Esprit Malin 87

Chapitre 87 : Le compte à rebours de trois jours


Il était déjà vingt-deux heures quand le bus arriva dans un parking au centre-ville de Sophis. Les rues étaient très calmes, avec presque aucun passant ou véhicule de visible. Il faisait un peu froid et le vent soufflait. Chi Yan referma sa veste. La température avait encore chuté : il n'avait pas eu l'impression qu'il faisait si froid quand il avait quitté Sophis deux jours plus tôt.

Il quitta le parking avec Jiang Tian et prit son portable pour le consulter. Le taxi qu'il avait réservé n'allait plus tarder.


Chi Yan s'arrêta et fit à son ami :

« Da Jiang, je ne rentre pas au dortoir avec toi. J'ai raconté à l'ami de mon père ce qui s'était passé. Mon oncle est très inquiet pour moi et m'a demandé d'aller chez lui ce soir. »

Après un moment de réflexion, il ajouta :

« Il est en congé à partir de demain et veut m'emmener en visite. Je n'ai pas cours à la rentrée alors il se peut que je ne rentre pas avant trois jours. Ne t'inquiète pas. »

Cet oncle avait été inventé quand il était resté chez le prince vampire la dernière fois. Il n'aurait pas cru qu'il en aurait à nouveau besoin.

Sans surprise, Jiang Tian ne se douta de rien.

« Alors sois prudent et envoie-moi un message quand tu seras arrivé là-bas. Amuse-toi bien demain. »

Après ça, il agita la main et se rendit à l'arrêt de bus seul. Jamais il n'aurait pensé que son ami allait voir un vampire.


* * *


Chi Yan se souvenait à présent très bien du trajet pour se rendre au manoir du vampire. Même au beau milieu de la nuit, il donna facilement les instructions au chauffeur pour se faire déposer à la porte du bâtiment.

Gray fut visiblement très surpris par sa visite nocturne. Il ouvrit la porte pour laisser entrer l'humain qui était déjà presque congelé.

« Que faites-vous ici à cette heure ? »

La chaleur dans la maison dissipa rapidement le froid de son corps. Malgré ça, Chi Yan s'avança tout de même vers la cheminée. En même temps, il prit son portable pour envoyer un message à Jiang Tian disant qu'il était bien arrivé. Il savait déjà qu'il ne serait pas capable de voir quoi que ce soit durant les prochains jours, sans parler d'utiliser son portable.

« Je suis là pour voir le prince Eymer. J'ai quelque chose à lui dire. Pouvez-vous allez l'en informer ? »


Gray l'invita à s'asseoir sur le canapé et lui apporta une tasse de thé noir bien chaud.

« Attendez une minute. Je vais prévenir son Altesse. »

Assis sur le canapé, Chi Yan hocha la tête et prit une gorgée de thé de l'exquise tasse en porcelaine. Il réalisa alors après coup qu'il s'était montré bizarre et présomptueux en débarquant brusquement comme ça.

Après un moment, Gray sortit de la chambre à l'étage et fit signe à Chi Yan.

Le bandeau noir était toujours accroché à la poignée de la porte. Chi Yan le prit, se banda bien les yeux puis poussa lentement la porte en bois massif.


Cette fois, il resta sur le seuil et ne continua pas à avancer. Il n'attendit pas non plus que la porte se referme automatiquement comme d'habitude. Au lieu de ça, il se tourna pour fermer la porte en tâtonnant puis se pencha contre la porte, dévoilant sa nuque blanche et fine en une position soumise et docile de sacrifice, comme un faon qui se couchait à plat ventre de lui-même sur l'autel afin de révéler son point faible au public. Il ne savait pas quoi dire mais il savait que le membre du clan de sang était capable de le voir — dès l'instant où il avait franchi la porte, le vampire devait forcément l'avoir observé.

