Chapitre 28 : Partir pour un long voyage
Le vieil homme ne put retenir un soupir.
« La beauté engendre des catastrophes. Tu ne peux pas voir ce qui se cache derrière ce masque, pourquoi te laisser fasciner et perdre ta vie en vain ? »
Chi Yan secoua la tête. L'apparence physique de Ye Yingzhi était la même que de son vivant, ce n'était donc pas comme s'il était devenu un démon renard exprès pour le séduire. Quant au fait de se laisser fasciner par lui ? Ye Yingzhi lui avait assuré qu'il ne lui ferait jamais aucun mal.
Chi Yan savait bien que les humains pouvaient facilement briser leurs promesses, sans parler des fantômes. Cependant il voulait tenter de le croire.
Des deux, un avait le cœur serré et la migraine, l'autre persistait dans l'erreur. Bien que Chi Yan soit reconnaissant envers le vieil homme qui voulait lui sauver la vie, au final ils se séparèrent.
De manière inattendue, Tang Guangyuan revint trois jours plus tard.
Il soupira.
« Si tu n'as aucun regret, alors bien entendu je n'ai pas à m'en mêler. Voici une adresse pour toi. C'est là que se trouve notre temple et ce n'est pas une adresse que l'on divulgue aisément. Ton corps contient de l'énergie maléfique désormais. Tu ne sens peut-être rien pour le moment mais j'ai bien peur que cela persiste même après ta réincarnation et que cela n'attire des démons. Dans cette vie tu peux également porter malheur à tes collègues et amis de ton entourage. Mes capacités sont limitées, je ne peux pas non plus t'aider sur ce point. Si possible, viens dans notre temple pour éliminer cette malchance. »
Chi Yan avait en effet peur de blesser les autres. Il était né avec une faible constitution qui attirait les fantômes, cependant c'était maintenant passé de se faire épier par de nombreuses choses à vivre ensemble avec Ye Yingzhi. Il ne se souciait pas de ce qu'avait dit M. Tang, qu'il serait de nouveau impliqué avec cet esprit malin dans sa prochaine vie ; ce n'était que mystère et abstraction. Par contre il s'inquiétait que le fait qu'il vive avec un fantôme puisse réellement attirer le malheur sur les gens autour de lui.
L'adresse donnée par M. Tang n'était pas très loin, c'était dans une province voisine. Cependant l'endroit était niché dans les montagnes, ce ne serait pas facile à trouver. Quoi qu'il en soit, le trajet aller-retour ne devrait pas prendre plus de trois jours.
À son retour, il en informa Ye Yingzhi et ce dernier n'objecta pas. Au contraire il fit :
« Vas-y si tu veux, je viens avec. »
Chi Yan prévit ce voyage pendant un week-end plus un jour de congé. En réservant les billets, il hésita soudain et se demanda s'il devait en prendre un pour Ye Yingzhi. S'il n'achetait pas de billet pour lui, il aurait mauvaise conscience de forcer Ye Yingzhi à resquiller, de plus l'autre homme n'aurait peut-être pas de place pour s'asseoir. S'il achetait un billet, les autres gens penseraient que la place était vide. S'il y avait trop de monde, des gens essaieraient même alors de s'asseoir là et Ye Yingzhi n'aurait nulle part où s'asseoir.
En plus ça faisait bizarre d'emmener Ye Yingzhi dans un temple taoïste pour se débarrasser de l'énergie maléfique.
Il tenta d'en discuter avec lui :
« Yingzhi, et si tu restais plutôt à la maison et que tu m'attendais ? Ça ira pour moi avec tes cendres. »
Cependant le troisième jeune maître Ye ne fut pas d'accord et cette histoire fut temporairement mise de côté.
Chi Yan était encore en train de tergiverser à ce sujet. Cependant après quelques jours, il remarqua que son collègue Xiao Wang, dont le bureau se trouvait en face du sien, avait attrapé un rhume très grave et dut se faire hospitaliser. Sœur Li du département à côté qui avait juste fini un projet avec lui se fit une entorse à la cheville en tombant dans les escaliers. Et quand il avait fini le travail avant-hier, il était tombé sur Frère Liu et son fils qui était encore à l'école primaire. Il avait seulement échangé quelques mots avec le garçon. Sauf qu'aujourd'hui au travail, il entendit Frère Liu soupirer et se lamenter sur le fait que son fils avait raté son examen et que faire si son fils ne réussissait déjà pas à l'école primaire... ? Chi Yan commença à craindre que sa malchance n'ait déteint sur eux.
