Chapitre 27 : Relation
Chi Yan ne put s'empêcher de tourner la tête pour le regarder.
Ils pouvaient se voir reflétés dans les yeux de l'autre.
Ye Yingzhi le contourna pour lui faire face, passa ses mains autour de lui puis se pencha et déposa un gentil baiser sur le bout de son nez.
« … Pardon, j'ai eu tort. Je n'aurais pas dû te mentir et apparaître ainsi sous tes yeux. C'est parce que moi aussi j'ai été ensorcelé et je ne savais pas quoi faire d'autre. Je n'ai encore jamais aimé quelqu'un et je ne savais pas comment m'y prendre... Sur internet, j'ai lu que les amoureux vont au cinéma ensemble ou se promènent dans le parc. Je peux faire ça avec toi à l'avenir.
« Ah Yan, n'aie pas peur de moi. Tâche de te servir de tes propres yeux pour apprendre à me connaître cette fois. »
Chi Yan réalisa alors après coup que si Ye Yingzhi l'avait emmené dans le parc juste après être descendu du bus la nuit précédente, c'était simplement pour se promener.
Il plongea son regard dans celui de Ye Yingzhi et fut incapable de refuser. Il avait l'impression de pouvoir voir le fond du cœur de l'autre homme à travers ces yeux noirs, de percevoir sa nature profonde.
Ye Yingzhi ne s'offusqua pas de son silence. Il tendit la main pour l'aider à se lever.
« C'est bon, prends ton temps. Je t'attendrai. »
Tu ne peux pas t'enfuir, de toute manière.
Il déposa un tendre baiser sur le front de Chi Yan, ouvrit la porte et le vit partir pour le travail, un doux et suave sourire aux lèvres.
C'était donc cela ce qu'on appelait la renaissance après avoir affronté la mort en face. Après que Chi Yan ait été prêt tout faire pour expier auprès de Ye Yingzhi, y compris donner sa vie, cette fois il accepta calmement de laisser les choses suivre leurs cours et de continuer à vivre avec Ye Yingzhi.
Une fois la panique initiale passée, Chi Yan put porter un regard calme sur sa vie quotidienne jusque là. Depuis qu'il avait pris les cendres, tout ce qui s'était passé défila scène par scène dans son esprit. Que ce soit avant de révéler sa vraie nature ou après l'avoir ensorcelé, Ye Yingzhi ne lui avait jamais fait le moindre mal et l'avait mainte fois sauvé des autres fantômes.
Par exemple quand ils étaient partis en vacances l'an dernier, leur maison de location devait vraiment être hantée mais Ye Yingzhi l'aida à surmonter cette catastrophe sans rien lui dire. Et puis quand il était monté dans le bus fantôme en sortant de chez Tang Guangyuan, si Ye Yingzhi n'était pas venu le chercher, Chi Yan serait plus que certainement mort avant d'avoir pu rentrer.
En plus, depuis la mort de sa grand-mère, personne ne l'avait traité aussi bien que Ye Yingzhi. Peu importait son objectif, peu importait qu'il avait des arrières-pensées.
Même si Ye Yingzhi voulait seulement le berner pour prendre sa vie, il l'accepterait très bien.
Il n'aurait pas trop peur mais il serait un peu blessé.
À tout point de vue, il ne pouvait pas vivre sans Ye Yingzhi dorénavant. Au moins Ye Yingzhi ne représentait pas de danger immédiat pour lui. Comment et quand punir Chi Yan, cela ne tenait qu'au bon vouloir du troisième jeune maître Ye. Mais sans les cendres de Ye Yingzhi et son aura protectrice, il ne tiendrait sans doute pas un mois.
Ye Yingzhi contrôlait déjà ses finances. L'héritage laissé par ses parents et ses grands-parents était placé dans des investissements au nom de Chi Yan et géré par Ye Yingzhi. Les dividendes de toutes sortes et les intérêts générés représentaient bien plus que le salaire de Chi Yan. Autrement dit, Chi Yan ignorait combien d'actifs il avait à son nom ou où ils étaient investis.
Il avait tenté de remettre son salaire aussi mais Ye Yingzhi le lui avait rendu.
Les paroles exactes de Ye Yingzhi furent :
« Sois sage, garde ton salaire pour faire les courses. Achète tout ce que tu veux manger. »
Mon petit-ami sait faire à manger, gère les finances et me laisse mon salaire. Du coup je peux dépenser mon salaire comme je veux, sans me soucier de l'avenir. Je n'imagine pas le nombre de collègues qui m'envieraient. Hormis le fait qu'il ne soit pas humain, il est parfait en tout point.
En fait ce n'était pas un gros problème qu'il ne soit pas humain. Chi Yan n'avait pas peur des gobelins ou des fées. La belle démone renarde qui allumait de l'encens avec ses manches rouges C'est une image de grâce, d'élégance et de séduction en Chine suite à un poème de la dynastie Song. (1) était une splendide fantaisie depuis l'aube des temps. Mais Ye Yingzhi était un fantôme.
C'est un fantôme.