Comme il le pensait, il entendit les bruits de pas du prince vampire qui s'approchait rapidement. Juste après vint un assaut violent : le vampire passa son bras gauche autour de sa taille, caressa sa nuque de sa main droite puis le pressa plus fort contre la porte.

Les canines s'enfoncèrent.


Chi Yan pressa son front contre son bras droit et se retint d'émettre le moindre son. Pourtant, un gémissement incontrôlable jaillit de sa bouche. La sensation de se faire sucer le sang cette fois semblait bien plus intense que par le passé.

Il se dit qu'il était devenu fou : il n'avait aucune raison de faire ça, pourtant il avait trouvé une excuse pour venir et laisser le vampire boire son sang.

Il était sûr que ce n'était pas un signe de l'addiction de se faire boire le sang dont avait parlée Ye Yingzhi. Il voulait juste trouver le moyen de se rapprocher de ce vampire qui était si difficile à approcher selon les rumeurs... Même si l'autre buvait son sang. Chi Yan n'était pas contre, il n'était pas dégoûté, au contraire il était même volontaire.

Il voulait se rapprocher le plus possible de ce vampire avant de tout oublier.


* * *


Le vampire prit un long moment avant de retirer ses canines. Pendant qu'il guérissait la plaie en y passant son pouce couvert de salive, il demanda d'un ton léger :

« Il est si tard pourtant tu es venu de toi-même. Tu t'es aussi comporté bien gentiment dès que tu es entré et tu m'as laissé boire ton sang d'abord. Pourquoi tout ça ? »

Chi Yan ne répondit pas. Il se retourna plutôt et leva ses bras pour les passer autour du cou du vampire. Il leva légèrement la tête et déposa un baiser sur sa joue, comme un petit animal qui voulait plaire aux gens.

Le membre du clan de sang émit un léger hum nasal. On pouvait entendre qu'il n'était pas fâché. Au contraire, il appréciait grandement cette sensation.


« Votre Altesse, fit Chi Yan en se détendant et en gardant la tête sur l'épaule de l'autre homme avant de murmurer : en rentrant ce soir, je suis tombé sur un groupe de vampires qui s'attaquent aux gens. Pouvez-vous m'aider à les punir ? »

Le membre du clan de sang eut un léger rire. Il utilisa soudain la force pour le soulever dans les airs et fit quelques pas vers le divan avant de s'asseoir. Pour autant, il ne lâcha pas Chi Yan mais le garda dans ses bras et caressa sa nuque. Il murmura d'un ton doux :

« Juste pour ça ? Juste pour ça, hein ? répéta-t'il en murmurant. Je n'y crois pas. Tu t'es présenté à moi pour que je boive ton sang et tu m'as offert un baiser. Je ne peux pas croire que ce soit juste pour ça. »


Chi Yan ne sut que répondre pendant un moment. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais sentit alors le vampire saisir doucement sa main gauche et caresser gentiment l'anneau à son doigt.

« Tu n'as donc plus ton ami chasseur de vampires ? Tu portes encore son anneau, alors pourquoi venir me voir pour ce genre de choses ? »

Chi Yan ne répondit rien et le prince Eymer se tut une seconde avant de faire subitement :

« Je me souviens maintenant... en te donnant cet anneau, c'est comme s'il te demandait en mariage, non ? Tu as accepté ? Tu es même venu m'enlacer et m'embrasser, petite fripouille ; est-ce que ton petit-ami est au courant ? Cela ne va pas le fâcher ? Oh, c'est parce que tu sais qu'il ne peut rien me faire même s'il était au courant ? Après tout, il ne fait pas le poids contre moi. »


Chi Yan avait rarement entendu le prince Eymer parler aussi longtemps, en plus pour dire des mots si durs et moqueurs. Il s'était ridiculisé en prenant le vampire dans ses bras et en l'embrassant, alors que cela l'avait profondément ému.

