Esprit Malin 57

Chapitre 57 : Les futilités de l'existence


Le taxi blanc roulait à vive allure sur la route. De la musique country passait en boucle à l'intérieur. Quand la vitre fut baissée, une brise chaude s'y engouffra, emplie de la chaleur du soleil de Février dans l'hémisphère sud.

En chemin on pouvait distinguer des habitations peu élevées, de la végétation et des arbres de chaque côté de la route, une grande étendue de paysage rural et villageois. On ne retrouvait une touche de modernité qu'à l'approche du centre-ville. Les rues étaient vides et on voyait peu de gens et de véhicules.

Le taxi s'arrêta finalement devant un immeuble de quatre ou cinq étages. Le chauffeur prit le billet de cinquante dollars tendu par Chi Yan et grommela tout en cherchant la monnaie.

« N'utilise plus un si gros billet pour le taxi. C'est dur de rendre la monnaie sur ça. »


Chi Yan sortit du taxi avec son sac à dos, sa valise et un paquet de pièces, puis se tint devant son futur dortoir. De nos jours, même les pièces de cinquante cents étaient rares en Chine et là, tout à coup, il se retrouvait avec plein de pièces. Cela le mit un peu mal à l'aise et il ne savait même pas où les mettre.

Tandis qu'il rangeait ses pièces, il regarda le bâtiment rouge foncé en face de lui. Le bâtiment devait dater d'un bon bout de temps : il avait l'air un peu défraîchi vu de l'extérieur et la peinture rouge ressemblait plus à du sang qui avait séché.

Il inspira un grand coup et tira sa valise à l'intérieur. Les portes vitrées s'ouvrirent automatiquement des deux côtés. L'intérieur du bâtiment semblait plus neuf que l'extérieur. Il avait été de toute évidence rénové.


Chi Yan eut de la chance : quand il se rendit à l'étage avec sa carte de chambre après s'être enregistré, il rencontra un Chinois dans l'ascenseur. Le jeune homme s'appelait Jiang Tian. Il était venu ici pour participer à un projet "2 + 2" de l'université : cela consistait à étudier dans une école partenaire à l'étranger durant ses deux premières années puis revenir ici pour faire sa dernière année de licence. Alors bien qu'il soit en première année de master comme Chi Yan, cela faisait un an qu'il était ici et il connaissait déjà bien les lieux.

La chambre de Chi Yan se trouvait au quatrième étage. Jiang Tiang vivait au troisième mais il décida de donner un coup de main à Chi Yan pour porter ses affaires dans sa chambre et il nettoya la pièce avec lui.


« Il y a une cuisine commune à chaque étage où tu peux cuisiner toi-même, ainsi que des salles de bains et une buanderie. Tu peux y accéder avec ta carte. Par contre, franchement, ta chambre est mal placée. Juste au-dessus tu as la salle d'activité et le cinquième étage est un espace public. Les élèves étrangers aiment bien organiser des fêtes dans la salle d'activité. Elle est ouverte quasiment tous les week-ends alors ça fera du bruit. Mais on n'y peut rien. Heureusement ça ne dure pas plus tard que minuit en général. Si tu as d'autres questions, comme où acheter des affaires, s'inscrire à l'école ou acheter une carte de bus, n'hésite pas à venir me voir, je t'emmènerai là où il faut. De toute façon les cours ne commencent pas avant la semaine prochaine alors je n'ai à faire d'ici là.

– Okay, merci beaucoup. »

Chi Yan ne put attendre pour formuler la question qui l'inquiétait le plus :

« Comment on mange en général ? On est censé... cuisiner soi-même ?

– Oui, c'est ça, » acquiesça Jiang Tian.


Il vit la tête que fit Chi Yan.

« Ou bien tu peux aller acheter à manger dehors mais le plat le moins cher coûte déjà dix dollars et ce n'est pas très bon ou très sain. Mieux vaut te faire à manger toi-même. Il y a un petit fast-food pas loin qui vend des burgers, des pizzas et du fish & chips. Les burgers sont gros et coûtent moins de sept dollars. Les pizzas sont plutôt bonnes aussi. C'est comme une tarte avec de la viande grillée, des oignons et du fromage dessus. Elles sont vendues en petites parts à dix dollars la pièce mais ça suffit pour la journée. Cependant ce genre de nourriture est trop grasse et calorique, ce n'est vraiment pas sain de manger ça tous les jours. C'est juste pratique de temps en temps si tu n'as pas le temps de cuisiner. Il y a aussi de la vente à emporter sur le campus mais le goût est bof bof et il n'y a pas trop de choix. Comparé à ça, je préfère encore aller chez Subway.

