Chapitre 48 : Forme humaine
Juste à cet instant, on toqua à la porte.
Chi Yan tourna la tête pour regarder Ye Yingzhi puis se glissa hors de son étreinte.
« J'y vais. »
Peu lui importait que son visage soit encore tout rouge et que son cœur battait toujours aussi fort, il se dépêcha d'aller à la porte, la déverrouilla et l'ouvrit.
C'était Gu Xixi qui se tenait de l'autre côté.
Elle eut un grand sourire en voyant Chi Yan et souleva la petite boîte exquise qu'elle tenait.
« Frère Chi Yan, encore merci pour m'avoir invitée à déjeuner. En rentrant, je suis tombée sur ce gâteau que tu adores alors je t'en ai acheté un. »
Les pieds et les mains de Chi Yan étaient paralysés, il ne savait pas comment réagir.
Une main surgit de derrière Chi Yan. Ye Yingzhi se tenait tout près derrière lui et il prit le gâteau.
« Merci. Ah Yan doit se changer avant de voir son directeur de thèse alors il ne peut pas rester avec toi. Mais si tu veux, tu peux entrer. Je te servirai du thé et nous discuterons un peu. »
C'était dit sur un ton très impoli et Chi Yan en conçut aussi de l'inquiétude. Ye Yingzhi ne le savait pas mais lui avait parfaitement conscience que la personne en face d'eux n'était pas un être humain. Et si Ye Yingzhi l'offensait par inadvertance ? Elle lui ferait du mal ?
Contre toute attente Gu Xixi perdit simplement son expression souriante. Elle lança un autre regard à Chi Yan, hocha la tête et fit :
« Puisque Frère Chi Yan est occupé, je ne vais pas vous déranger. À plus tard. »
Chi Yan contempla sa silhouette de dos qui s'éloignait rapidement et une multitude d'images défilèrent dans son esprit en un instant — quand Gu Xixi était venue en personne et qu'elle était rapidement partie dès qu'elle avait vu que Ye Yingzhi était là ; quand elle l'avait invité à déjeuner mais qu'elle avait appris que Ye Yingzhi viendrait aussi, elle avait trouvé des excuses pour ne plus venir...
Il jeta un regard inconscient vers Ye Yingzhi qui était en train de jeter à la poubelle le gâteau apporté par Gu Xixi.
Il ne s'était pas trompé avant : quelle que soit la raison, Gu Xixi évitait bel et bien Ye Yingzhi.
Alors en attendant que Hu Xing puisse se débarrasser de Gu Xixi, sa meilleure option était de suivre Ye Yingzhi.
Chi Yan se rendit au balcon pour appeler Hu Xing. Il commença par lui poser une question qui l'intriguait énormément :
« Mlle Hu, vous avez dit que Gu Xixi n'était pas humaine alors comment a-t'elle eu son identité ? Comment se fait-il qu'elle soit officiellement inscrite à la fac ? »
En entendant cette question, Hu Xing ne put retenir un léger rire.
« Puisqu'elle peut se faire passer pour un être humain et se mêler dans la société, il y a évidemment des milliers de façons de se créer une identité. Soit elle a usurpé une identité ou bien elle a falsifié les données... et j'en passe. Ce n'est vraiment pas compliqué pour un esprit maléfique comme elle. »
Chi Yan comprit au rire de l'autre personne que sa question était vraiment trop naïve. Il en fut un peu embarrassé et se gratta le nez. Il lui raconta alors sa première rencontre avec Gu Xixi ainsi que le fait qu'elle se fasse passer pour Baby Yan. Il venait d'apprendre à l'instant que Ye Yingzhi était le vrai Baby Yan et il raconta tout à Hu Xing. Cela pouvait sembler trivial mais ces détails étaient toutefois suspects et pouvaient peut-être apporter des indices à la jeune femme.
Hu Xing fit à l'autre bout du fil :
« Une seconde, Chi Yan. Tu dis que cette chose connaît tous les secrets entre ton colocataire et toi dans le jeu et qu'en plus elle ressemble énormément au personnage du jeu de ton colocataire ?
– C'est bien ça, » répondit Chi Yan.