Il lui était impossible de se débarrasser de cette pensée plantée dans son esprit. De temps en temps elle rejaillissait aux pires moments.
Ce soir-là, Chi Yan était au départ niché dans les bras de Ye Yingzhi et sur le point de s'endormir. Il se rappela soudain que la personne à côté de lui était morte depuis longtemps et que ce n'était pas un être humain qui le tenait dans ses bras. Il ouvrit les yeux, terrorisé, et son corps se mit à trembler. Il recula légèrement et tenta de se libérer de l'étreinte de Ye Yingzhi sans que ce ne soit trop ostensible.
Ye Yingzhi le sentit bouger et ouvrit les yeux. Il caressa lentement son visage de son autre main.
« Ah Yan, n'aie pas peur de moi. Je ne te ferai aucun mal. »
Il baissa la tête et pressa son front contre celui de Chi Yan. Sous le clair de lune, il plongea son regard dans le sien et prononça ces paroles d'un ton solennel, comme un serment.
C'était la première fois qu'il disait clairement à Chi Yan : Je ne te ferai aucun mal.
Chi Yan resta figé un moment, sans savoir que répondre. Après un certain temps, il baissa la tête comme honteux.
« … J'ai peur. »
Même si je suis prêt à te donner ma vie, j'ai quand même peur.
« Ye Yingzhi, j'ai peur des fantômes, » avoua-t'il en gardant la tête baissé, comme un enfant qui avait fait une bêtise.
Ye Yingzhi réfléchit un moment après ça puis il fit avec un léger sourire :
« Ce n'est pas grave. Il y a bien l'opéra Le Pavillon aux Pivoines C'est un opéra de 1598. La fille d'un préfet rêve d'un beau jeune homme et en tombe amoureuse. Elle se languit et finit par mourir. Trois ans plus tard, le jeune homme en question séjourne dans le même pavillon et rêve de la jeune fille morte.Elle lui affirme qu'il peut la ressusciter en déterrant son corps. Évidemment, tout se termine bien. (2) et aussi Nie Xiaoqian dans Les Contes Fantastiques du Pavillon des Loisirs Un ouvrage de Pu Songling paru en 1766 qui regroupe plusieurs contes. L'histoire de Nie Xiaoqian a été adaptée dans le film Histoires de Fantômes Chinois que je recommande fortement ! Pour résumer, Nie Xiaoqian est une fantôme obligée de séduire des jeuneshommes pour leur voler leur énergie et la transmettre à son maître. Elle tombe amoureuse de Ning Caichen, un beaujeune homme. Ensemble ils vont libérer Nie Xiaoqian de son maître et vivre heureux malgré leurs différences (humain x fantôme). (3). Bien que je ne peux pas être la belle démone renarde qui allume de l'encens avec ses manches rouges, je peux essayer d'être ton Ye Xiaoqian.
« Nous avons encore tout le temps devant nous, ne t'en fais pas, » murmura-t'il.
Il était impossible de savoir s'il s'adressait à Chi Yan ou à lui-même.
Chi Yan ne dit rien mais son corps qui voulait reculer loin de Ye Yingzhi se rapprocha soudain et Chi Yan lui saisit la main sans rien dire.
Sa raison lui disait de s'enfuir mais son cœur voulait y croire et se rapprocher.
Trois mois s'écoulèrent ainsi et ce fut bientôt le début de l'automne. Chi Yan s'était de nouveau habitué à vivre avec Ye Yingzhi.
Un jour en quittant le travail, Chi Yan eut la surprise de voir une silhouette familière à l'entrée de sa compagnie : c'était M. Tang.
Tang Guangyuan lui fit signe en le voyant, indiquant qu'il avait quelque chose à lui dire.
Le bâtiment de la compagnie se trouvait sur la route principale et il y avait beaucoup de passage. Tang Guangyuan lui demanda de trouver un endroit convenable pour discuter alors Chi Yan le conduisit au McDonald's juste en face.
Le fast-food était rempli des cris et des rires des enfants : plusieurs petits de trois ou quatre ans se couraient derrière et jouaient avec une grande énergie. Chi Yan commanda deux cafés et invita M. Tang à s'asseoir près de la fenêtre.
Tang Guangyuan jeta un coup d'œil à la petite bouteille en porcelaine sur son torse.
« Est-ce que cette chose est encore là ? »
Chi Yan acquiesça. Il hésita un moment puis fit :
« … Si vous êtes là pour ça, alors ne prenez pas cette peine. J'y ai déjà bien réfléchi : puisque c'est moi qui l'ai offensé en premier alors je dois prendre mes responsabilités jusqu'au bout... Il m'a toujours très bien traité et m'a protégé de nombreux dangers. Même s'il voulait prendre ma vie un jour, je l'accepterais. »
Les anciens croyaient aux dieux et aux fantômes. Ils sacrifiaient même des gens pour s'assurer de la protection divine. Durant l'ère de l'esclavage, on ne comptait plus le nombre d'humains sacrifiés comme du bétail. Il y avait aussi de nombreuses exemples remontant au Moyen-Âge. Une partie du Pérégrination vers l'Ouest Roman fleuve de Wu Cheng En paru à la fin du 16° s. Le moine Tripitaka fait le voyage de Chine en Inde pour en rapporter des textes sacrés. En chemin il doit affronter des monstres prêtsà le dévorer pour devenir immortels. Quatre personnes vont le protéger, dont le fameux roi singe. (4) connu de tous, mentionnait qu'un démon carpe se faisait passer pour le roi et exigeait de son peuple qu'on lui sacrifie des vierges, hommes et femmes confondus. S'il était satisfait, ils bénéficieraient de vents propices et de pluies opportunes, sinon leurs familles seraient ruinées et anéanties.