– Je crois que je vais apprendre à cuisiner. »

Chi Yan se cacha le visage, angoissé. Il avait bien trop honte d'avouer à un ami qu'il venait juste de rencontrer qu'il ne savait même pas allumer une plaque à gaz ou cuire un œuf quand il était chez lui.


Bien que son pays d'accueil lui accordait une bourse conséquente et avait pris en charge les billets d'avion, il devait encore dépenser plus de mille dollars par mois pour le logement — un mois de loyer ici équivalait à quatre ans de loyer en Chine. Outre le reste, il y avait une cantine pas chère dans leur université. Un bon repas ne coûtait pas plus que quinze dollars. Et si on en avait marre de manger à la cantine, il y avait toute sorte de plats à emporter... Ce fut à ce moment précis que Chi Yan prit conscience de la supériorité d'une Université Socialiste. Il n'était qu'un simple étudiant sans aucune source de revenu. Il avait bien trop honte pour demander plus d'argent à ses parents alors il devait apprendre à gérer soigneusement son budget. Apprendre à cuisiner semblait donc une obligation.

Pour faciliter les choses, il n'avait pris avec lui que son ordinateur portable et les vêtements de première nécessité. Les draps, la vaisselle et tous les autres objets du quotidien devaient être rachetés. Il devait aussi aller à l'université pour faire sa demande de carte d'étudiant, ouvrir un compte en banque, prendre un forfait mobile local, acheter une carte de bus... Il avait une foule de choses à faire.


Heureusement que Jiang Tian était là. Tout l'après-midi, selon l'ordre des priorités, il conduisit Chi Yan là où il fallait. Il lui fit faire aussi le tour de l'université et du centre commercial. Pour le remercier, Chi Yan l'invita à dîner dans un restaurant malaisien du centre-ville après leurs courses.

Jiang Tian lui avait conseillé cet endroit. Relativement parlant, il offrait un bon rapport qualité/prix. Un repas coûtait environ vingt dollars mais les portions de légumes et de viande étaient généreuses. Chi Yan choisit du poulet et des crevettes au curry qui était plutôt bon et coûtait moins cher que dans un restaurant chinois à la carte.

Grâce aux indications de Jiang Tian, Chi Yan avait pratiquement fini dans l'après-midi tout ce qu'il avait à faire. Il ne restait que le compte bancaire et quelques articles à acheter.


* * *


Il y avait du monde à la banque à l'approche de la rentrée alors cela prit du temps de faire la queue. Chi Yan se rendit à la banque le lendemain et en chemin, il prit son déjeuner dans le Subway de la fac et son dîner dans un restaurant de poulet frit.

Quand il revint le soir au dortoir, il put rencontrer ses voisins de chambre des deux côtés.

Il occupait la chambre 407. À gauche, dans la chambre 406, se trouvait un jeune homme aux cheveux noirs du nom d'Alex. Il faisait plus d'1m80 et avait la peau pâle mais un sourire très brillant. À droite dans la chambre 408, il y avait une jeune fille du nom d'Emily Je conserve la version anglaise des noms car l'histoire se passe en Australie. (1) avec des doux cheveux blonds. D'après leur apparence, ils étaient tous les deux des occidentaux.

Les dortoirs ici fonctionnaient par inscription à l'année ou au semestre. Il y avait souvent des étudiants qui changeaient de dortoir ou qui louaient une maison. Emily venait juste de s'installer et après avoir discuté avec eux un moment, elle retourna dans sa chambre pour déballer ses affaires. Elle avait également rendez-vous avec des amis pour dîner.


« Alors tu viens d'arriver hier ? fit Alex en le regardant. Il y a plein d'endroits intéressants à Sophis J'ai une voiture, je pourrai t'y emmener. Au fait, tu aimes les soirées ? Nous avons également toutes sortes de soirées intéressantes. »

Le fait était que dans la vie, les gens enthousiastes et joyeux avaient plus de chances de se faire des amis. En plus ce ne serait pas une mauvaise chose que de bien s'entendre avec son voisin. Chi Yan remercia l'autre puis discuta encore un peu avec lui avant de lui dire au revoir et de regagner sa chambre.


