soi d’après les rumeurs me semblent bien mieux correspondre à cet humain.

– Impossible, tout le monde sait que sa Majesté Eymer est glacial. Le reste peut être déguisé mais ça, on ne peut pas le changer aisément… »

Pendant que les murmures allaient bon train dans le public, Mona était également très anxieux en coulisses. Mais avant qu’il ne puisse interpeler Lawrence, ce dernier prit la parole :

« J’ai vraiment très envie de lui couper la langue. »

Il se couvrit le front d’une main et gronda doucement. Puis il se tourna pour regarder son intendant général :

« Mona, je dois me montrer, sinon sa Majesté Eymer ne va certainement pas tarder à démolir mon théâtre… Ah, j’espère qu’Eymer va m’accorder un peu de respect. »

Tunard ressentit soudain un sentiment imminent de danger extrêmement fort.

Et en cet moment, le plus fort sentiment d’être observé disparut. Tunard regarda Ye Yingzhi, puis recula d’un pas avant de se tourner vers la scène. Il vit alors une grande silhouette marcher sur la scène, il s’agissait de Lawrence.

C’était donc le regard de Lawrence qu’il avait perçu. Tunard se morigéna intérieurement, déçu de sa réaction : juste le fait d’être observé par Lawrence avait déclenché son instinct d’auto-protection, ce qui n’était encore jamais arrivé auparavant — était-ce parce qu’il n’avait plus son pouvoir d’antan ou bien parce que Lawrence était devenu encore plus fort ?

L’immense piano à queue noir était encore au centre de la scène. Lawrence se tint à côté, regardant en direction de Tunard avec un sourire. Toutefois, les yeux gris sombres étaient emplis d’une autorité irréfutable qui ne pouvait appartenir qu’à un supérieur :

« Tunard, n’importune pas mon public. Ici dans mon théâtre, on utilise la musique pour régler nos différends. »

Tunard éprouvait malgré toute une certaine crainte envers Lawrence. Il ne voyait pas ce que voulait dire son souverain, mais il n’osait pas non plus faire des histoires. Alors il recula un peu et s’inclina légèrement devant Lawrence :

« À vos ordres, votre Majesté. »

Le comportement de Tunard satisfit pleinement Lawrence. Ses yeux gris se posèrent ensuite sur Ye Yingzhi et il eut un léger sourire.

« Comme je l’ai dit, les problèmes de musique doivent se résoudre en musique. Tunard, je vois que cet ami ne veut pas se faire inviter par toi alors j’ai une proposition : que ce monsieur vienne sur scène et nous joue un morceau. Si sa musique plaît au public, ce monsieur et son amant pourront partir sans que personne ne s’interpose. Qu’en dis-tu ? »

Après ça, il jeta un regard malicieux à Ye Yingzhi et lui fit même un clin d’œil.

Lawrence était plutôt doué pour percevoir les sentiments des gens. Bien entendu, il voyait bien qu’Eymer n’avait pas envie de révéler son identité ici, alors il avait trouvé ce moyen — l’occasion rare qu’Eymer joue en public, il devait absolument tenter le coup. Et ses paroles donnaient l’impression qu’il demandait son avis à Tunard, cependant plusieurs démons du premier rang remarquèrent qu’en réalité, leur roi semblait plutôt rechercher l’approbation de cet humain.

Traduction faite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr ou sur Scan Manga. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé cette traduction !

Ye Yingzhi réprima avec du mal le sentiment maussade, furieux intérieurement et l’impression de pouvoir en lui.

Sa raison lui soufflait d’accepter la proposition du roi démon sur scène. D’après ce qu’avait raconté Aaron ainsi que les agissements de ce démon, le roi des Enfers aimait vraiment les arts et la musique du plus profond de son cœur. Les gens capables de jouer ou de composer de la musique avec brio, même s’ils étaient humains, se faisaient traiter avec courtoisie et obtenaient même un traitement de faveur de sa part. Il ne semblait pas du genre à revenir sur sa parole et personne n’osait aller à l’encontre de sa volonté. Et il se trouvait que Ye Yingzhi était très confiant en son talent de musicien.

Il se leva donc de son siège et posa Chi Yan dessus. Il retira sa cape pour la poser à côté. Puis il se pencha et embrassa son bien-aimé sur le front.

« Ah Yan, attends-moi ici. »

Chi Yan hocha la tête. Regardant les démons tout autour, il ravala ce qu’il aurait voulu dire. Il tira sur la cape de Ye Yingzhi et leva les yeux vers lui pour murmurer :

« Je t’attends. »

Toutefois, ses yeux lui envoyaient le message de faire attention à lui.

Ye Yingzhi se tourna et hocha la tête vers le roi démon sur scène.