Sadako pouvait bien sortir d'un écran télé. Une fois qu'il sut que Gu Xixi n'était pas humaine, cela ne l'avait guère surpris que Gu Xixi puisse connaître facilement toutes ces informations et qu'elle ait pris l'apparence de Baby Yan. Après tout Ye Yingzhi et lui n'étaient que des gens ordinaires, comment pourraient-ils se protéger contre ces choses maléfiques ?
« ... »
Hu Xing resta un moment silencieuse, songeuse, puis elle fit lentement :
« Xiao Chi, se peut-il que tu aies raisonné à l'envers ? Ce n'est pas qu'elle ait jeté son dévolu sur toi et que pour se rapprocher de toi, elle s'est volontairement fait passer pour la Baby Yan que tu n'avais jamais vue pour de vrai, mais plutôt qu'elle est réellement Baby Yan et c'est pour ça qu'elle a jeté sur dévolu sur son mari, c'est-à-dire toi, dès qu'elle est apparue.
– Mlle Hu, de quoi parlez-vous ? C'est sûr et certain que Ye Yingzhi est Baby Yan. Il ne me mentirait jamais et encore moins à ce sujet.
– Je ne dis pas que Ye Yingzhi n'est pas Baby Yan. Je dis que Gu Xixi est l'incarnation de Baby Yan, le personnage de jeu créé par ton colocataire. »
Chi Yan en resta sans voix.
La fantaisie médiévale avait toujours été un thème dominant dans les jeux en ligne du pays, Immortal's Fate ne faisait pas exception à la règle. L'histoire était basée sur un ancien mythe : on racontait qu'autrefois un érudit avait peint le portrait d'une très belle femme. Il contemplait cette beauté ensorcelante jour après jour, en devint fou puis un jour la beauté sortit de la toile et devint un être humain. Ils se marièrent et eurent de nombreux enfants.
À présent il semblait en fait que c'était simplement le désir et l'idéal de cet ancien érudit sous la forme d'une peinture. Sans avoir besoin de rien faire, on pouvait avoir une magnifique beauté tout droit sortie d'une peinture, c'était vraiment le rêve. En fait, il existait bien d'autres histoires similaires que ce soit en Chine ou dans d'autres pays. Par exemple dans la mythologie grecque, le roi de Chypre, Pygmalion, était tombé amoureux de la femme qu'il avait sculptée.
Toutefois Hu Xing avait dit que les statues de dieu, les sculptures, les portraits, les marionnettes et les poupées, etc. et même les photos qui étaient apparues après l'invention de la technique de reproduction photographique pouvaient engendrer des esprits maléfiques. L'homme était l'esprit de tous les êtres vivants, et l'existence d'une forme humaine pouvait engendrer un esprit qui pouvait devenir maléfique en présence de sang et d'énergie maléfique. Il était indubitable que les personnages des jeux en 3D étaient des existences encore plus tangibles. Ils avaient des noms, des visages et des corps, ils étaient vivants dans leur propre monde sous le contrôle de leurs maîtres.
Quand votre personnage vous souriait dans le jeu, comment savoir s'il était manipulé par des données ou bien s'il voulait vraiment vous sourire ?
Ce n'était pas impossible pour une telle chose de prendre vie un jour, n'est-ce pas ?
« … Ça tombe sous le sens. Bien qu'elle ait une forme en condensant son énergie maléfique de monstre, en réalité elle n'a pas de corps tangible. Elle ne peut que condenser temporairement son énergie maléfique et elle doit impérativement se fabriquer un corps avant que cette énergie ne se dissipe. Pas étonnant qu'elle soit aussi anxieuse, poursuivit Hu Xing à l'autre bout du fil. Mais c'est quand même curieux. Où est allé ton colocataire et qu'a-t'il fait ? Comment cette chose a-t'elle pu être imprégnée d'une énergie maléfique si forte au point qu'elle est directement devenue un esprit maléfique ?! »
Bien que les personnages d'un jeu soient plus tangibles que des portraits ou des sculptures, ils n'avaient aucun contact direct avec le monde extérieur. Logiquement, le risque que rencontrer une présence maléfique était bien moindre.