* * *


Le troisième jour, il y avait des nuages pour une fois. Les nuages cachaient le soleil et la couleur des arbres semblait terne. C'était plutôt rare en Février.

Après avoir couru dans tous les sens les deux jours précédents, Chi Yan était un peu fatigué. Il ne se réveilla qu'à dix heures du matin. Il prit le bus pour aller au supermarché du coin et choisit soigneusement les légumes et la viande qu'il allait manger les prochains jours avant d'emmener ses courses dans la cuisine commune.

En fait, il ne savait pas trop quoi cuisiner alors il avait pris des œufs, du bœuf en barquette, une moitié de chou et deux tomates. Au moins ces ingrédients étaient assez basiques et ne devaient être pas trop difficiles à cuisiner. Jiang Tian l'avait déjà emmené acheter des condiments comme du sucre, du sel et de la sauce soya dès le premier jour. Bien qu'il n'y connaissait rien à rien et ignorait comment se servir de ces choses pas plus qu'il n'aurait su utiliser des réactifs chimiques, au moins il avait ce qu'il fallait.


Il y avait deux cuisines à chaque étage. Chacune comportait deux grands réfrigérateurs et un congélateur. Chacun avait un espace dans le réfrigérateur qu'il pouvait fermer à clef. La place de Chi Yan se trouvait à gauche. Il y avait des placards et des éviers dans la cuisine ainsi que deux rangées de six cuisinières au centre.

Chi Yan prit sa casserole flambant neuve et la posa sur la plaque à gaz. Il alluma soigneusement le feu et décida de commencer par le plus simple : du riz frit.

Il réchauffa un bol de riz au micro-ondes, coupa la moitié de son chou en tranche, découpa une tomate et battit un œuf. Il remisa le reste de la tomate et du chou dans le réfrigérateur ainsi que le bœuf dont il ne savait pas quoi faire — il se dit qu'il pourrait se préparer de la poitrine de bœuf à la tomate quand il se serait amélioré en cuisine.


Chi Yan consulta une recette sur le net pour faire du riz frit. Il suivit les étapes mentionnées pour verser l'huile en premier, puis le riz cuit et ensuite ajouter le chou, les tomates et l'œuf battu.

La recette parlait juste d'ajouter un œuf et de la ciboule hachée mais il estimait qu'il devait ajouter un peu de légumes. Le riz fraîchement cuit semblait un peu trop humide mais cela irait. Jusque là, tout était parfait. Il n'avait plus qu'à remuer avec une spatule et ajouter un peu de sel.

Deux minutes plus tard, Chi Yan contemplait d'un air perdu la tomate et le chou qui avaient dégorgé. Le contenu de la casserole était devenu une bouillie rouge et blanche.

Son visage fut agité d'un tic et il sortit son portable. En désespoir de cause, il ne pouvait qu'appeler Jiang Tian à la rescousse.


Son ami ne tarda pas à arriver du troisième étage. Il contempla la casserole de Chi Yan avec stupéfaction.

« … C'est quoi ? »

Heureusement, Chi Yan avait eu le réflexe d'éteindre le feu.

« Du riz frit. Il y a aussi des tomates, du chou et un œuf. »

Que le Ciel ait pitié de lui, il n'avait même pas mis un peu de viande — parce qu'il ignorait comment la cuisiner.

« Ton riz est trop humide. Le chou rend facilement de l'eau. Si tu veux en rajouter, il vaut mieux le cuire à l'avance, d'accord ? »

Jiang Tian ne put supporter de voir davantage cette casserole.

« Chi Yan... tu veux vraiment manger ça ?

– Je ne crois pas que je pourrais en manger. »

Chi Yan contempla la casserole et se sentit désolé pour son œuf. Les œufs de poules élevées en plein air qu'il avait achetés étaient beaucoup plus chers que les œufs de poules en cage.


« Tant pis, je n'ai qu'à tester le restaurant de burgers dont tu m'as parlé. »

Il eut un sourire amer à l'adresse de son ami.

Jiang Tian hocha la tête et lui indiqua de nouveau où se trouvait le restaurant.