Il sentit sa gorge se serrer mais argua quand même :

« Non, il me considère uniquement comme un ami, et moi aussi. Nous sommes juste amis. Il m'a donné cet anneau pour me protéger. D'ailleurs cette fois, sans cet anneau, vous n'auriez probablement plus pu boire mon sang.

Alors je dois vraiment lui dire merci. »

La voix du vampire était froide et gracieuse, profondément imbibée d'indifférence.

« Juste amis ? Un ami qui t'a passé la bague au doigt ? Un ami que tu appelles "mon époux" dans tes rêves ? »


Il prit l'humain dans ses bras en un geste affectueux mais ses paroles n'avaient rien d'affectueux, comme s'il voulait lui tirer les vers du nez :

« Petite fripouille, tu croyais que je ne t'entendais pas parler pendant ton sommeil ? Tu as oublié qui t'a gardé dans ses bras et bordé quand tu as passé la nuit ici ? Alors comme ça, vous vous aimez, hein ? Pourtant, c'est moi que tu viens voir après avoir été attaqué. Pourquoi ? Hein ? Allez, dis-moi pourquoi. »

Chi Yan détourna le regard et sentit son cœur envahi par le feu et la glace. Il savait qu'il ne pouvait pas clairement expliquer ça. Il ne pouvait pas expliquer ses rêves. Dans la vie réelle, il traitait vraiment Ye Yingzhi comme un ami en tout bien tout honneur. Mais dans ces rêves, un homme qui ressemblait trait pour trait au chasseur de vampires était son amant intime, et Chi Yan acceptait ce qui se passait en rêve comme si c'était logique.


Il avait tort. Ye Yingzhi avait toujours été un ami fiable, attentionné et digne de confiance. Il l'avait déjà secouru plusieurs fois. Chi Yan se sentait donc particulièrement coupable de traiter son ami ainsi dans ses rêves, c'était vraiment mal. Il avait vraiment fait et dit cela dans ses rêves. Ce serait un mensonge de prétendre qu'il ne ressentait rien pour Ye Yingzhi, même lui n'y croirait pas. Alors il n'y avait rien à justifier.

Chi Yan se rappela qu'il était venu ici pour une raison plus importante. Il sentit soudain que tout ça n'avait plus aucune importance. Peu importait qu'Eymer croit qu'il était amoureux de Ye Yingzhi. De toute manière, il ne leur restait plus beaucoup de temps. Au lieu de se disputer et se justifier, mieux valait chérir le temps qu'il leur restait.


Il se libéra de l'étreinte du membre du clan de sang et s'assit à côté de lui. Il enlaça le vampire par derrière et se colla lentement contre lui, posant sa tête sur le dos de l'autre homme.

« … Votre Altesse, je suis venu vous dire qu'il ne restait plus que trois jours avant la fin de notre arrangement. Vous avez dit que quand ce serait terminé, vous me laisseriez complètement partir. »

Sans la subite réalisation que leur arrangement tirait vers la fin, il se serait encore leurré lui-même et les autres. Il ne reconnaîtrait sans doute jamais qu'il répugnait à quitter un vampire, un vampire rusé qui avait toujours été réputé pour son insensibilité et qui ne lui avait jamais montré son vrai visage.


Le corps du vampire se raidit puis il eut un léger sourire.

« C'est donc ça. C'est donc juste ça qui t'inquiète. Ne t'en fais pas, je respecterai ma part du marché et je te laisserai partir complètement et en sécurité. »

Il se tourna, allongea l'humain sur le dos sur le divan et se pressa contre lui pour boire son sang sans retenue.

Cette fois, le vampire mordit très fort. Chi Yan se retint pour ne pas gémir comme d'habitude car il savait que s'il montrait le moindre inconfort, le membre du clan de sang relâcherait sa force.