Il était seul et séparé du monde, et il était né avec une faible constitution. Il avait besoin de l'aide et la protection de Ye Yingzhi pour vivre jusqu'au lendemain. Il n'avait rien d'autre à offrir à part lui-même.
En plus... durant ces trois derniers mois, il avait pris conscience que Ye Yingzhi... était quelqu'un de très bien.
Tang Guangyuan fronça les sourcils en entendant ça.
« Tu es encore jeune, au plus bel âge de l'existence. Comment peux-tu vivre au jour le jour et penser comme une personne âgée ? Vivre dans ce monde, c'est justement combattre les cieux et le destin. Tu es si passif à ton âge, qu'en penseraient tes ancêtre ? »
Chi Yan fut frappé par ses paroles. Au souvenir de sa grand-mère qui se donnait du mal pour l'emmener visiter les temples bouddhistes et taoïstes, priant et suppliant les dieux de sauver la vie de Chi Yan, il ne put que se sentir très honteux. Cependant il tenta de se justifier un peu :
« … Ce n'est pas ça. Ye Yingzhi est différent. Si j'étais hanté par un autre esprit, je ne me résignerais pas si facilement à mon sort. »
Il aurait cependant été bien en peine d'expliquer en quoi Ye Yingzhi était différent des autres fantômes.
Parce que ce dernier était bon envers lui ? Bien qu'il soit réellement bon envers lui, au départ il lui avait clairement embrouillé l'esprit pour l'ensorceler. Si d'autres démons ou fantômes avaient fait pareil, Chi Yan aurait été terrorisé et aurait tenté de se débarrasser de l'autre depuis longtemps ; il aurait sans doute déjà eu son âme qui aurait quitté son corps sous l'effet de la terreur. Cependant il était très facile de comprendre les raisons de Ye Yingzhi et de lui pardonner. Après la terreur initiale quand il avait retrouvé sa lucidité et tout découvert, il avait fini par accepter le fait de vivre avec l'autre homme. C'était comme si les profondeurs de son âme étaient déjà familières avec l'existence de cet homme.
Chi Yan se servit des propos de Ye Yingzhi et répliqua à Tang Guangyuan :
« Il y a Nie Xiaoqian dans Les Contes Fantastiques du Pavillon des Loisirs. Il a dit qu'il serait ma Xiaoqian. »
En disant cela à un étranger, il ne put s'empêcher de rougir à ces mots.
Dans le bureau de la maison l'autre jour, Tang Guangyuan était à moitié inconscient. Il avait vaguement perçu que ce jeune homme avait accepté de rentrer avec la chose et que la chose l'avait alors relâché. C'était comme ça qu'il avait eu la vie sauve. Cependant il ne se souvenait pas des détails. Sauf que là, en regardant l'expression sur le visage de Chi Yan, comment pourrait-il ne pas comprendre ?
Il avait clairement ce genre de relation avec la chose.
Notes de Karura : Oh oh, M. Tang n'a pas l'air d'approuver.
Notes du chapitre :
(1) C'est une image de grâce, d'élégance et de séduction en Chine suite à un poème de la dynastie Song.
(2) C'est un opéra de 1598. La fille d'un préfet rêve d'un beau jeune homme et en tombe amoureuse. Elle se languit et finit par mourir. Trois ans plus tard, le jeune homme en question séjourne dans le même pavillon et rêve de la jeune fille morte.Elle lui affirme qu'il peut la ressusciter en déterrant son corps. Évidemment, tout se termine bien.
(3) Un ouvrage de Pu Songling paru en 1766 qui regroupe plusieurs contes. L'histoire de Nie Xiaoqian a été adaptée dans le film Histoires de Fantômes Chinois que je recommande fortement ! Pour résumer, Nie Xiaoqian est une fantôme obligée de séduire des jeuneshommes pour leur voler leur énergie et la transmettre à son maître. Elle tombe amoureuse de Ning Caichen, un beaujeune homme. Ensemble ils vont libérer Nie Xiaoqian de son maître et vivre heureux malgré leurs différences (humain x fantôme).
(4) Roman fleuve de Wu Cheng En paru à la fin du 16° s. Le moine Tripitaka fait le voyage de Chine en Inde pour en rapporter des textes sacrés. En chemin il doit affronter des monstres prêtsà le dévorer pour devenir immortels. Quatre personnes vont le protéger, dont le fameux roi singe.
Commentaires :
Koko a écrit le samedi 10 février 2024 à 16:43
M. Tang doesn't have to approve, he just has to get lost 😑