Esprit Malin 95

Chapitre 95 : Le cadeau


Chi Yan était également contrarié en voyant le papier signalant la coupure d'eau affiché en dehors de la salle de bain. Après réflexion, il proposa à son ami :

« Je crois me rappeler qu'il y a des bains publics à moins de cinq minutes. Il faut sortir par le mur ouest puis continuer à l'ouest. Et si on prenait nos affaires et qu'on allait là-bas en vitesse ? »

Song Jin fut aussitôt d'accord. Le lycée avait un gardien de nuit à l'entrée mais presque tous les garçons avaient déjà fait le mur à l'ouest pour aller s'amuser en ville. Ce n'était donc rien pour eux.


* * *


Les bains publics étaient ouverts jusqu'à vingt-trois heures, et c'était presque l'heure de fermeture lorsque les deux amis arrivèrent. Des gens partaient en petits groupes. Les deux payèrent l'entrée et le responsable leur tendit leurs clefs de casier en leur rappelant bien :

« Dépêchez-vous, nous allons bientôt fermer. »

Song Jin hocha la tête sans se faire de souci. Ils comptaient juste prendre une douche et si jamais un client n'avait pas encore fini de se laver, le personnel attendait en général cinq à dix minutes de plus, ce qui leur laissait largement le temps.

Les douches étaient assez basiques, comme les douches en commun de nombreuses entreprises dans le nord il y avait vingt ou trente ans. Il y avait des douches tout le long des murs et au centre se trouvait un bassin dont seulement quelques personnes se servaient. Plus tard, avec l'évolution de l'équipement des maisons, chaque famille possédait une salle de bain donc ce genre de bains publics devint peu à peu en voie de disparition.


Quand ils étaient en troisième année de lycée, leur école fut transférée dans le nouveau quartier de la ville de R. Cette zone était plutôt éloignée et on disait que c'était la zone essentielle dans le futur développement, cependant elle restait encore à développer. La population restait concentrée dans l'ancienne vieille ville, ce qui donnait l'impression que cette zone était vraiment reculée. Beaucoup de travailleurs immigrés habitaient là afin de ne pas avoir un loyer trop cher. En général, quand ils rentraient du travail, ils venaient dans ces bains publics pour soulager leur fatigue. D'ailleurs, c'était proche d'une station de métro et d'un arrêt de bus. En été, les touristes de passage venaient aussi se laver là. Il y avait donc plusieurs bains publics dans le même genre près du lycée. Le plus proche de leur école était également le plus vieux, le plus délabré et le moins cher.

Toutefois, Chi Yan et Song Jin voulaient seulement se laver vite et rentrer pour dormir. Ils se moquaient bien de l'environnement. Ils se déshabillèrent et prirent le nécessaire de toilettes avant d'entrer vite. Deux autres clients refermèrent l'eau de leur douche et sortirent au moment où ils arrivèrent. La salle de toilettes n'était pas petite. Hormis les deux qui venaient de partir, il y avait encore deux ou trois personnes en train de se doucher mais elles semblaient sur le point de finir.


Le bassin au milieu était vide. Les néons près du bord clignotaient. Les deux amis se placèrent sous deux pommeaux de douche et commencèrent à se laver.

On n'avait pas besoin de sa bouche pour se laver, alors Song Jin se mit à parler dès qu'il s'ennuya :

« La Règle, je vais te donner un problème de maths. Je l'ai lu sur internet : quelqu'un vient se laver dans des bains publics comme ceux-ci. Quand il entre, il voit trois personnes dans le bassin et cinq sous la douche. Le temps qu'il se lave, quatre personnes entrent, deux sortent du bassin et une sort de la douche. Deux autres personnes et lui entrent dans le bassin l'un après l'autre. Et là, il est assis dans le bassin et il regarde autour de lui. Il se rend compte qu'il y a sept personnes sous les douches. Tu crois que c'est possible ? C'est la prof de maths qui parle : faites les calculs avant de lire la suite ! 😁 (1) »


Chi Yan réfléchit un moment.

« Voyons voir, comptons avec les emplacements de chacun. Il y avait neuf personnes dans la pièce : trois sont parties et quatre sont arrivées, ils doivent donc être dix. Il y avait trois personnes dans le bassin : deux sont parties et trois sont arrivées, cela doit donc faire quatre personnes. Du coup, il ne devrait y avoir que six personnes sous les douches. Il y a donc une erreur de calcul. »

Song Jin fit d'un ton ironique :

« C'est en fait une histoire de fantômes. »

Chi Yan le fixa d'un air compliqué.

« Ne te mets pas à raconter des histoires de fantômes au beau milieu de la nuit dans un endroit désert !

– C'est juste une histoire, fit l'autre jeune homme avec un léger rire. Qui s'amuserait à compter si clairement les gens qui entrent et qui sortent quand on vient prendre un bain ici ? »


Pendant qu'ils discutaient, trois personnes finirent de se laver, remballèrent leurs affaires et sortirent. Ils purent clairement entendre le bruit des casiers qui s'ouvraient et se refermaient dans le vestiaire. Ensuite, ces bruits disparurent.