« J’accepte ta proposition. »

Lawrence eut un sourire satisfait. Il lui désigna de la main son piano chéri, puis se retira derrière le rideau.

Mona l’attendait derrière. L’intendant général regarda d’un air anxieux l’autre roi des Enfers s’asseoir sur le banc du piano. Il fit à Lawrence :

« Votre Majesté, sa Majesté Eymer ne semble pas vous reconnaître.

– Ce gars a toujours très bien su jouer la comédie, » fit Lawrence en agitant la main, comme s’il ne prenait pas ça au sérieux.

Puis il changea de sujet :

« Me suis-je comporté comme si je le connaissais à l’instant ?

– Pas du tout. »

Mona secoua la tête et accepta l’explication de son souverain. Il se plaça à côté de Lawrence pour observer avec lui la performance depuis les coulisses.

En tant que le plus discret et le plus mystérieux des trois souverains des Enfers, sa Majesté Eymer quittait rarement son palais et ne s’était jamais montré en public sous sa véritable identité. Même lorsqu’il avait fallu signer la déclaration de co-souveraineté des Enfers à Euravis, il n’était pas venu en personne mais avait envoyé un de ses ministres pour signer en son nom. Voilà pourquoi la majeure partie des démons aux Enfers n’avaient jamais vu l’apparence de ce roi.

Si Mona avait pu le reconnaître, c’était parce qu’il avait accompagné Lawrence au palais de la région est des Enfers afin de discuter de la mise en place de ce règne conjoint. Durant cette période, il avait pu rencontrer plusieurs fois ce grand démon ermite. Rien qu’avec ces quelques rencontres, le charisme d’Eymer, son tempérament et sa façon de traiter les affaires l’avaient profondément marqué. Toutefois à l’époque, il n’avait pas pu entendre la musique très poignante de sa Majesté Eymer, celle-là même que sa Majesté Lawrence avait qualifié de “chute du Paradis, anéantissement des Enfers, destruction et renaissance de mondes”.

Ye Yingzhi s’assit devant le piano noir. Il posa ses mains sur les touches, ferma les yeux et entama lentement les premières notes. La mélodie était très lente et douce au départ, remplie de tendresse, comme un murmure à l’oreille de son amant et comme un doux soupir dans la nuit sombre. Puis le rythme s’accéléra et la musique devint plus forte. On aurait dit des torrents d’amour qui ne savaient pas comment s’exprimer et où se déverser.

La salle toute entière était silencieuse, tout le monde écoutait la performance de cet humain sur scène en retenant son souffle. Mona lui-même n’était pas très doué en musique mais il avait fini par développer une certaine sensibilité sous l’influence de Lawrence au travers des siècles. Lawrence était complètement captivé par la musique. Quant à Mona, il lui fallut un moment pour se dire que c’était ainsi que sa Majesté Eymer éprouvait vraiment de l’amour.

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Chi Yan ne quitta pas des yeux son amant qui se trouvait sur scène. Il ne put retenir un sourire aux lèvres et en oublia même leur situation actuelle.

Cela faisait sept ou huit ans que Ye Yingzhi et lui étaient ensemble. Que ce soit avant ou après qu’il tombe malade, Ye Yingzhi lui jouait souvent du piano ou d’autres instruments pour lui faire plaisir. Chi Yan avait donc l’habitude de l’écouter jouer du piano. Ye Yingzhi était effectivement très doué dans ce domaine. Il ne jouait que des morceaux qu’il avait lui-même composés et ne jouait que pour Chi Yan ; il n’avait jamais montré son talent à des étrangers. De son côté, Chi Yan avait grandi dans un orphelinat alors il n’avait pas reçu d’éducation musicale. Il savait seulement que Ye Yingzhi était doué, mais il ne se rendait pas pleinement compte à quel point il était extraordinairement doué. Il se disait simplement que les morceaux que lui jouait Ye Yingzhi étaient agréables et chaleureux et qu’ils lui semblaient un peu familiers, comme s’il les avait déjà entendus quelque part mais ne pouvait plus se rappeler de quand, et au final il avait cessé de se poser la question.

La musique devint plus majestueuse, pompeuse et compliquée. Puis après son summum, elle s’adoucit peu à peu pour devenir calme et retenue. Quelques notes retentirent durant cette période de calme, puis elle remonta à son sommet avant de s’arrêter brusquement au moment où elle allait atteindre le plus haut point.

Ye Yingzhi garda les mains pressées sur le piano un bon moment. Puis il les retira, rouvrit ses yeux noirs et regarda directement vers son bien-aimé.

Un lourd silence s’abattit sur la scène.

Après un long moment, Lawrence se leva et sortit des coulisses pour applaudir Ye Yingzhi, suivi par Mona. Le public se leva alors et l’applaudit à son tour, suivant son exemple. Les acclamations retentirent un bon moment comme le tonnerre, et cela dura fort longtemps.