Chi Yan savait que Ye Yingzhi n'était pas du genre sociable et qu'il n'aimait pas sortir. La plupart du temps il était soit à la fac soit chez lui. Comment aurait-il pu entrer en contact avec des présence maléfiques... ?
Chi Yan se figea à cet instant. Chez lui... Dans sa maison. Sa grande-tante avait dit que la maison où vivait Ye Yingzhi avait eu des problèmes, qu'on y avait placé autrefois un sceau pour attirer le mal et que ce qui semblait être un esprit maléfique très puissant y avait résidé, si sa grande-tante avait dit vrai. Même s'ils n'avaient jamais senti une autre présence durant leur séjour comme l'avait souligné Ye Yingzhi, l'endroit restait très maléfique. Malgré le départ de la chose, elle avait certainement laissé derrière elle de l'énergie maléfique indétectable pour les gens ordinaires.
Chi Yan raconta cette vieille histoire à Hu Xing qui marmonna :
« Pas étonnant. »
Elle donna ensuite quelques instructions à Chi Yan avant de raccrocher.
Chi Yan revint dans la chambre et fit à Ye Yingzhi :
« Yingzhi, j'ai un service à te demander. Tu peux effacer le compte de Baby Yan ? Je te donnerai le compte de Ye Sanqian en échange. »
À l'époque, ils avaient tous les deux investi beaucoup de temps et d'argent dans ce jeu, et le compte de Baby Yan valait pas mal d'argent. Cependant ils avaient de nombreux items en partage et la force de leurs personnages était similaire. C'était donc approprié de donner le compte de Ye Sanqian à Ye Yingzhi.
« D'accord, je vais te donner le mot de passe. Mon portable est là aussi, tu peux le supprimer toi-même. »
Ye Yingzhi accepta sans hésiter et sans même lui demander la raison. En y réfléchissant, il ajouta :
« Mais dans ce cas, tu dois une épouse à Ye Sanqian. »
Chi Yan prit simplement ça pour une plaisanterie. Après l'avoir remercié, il se dépêcha de prendre la place de Ye Yingzhi pour supprimer ce compte.
L'hypothèse de Hu Xing n'était peut-être pas totalement juste ; le fait qu'il supprime maintenant le compte de Baby Yan pouvait n'avoir aucun impact sur Gu Xixi cependant il y avait toujours une petite chance que cela affaiblisse son pouvoir. Qui plus est, l'existence de ce personnage lui rappellerait toujours Gu Xixi dorénavant, et cela le répugnait.
Chi Yan envoya la demande de suppression de compte. Après le délai de protection de quinze jours, le compte serait supprimé. Après le délai légal de trente jours, il serait impossible de le restaurer.
Il poussa un soupir de soulagement et se leva. Il se tourna pour découvrir que Ye Yingzhi était en train de préparer un sac avec ses affaires.
« Ye Yingzhi, tu fais quoi ?
– Je prends quelques affaires. Je rentre chez moi ce soir, » répondit Ye Yingzhi d'un ton naturel après une légère pause dans ses actions.
Bien que la maison de Ye Yingzhi soit supposée posséder une terrible énergie maléfique, le plus important était de le suivre à ce moment critique.
Chi Yan se rendit alors rapidement à son bureau pour emballer ce dont il aurait besoin.
Ye Yingzhi se redressa et lui lança un regard.
« Qu'est-ce que tu fais encore ? »
Chi Yan se tourna vers lui et répondit d'un ton d'évidence :
« Je prends des affaires pour t'accompagner chez toi.
– Ne fais pas ça, je ne te prends pas avec moi aujourd'hui.
– Hein ? »
Chi Yan le fixa avec de grands yeux, légèrement incrédule.
Que venait de dire Ye Yingzhi ? Il ne l'emmenait pas chez lui aujourd'hui ?
Il avait encore plein de vêtements et de livres chez Ye Yingzhi, dans son armoire et sur sa table de nuit.
Ye Yingzhi sourit et fit deux pas dans sa direction. Puis il baissa les yeux sur lui et fit doucement :
« … Ah Yan, comment t'expliquer ? Les gens ont certains besoins et si tu es avec moi, je ne peux pas les satisfaire correctement. »
Bien que Ye Yingzhi ne soit pas plus explicite, Chi Yan comprit soudain de quoi voulait parler l'autre.