« J'ai déjà fini de manger, sinon je t'aurais accompagné. Mais ce n'est pas grave tout ça. On ne peut pas être doué en tout. Crois en toi, ta future épouse sera très vertueuse Heureusement que Ye Yingzhi sait cuisiner, lui ! (2). »

Jiang Tian l'aida à nettoyer la cuisine puis ils se séparèrent. Jiang Tian retourna au troisième étage tandis que Chi Yan alla dans sa chambre prendre son porte-feuille avant de se rendre au restaurant dont avait parlé Jiang Tian.


* * *


Ce restaurant de burgers n'était pas loin, il n'eut qu'à traverser la rue. Il n'y avait pas d'autre endroit pour acheter de la nourriture dans la rue de leur dortoir. Chi Yan se mit à regretter les petits et grands restaurants qu'on trouvait partout dans la capitale impériale et même les échoppes ambulantes bleues et jaunes. En comparaison, cet endroit pouvait être qualifié de campagne nouvellement modernisée et capitaliste.

Le restaurant mentionné par Jiang Tian se nichait au fond de la rue. La vitrine était très étroite avec seulement un comptoir pour trois ou quatre personnes. Il n'y avait pas de chaise pour que les clients s’assoient alors on ne pouvait acheter qu'à emporter. L'endroit semblait un peu rudimentaire.

Il y avait de la nourriture frite sur le comptoir dans un chauffe-plat qui versait sa lumière dorée dessus. Les poêle à frire s'agitaient à l'arrière, ce qui donnait aux gens un sentiment particulier d'huile et de convivialité.


Pendant ce temps, il n'y avait qu'un seul client devant le petit restaurant.

C'était un homme d'âge moyen avec des cheveux gris. Il portait une chemise blanche avec un pantalon noir de costume. Le plus frappant était qu'il portait un gilet sans manche à carreaux gris sur sa chemise — c'était très curieux de porter une telle tenue pour ce genre d'occasion et en cette saison.

Il y avait une montre à gousset en or sombre accrochée à son torse. La peau visible de sa nuque et de son visage de profil était très blanche, pas comme la couleur de peau normale des occidentaux mais d'un blanc maladif. Ses chaussures en cuir étaient propres et sa posture était empreinte d'élégance, ce qui rappela à Chi Yan les gentilshommes occidentaux traditionnels dans les films.

Il ne cadrait absolument pas avec ce restaurant de burgers, à tel point que Chi Yan ne put s'empêcher de lui lancer plusieurs regards en douce.


L'homme finit par remarquer son regard et il se tourna pour hocher la tête poliment à son intention. Après avoir payé, il prit sa commande et s'en alla. Chi Yan se décala à gauche pour lui laisser la place de sortir.

Au coin de la rue à gauche de la porte, on pouvait entendre une voiture noire.

L'homme marcha rapidement vers l'avant de la voiture. Il ouvrit d'abord la porte à l'arrière, se pencha et tendit la nourriture. Puis il retourna à la porte conducteur pour l'ouvrir. La manière dont il s'était penché était à la fois humble et respectueuse.

Rempli de curiosité, Chi Yan ne put s'empêcher de regarder tout cela. Il ne se rendait même pas compte à quel point il se montrait impoli.


Au moment où l'homme avait ouvert la porte arrière pour tendre la nourriture, Chi Yan avait vu la silhouette d'un homme à l'intérieur. C'était forcément un homme parce que même si cela n'avait duré qu'un instant, Chi Yan avait vu une main pâle et fine se tendre vers l'extérieur — fine mais large et puissante, avec des joints bien dessinés et remplie de force.

Ce n'était certainement pas la main d'une femme.

Il semblait y avoir quelque chose sur un de ses doigts et cela éblouit Chi Yan un instant.

Il cligna des yeux et quand il les rouvrit, la voiture noire avait déjà disparu au coin de la rue.


Note de Karura : Je me demande qui se trouvait dans cette voiture, mmm ?

Sinon, vous aurez certainement reconnu Jiang Tian : même s'il change de nom à chaque réincarnation, il reste le meilleur ami de Chi Yan. C'est une des choses que j'ai bien aimé dans ce roman, il n'y a pas que Chi Yan et Ye Yingzhi qui se réincarnent à chaque fois.


Notes du chapitre :
(1) Je conserve la version anglaise des noms car l'histoire se passe en Australie.
(2) Heureusement que Ye Yingzhi sait cuisiner, lui !






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