Le coup de grâce arriva lorsqu'il discuta avec son oncle par téléphone et appris qu'il s'était évanoui d'un coup à la compagnie quelques jours plus tôt à cause d'une pression sanguine élevée. Aux yeux de Chi Yan, son oncle avait toujours été un travailleur acharné qui ne prenait quasiment jamais le temps de se reposer, et des choses comme tomber malade et se faire hospitaliser ne lui arrivaient que rarement. Au bout du fil, Du Mingjing assura que ce n'était rien de grave et qu'il était déjà sorti de l'hôpital, alors Chi Yan ne devait pas s'en faire pour lui. Chi Yan ne put s'empêcher de songer que bien que son oncle et lui ne se voyaient que quelques fois dans l'année, ils étaient tout de même liés par le sang. Se pouvait-il que sa malchance ait également affecté son oncle ?
Il n'y avait pas tellement de travail au bureau cette semaine alors il demanda congé le vendredi pour se rendre dans le temple du frère Tang.
Il décida finalement d'y aller en voiture. Bien que ce serait un peu fatigant, ce serait plus pratique et confortable. En plus Ye Yingzhi aurait également une place pour s'asseoir.
Afin de ne pas perdre de temps, Chi Yan partit jeudi après-midi. Il estima qu'il devrait arriver vers vingt-trois heures. Après une nuit de repos, il chercherait l'endroit précis dès le matin.
Ye Yingzhi se désola qu'il ait à conduire d'un trait. Il profita de la nuit tombée pour proposer :
« Repose-toi, je prends le relais. »
Chi Yan en fut perplexe.
« Je croyais que tu ne savais pas conduire ? »
Ye Yingzhi lâcha un oh puis fit :
« Je n'ai pas le permis mais je peux faire bouger la voiture. »
Chi Yan songea au traumatisme que cela provoquerait chez un conducteur qui les croiserait en face s'il voyait leur voiture. Bien qu'il soit très touché, il rejeta néanmoins l'offre généreuse du troisième jeune maître Ye.
C'était trop bizarre de louer une chambre double quand on était seul. Pour leur arrêt à l'hôtel, Chi Yan avait donc réservé une chambre avec un grand lit. Ye Yingzhi le suivit dans la chambre et fit le tour. Il s'assit au bord du lit et plaça les deux oreillers au milieu. Il parut satisfait de cet arrangement.
Après une nuit de repos, ils s'achetèrent à manger tôt le matin puis se rendirent à l'adresse donnée par M. Tang en se fiant au GPS. Après avoir roulé le long d'une route sinueuse de montagne pendant un bon moment, la voiture finit par atteindre un village et la route s'arrêta devant eux. Ils furent contraints de marcher. Chi Yan demanda son chemin aux villageois. Étonnamment, tous savaient qu'il y avait un immense temple taoïste à trente minutes de marche dans la montagne. Ils lui indiquèrent la direction.
M. Tang lui avait brièvement parlé de son temple avant. Ils provenaient du taoïsme mais se concentraient plus sur les techniques du Yin et du Yang. Voilà pourquoi ils n'étaient pas vraiment considérés comme des prêtres taoïstes mais plutôt comme des démonistes.
Vers quinze heures, Chi Yan vit enfin sa destination. La secte de M. Tang provenait du taoïsme alors l'architecture et la disposition des lieux ressemblaient énormément à celles d'un temple taoïste. Les villageois plus bas l'avaient également appelé un "temple taoïste". Cependant le style général faisait plus penser à l'architecture de Huizhou avec des tuiles bleues et des murs blancs, ce qui était beau dans sa simplicité.
Le portail n'était pas fermé mais Chi Yan agita la cloche doucement et attendit que quelqu'un vienne.
Il en profita pour murmurer à Ye Yingzhi :
« Yingzhi, attends-moi ici. Que se passerait-il si tu me suivais et qu'ils t'attrapaient ? »
Il se sentait mal à l'aise à cette idée et désigna une petite forêt non loin.
« Ce serait mieux si tu te cachais là-bas en attendant. La forêt est à l'ombre, alors vas-y et attends-moi, d'accord ? »
Ye Yingzhi le regarda avec un léger rire puis il leva les mains au ciel et se retira dans les bois. Il sourit et répondit :
« D'accord, je te promets de ne pas me faire attraper par ces gens. »
Trois minutes plus tard, Chi Yan entendit des pas se rapprocher. Un homme d'âge moyen vêtu d'une robe bleu foncé de prêtre ouvrit la porte. Il manifesta clairement sa surprise en voyant Chi Yan.