Son visage rougit aussitôt et devint tout chaud.
Il comprit intuitivement qu'il avait posé des problèmes à Ye Yingzhi sans s'en rendre compte. Ce dernier en avait marre que Chi Yan ait le culot de le coller en permanence. Cela faisait peut-être un moment qu'il en avait plus qu'assez mais il ne le disait qu'aujourd'hui.
En temps normal, Chi Yan serait bien trop gêné pour le suivre mais la situation était plus que spéciale : le seul moyen d'être en sécurité et tranquillisé, c'était de suivre Ye Yingzhi. Alors Chi Yan baissa la tête et murmura :
« Laisse-moi rentrer avec toi. J'irai dans la chambre d'ami. Je peux faire le ménage et la lessive... Laisse-moi te suivre et je te promets de ne pas te déranger cette fois. »
Tant pis si cela voulait dire habiter dans la chambre d'amis où il avait vu deux fois déjà des fantômes.
« Non, refusa cependant Ye Yingzhi, à sa grande stupeur. Cela fait des années que je suis célibataire, je veux juste essayer cette fois de le faire avec quelqu'un. Si tu es là, je serai trop gêné pour amener quelqu'un chez moi. »
Pourquoi tu choisis maintenant pour vouloir faire ce genre de choses ?! Chi Yan n'aurait pu dire si Ye Yingzhi avait vraiment ce genre d'intention ou bien s'il disait juste ça pour ne pas avoir à le prendre chez lui.
C'était ce qu'on appelait : la familiarité engendre la perte d'humilité tandis que la distance engendre le mécontentement Une citation des Analectes de Confucius. La phrase complète est : "Ce ne sont que les femmes et ceux de faible caractère avec lesquels il est difficile de s’entendre. Si vous êtes familiers avec eux, ils perdent leur humilité. Si vous gardez vos distances, ils sont mécontents." (1). À ce niveau, Chi Yan était bien loin d'être un gentleman. Ye Yingzhi s'était toujours montré si gentil avec lui avant et là, il trouvait soudain des excuses pour le repousser, allant même jusqu'à inventer ce genre de prétexte. Chi Yan ne put s'empêcher d'éprouver un peu de rancœur.
Il baissa la tête et fit avec colère :
« Dans ce cas, ne va pas chercher quelqu'un d'autre. Et si c'était moi qui t'aidais ? »
Il dit ça sans réfléchir le moins du monde, et de la part de n'importe qui d'autre ce serait le prélude à une querelle.
Toutefois Ye Yingzhi n'était pas n'importe qui après tout. Il fit simplement Oh, se retourna et continua à emballer tranquillement ses affaires.
Chi Yan resta planté là sans rien dire. Au moment où il ouvrit la bouche, il entendit Ye Yingzhi dire d'un ton calme :
« Pourquoi tu ne prépares pas tes affaires ?
– Mes affaires ?
– Prends tes affaires, tu rentres avec moi. »
Ye Yingzhi se retourna et le contempla calmement.
« Je viens d'accepter ta proposition. Nous rentrons tous les deux, tu vas m'aider. »
Au bout du compte, Chi Yan se retrouva allongé bêtement sur le lit de Ye Yingzhi et tint parole.
Bien entendu ce n'était que le coup de main basique. De plus Ye Yingzhi transforma le service unilatéral qu'un locataire offrait à son propriétaire en une aide mutuelle entre amis. Chi Yan en fut si intimidé qu'il n'osa pas ouvrir les yeux.
Cela finit par devenir un peu hors de contrôle à la fin. Quand il devint trop difficile de se contrôler, Ye Yingzhi se pencha sur lui et l'embrassa.
Un baiser des plus intenses.
Notes du chapitre :
(1) Une citation des Analectes de Confucius. La phrase complète est : "Ce ne sont que les femmes et ceux de faible caractère avec lesquels il est difficile de s’entendre. Si vous êtes familiers avec eux, ils perdent leur humilité. Si vous gardez vos distances, ils sont mécontents."
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