Le divan était très étroit. Après que le vampire ait retiré ses canines, il s'allongea à côté de l'être humain. Le membre du clan de sang avait presque complètement emprisonné l'humain dont il venait de boire le sang. Ayant attendu la fin du processus, Chi Yan posa la question qu'il avait ruminée depuis longtemps dans sa tête :

« Eymer, quand notre arrangement sera terminé, mes souvenirs à ce sujet seront-ils effacés ? À propos du clan de sang et à propos... de toi ? »

Il était face au dossier du divan tandis que le vampire l'enlaçait par derrière. La voix de l'autre homme était douce et le vampire était d'humeur agréable, comme toujours quand il venait de boire du sang :

« Qu'en dis-tu ? Tu veux oublier ? Bébé, je te promets que c'est à toi de décider. »


Chi Yan garda le silence un bon moment avant de répondre doucement :

« Je veux oublier. Eymer, fais-moi tout oublier. »

Le membre du clan de sang passa ses dents sur la nuque de sa proie. Il se redressa légèrement pour s'approcher de son oreille. Il fit avec un petit rire :

« Je le savais,tu me détestes. »

Il riait, pourtant il n'y avait ni joie ni colère dans sa voix. Il n'était ni heureux ou fâché, comme si c'était quelque chose de trivial et d'évident. Chi Yan sentit soudain son cœur enfler de douleur.

Ce n'est pas que je te déteste... mais... je t'aime.

J'aime un vampire que je ne devrais pas du tout aimer. Je suis tombé amoureux mais mon amour est voué à ne jamais être partagé.

Il n'avait jamais eu le courage de manifester ses sentiments ou même d'être honnête avec lui-même.


Il entendit le vampire dire d'un ton nonchalant :

« Je vois. Je te laisserai m'oublier. »

De toute manière, il y a Ye Yingzhi. De toute manière, il y a cet humain que tu aimes. De toute manière, vous ne pourrez pas rester amis pour toute la vie. Nous serons d'abord amis, puis amants et je t'imprégnerai lentement... Quoi qu'il en soit, l'avenir reste radieux. Même si tu m'oublies temporairement, ce n'est rien. Tu m'aimeras toujours, tu ne peux aimer que moi.

Le membre du clan de sang leva la main pour caresser les lèvres de son amant, ses yeux profonds.


Les yeux de Chi Yan s'étaient assombris sous le bandeau noir et une amertume inexprimable avait soudain envahi son cœur — J'en étais sûr, le prince se fiche bien que je l'oublie. Je ne suis qu'une délicieuse friandise pour lui. Il n'avait encore jamais bu directement le sang d'un humain avant mais il y a un commencement à tout. Il trouvera peut-être d'autres friandises encore plus délicieuses par la suite, jusqu'à ce qu'il oublie le goût de sa première.

Je ne me souviendrai plus de toi, tu ne te souviendras plus de moi, c'est équitable.

Il n'avait même pas le droit de se plaindre : l'autre homme lui avait généreusement laissé le choix. C'était lui qui avait décidé de tout oublier — s'il ne pouvait pas l'obtenir, s'il ne pouvait pas le monopoliser, mieux valait encore oublier, mieux valait encore redevenir des étrangers.


Chi Yan ferma les yeux et pressa fortement de la main le tissu du divan sous lui. Il refoula complètement ses émotions. Il se retourna, passa les bras autour du cou du vampire puis redressa la tête et embrassa gentiment la pomme d'Adam de l'autre. Il eut un sourire forcé :

« Votre Altesse, durant ces trois jours, je suis à vous... Je vous appartiens tout entier, je suis vôtre... »







Commentaires :


:

:

Pour insérer des émojis dans le message, appuyez sur la touche Windows et ; de votre clavier (pour Windows 10).

Derniers chapitres parus :
La Renaissance du Suprême Immortel 447 et 448
Lanterne 52
La Renaissance du Suprême Immortel 445 et 446

Planning des mises à jour :
Dimanche tous les quinze jours : Lanterne : le reflet d’une fleur de pêcher
La Renaissance du Suprême Immortel
Le Prince Solitaire