Chi Yan pressa :

« Finissons vite de nous laver et arrêtons de discuter. Nous sommes les derniers. Le responsable ne va pas tarder à venir nous faire sortir.

– C'est bon, il y a encore quelqu'un qui était là avant nous. »

Il pointa du menton derrière Chi Yan et ce dernier se retourna. Effectivement, il vit que deux pommeaux de douche plus loin, quelqu'un se lavait en leur tournant le dos.


Son instinct lui souffla qu'il y avait quelque chose qui clochait. Quand ils étaient arrivés, il n'avait pas l'impression de se rappeler que quelqu'un se trouvait là-bas. Il murmura à son ami :

«  Da Déjà expliqué dans une autre réincarnation : Da (grand) est le contraire de Xiao (petit) et il s'utilise entre amis. (2) Song, tu as vu ce type quand on est entré ?

– Je n'ai pas fait gaffe, répondit Song Jin en secouant la tête. J'étais plutôt pressé de me trouver une douche et de me laver au plus vite. Je viens de me laver les cheveux en te parlant donc j'ai gardé les yeux fermés et je n'ai pas fait attention. »

Chi Yan avait aussi toujours fait face à son ami donc il n'avait pas remarqué quand l'autre était entré, ou bien s'il était là depuis le début et que Chi Yan ne l'avait simplement pas remarqué en arrivant.

Il tourna la tête pour regarder de nouveau derrière lui. L'autre homme avait toujours le dos tourné et la tête baissée. Il passait ses mains sur sa tête comme s'il était en train de se laver les cheveux. L'eau coulait du pommeau de sa douche, empêchant Chi Yan de bien voir.


À cet instant, le responsable cria d'un ton négligeant :

« Il est 23:05. Les numéros 18 et 19, dépêchez-vous de sortir, il ne reste plus que vous deux. »

Chi Yan et Song Jin baissèrent les yeux en même temps sur les numéros autour de leur poignet : Chi Yan avait le 18 et Song Jin le 19.

Ils purent entendre les grommellements du responsable et ses pas qui s'éloignaient :

« C'est l'heure de fermer. Si vous ne partez pas vite, vous ne pourrez plus sortir. »

Song Jin eut un petit rire nerveux. Il baissa la voix et fit :

« Le responsable s'est trompé, hein ? »


Chi Yan tourna la tête pour voir l'autre homme. Il était toujours en position de se laver les cheveux, le dos tourné, la tête baissée et les mains sur la tête.

Il ne sut que dire à son ami pendant un bon moment.

S'il ne se trompait pas, il ne s'agissait certainement pas d'un humain.

Chi Yan tira sur le bras de son ami pour le faire se baisser et murmura :

« Tu as entendu ce que vient de dire le responsable, non ? Les numéros 18 et 19, dépêchez-vous de sortir, il ne reste plus que vous deux. Seules deux personnes peuvent sortir d'ici. C'est un esprit ancré C'est un esprit qui ne sait pas ou n'accepte pas le fait qu'il soit mort alors il reste à l'endroit où il est mort. (3), il ne peut pas sortir. »

Chi Yan déglutit, apeuré, avant de poursuivre :

« À moins qu'il ne sorte en se servant de l'un de nous. »


Song Jin prit aussitôt peur. Chi Yan avait parlé d'un ton tellement véridique qu'il en eut la chair-de-poule : tous les poils de son corps se dressèrent un à un. Il détourna les yeux mais n'osa pas regarder dans l'autre direction. Il fit en tremblant :

« … Pourquoi, comment peut-il se servir de l'un de nous, ah ? »

Chi Yan le regarda longuement en silence, comme s'il réfléchissait.

La moitié de son visage était caché dans les ombres de la pièce et son regard était très calme. Mais quand Song Jin le vit ainsi, il ne put s'empêcher d'agiter la main devant ses yeux :

« La Règle, tu vas bien ? »

Il déglutit et baissa la voix :

« … Tu es bien Chi Yan, hein ? »


Son ami hocha légèrement la tête et lui fit signe de se taire. Il versa ensuite le gel douche à l'aloe vera dans sa main gauche et saisit le bras de Song Jin de son autre main. Il trempa le doigt dans le gel douche et traça rapidement un symbole sur le dos de la main de son ami. Pendant qu'il faisait ça, il lui ordonna à voix basse :

« Fais attention à ne pas l'effacer en te frottant. Tu vas sortir directement. La chose va sentir que tu as quelque chose sur ta main et comme il y a une autre personne à prendre, il ne risquera pas de te poursuivre. Écoute-moi bien et laisse-moi. J'ai un moyen de me protéger. Sinon, aucun de nous deux ne pourra en réchapper. »

Le corps de Song Jin était tendu à cause de la terreur. Il pouvait à peine se forcer à se tenir tranquille. Bien qu'il ne comprenait pas tellement ce qui se passait, il choisit de se fier aux paroles de son ami. Alors il hocha la tête et sortit en se forçant à rester calme.