Chi Yan expliqua rapidement :
« Je viens de la part de M. Tang Guangyuan. Il a dit que je suis infecté par de l'énergie maléfique et qu'il serait possible de m'en débarrasser si je venais ici. »
L'homme d'âge moyen eut une expression hébétée puis il hocha plusieurs fois la tête.
« Oncle Martial Dans les sectes d'arts martiaux ou autres, le maître est comme le père. L'oncle martial est donc un membre de la même génération que le maître. (1) nous en a parlé. Je vous en prie, entrez, entrez », fit-il en l'invitant.
Les portes se refermèrent silencieusement derrière eux, bien fermées.
Ce ne fut qu'en entendant ce qu'avait dit l'autre homme que Chi Yan sut que Tang Guangyuan était également revenu au temple. L'autre homme l'emmena pendant dix minutes pour le conduire dans une pièce à l'arrière. Il lui servit du thé et lui demanda de prendre place et de patienter un moment. Il dit qu'il allait prévenir ses oncles martiaux. Il partit dès qu'il eut dit cela et referma doucement la porte derrière lui.
Chi Yan s'assit et pour passer le temps, il sortit son portable pour jouer dessus. Dans cet endroit, le réseau était des plus mauvais, instable et parfois très faible. Il ne pouvait pas appeler ou utiliser la 4G. Il ne pouvait que jouer à des petits jeux hors ligne. Quinze minutes plus tard, il avait passé trois niveaux de son jeu mais personne n'était venu.
Avec seulement la moitié de la batterie restante, Chi Yan perdit patience. Il allait ranger son portable et sortir voir ce qui se passait quand il reçut un nouveau message —
Ye Sanqian : Sors vite.
Il n'avait jamais osé montrer à Ye Yingzhi le surnom qu'il lui avait donné.
Un collègue avait accidentellement vu le nom du destinataire quand il avait envoyé un message un fois et il s'était aussitôt écrié :
« Xia Chi, c'est vraiment le nom de ta copine ? C'est pas banal ! »
Chi Yan avait répondu oui en toute conscience.
Le visage de Chi Yan pâlit soudain en voyant ces deux mots. Inquiet, il s'imagina aussitôt le pire. Est-ce que Ye Yingzhi avait été découvert ? Ils allaient lui faire du mal ? Ou bien y avait-il encore un autre problème ?
Il se leva et alla ouvrir la porte. Cependant dès que sa main toucha la porte, le panneau à moitié fermé au départ se referma soudain automatiquement. Il eut beau pousser ou tirer, rien n'y fit.
D'un air résolu, Chi Yan tenta d'enfoncer la porte d'un coup de pied mais le panneau au bois d'apparence fragile resta immuable comme une plaque d'acier.
Il était coincé là et son mauvais pressentiment s'accrût de plus en plus. Son cœur fut soudain saisi d'un grand froid. Il s'appuya contre la porte et envoya une réponse à Ye Yingzhi en tremblant :
Yingzhi, je n'arrive pas à sortir.
Il ne savait cependant pas si Ye Yingzhi pourrait voir son message.
Ye Yinghzi attendait en s'ennuyant au bord de la petite forêt quand il sentit soudain son lien avec Chi Yan disparaître.
Chi Yan portait ses cendres alors quelque chose avait dû couper de force le lien entre eux.
Il avait déjà deviné que ce devait certainement être un stratagème, cependant s'il ne prenait pas l'initiative de casser ce plan, ces gens continueraient de les harceler.
Il ne voulait pas qu'ils importunent Chi Yan.
Que c'était pénible.
Voilà pourquoi il avait fait de discrètes allusions à Chi Yan durant leurs conversations comme quoi il fallait venir là au plus vite afin de régler cette affaire et de faire taire ces gens.
Comme prévu.
Les humains étaient vraiment des créatures impatientes, comme en témoignaient leur bassesse et leur vie courte.
Il les railla en lui-même, semblant avoir oublié qu'il avait aussi été humain.
Ye Yingzhi sortit sans un mot le portable que Chi Yan lui avait acheté et seulement là il manifesta un peu d'affection. Il lui envoya un message lui disant de sortir puis attendit tranquillement sa réponse.
Yingzhi, je n'arrive pas à sortir.
Ils avaient commencé à agir sur Chi Yan.
Ye Yingzhi leva la tête pour contempler les grands bâtiments majestueux devant lui.
Puis il prit tranquillement son portable pour appeler un numéro publique : la police.
Notes du chapitre :
(1) Dans les sectes d'arts martiaux ou autres, le maître est comme le père. L'oncle martial est donc un membre de la même génération que le maître.
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