Ye Yingzhi se leva du banc et se tourna vers le démon en face de lui. Il fit d’un ton calme :

« Votre Majesté, notre accord.

– Bien entendu, tu peux partir à présent. Personne n’osera t’en empêcher. »

Lawrence écarta les bras et partit d’un rire joyeux. Puis il baissa la voix très bas, afin que seuls eux deux et Mona puissent entendre :

« C’est rare de te voir à Euravis. Tu es le bienvenu pour amener ton petit bébé humain à mon palais. Il y a beaucoup de chefs dans mon palais qui sont excellents pour préparer de la nourriture humaine. Je compte sur eux pour conquérir le cœur des grands musiciens humains. Mais ne va pas te faire d’idées : j’ai une relation très pure avec mes musiciens. »

Ye Yingzhi lui jeta un regard et hocha la tête. Il descendit de la scène sous le regard attentif du public et s’avança vers le siège de Chi Yan.

Il se pencha et souleva son bien-aimé des deux bras. Il lui fit doucement :

« Allons-y. »

Tous les yeux des démons étaient focalisés sur lui et l’humain qu’il tenait dans ses bras — comme Lawrence se trouvait encore sur scène, aucun démon n’osait se lever pour partir.

Ye Yingzhi put sentir le regard de nombreux démons qui n’avaient toujours pas renoncé mais à cause du pouvoir de Lawrence, ils n’osaient pas agir pour le moment. Toutefois, il serait impossible à Lawrence de les protéger tout le long du chemin. C’était déjà inattendu pour Ye Yingzhi que l’autre démon ait promis de les laisser quitter le théâtre en toute sécurité.

Les menaces potentielles devaient être étouffées dans l’œuf.

En songeant ainsi, Ye Yingzhi eut un léger sourire et tendit la main droite pour enfoncer deux doigts dans la bouche de Chi Yan afin de le taquiner. Il joua gentiment avec sa langue chaude et douce. Après un moment d’amusement, il retira sa main puis se pencha pour embrasser les lèvres fraîchement ravagées de cet humain comme un prédateur qui n’accepterait aucun refus.

Chi Yan en resta un moment figé, puis il tâcha d’ignorer les regards qui étaient posés sur eux de toute part. Docilement, il se laissa ravager.

Après un moment, Ye Yingzhi le libéra avec un léger rire satisfait. Il déglutit puis ressuya de son pouce droit les traces de salive au coin de la bouche de Chi Yan. Puis il continua à s’avancer vers la sortie avec l’autre homme dans les bras.

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En cours de route, le pied tendre et blanc de Chi Yan dépassa soudain de la cape et se balança doucement au gré des pas de Ye Yingzhi. Ce dernier s’arrêta un moment, puis tendit la main pour saisir ce pied et le remettre sous la cape.

À cet instant, une paire d’immenses ailes noires de chauve-souris émergèrent de son dos, projetant une ombre profonde dans la salle. Deux longues et puissantes cornes jaillirent également de sa tête, dont émanait une grande majesté.

C’était très clairement la marque d’un puissant démon de très haut rang. Sous les exclamations des démons dans le public, Ye Yingzhi jeta un regard en arrière d’un geste nonchalant et son regard indifférent et glacial croisa tous les autres yeux mal intentionnés. Il inclina ensuite légèrement la tête vers Lawrence, qui était toujours sur scène, avant de partir avec l’humain dans ses bras.

Lawrence regarda Ye Yingzhi quitter la salle avec l’humain dans ses bras. Puis il retourna en coulisses avec Mona.

Lawrence se ressuya le visage tout en marmonnant :

« Intendant général, tu ne trouves pas un peu bizarre le dernier regard que m’a lancé Eymer ? Et il s’est déguisé tout du long, alors pourquoi a-t’il fini par montrer ses cornes et ses ailes à la fin ?

– Sa Majesté Eymer a fait ça pour démontrer sa force. »

Mona lui tendit un mouchoir propre. Il hésita un moment puis répondit à sa première question :

« Votre Majesté, je crois que vous n’auriez vraiment pas dû expliquer votre relation avec vos musiciens humains. On aurait dit que vous cachiez quelque chose. »

Lawrence se tourna pour lui jeter un regard.

Mona couvrit sa bouche et toussota. Il décida de changer de sujet :

« … Sa Majesté Eymer a dû convoiter votre chef cuisinier, espérant plaire à l’humain qu’il a pris de force. »

Note de Karura : Ce Lawrence est un sacré numéro !

Bon, d’où peuvent venir les ailes et les cornes de Ye Yingzhi ? Aurait-il dévoilé sa véritable nature ?

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