Quand Chi Yan vit son ami franchir la porte, son cœur se détendit mais il se contracta de nouveau subitement. Il sentit un frisson glacé dans son dos, une sensation qu'il ne connaissait que trop bien : c'était le sentiment d'être observé par ce genre de chose.

Il savait que la chose était en train de le fixer.

Si elle voulait sortir, elle devrait le tuer pour ça.

Chi Yan tendit la main pour caresser gentiment la petite bouteille en porcelaine sur son torse, tâchant de surmonter la tension et la terreur dans son cœur.

Il avait été attaqué plus d'une fois par des fantômes quand il était enfant. Les esprits errants ordinaires avaient peur de l'énergie maléfique dans son corps alors ils n'osaient pas l'approcher. Par contre, les esprits féroces et les esprits maléfiques ne se gênaient pas pour le blesser car il était le petit-fils du chef de la famille Chi. Ils étaient tapis dans l'obscurité et tentaient de le tuer encore et encore. Alors il ressentait toujours une peur instinctive de ces choses.

Durant ses pires moments de faiblesse et d'impuissance, durant d'innombrables nuits passées dans la terreur, il y avait eu une seule personne qui l'avait serré dans ses bras pour le cajoler et le réconforter, afin qu'il puisse se calmer et s'endormir.


Chi Yan leva la bouteille en porcelaine et l'embrassa légèrement. Il la retira et enroula la cordelette autour de sa main droite. Il ressuya le gel restant et dessina rapidement un talisman d'exorcisme sur la paume de sa main gauche.

C'était cet homme qui lui avait offert cette bouteille en porcelaine. Deux ans après qu'il ait quitté la famille Chi, il n'avait plus eu la moindre nouvelle de cet homme. Ces familles de maîtres célestes se targuaient toutes de pouvoir se cacher dans les villes. C'était déjà extrêmement difficile pour les gens ordinaires de les trouver alors ne parlons même pas pour lui d'envoyer une lettre. Au moment où il s'était dit que l'autre l'avait probablement oublié, il avait reçu un cadeau de sa part qui fut comme par hasard livré le jour de son dix-huitième anniversaire : le quinzième jour du premier mois lunaire.


Le contenu du colis avait été très simple : seulement cette bouteille en porcelaine avec un post-it dessus. Sur le post-il était simplement écrit d'une écriture très familière : Pour mon bébé. Garde-la toujours sur toi. Quand Chi Yan avait pris la bouteille comme un trésor précieux, il l’avait posé dans sa main et l'avait examiné attentivement, incapable de la poser un seul instant. Après avoir trouvé une cordelette noire pour attacher la bouteille, il l’avait passé autour de son cou.

Il n’avait pas su tout de suite à quoi servait ce cadeau. Il n'en avait découvert les effets qu'après l'avoir porté plusieurs jours.

Autrefois, Chi Yan n'aurait jamais osé exposer son corps en public ou même aller aux bains publics comme ça. En été, il tâchait autant que possible de porter du noir. En effet, il peignait sur ses épaules et son torse des symboles à l'encre rouge pour réprimer l'énergie maléfique de son corps. Si les gens avaient vu ça, ils l'auraient définitivement trouvé trop bizarre.


Personne dans la famille Chi ne se souciait de lui. Il n'y avait que sa mère qui se souciait de lui mais elle n'était qu'une personne ordinaire sans pouvoir et qui n'avait aucun droit à la parole chez les Chi. C'était cet homme qui l'aidait à peindre à chaque fois ce talisman pour réprimer son énergie maléfique. Normalement, cela suffisait de le retracer une fois par mois mais quand il était encore chez lui, cet homme le peignait une fois par semaine. Une fois qu'il eut quitté les Chi, Chi Yan apprit à le peindre tout seul. Comme il ne pouvait pas atteindre son dos, il renonça simplement à peindre un talisman à cet endroit. Les trois restants devraient suffire à réprimer l'énergie maléfique dans son corps.

Au départ donc, Chi Yan n'avait porté la bouteille en porcelaine que comme un simple bijou et parce qu'il chérissait grandement la personne qui la lui avait offerte. Peu à peu, il avait découvert quelque chose d'extraordinaire au sujet de cette bouteille — non seulement elle pouvait réprimer l'énergie maléfique dans son corps mais en plus, les démons et fantômes ordinaires n'osaient pas en approcher.


Note de Karura : Bon, tout le monde se souvient de la première réincarnation et de ce que contient la bouteille. Cela soulève pas mal de questions, non ?


Notes du chapitre :
(1) C'est la prof de maths qui parle : faites les calculs avant de lire la suite ! 😁
(2) Déjà expliqué dans une autre réincarnation : Da (grand) est le contraire de Xiao (petit) et il s'utilise entre amis.
(3) C'est un esprit qui ne sait pas ou n'accepte pas le fait qu'il soit mort alors il reste à l'endroit où il est mort.






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